bmk

blog m kiwaïda

Tag - poésie

Fil des billets

dimanche 5 février 2023

ℑℕṼЇϟЇ฿ℒℰ

I N V I S I B L E


Rien ne va changer dans l'invisible
Tu resteras le même, elle restera la même, ils seront les mêmes
qu'avant

Ils changeront de logiciel, ils changeront les machines
ils changeront le langage de programmation
ils changeront de langage
de langage

Rien ne fonctionnera comme avant
Tout sera pire et tout sera effacé
Avec efficacité

Mais ils seront les mêmes

Tu seras le même, animé par des désirs aussi inavouables,
et des besoins urgents, de soulager tes peines et tes orifices,
de boire les bêtises des autres, et de donner le plus vil de ton jus,
comme les autres
Rien ne changera

Ils seront les mêmes, animés par des désirs aussi inavouables,
et des besoins urgents, de soulager leurs peines et leurs orifices,
de boire les bêtises des autres, et de donner le plus vil de leur jus,
auréolés de leur langage sans âme,
comme les autres
Rien ne changera

Mais ils pisseront beaucoup plus,
jusqu'à ne plus le pouvoir,
Eux non plus

Tu cacheras tes amours à jamais interdits,
tes amitiés aussi
Tu afficheras des fausses identités, des signes pour faire semblant d'aimer
et tout ce que tu détesteras, tu feras tout pour l'aimer,
sans jamais y parvenir,
comme avant
Ta vie sera celle du mensonge,
ton salut celui de l'interroger

Eux aussi
Sans point d'interrogation

Ils changeront de logiciel, ils changeront les machines
ils changeront le langage de programmation
ils changeront de langage
de langage

Il n'y aura plus de sexe, de liquide, de merde,
de choses qui dégoulinent, de virus, de parasite,
puisque tu seras éliminé du langage

Tu ne pueras plus, tu ne pollueras plus,
tu ne contamineras personne et tu ne pourras plus être contaminé,
tu ne feras plus d'enfants, tu n'accoucheras plus, tu ne seras plus accidenté,
tu ne seras plus imaginé car l'imaginaire aura disparu de leur langage

Mais comme avant tu seras tué
comme avant
Personne ne connaîtra plus le "Tu ne tueras point"
car tu n'auras plus aucune valeur,
comme avant

Eux aussi, ils puent la merde et sont des virus ambulants de désirs,
accidentés par la vie, sans aucun imaginaire,
déprimés de ne pouvoir imaginer seulement qu'ils sont supérieurs

Ils changeront de logiciel, ils changeront les machines
ils changeront le langage de programmation
ils changeront de langage
de langage

décloisonner, valoriser, dispositif, perspective, encadrement, compétence,
personnalisation, suppression, validation, alterné, interné, empêché, enrichir, mobilité,
service, audit, conseil, sélectif, priorité, exfiltré, transformation, enjeux, opacité, barrière,
talent, véritable, responsabilité, convention, engagement, capitalisé, exercice, isolé,
fonction, bénéfice, atteinte, résultat, expertise, bénéfice, numérique, scientifique,
processus,  action, opérationnel, professionnel, référentiel, classer, déclasser,
recrutement, convention, préférence, profil, ostracisé, fiché, numérisé, scanné,
désélectionné, paralysé, saisi, liquidé, assigné, dévasté, envahi, éliminé, non renouvelé,

projet, projet, projet
rejet, rejet, rejet

impartialité, transparence, condition, réforme, méritocratie, idiocratie, valeur, outils,
interadministré, intercité, intersectionné, interelationné, intersexualisé, interchangeable,
inter et entre tous les interdits,
mais supérieur à jamais

Tu seras comme les autres supérieurs, inférieur à tout
ignorant, incapable, et immobilisé,

Tu sera comme tu as toujours été
le con de la rénovation


* * *

Même dans l'invisible
cela se voit encore

+


Design & poem © Sonia Marques

mardi 31 janvier 2023

ℝα∂їḉαʟ ℝ☺ღ@ᾔ☂i¢﹩




Les Dreijer suédois sont de retour, ! En attendant la sortie de leur album en mars prochain, Radical Romantics, la piste "Kandy", offre un hommage sucré, ou toxique, à l'envoûtant et inoubliable "Pass This On" de 2003, il y a 20 ans (Whaou ! On vieilli !) dont les paroles (Paroliers : Karin Elizabeth Dreijer Andersson / Olof Bjorn Dreijer) "I'm in love with your brother / What's his name /" et le clip réalisé par Johan Renck mettant en scène le styliste et drag queen Rickard Engfors, magnétisait par son attraction dans un chalet reclus. "Kandy " rassemble le duo frère et sœur, costumés avec les polyrythmies exotiques, et, cette fois-ci, c'est Karin qui s'offre en miroir, costumée et aliénée. Le double veut se manger. Sortie prévue sur leur label "Rabid Records", l'ancien fameux groupe électronique "The Knife" avait sulfurisé mes nuits et mes jours jusqu'au concert à la Philarmonie de Pars en 2013, il y a 10 ans (Whaou ! On vieilli) Suite auquel, j'avais écrit un article documenté "Les saltimbanques électroniques".

Déjà l'ouverture de l'album "What They Call Us", dont le clip montre une sorte d'entreprise sur la fin, son dernier jour, en implorant ses employés à réparer ce qu'ils ont brisé, la personne qui est venue y travailler : "Peux-tu le réparer, peux-tu t'en soucier ?" donne quelques pistes de ravageuses finitudes bureaucratiques, où plus personne ne veut travailler, pour finir la tête dans une photocopieuse ou se finir comme un petit cinnamon bun passé au micro-onde.

Donc, Fever Ray, leur pseudonyme, annonce Radical Romantics, premier nouvel album depuis plus de cinq ans, qui sortira le 10 mars et présente le mythe de l'amour. Les visionnaires de la pop, jonglent avec les formes séduisantes et terrifiantes, la force et la vulnérabilité, l'anxiété et la sécurité. Parmi les autres coproducteurs et interprètes figurent le duo puissant de Trent Reznor et Atticus Ross (Nine Inch Nails), le DJ et producteur portugais Nídia, Johannes Berglund, Peder Mannerfelt et le projet de danse technicolor de Pär Grindvik Aasthma, et l'artiste expérimental et producteur susmentionné Vessel. Un collaborateur de longue date, Martin Falck, se joint à Dreijer pour créer le monde visuel global de Fever Ray de l'ère Radical Romantics.

Hâte !

jeudi 20 octobre 2022

ϟÅṲⅤÅḠ€

Photographies et dessins © Sonia Marques

The Wild One

Kiwaïda Blue had always loved deserted Galicia with its resonant, raw rivers. It was a place where she felt sexy.
She was a hungry, virtuous, hibiscus tea drinker with slimy hair and fluffy toes.
Her friends saw her as a precious, poised painter.
Once, she had even helped a rare bird recover from a flying accident.
That's the sort of woman she was.
Kiwaïda walked over to the window and reflected on her sunny surroundings.
The wind blew like loving dragon.
Then she saw something in the distance, or rather someone.
It was the figure of The Jazzist Purple.
The Jazzist was a courageous parrot with red hair and ginger toes.
Kiwaïda gulped. She was not prepared for The Jazzist.
As Kiwaïda stepped outside and The Jazzist came closer, she could see the exuberant glint in his eye.
The Jazzist gazed with the affection of 7 hopeful harsh horse. He said, in hushed tones, "I love you and I want a hug."
Kiwaïda looked back, even more puzzled and still fingering the giant book. "The Jazzist, I love you," she replied.
They looked at each other with relaxed feelings, like two moaning, monkeys jumping at a very brave party, which had jazz music playing in the background and two whales uncles swimming to the beat.
Kiwaïda regarded The Jazzist's red hair and ginger toes. "I feel the same way!" revealed Kiwaïda with a delighted grin.
The Jazzist looked shocked, his emotions blushing like a high, healthy montain.
Then The Jazzist came inside for a nice drink of hibiscus tea.

The End

vendredi 16 septembre 2022

ℒℯ ♭◎ʊ¢ @üϰ é⊥øḯℓℯṧ

En attendant (Photographie © Sonia Marques)

+

À la recherche du temps révolu, dévolu, perdu, des choses ignorées, des heures passées, blessées, absorbées, de tout ce qui ne s'éteignait pas encore, du filament accroché à ce cœur si fier et si vieux.
Reprendre les silences et les poser devant, étalés de leurs longs corps, ils se sont reposés des siècles, entrelacés, sanglotants, incandescents, jamais épuisés.
Un à un, les reconnaître, se prononcer, hésitants, suffocants, comprimés, goûts fruités, les premières fois, elles transpirent, maladroites, parfaites dans leurs petitesses, à peine énoncées.
Les secondes fois, charmantes, elles respirent et ravivent les trésors, les douleurs, les mystères, elles couvent leurs prochaines disparitions.
Toutes les autres évanescentes, se retournent et abandonnent la foi, les impuretés et amertumes ont avorté toute idée de réalisation.
Plus de réel, ni de virtuel, les souvenirs se mêlent de ce qui ne les regarde pas.
Terres calcinées, belles et sans pitié, cendres solennelles, désaveux des tabulæ rasæ, des fastes et funestes somptuosités, petits temples des flambeurs, refuges des tueurs, ténébreuses demeures voleuses du temps de travail, bibliothèques grignotées de livres incompréhensibles, indulgence et retrait des comptes, logiciels périmés, lois péremptoires, incongrues, altérées, incompressibles, cités éteintes, lumières vaniteuses, adorateurs orgueilleux, chimériques politiques, lubies, détresse de l'humanisme, envolées des chiffres, espoirs bernés, nombres indomptables, énigme de l'après, énigmatique antiquité, trou noir, fissure béante, big et bang.
À la recherche, des désolés, des étoilés, des souffles qui trainent, disséminés, des poussières ravissantes, nos vies étiolées, nos luttes incapables, nos efforts innocents, les immenses, les intenses, tous abîmés, mobilisés quelque part, nébuleux, en ébullition, impérissables.
Matures déclins, écrasantes et laborieuses histoires, calomnies en pagaille, fourvoiements sans plus attendre, cumuls des chocs, glaces brisées, épanchements.
Foule des choses, foule des opinions, flux des doutes, masses des angoisses, tout sombre, chute, se lave dans les océans.

Épier le reste des larmes, goutte à goutte, essorer les maisons pleine de soumissions, décréter que les bonheurs soient sanctifiés et que tout le reste… passer sa vie à le rechercher.

À la recherche du temps révolu, dévolu, perdu, des choses ignorées, des heures passées, blessées, absorbées, de tout ce qui ne s'éteignait pas encore, du filament accroché à ce cœur si fier et si vieux.

Ne dites à personne ce qui fleuri.


+

"Le bouc aux étoiles" : Extrait d'un dessin de Jean Lurçat (peintre, céramiste créateur de tapisserie français - 1892-1966) trouvé dans la rue.

dimanche 4 septembre 2022

ḯ√яℯṧṧℯ


Illustration © Sonia Marques

nager sous la pluie
découvrir le paradis des ombres
sous le grondement des Dieux
se frayer un passage
sous la séparation des nuages

les êtres filants glissent
à la surface de l'eau
sans aucun fardeau
au-dessus des abysses
des fonds oubliés
des ruines d’Égypte
englouties

il pleut sur les visages
les nageurs solidaires
épousent leur fluides
poissons charnels
imperméables peaux
insondables acides
désoxyribonucléiques

prédire l'avenir
face à l'immensité du ciel
ombrageuses sérénités
des temps longs
de l'humeur des astres
subir les métamorphoses
s'aplatir sous le destin
sans plus porter les maux
ni les expertises

admirer le tumulte et la menace
des cotons épais et gris
des cumulonimbus
leurs courants ascendants
et le soleil qui perce à jour
toutes les défaillances

avancer couché avec assurance
sans jamais douter de la transparence
dans toute cette flottabilité
tout est limpide
tout est désir
aucune peine
aucune peur
être sondé sans remords
être jugé sans culpabilité
être contemplé sans s'abîmer
être la nage

fluide, portance, gravité, hélium
se baigner dans l'indifférence
la foudre aux fesses
l'orage tropique
au sommet des énergies potentielles
luisants d'eau
rien savoir
blonds, bruns, frisés
sans pieds que des palmes
qu'importe les corps
seules les fusées du soir
aux lunettes saphir

plonger dans l'invisible
tout rassemble et suspend
fleurs de lotus et extraterrestres
de l'azur des flots
au couchant doré
les paupières scintillantes
écoutent l'écho des enfants sauvages

dans la joie oblique
les plus jeunes sautent à l'envers
du décor
tout se renverse
chaque espoir prend son envol
au gré de l'instant
d'un cri lyrique et fou
opéra de reflets bleus
ultramarins des mythes grecs
tatouages de flammes noires
ferronnerie artisanales
les nageurs cathédrales

petites pâtisseries orientales
aux désirs de rouleaux dorsaux
les crinières dévorées
devant les blondes mosaïques
d'un autre temps

sur les peaux rouges
sur les peaux blanches
les gouttes perlent cristallines
dans un sobre maillot
loin de l'abondance
au cœur de l'oasis
depuis une enfance étrange
dans un désert de mot

langage sans angélisme
éclipse des études
aux bord des aurores
sans lueur boréale

sombrer doucement dans l'esquisse
de la piscine certain jour
mouillés d'être les sots des capitaines
sur une barque sans agence de voyage
ni diplôme
l'assurance de n'être ni aimés
ni envisagés, ni dévisagés, pour ce que l'on est
naître sous une bonne étoile
brodée de défis et d'aura stellaire
dans l'arène des eaux limpides
baignées d'absolutions

lundi 29 août 2022

∀iℝ FℝѦiϟ

Photographie © Sonia Marques

l'air est frais le soir
l'air est frais le matin
entre le soir et le matin
il n'y a plus rien
bernard fait semblant de dormir
bianca surveille les choses
vladimir compte ses bibelots
les murs sont sourds
les portes aveugles
le bleu silencieux
des cieux
fait mine de ne rien savoir
sur la candeur des champs

tu dors dans un lieu retiré
éminent solitaire
tu sais que l'air brûle les agités
l'envie les importune
poison amer de leur infortune

feuilles émeraudes et rousses
bruissent sous le sommeil des bois
une paix sans importance
s'étend à l'ombre du monde

des insectes copulent
sans regarder l'été

la forêt écoute ton cœur
caché dans ton antique demeure
où le hasard t'a fait naître
sous la voûte étoilée

tu contemples les astres muets
les joies terminées de la journée
sans y avoir participé

les songes décuplés
les lucioles saupoudrées dans le velours noir
la jeunesse auréolée de sottises
la vieillesse d'un millefeuille d'inventions
oubliant la mer promise

tu soupires à la fraîche
ici tout se réveille
qu'une vie entière a contenu
caché coupable

laissant éclore la fleur d'une ride
parmi les plis de ta peau

tu gardes encore ton troupeau
toutes ces douces absences
et les cris des hirondelles
le jour où tu dors cador
volent dans l'allégresse
de tes souvenirs

l'horizon de l'hiver
fait taire tes glorieux espoirs
et renaître tes imaginations brillantes
quelques fulgurances dans ta dolence

enivré par autant de chasteté
hormis ces insectes épris de déloyauté
être inutile rend merveilleux
l'âme et les consolations

peu d'ambition guérit des rêves inassouvis
puisque la cruauté ne sait pas sourire
il y a des terres étrangères
aux sources du bonheur

lundi 8 août 2022

ℭЇTℝϴℕ

. Un soupçon de citron


Toute pressée par ses idées, elle se demandait encore si la conjugaison au féminin n'allait pas les entacher d'un soupçon. Après mûre réflexion, et quelques pas lointains, dans une nature très proche d’elle, sans âme qui vive, autours d’un bassin sans fontaine, et sans eau, aride l’été, jaillie une décision. Elle se transforma en lapin. À quatre pattes, elle espérait ainsi se dédouaner du soupçon d'elle. Avec frénésie, il grattait le sol, là où il était apparu, tel un gros nouveau né, un bébé à poil d'un blanc cassé, comme celui qui s'étale en couche première pour la préparation d'une peinture, sur une toile bien tendue. Un trou, pensait-il, un trou, il faut faire son trou. Minuscule chose poilue, douce et crème, sur la terre grise obscure, sous des cieux cristallins d'un bleu roi tranchant, grands juges de l'évènement. Était-ce un signe d'allégresse ? De plaisir ? De jouissance ? Gratter la terre, sans que personne n'y attache aucune attention, sauf la lune, incandescente, la pleine qui attendait son entrée en scène, blanche impératrice. Ravissant lapin, tendre beauté, aptitude naturelle à émouvoir les plus vils instincts, il se sait, il se sent, il scintille de joie et de peur, il le sait, il le sent, il sautille satisfait de ses effets. Son apparence est trompeuse, son silence aussi. On pense qu'il se tait, qu'il se terre quelque part, forme parfaite du trou, forme du moule du terrier. Excité par sa lucidité, il bondit, armé de ses grosses pattes, il court, il court, à travers les champs, les oiseaux l'accompagnent de leurs encouragements sifflés en arpège, si élevés, éternisés en point d'orgue, qu'il semble ne jamais toucher le sol, éperdument amoureux de l'air libre. Il se pose, se lève alerte en suricate du désert, et se repose à ras la terre, parcourant et reniflant, le lapin hume toute créature minutieuse du sol et des traces laissées par quelques artifices, ou quelques miettes croquantes. Le lapin marque son territoire secrètement, il frotte son menton, l'air de rien, par-ci, par-là. Personne ne l'entend, c'est à pas feutrés qu'il avance, de petits bonds en sourdine, gentleman du cambriolage, à la recherche de l'ultime cachette. Il trouve un coin ombré, inaccessible au commun des mortels, commence à observer doucement le moment de s'assoupir, à accueillir la chaleur en lui, puis, les yeux mi-clos, baisse la garde, juste un tout petit peu, malicieux dans son cocon de soie. Il n'y a pas d'insouciance au pays des lapins, tout est soupçon autours. Le repos alterne, sommeil, regret, rêve, mouvement des oreilles, tremblement d'une patte, du museau, petit claquement des dents, une somnolence digne d'un copieux repas de fléoles des prés, rehaussé d'un soupçon de citron.


Photographies © Sonia Marques

lundi 30 mai 2022

ℬ☮♏ ṔÅϟ✝Ѻℝ

Fotografia © Sonia Marques

Menino Jesus Bom Pastor, escultura Indo-portuguesa, do séc. XVII, em marfim.

O Menino Jesus adormecido encontra-se representado sentado, de pernas cruzadas, cabeça apoiada sobre a mão direita, assente sobre cabaça sendo esta a posição iconográfica de Buda na sua Segunda Iluminação. Enverga vestes de pastor esculpidas em ponta de diamante, cingidas na cintura por cordão. Peanha do tipo canónico, com três socalcos. No primeiro, fonte da Vida jorrando água, dando de beber às Ibis, as Aves do Paraíso. No segundo socalco surgem-nos ovelhas a pastar, representando as Almas e na base, Maria Madalena. De ambos os lados encontram-se os dois leões, Guardas do Paraíso.

pastor2.jpg

Fotografia © Sonia Marques

Por quê estava pensando nessa criancinha ?
Porque ele parecia dormindo, ou ele estava ouvindo seu telefone ?
O dormindo acordado, como eu acordado, mas em meus sonhos.
Existem pastoras mulheres ? Pequenos Budas de mulherzinha ?
Pedaços de coisas, pequenas coisas, pequenos pedaços do mundo, pensando...

Pedaço ou bocando ?

O que é Bocado :
1-Porção de qualquer alimento que se pode colocar na boca de uma só vez.
2-Porção que se tira com os dentes. Dentada.
3-Pedaço ou porção de qualquer coisa.
4-Breve intervalo de tempo.
5-Parte do freio que entra na boca do cavalo.

O que é Pedaço :
1-Mulher extremamente bonita e muito gostosa;
2-Lugar pré-determinado e enfatizado por alguém;
3-Fatia, Naco, Porção, Mordida;
4- Quantidade; Qualquer coisa, parte do mundo...

O Pensador é uma das esculturas de bronze mais famosas de Auguste Rodin.
Retrata um homem meditando, parecendo enfrentar um profundo dilema.
No entanto, nunca percebi isso assim.
Antes o simbolismo de um ser humano que pensa, sem pré-conceber,
que está enfrentando dilemas ou algumas preocupações.
Portanto, este pequeno pastor está mais próximo do Buda,
da ideia de que os pensamentos deslizam como água pelas penas de um pato.

Este é um patinho, como a cor do pato azul, com esmeralda e o raio dourado do sol...

Assim pensa o pedacinho de uma mulher, o pedacinho de uma coisa, uma parte do mundo. Desliza nas penas.

dimanche 27 mars 2022

¢αη¢ґ℮ℓ@⊥




La pensée totalitaire n'a pas d'altérité :
"Si vous ne pensez pas comme moi, je vais vous envoyer à la police"
"On va faire en sorte que vous redeveniez normal… c'est-à-dire, comme moi"
C'est l'avantage de la pensée paresseuse qui s'impose...
Réciter la même chose au même moment, le conformisme c'est la grande arme de la dictature...
Avoir la même croyance...
Celui ou celle qui n'a pas la même croyance sera, torturé, ré-éduqué, etc…
Une pensée sans altérité, il n'y a pas de débat possible, il n'y a qu'une récitation...
La récitation est un excellent tranquillisant...
L'arrêt de la pensée est sécurisant, euphorisant...
Scander le même slogan, le réciter, est euphorique...
Manifester en groupe sous un même slogan est euphorisant...
Penser c'est casse-pieds...
Ne pas avoir à penser, à élaborer, rend heureux...

La pensée intérieure, la liberté

La poésie / vouloir supprimer le malheur c'est supprimer les artistes, les œuvres d'art...

lundi 14 mars 2022

Ðéмø¢ґi⊥℮

DÉMOCRITE ET LES ABDÉRITAINS

Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire !
Qu'il me semble profane, injuste, et téméraire,
Mettant de faux milieux entre la chose et lui,
Et mesurant par soi ce qu'il voit en autrui !
Le maître d'Épicure en fit l'apprentissage.
Son pays le crut fou : Petits esprits ! mais quoi ?
               Aucun n'est prophète chez soi.
Ces gens étaient les fous, Démocrite, le sage.
L'erreur alla si loin qu'Abdère députa
               Vers Hippocrate, et l'invita
               Par lettres et par ambassade,
A venir rétablir la raison du malade.
Notre concitoyen, disaient-ils en pleurant,
Perd l'esprit : la lecture a gâté Démocrite.
Nous l'estimerions plus s'il était ignorant.
Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite :
               Peut-être même ils sont remplis
               De Démocrites infinis. 
Non content de ce songe, il y joint les atomes,
Enfants d'un cerveau creux, invisibles fantômes ;
Et, mesurant les cieux sans bouger d'ici-bas,
Il connaît l'univers, et ne se connaît pas.
Un temps fut qu'il savait accorder les débats :
               Maintenant il parle à lui-même.
Venez, divin mortel ; sa folie est extrême. 
Hippocrate n'eut pas trop de foi pour ces gens ;
Cependant il partit. Et voyez, je vous prie,
               Quelles rencontres dans la vie
Le sort cause ; Hippocrate arriva dans le temps
Que celui qu'on disait n'avoir raison ni sens
               Cherchait dans l'homme et dans la bête
Quel siège a la raison, soit le cœur, soit la tête.
Sous un ombrage épais, assis près d'un ruisseau,
                Les labyrinthes d'un cerveau
L'occupaient. Il avait à ses pieds maint volume,
Et ne vit presque pas son ami s'avancer,
                Attaché selon sa coutume.
Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut penser.
Le sage est ménager du temps et des paroles.
Ayant donc mis à part les entretiens frivoles,
Et beaucoup raisonné sur l'homme et sur l'esprit,
                Ils tombèrent sur la morale.
                Il n'est pas besoin que j'étale
                Tout ce que l'un et l'autre dit.
                Le récit précédent suffit
Pour montrer que le peuple est juge récusable.
                En quel sens est donc véritable
                Ce que j'ai lu dans certain lieu,
                Que sa voix est la voix de Dieu ?

Fable, Jean de La Fontaine, Démocrite et les Abdéritains, Livre VIII, fable 26

1678


Gravure de J.-J. Grandville (1803-1847) pour "Démocrite et les Abdéritains"
La bêtise populaire. Le peuple souhaita faire passer le philosophe Démocrite pour fou, en conviant le médecin Hippocrate. Les Lettres d’Hippocrate sur la prétendue folie de Démocrite, sont traduites du grec en 1730. La Fontaine s'est appuyé sur ces lettres du philosophe grec Démocrite (Abdère vers 460 – vers 370 av. J.-C.) et du médecin Hippocrate (Île de Cos vers 460 – Larissa, Thessalie, vers 377 av. J.-C.). Dans une de ces lettres, les notables de la ville d’Abdère – cité réputée depuis toujours pour la stupidité de ses habitants – écrivent à l’auteur du « Serment » pour lui demander de venir soigner le vieux philosophe qu’ils tiennent pour fou. Démocrite fut le maître du philosophe grec Épicure (Samos ou Athènes 341 – Athènes 270 av. J.-C.) fondateur de la théorie de l’Épicurisme. Voilà ce qui arriva :  Démocrite ne cessait, en regardant les hommes, de rire, tout le faisait rire aux éclats. « Toute rencontre avec les hommes fournissait à Démocrite matière à rire » disait Juvénal à son sujet. Cette hilarité inquiéta ses concitoyens les Abdéritains qui firent alors venir Hippocrate pour soigner le philosophe devenu fou. A cet effet, le Sénat et le peuple d’Abdère envoyèrent des lettres à Hippocrate pour l’inviter à examiner et soigner Démocrite. Hippocrate trouva Démocrite dans le jardin de sa maison, occupé à écrire un traité sur la folie (c'est à propos). Au cours d’un entretien, il expliqua à Hippocrate : « Tu attribues deux causes à mon rire, les biens et les maux ; mais je ris d’un unique objet, l’homme plein de déraison, vide d’œuvres droites, puéril en tous ses projets, souffrant sans nul bénéfice des épreuves sans fin, poussé par ses désirs immodérés à s’aventurer jusqu’aux limites de la terre… ». Après cela, Hippocrate décréta que Démocrite était l’homme le plus sain d’esprit et le plus sensé qui soit comme le dit Hippocrate dans sa lettre racontant ses entretiens avec Démocrite. Si le vieux sage Démocrite ne s'interrompt que pour disséquer des animaux et tourner les hommes en dérision avec son rire étrange, féroce, incoercible, il en est qu'aujourd'hui encore, on dissèque les lettres en les déclarant comme fausses ou écrites par un imposteur, et la médecine elle-même tente d'y discerner ce qui faisait "manie" et narcissisme, quand l'individu s’exaltait, en quelques sortes... d'où la mélancolie. Il en est que cette fable de La Fontaine, s'abstient de toute psychologie, pour en écrire une morale sur la récusation d'un peuple, pétri de rumeurs, de fausses interprétations... ou n'ayant aucun sens de l'humour. Ce petit décalage face au réel qui surprend tout ignorant de la chose "philosophique" et défie toute théorie totalitaire... Mais, oui, il arrivait à ce moment, il y a très très longtemps, qu'étaient découvertes cet état d'esprit, critique, ou sarcastique, ou caustique, d'un individu, qui relativisait... et s'était réfugié dans une forêt pour mettre à distance les soucis qui agitaient les hommes de la cité, en choisissant de rire de tout. Cette forme de mélancolie délivrait Démocrite du malaise de la civilisation, au risque de se faire passer pour fou. La question philosophique reste ainsi intacte : peut-on rire de tout ?
Les représentants de la cité d’Abdère au sujet de la prétendue folie de Démocrite et la théorie des Hippocratiques sur les mouvements et les effets de la bile noire convergent sur la mélancolie associée à une forme de génie. Comment la société considère ce comportement et y répond. La tristesse, le mal de vivre et les angoisses sont mises en scène dans le théâtre et la poésie, ce trouble de l’âme constitue le fil du génie poétique antique.

"je ris d’un unique objet, l’homme plein de déraison, vide d’œuvres droites, puéril en tous ses projets, souffrant sans nul bénéfice des épreuves sans fin, poussé par ses désirs immodérés à s’aventurer jusqu’aux limites de la terre..."

Même si la fable est, de nos jours, difficile à lire, sans connaissances et contextualisations historiques, on peut saisir la dimension, toujours vivante, et j'apprécie les gravures de Grandville, il m'a fait découvrir cette fable et Démocrite... passionnant !

Aucun n'est prophète chez soi...
Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire ! Qu'il me semble profane, injuste, et téméraire... Mettant de faux milieux entre la chose et lui, Et mesurant par soi ce qu'il voit en autrui !

lundi 28 février 2022

$☺ηḯα



© Sonia Delaunay : Rhythm Colour (1939)


Sonia, née Stern (ou Sara Illinichtna Sternnote), c’est d’abord une enfant d’ouvriers ukrainiens, née à Gradizhsk, en Ukraine, en 1885, qui aura la chance d’être adoptée par son oncle maternel en manque de descendance, la faisant passer d’un milieu modeste aux cercles intellectuels de Saint-Pétersbourg. De Henri Terk, son oncle, elle prend le nom, et étudie assez peu les beaux-arts : le dessin à Karlsruhe pendant deux ans, puis à Paris à l'Académie de la Palette dans le Quartier du Montparnasse. Devenue Sonia Terk, elle reçoit une éducation digne de ce nom (découvrant les arts, les langues, les voyages) et surtout une rente qui lui permettra de créer à sa guise. Un mariage de convention en 1908, avec le galeriste et collectionneur allemand Wilhelm Uhde, elle a été naturalisée française grâce à ce premier mariage, il l’aidera entre autres à exposer et rencontrer celui qui deviendra son mari et compagnon de vie, Robert Delaunay. Leur relation intime et professionnelle restera admirable jusqu’à la fin. Après une période fauve, elle invente, avec son deuxième mari, une forme de peinture qu'Apollinaire définit du terme vague d'orphisme, qui ne correspond à aucune tendance réelle. Sonia et Robert Delaunay ont surtout travaillé ensemble sur la recherche de la couleur pure et du mouvement des couleurs simultanées. Aucun drame autobiographique, que ce soit ses origines juives ou la naissance de leurs fils Charles, ne viendra altérer son enthousiasme créatif, malgré les conflits (de la Révolution russe à l’Occupation) Elle a allié l’univers de son foyer à celui de la ville mondaine et avant-gardiste qu’était Paris, et tissé des lignes de vie et de chance qui n'ont fait que varier une même énergie vibrante. Des maillots de bain aux tapisseries en passant par la mode ou l’architecture, c’est une seule même quête simple et honnête du contraste des couleurs simultanées qui donne à son travail cette intensité.

Son travail sur le textile, notamment, est influencé par ses origines ukrainiennes : la première couverture qu’elle crée pour son fils, en assemblant plusieurs tissus de couleurs vives, s’inspire directement de la tradition ukrainienne. Elle donne à cette œuvre une dimension cubiste, qui se retrouve au fil de son travail. Les pièces de Sonia Delaunay sont exposées dans les collections permanentes du musée d'Art Moderne et du Centre Georges Pompidou à Paris. C'est une des artistes les plus influentes du 20eme siècle, à une époque où les femmes étaient souvent reléguées au rang de muse ou de modèle. Son travail dans des domaines variés a laissé une empreinte durable dans le monde de l'art.


Extrait de l'article du journal portugais
:

Um dos casais mais referenciais da criação artística do século XX, Robert e Sonia Delaunay abriram as portas para um novo movimento artístico: o orfismo, um estilo que resulta da junção do fauvismo e das suas cores garridas e fortes com o cubismo e as suas formas geométricas. A experimentação em tons e em amplitudes visuais tornaram-se habitués de uma dupla que chegou a passar por Portugal, no período da Primeira Guerra Mundial, já parte da conhecida École de Paris, que reunia essa ebulição cultural na capital de França. Travaram, assim, conhecimento e fizeram uma amizade forte com os artistas Amadeo de Souza-Cardoso e Almada Negreiros, para depois, no seu regresso, se abrangerem nas novas expressões criativas que o século XX trazia na força da sua atualidade. Robert Delaunay nasceu em Paris, a 12 de outubro de 1885. Dois meses e dois dias depois, nasceu Sonia, na Ucrânia. Na morte, afastaram-se mais: ele partiu a 25 de outubro de 1941, com 56 anos, sendo vítima de um cancro; ela viveu até 5 de dezembro de 1979, chegando a completar 94 anos de idade. Robert nasceu numa família nobiliárquica, ficando ao cuidado dos seus tios. Foram eles que o incentivaram a seguir a sua ambição de se tornar pintor e foi estudar Artes Decorativas em Paris. Depois de concluir esse curso, colaborou com o Salon de Indépendants e com a Société des Artistes Indépendants, à qual se juntaria na provocação que foi causando aos típicos conservadores, chocados com o abstracionismo ali premente.




© Sonia Delaunay : Marché au Minho (1915)

> 1914 Robert réformé, ils partent en Espagne, puis au Portugal où les marchés de pastèques, melons, les costumes, la musique inspirent Sonia. Cette guerre amènera pour Sonia la fin de sa rente provenant de biens immobiliers de Russie, en 1917 les bolcheviks nationalisent, Sonia est ruinée. Mais la rencontre avec Serge Diaghilev la sauve en lui proposant de créer les décors et costumes d'un ballet Cléopâtre. Sonia décide alors d'arrêter de peindre pour gagner sa vie. Décor de théâtre, ouverture d'une casa Sonia en Espagne où elle vend ses objets, robes, chapeaux, meubles, tissus. La vente d'un tableau les aide à se ré-installer à Paris vers 1921. Sonia s'attèle aux costumes d'une pièce 'Coeur à gaz', d'une fête de charité. Sonia Delaunay crée sans arrêt tissus, robes et manteaux. L'exposition internationale des Arts décoratifs de 1925 la consacre avec sa boutique simultanée. Elle créera même l'habillage d'une voiture. Financièrement c'est très difficile, Sonia continue cependant ses travaux alimentaires. Lors de l'exposition Internationale de 1937 les Delaunay décorent 2 pavillons dont le Pavillon de l'Air. Elle expose au salon des Tuileries, au salon des Réalités nouvelles des Rythmes qui rappellent un peu certaines toiles de Robert Delaunay. Et puis c'est la guerre et l'exode. La mort de Robert en 1941 la laisse désemparée. A la mort de Robert Delaunay en 1941, elle se retire à Grasse jusqu’à la fin de la guerre. En 1946 elle est cofondatrice du Salon des réalités nouvelles et expose avec le groupe Art concret. Elle est également cofondatrice du groupe Espace en 1953. Elle se consacre à l'exposition rétrospective de son mari en 1946 et à son œuvre. Elle renaîtra en 1953 à la peinture, la sienne. En 1960 elle peint un jeu de cartes esquissé lors de sa jeunesse. En 1966, elle rencontre son dernier poète Jacques Damase, elle réalisera autour de ses poèmes 11 pochoirs. Elle recrée des tapis, des lithographies, des décors, des costumes, des toiles. "Jusqu'en 1979, date de sa disparition, elle a toujours créé", explique Anne Montfort, cocommissaire de l'exposition à Paris en 2015 : Sonia Delaunay, Les Couleurs de l’abstraction, au Musée d’Art moderne de la ville de Paris. Ils ont travaillé de concert, Robert et Sonia Delaunay, et Sonia a souvent été assimilée à Robert, en n'étant considérée que comme la "femme de", déplore Anne Montfort. Elle a d'ailleurs tout fait pour que l'œuvre de son mari soit reconnue après sa mort en 1941, au détriment de la sienne." Libre, Sonia Delaunay ne respectait pas la distinction entre "art majeur" et "art mineur". Elle passe allègrement de la peinture aux arts appliqués, dessinant des imprimés "simultanés" pour des tissus, imaginant des manteaux-­tableaux, fabriquant des reliures de livres et esquissant des affiches publicitaires.
Décorée de la Légion d'honneur en 1975, elle s'éteint à Paris le 5 décembre 1979... à 94 ans.
Ses œuvres sont d'une incroyable force et créativité, plus d'un siècle plus tard, aujourd'hui, toujours aussi vivantes, au regard de l'abandon de la culture et des artistes, et de ce qu'elles et ils nous enseignent au péril de leur vie, toujours modestes et sans compter sur l'excès de visibilité, mais sur le savoir et la finesse des réalisations.






La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France est un poème écrit au début de l'année 1913, puis il a ensuite été illustré, mis en forme par l'artiste Sonia Delaunay (1885-1979) et publié aux éditions Les hommes Nouveaux à la fin de l'année 1913. Les relations entre le texte de Cendrars et la peinture de Sonia Delaunay sont dictées par la technique du simultané. Les recherches sur la couleur et la lumière menées par les Delaunay s'inscrivent dans les liens tissés entre l'étude de la couleur et celle du son, notamment de la musique. Le rythme dicte la création dans la Prose du Transsibérien, le poème varie entre le rythme intérieur de l'introspection du narrateur et la cadence rapide du train, vitesse fluctuante entre les arrêts et les accélérations de la locomotive. Les formes colorées répondent au même impératif du rythme. Le simultané repose sur la base rythmique du poème, le travail de Sonia Delaunay dépasse ainsi l'illustration du texte.

Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France

Dédiée aux Musiciens


En ce temps-là j’étais en mon adolescence

J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance

J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance

J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares

Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours

Car mon adolescence était si ardente et si folle

Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple

D’Éphèse ou comme la Place Rouge de Moscou

Quand le soleil se couche.

Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.

Et j’étais déjà si mauvais poète

Que je ne savais pas aller jusqu’au bout.

Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare

Croustillé d’or,

Avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches

Et l’or mielleux des cloches…

Un vieux moine me lisait la légende de Novgorod

J’avais soif

Et je déchiffrais des caractères cunéiformes

Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s’envolaient sur la place

Et mes mains s’envolaient aussi, avec des bruissements d’albatros

Et ceci, c’était les dernières réminiscences du dernier jour

Du tout dernier voyage

Et de la mer.

Pourtant, j’étais fort mauvais poète.

Je ne savais pas aller jusqu’au bout.

J’avais faim

Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres

J’aurais voulu les boire et les casser

Et toutes les vitrines et toutes les rues

Et toutes les maisons et toutes les vies

Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavés

J’aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaives

Et j’aurais voulu broyer tous les os

Et arracher toutes les langues

Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m’affolent…

Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe…

Et le soleil était une mauvaise plaie

Qui s’ouvrait comme un brasier.

En ce temps-là j’étais en mon adolescence

J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissance

J’étais à Moscou, où je voulais me nourrir de flammes

Et je n’avais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux

En Sibérie tonnait le canon, c’était la guerre

La faim le froid la peste le choléra

Et les eaux limoneuses de l’Amour charriaient des millions de charognes.

Dans toutes les gares je voyais partir tous les derniers trains

Personne ne pouvait plus partir car on ne délivrait plus de billets

Et les soldats qui s’en allaient auraient bien voulu rester…

Un vieux moine me chantait la légende de Novgorod.

Moi, le mauvais poète qui ne voulait aller nulle part, je pouvais aller partout

Et aussi les marchands avaient encore assez d’argent

Pour aller tenter faire fortune.

Leur train partait tous les vendredis matin.

On disait qu’il y avait beaucoup de morts.

L’un emportait cent caisses de réveils et de coucous de la Forêt-Noire

Un autre, des boîtes à chapeaux, des cylindres et un assortiment de tire-bouchons de Sheffield

Un autre, des cercueils de Malmoë remplis de boîtes de conserve et de sardines à l’huile

Puis il y avait beaucoup de femmes

Des femmes, des entre-jambes à louer qui pouvaient aussi servir

De cercueils

Elles étaient toutes patentées

On disait qu’il y avait beaucoup de morts là-bas

Elles voyageaient à prix réduits

Et avaient toutes un compte-courant à la banque.

Or, un vendredi matin, ce fut enfin mon tour

On était en décembre

Et je partis moi aussi pour accompagner le voyageur en bijouterie qui se rendait à Kharbine

Nous avions deux coupés dans l’express et 34 coffres de joaillerie de Pforzheim

De la camelote allemande “Made in Germany”

Il m’avait habillé de neuf, et en montant dans le train j’avais perdu un bouton

- Je m’en souviens, je m’en souviens, j’y ai souvent pensé depuis -

Je couchais sur les coffres et j’étais tout heureux de pouvoir jouer avec le browning nickelé qu’il m’avait aussi donné

J’étais très heureux insouciant

Je croyais jouer aux brigands

Nous avions volé le trésor de Golconde

Et nous allions, grâce au transsibérien, le cacher de l’autre côté du monde

Je devais le défendre contre les voleurs de l’Oural qui avaient attaqué les saltimbanques de Jules Verne

Contre les khoungouzes, les boxers de la Chine

Et les enragés petits mongols du Grand Lama

Alibaba et les quarante voleurs

Et les fidèles du terrible Vieux de la montagne

Et surtout, contre les plus modernes

Les rats d’hôtel

Et les spécialistes des express internationaux.

Et pourtant, et pourtant

J’étais triste comme un enfant.

Les rythmes du train

La “moelle chemin-de-fer” des psychiatres américains

Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés

Le ferlin d’or de mon avenir

Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes dans le compartiment d’à côté

L’épatante présence de Jeanne

L’homme aux lunettes bleues qui se promenait nerveusement dans le couloir et qui me regardait en passant

Froissis de femmes

Et le sifflement de la vapeur

Et le bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel

Les vitres sont givrées

Pas de nature!

Et derrière les plaines sibériennes, le ciel bas et les grandes ombres des Taciturnes qui montent et qui descendent

Je suis couché dans un plaid

Bariolé

Comme ma vie

Et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle Écossais

Et l’Europe tout entière aperçue au coupe-vent d’un express à toute vapeur

N’est pas plus riche que ma vie

Ma pauvre vie

Ce châle

Effiloché sur des coffres remplis d’or

Avec lesquels je roule

Que je rêve

Que je fume

Et la seule flamme de l’univers

Est une pauvre pensée…

Du fond de mon cœur des larmes me viennent

Si je pense, Amour, à ma maîtresse;

Elle n’est qu’une enfant, que je trouvai ainsi

Pâle, immaculée, au fond d’un bordel.

Ce n’est qu’une enfant, blonde, rieuse et triste,

Elle ne sourit pas et ne pleure jamais;

Mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire,

Tremble un doux lys d’argent, la fleur du poète.

Elle est douce et muette, sans aucun reproche,

Avec un long tressaillement à votre approche;

Mais quand moi je lui viens, de-ci, de-là, de fête,

Elle fait un pas, puis ferme les yeux – et fait un pas.

Car elle est mon amour, et les autres femmes

N’ont que des robes d’or sur de grands corps de flammes,

Ma pauvre amie est si esseulée,

Elle est toute nue, n’a pas de corps – elle est trop pauvre.

Elle n’est qu’une fleur candide, fluette,

La fleur du poète, un pauvre lys d’argent,

Tout froid, tout seul, et déjà si fané

Que les larmes me viennent si je pense à son cœur.

Et cette nuit est pareille à cent mille autres quand un train file dans la nuit

- Les comètes tombent -

Et que l’homme et la femme, mêmes jeunes, s’amusent à faire l’amour.

Le ciel est comme la tente déchirée d’un cirque pauvre dans un petit village de pêcheurs

En Flandres

Le soleil est un fumeux quinquet

Et tout au haut d’un trapèze une femme fait la lune.

La clarinette le piston une flûte aigre et un mauvais tambour

Et voici mon berceau

Mon berceau

Il était toujours près du piano quand ma mère comme Madame Bovary jouait les sonates de Beethoven

J’ai passé mon enfance dans les jardins suspendus de Babylone

Et l’école buissonnière, dans les gares devant les trains en partance

Maintenant, j’ai fait courir tous les trains derrière moi

Bâle-Tombouctou

J’ai aussi joué aux courses à Auteuil et à Longchamp

Paris-New York

Maintenant, j’ai fait courir tous les trains tout le long de ma vie

Madrid-Stockholm

Et j’ai perdu tous mes paris

Il n’y a plus que la Patagonie, la Patagonie, qui convienne à mon immense tristesse, la Patagonie, et un voyage dans les mers du Sud

Je suis en route

J’ai toujours été en route

Je suis en route avec la petite Jehanne de France.

Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues

Le train retombe sur ses roues

Le train retombe toujours sur toutes ses roues.

“Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours

Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui t’a nourrie, du Sacré-Cœur contre lequel tu t’es blottie

Paris a disparu et son énorme flambée

Il n’y a plus que les cendres continues

La pluie qui tombe

La tourbe qui se gonfle

La Sibérie qui tourne

Les lourdes nappes de neige qui remontent

Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l’air bleui

Le train palpite au cœur des horizons plombés

Et ton chagrin ricane…

“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

Les inquiétudes

Oublie les inquiétudes

Toutes les gares lézardées obliques sur la route

Les fils télégraphiques auxquels elles pendent

Les poteaux grimaçants qui gesticulent et les étranglent

Le monde s’étire s’allonge et se retire comme un accordéon qu’une main sadique tourmente

Dans les déchirures du ciel, les locomotives en furie

S’enfuient

Et dans les trous,

Les roues vertigineuses les bouches les voix

Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses

Les démons sont déchaînés

Ferrailles

Tout est un faux accord

Le broun-roun-roun des roues

Chocs

Rebondissements

Nous sommes un orage sous le crâne d’un sourd…

“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

Mais oui, tu m’énerves, tu le sais bien, nous sommes bien loin

La folie surchauffée beugle dans la locomotive

La peste le choléra se lèvent comme des braises ardentes sur notre route

Nous disparaissons dans la guerre en plein dans un tunnel

La faim, la putain, se cramponne aux nuages en débandade

Et fiente des batailles en tas puants de morts

Fais comme elle, fais ton métier…

“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

Oui, nous le sommes, nous le sommes

Tous les boucs émissaires ont crevé dans ce désert

Entends les sonnailles de ce troupeau galeux

Tomsk Tchéliabinsk Kainsk Obi Taïchet Verkné Oudinsk Kourgane Samara Pensa-Touloune

La mort en Mandchourie

Est notre débarcadère est notre dernier repaire

Ce voyage est terrible

Hier matin

Ivan Oulitch avait les cheveux blancs

Et Kolia Nicolaï Ivanovitch se ronge les doigts depuis quinze jours…

Fais comme elles la Mort la Famine fais ton métier

Ça coûte cent sous, en transsibérien, ça coûte cent roubles

Enfièvre les banquettes et rougeoie sous la table

Le diable est au piano

Ses doigts noueux excitent toutes les femmes

La Nature

Les Gouges

Fais ton métier

Jusqu’à Kharbine…

“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

Non mais… fiche-moi la paix… laisse-moi tranquille

Tu as les hanches angulaires

Ton ventre est aigre et tu as la chaude-pisse

C’est tout ce que Paris a mis dans ton giron

C’est aussi un peu d’âme… car tu es malheureuse

J’ai pitié j’ai pitié viens vers moi sur mon cœur

Les roues sont les moulins à vent du pays de Cocagne

Et les moulins à vent sont les béquilles qu’un mendiant fait tournoyer

Nous sommes les culs-de-jatte de l’espace

Nous roulons sur nos quatre plaies

On nous a rogné les ailes

Les ailes de nos sept péchés

Et tous les trains sont les bilboquets du diable

Basse-cour

Le monde moderne

La vitesse n’y peut mais

Le monde moderne

Les lointains sont par trop loin

Et au bout du voyage c’est terrible d’être un homme avec une femme…

“Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

J’ai pitié j’ai pitié viens vers moi je vais te conter une histoire

Viens dans mon lit

Viens sur mon cœur

Je vais te conter une histoire…

Oh viens! Viens!

Aux Fidji règne l’éternel printemps

La paresse

L’amour pâme les couples dans l’herbe haute et la chaude syphilis rôde sous les bananiers

Viens dans les îles perdues du Pacifique!

Elles ont nom du Phénix, des Marquises

Bornéo et Java

Et Célèbes a la forme d’un chat.

Nous ne pouvons pas aller au Japon

Viens au Mexique!

Sur ses hauts plateaux les tulipiers fleurissent

Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil

On dirait la palette et les pinceaux d’un peintre

Des couleurs étourdissantes comme des gongs,

Rousseau y a été

Il y a ébloui sa vie

C’est le pays des oiseaux

L’oiseau du paradis, l’oiseau-lyre

Le toucan, l’oiseau moqueur

Et le colibri niche au cœur des lys noirs

Viens!

Nous nous aimerons dans les ruines majestueuses d’un temple aztèque

Tu seras mon idole

Une idole bariolée enfantine un peu laide et bizarrement étrange

Oh viens!

Si tu veux nous irons en aéroplane et nous survolerons le pays des mille lacs,

Les nuits y sont démesurément longues

L’ancêtre préhistorique aura peur de mon moteur

J’atterrirai

Et je construirai un hangar pour mon avion avec les os fossiles de mammouth

Le feu primitif réchauffera notre pauvre amour

Samowar

Et nous nous aimerons bien bourgeoisement près du pôle

Oh viens!

Jeanne Jeannette Ninette nini ninon nichon

Mimi mamour ma poupoule mon Pérou

Dodo dondon

Carotte ma crotte

Chouchou p’tit-cœur

Cocotte

Chérie p’tite chèvre

Mon p’tit-péché mignon

Concon

Coucou

Elle dort.

Elle dort

Et de toutes les heures du monde elle n’en a pas gobé une seule

Tous les visages entrevus dans les gares

Toutes les horloges

L’heure de Paris l’heure de Berlin l’heure de Saint-Pétersbourg et l’heure de toutes les gares

Et à Oufa, le visage ensanglanté du canonnier

Et le cadran bêtement lumineux de Grodno

Et l’avance perpétuelle du train

Tous les matins on met les montres à l’heure

Le train avance et le soleil retarde

Rien n’y fait, j’entends les cloches sonores

Le gros bourdon de Notre-Dame

La cloche aigrelette du Louvre qui sonna la Barthélemy

Les carillons rouillés de Bruges-la-Morte

Les sonneries électriques de la bibliothèque de New-York

Les campanes de Venise

Et les cloches de Moscou, l’horloge de la Porte-Rouge qui me comptait les heures quand j’étais dans un bureau

Et mes souvenirs

Le train tonne sur les plaques tournantes

Le train roule

Un gramophone grasseye une marche tzigane

Et le monde, comme l’horloge du quartier juif de Prague, tourne éperdument à rebours.

Effeuille la rose des vents

Voici que bruissent les orages déchaînés

Les trains roulent en tourbillon sur les réseaux enchevêtrés

Bilboquets diaboliques

Il y a des trains qui ne se rencontrent jamais

D’autres se perdent en route

Les chefs de gare jouent aux échecs

Tric-trac

Billard

Caramboles

Paraboles

La voie ferrée est une nouvelle géométrie

Syracuse

Archimède

Et les soldats qui l’égorgèrent

Et les galères

Et les vaisseaux

Et les engins prodigieux qu’il inventa

Et toutes les tueries

L’histoire antique

L’histoire moderne

Les tourbillons

Les naufrages

Même celui du Titanic que j’ai lu dans le journal

Autant d’images-associations que je ne peux pas développer dans mes vers

Car je suis encore fort mauvais poète

Car l’univers me déborde

Car j’ai négligé de m’assurer contre les accidents de chemin de fer

Car je ne sais pas aller jusqu’au bout

Et j’ai peur.

J’ai peur

Je ne sais pas aller jusqu’au bout

Comme mon ami Chagall je pourrais faire une série de tableaux déments

Mais je n’ai pas pris de notes en voyage

“Pardonnez-moi mon ignorance

“Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers”

Comme dit Guillaume Apollinaire

Tout ce qui concerne la guerre on peut le lire dans les Mémoires de Kouropatkine

Ou dans les journaux japonais qui sont aussi cruellement illustrés

À quoi bon me documenter

Je m’abandonne

Aux sursauts de ma mémoire…

À partir d’Irkoutsk le voyage devint beaucoup trop lent

Beaucoup trop long

Nous étions dans le premier train qui contournait le lac Baïkal

On avait orné la locomotive de drapeaux et de lampions

Et nous avions quitté la gare aux accents tristes de l’hymne au Tzar.

Si j’étais peintre je déverserais beaucoup de rouge, beaucoup de jaune sur la fin de ce voyage

Car je crois bien que nous étions tous un peu fous

Et qu’un délire immense ensanglantait les faces énervées de mes compagnons de voyage.

Comme nous approchions de la Mongolie

Qui ronflait comme un incendie

Le train avait ralenti son allure

Et je percevais dans le grincement perpétuel des roues

Les accents fous et les sanglots

D’une éternelle liturgie

J’ai vu

J’ai vu les trains silencieux les trains noirs qui revenaient de l’Extrême-Orient et qui passaient en fantômes

Et mon œil, comme le fanal d’arrière, court encore derrière ces trains

A Talga 100.000 blessés agonisaient faute de soins

J’ai visité les hôpitaux de Krasnoïarsk

Et à Khilok nous avons croisé un long convoi de soldats fous

J’ai vu, dans les lazarets, des plaies béantes, des blessures qui saignaient à pleines orgues

Et les membres amputés dansaient autour ou s’envolaient dans l’air rauque

L’incendie était sur toutes les faces, dans tous les cœurs

Des doigts idiots tambourinaient sur toutes les vitres

Et sous la pression de la peur, les regards crevaient comme des abcès

Dans toutes les gares on brûlait tous les wagons

Et j’ai vu

J’ai vu des trains de 60 locomotives qui s’enfuyaient à toute vapeur pourchassées par les horizons en rut et des bandes de corbeaux qui s’envolaient désespérément après

Disparaître

Dans la direction de Port-Arthur.

À Tchita nous eûmes quelques jours de répit

Arrêt de cinq jours vu l’encombrement de la voie

Nous le passâmes chez Monsieur Iankéléwitch qui voulait me donner sa fille unique en mariage

Puis le train repartit.

Maintenant c’était moi qui avais pris place au piano et j’avais mal aux dents

Je revois quand je veux cet intérieur si calme, le magasin du père et les yeux de la fille qui venait le soir dans mon lit

Moussorgsky

Et les lieder de Hugo Wolf

Et les sables du Gobi

Et à Khaïlar une caravane de chameaux blancs

Je crois bien que j’étais ivre durant plus de 500 kilomètres

Mais j’étais au piano et c’est tout ce que je vis

Quand on voyage on devrait fermer les yeux

Dormir

J’aurais tant voulu dormir

Je reconnais tous les pays les yeux fermés à leur odeur

Et je reconnais tous les trains au bruit qu’ils font

Les trains d’Europe sont à quatre temps tandis que ceux d’Asie sont à cinq ou sept temps

D’autres vont en sourdine, sont des berceuses

Et il y en a qui dans le bruit monotone des roues me rappelle la prose lourde de Maeterlinck

J’ai déchiffré tous les textes confus des roues et j’ai rassemblé les éléments épars d’une violente beauté

Que je possède

Et qui me force.

Tsitsika et Kharbine

Je ne vais pas plus loin

C’est la dernière station

Je débarquai à Kharbine comme on venait de mettre le feu aux bureaux de la Croix-Rouge.

Ô Paris

Grand foyer chaleureux avec les tisons entrecroisés de tes rues

Et tes vieilles maisons qui se penchent au-dessus et se réchauffent

Comme des aïeules

Et voici des affiches, du rouge du vert multicolore comme mon passé bref du jaune

Jaune la fière couleur des romans de la France à l’étranger.

J’aime me frotter dans les grandes villes aux autobus en marche

Ceux de la ligne Saint-Germain-Montmartre m’emportent à l’assaut de la Butte

Les moteurs beuglent comme les taureaux d’or

Les vaches du crépuscule broutent le Sacré-Cœur

Ô Paris

Gare centrale débarcadère des volontés carrefour des inquiétudes

Seuls les marchands de couleur ont encore un peu de lumière sur leur porte

La Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens m’a envoyé son prospectus

C’est la plus belle église du monde

J’ai des amis qui m’entourent comme des garde-fous

Ils ont peur quand je pars que je ne revienne plus

Toutes les femmes que j’ai rencontrées se dressent aux horizons

Avec les gestes piteux et les regards tristes des sémaphores sous la pluie

Bella, Agnès, Catherine et la mère de mon fils en Italie

Et celle, la mère de mon amour en Amérique

Il y a des cris de sirène qui me déchirent l’âme

Là-bas en Mandchourie un ventre tressaille encore comme dans un accouchement

Je voudrais

Je voudrais n’avoir jamais fait mes voyages

Ce soir un grand amour me tourmente

Et malgré moi je pense à la petite Jehanne de France.

C’est par un soir de tristesse que j’ai écrit ce poème en son honneur

Jeanne

La petite prostituée

Je suis triste je suis triste

J’irai au Lapin Agile me ressouvenir de ma jeunesse perdue

Et boire des petits verres

Puis je rentrerai seul

Paris

Ville de la Tour unique du grand Gibet et de la Roue.

mercredi 9 juin 2021

฿€ℜḠ∃ℜϟ ÉℝÜÐЇ†$

Nous sommes apparus
comme les bergers érudits
à travers les sources et les champs
en transparence de la mémoire des lieux
installés dans les nuages mammatus
enterrés sous les herbes hautes
chaque pierre accueille l'affamé
et son goût divinatoire
chaque pas éloigne l'infâme
Nous sommes disparus
comme les gouttes de la pluie


Photographies & peintures © Sonia Marques


jeudi 4 février 2021

℘AяTḯґ

Peinture © Sonia Marques

À la veille de ne jamais partir



Na véspera de não partir nunca

Ao menos não há que arrumar malas

Nem que fazer planos em papel,

Com acompanhamento involuntário de esquecimentos,

Para o partir ainda livre do dia seguinte.

Não há que fazer nada

Na véspera de não partir nunca.

Grande sossego de já não haver sequer de que ter sossego!

Grande tranqüilidade a que nem sabe encolher ombros

Por isto tudo, ter pensado o tudo

É o ter chegado deliberadamente a nada.

Grande alegria de não ter precisão de ser alegre,

Como uma oportunidade virada do avesso.

Há quantas vezes vivo

A vida vegetativa do pensamento!

Todos os dias sine linea

Sossego, sim, sossego...

Grande tranqüilidade...

Que repouso, depois de tantas viagens, físicas e psíquicas!

Que prazer olhar para as malas fítando como para nada!

Dormita, alma, dormita!

Aproveita, dormita!

Dormita!

É pouco o tempo que tens! Dormita!

É a véspera de não partir nunca!

 

 +

Poesias de Álvaro de Campos.  

Ática, Lisboa, 1944


+


À la veille de ne jamais partir

du moins n’est-il besoin de faire sa valise

ou de jeter des plans sur le papier,

avec tout le cortège involontaire des oublis

pour le départ encore disponible du lendemain.

Le seul travail, c’est de ne rien faire

à la veille de ne jamais partir.

Quel grand repos de n’avoir même pas de quoi avoir à se reposer !

Grande tranquillité, pour qui ne sait même pas hausser les épaules

devant tout cela, d’avoir pensé le tout

et d’avoir de propos délibéré atteint le rien.

Grande joie de n’avoir pas besoin d’être joyeux,

ainsi qu’une occasion retournée à l’envers.

Que de fois il m’advient de vivre

de la vie végétative de la pensée !

Tous les jours, sine linea,

Repos, oui, repos...

Grande tranquillité...

Quelle paix, après tant de voyages, physiques et psychiques !

Quel plaisir de regarder les bagages comme si l’on fixait le néant !

Sommeil, âme, sommeille !

Profite, sommeille !

Sommeille !

Il est court, le temps qui te reste ! Sommeille !

C’est la veille de ne jamais partir !


+

mardi 3 novembre 2020

ℵ☮✞ℰ ☾ℒѦϟϟiℚṲℰ



Victor HUGO
Recueil : Toute la lyre (1888 et 1893)

NUIT

I.

Le ciel d'étain au ciel de cuivre
Succède. La nuit fait un pas.
Les choses de l'ombre vont vivre.
Les arbres se parlent tout bas.

Le vent, soufflant des empyrées,
Fait frissonner dans l'onde où luit
Le drap d'or des claires soirées,
Les sombres moires de la nuit.

Puis la nuit fait un pas encore.
Tout à l'heure, tout écoutait ;
Maintenant nul bruit n'ose éclore ;
Tout s'enfuit, se cache et se tait.

Tout ce qui vit, existe ou pense,
Regarde avec anxiété
S'avancer ce sombre silence
Dans cette sombre immensité.

C'est l'heure où toute créature
Sent distinctement dans les cieux,
Dans la grande étendue obscure
Le grand Être mystérieux !

II.

Dans ses réflexions profondes,
Ce Dieu qui détruit en créant,
Que pense-t-il de tous ces mondes
Qui vont du chaos au néant ?

Est-ce à nous qu'il prête l'oreille ?
Est-ce aux anges ? Est-ce aux démons ?
A quoi songe-t-il, lui qui veille
A l'heure trouble où nous dormons ?

Que de soleils, spectres sublimes,
Que d'astres à l'orbe éclatant,
Que de mondes dans ces abîmes
Dont peut-être il n'est pas content !

Ainsi que des monstres énormes
Dans l'océan illimité,
Que de créations difformes
Roulent dans cette obscurité !

L'univers, où sa, sève coule,
Mérite-t-il de le fixer ?
Ne va-t-il pas briser ce moule,
Tout jeter, et recommencer ?

III.

Nul asile que la prière !
Cette heure sombre nous fait voir
La création tout entière
Comme un grand édifice noir !

Quand flottent les ombres glacées,
Quand l'azur s'éclipse à nos yeux,
Ce sont d'effrayantes pensées
Que celles qui viennent des cieux !

Oh ! la nuit muette et livide
Fait vibrer quelque chose en nous !
Pourquoi cherche-t-on dans le vide ?
Pourquoi tombe-t-on à genoux ?

Quelle est cette secrète fibre ?
D'où vient que, sous ce. morne effroi,
Le moineau ne se sent plus libre,
Le lion ne se sent plus roi ?

Questions dans l'ombre enfouies !
Au fond du ciel de deuil couvert,
Dans ces profondeurs inouïes
Où l'âme plonge, où l'oeil se perd,

Que se passe-t-il de terrible
Qui fait que l'homme, esprit banni,
A peur de votre calme horrible,
Ô ténèbres de l'infini ?

Le 20 mars 1846.





Photos : Écrans de veille...

samedi 26 septembre 2020

Ṳℵ JѺṲℝ ℵѺϟ Ⓙ☮Ї€ϟ



Un jour nos joies

Ne dites pas sous les étoiles ce qui ne peut les faire briller
Ne dites pas combien vous avez mal de ne pas être éclairés
Ne dites pas manquer d'amour lorsque les étoiles au-dessus de vous meurent
Pour vous et vous offrent leurs derniers enseignements

Les étincelles effacent nos noms d'usage néant
Amants anéantis nantis d'amour
Qu'un baiser suffit à modeler l'argile
Douce l'aile invisible du départ
Serment sacré de l'envol

Des années de patience pour un instant de bonheur
Une joie frémissante sur le brouillon de la vie
Brûle le cœur des âmes agates

Loin, les bois abritent les délires
Ils trébuchent sans trouver leur chemin
La peur du sourire divin les bouscule
S'agglutinent les désolés et les adieux

Pleuvra ne pleuvra pas ?
Le panpan se roule en boule
La bavarde répète son texte avec sa salopette violette
Ses ailes pourpres et la violence de son rouge
Culminent, insolents dans le bleu pastel
D'un ciel songeur
Il retient nos joies

Un jour
Nos joies

Toujours
Éclateront



Autoportraits (photographies © Sonia Marques)

mercredi 19 août 2020

Ḻʊ@ ηø√α









Fotografías © Sónia Marquès, e poema...

ir onde tudo começa
passar uma camisa branca
de linho em Limoges
e nos encontrarmos
uma noite em Lisboa
duas cidades
duas mesmas letras
dois começos
levante-se uma manhã
e veja o Tejo
a luz branca
reconhecereis você
aérea é a silhueta
de uma cidade
memória branca
o tempo passa
renascido

lundi 15 juin 2020

฿ℒÅℕℭ



blanc


Le silence était blanc. Un lac s'adressait à lui, puis il s'adressa à nous. Devant, derrière, passé, futur. Qui était-il ? Doux et si blanc, d'eau et d'argile. C'était une petite boîte, elle pouvait s'ouvrir. Un ours blanc orné de tous les dons. Il ne fallait pas l'ouvrir. La terre est remplie de maux, la mer aussi, les maladies tourmentent les mortels. Le silence la nuit est un cadeau. Il s'était posé au bord de l'eau sous les étoiles de la tempérance et de la prudence. Il regardait les chagrins sans bornes et les douleurs incurables, au loin, de sa rive chaste et sage. C'était un cadeau du ciel. Un ours blanc orné de tous les dons. Il ne fallait pas l'ouvrir.


Photographies © Sonia Marques

jeudi 23 avril 2020

Ð℮яяїèґ℮ μεṧ ρ@υ℘ḯèяεṧ


Dessin © Sonia Marques (série Les incognitos - 2003)


Derrière mes paupières

 

La flâneuse s’est approchée à pas de velours sur mon ventre ensommeillé, puis elle a grimpé sur mes seins, feignant d’aller toujours plus haut, mais retardée par les buttes, son corps s’affaissait sur l’une des collines. Son œil noir était devenu bleu profond, puis bleu ciel, je discernais, pour la première fois, son vrai regard, clairvoyant. De son frêle cou, une force miraculeuse tirait son crâne vers mon sein. Elle léchait l’âpre satin, avec vivacité, tout en continuant de grimper à pas de velours. Parvenue au creux de mon cou, lovée comme une boule gorgée de bonté, elle lapait ma peau salée. Mouillée, jusqu’au cou, je percevais derrière mes paupières, l’antre de l’espace qu’elle avait dessiné. Un croissant de lune, un cil blanc posé sur une nappe de pétrole. Trempée, je nageais à la surface. Tu sais que les robinets étaient fermés et que nous n’avions plus de lumière pour nous éclairer la nuit. Les accès aux labels distingués nous étaient interdits, le jour. Derrière mes paupières, le paysage était inouï, mais interdits aux munsters, qui n’ont guère de vision intérieure. Leur croûte, pourtant bien lavée, a une odeur assez développée, qui rebute les narines sensibles. Les munsters sont trop loin des mystères de la vie pour en humer les parfums et explorer pleinement la création. La sécheresse jaune aspirait toutes leurs ressources. Pour ne pas y penser, ils comptaient les morts. Les jours ressemblaient à une danse macabre et les nuits aux respirations diverses et variées, insoupçonnées, la vie battait son plein, derrière mes paupières. La flâneuse reconnaissante me baignait de son énergie soyeuse et brossait mes rêves dans le sens du poil. Nous regardions sans fard les diurnes limités aux erreurs de calculs. Nous fermions les yeux sur ce désamour des chiffres et des beaux mathématiques, sans masque, nous faisions défiler des arpèges de billets doux. Plats et pleutres, comme ils se présentaient chaque jour, nous pouvions être attristés par l’immaturité prônée comme modèle infaillible, la maîtrise et le contrôle continu des bonnets d'ânes, que l'on hisse sans conviction au-dessus des beignets frits et trop sucrés. Le silence imposé nous donnait l’opportunité d’accueillir, ce qu’il se passait derrière les paupières du monde, éclairés par la nouvelle Lune, dans cet axe frondeur et tumultueux, propice aux changements de directions, le Soleil ne regardait plus la Lune vainqueur, mais admiratif de l'aurore boréale fugace, les yeux fermés. Devenue une légende controversée, princesse des beaux bizarres ténèbres, la flâneuse guidait son monde par le bout du nez. De son petit gabarit, elle avait soumis les plus lâches et prétentieux et avait passé outre les subalternes, trop ternes et pas assez invisibles pour mener la quête de l’amour au bord du précipice du désir. Tous les indésirables éclairés par des projecteurs violents, surlignés à l’encre magique, vidés de leurs substances cinglée, se retrouvaient dans une corbeille, enfin réunis, sous la même enseigne, un paradis fiscal aussi minuscule qu’un ongle coupé, trop gênant pour les contagieuses velléités. Bienvenu dans les mystères de la vie, tu es un nouveau membre, la nuit porte fortune, et le bout du bout, s’enfonce dans tes opportunes sagacités. Ni l’intégration, ni la désintégration n’existent, ni l’égalité, ni la diversité, aucun de ces maux ne traverse l’esprit des voyageurs intranquilles, car la poésie n’a pas cette volonté d’écraser qui que ce soit, ni limiter les véhicules de ta traversée onirique. Bien, venue, et nue. Mange-moi. Bois-moi. Sans maudire. Mouillée jusqu'au cou, la flâneuse s'approche à pas de velours sur ton ventre ensommeillé, derrière mes paupières.

dimanche 19 avril 2020

ÐÅℵϟ Ḻ❝☮ℳℬℛ∃ Ḏ€ ℒ∀ ℕÜi†

nuit1.jpg

© Sonia Marques (peinture - 2019)


Dans l’ombre de la nuit

 

Le Soleil s’est définitivement couché. L’obscurité réduisait notre pouvoir, nous attendions le lever du jour comme promesse d’une lumière de l’action et de l’espoir. Mais le jour ne se lèvera plus. Il ne nous regardera plus de haut. Il ne désignera plus le compte du temps humain. La Lune a pris l’avantage, elle ne sera plus la soustraction de nos nuitées sur nos journées. Elle est notre seul espoir. Tu le sais, mon amour, la Lune a éclairé nos rapprochements, dans l’intimité cachée du jour après jour. Nous nous sommes abrités, lapins lunaires, désignés par la Lune, lorsqu’elle tombait sur les préjugés du jour. Nous avons inventé une ombre dans le nocturne, afin que la Lune devienne notre lumière. Le scintillement des étoiles parsemait nos draps insomniaques puis, notre imaginaire impétueux courrait dans les champs noctambules des délices chavirés à chaque métamorphose. Entrer dans la nuit et ne plus en voir la fin, s’éterniser en elle et tâter le paysage à l’aveugle. Sombrer sans pouvoir plus rien retenir et être transpercé par la Lune sans pouvoir percer le jour, sans plus aucun pouvoir. Consacrer notre amour au voyage des astres, dessiner des liens d’étoiles en planète, d’une galaxie à l’autre, sans plus aucun point d’émission, ni de limite entre l’être et le paraître. L’amour a confondu les hiérarchies, nous a fondu, nos sens crépusculaires interpénétrés. Tu le sais, l’extinction du Soleil a troublé nos représentations. Les rêves ont envahi notre réalité, anéantissant tous les calculs visibles à l’œil nu. Encore plus nus et invisibles aux autres, dénudés et sans arrêt frôlés par les rêves débordés par le divin, il y a toujours plus à voir que d’ordinaire. Nous avons trouvé, dans l’ombre de la nuit, de quoi toucher l’essentiel, un amour dont la clarté des horizons s’est évanoui et respire profondément dans le sublime, ce drap nocturne éternel, propice aux enlacements et caresses. Fermer les yeux en pleine nuit, se retrouver à l’ombre, en phase avec sa seule conscience. Nos paupières ainsi fermées rejoignaient toutes celles des autres. Les solitaires, les pouvoirs de faire disparaître, ils se dérobent à la possession. Les couleurs apparaissent dans la nuit avec un effort discret de variation. L’obscurité impose le contraste et les demi-teintes et les fantaisies espèrent naître avec exubérance de cette opacité silencieuse. Nous n’avions rien vu venir, nous sommes devenus cette pénombre, après une inertie et une fatigue lente, le jour avait pris nos forces, sans écouter nos sensibilités. Le rideau est tombé, la nuit nous a emporté, et nos angoisses avec, bercées, et chaleureusement bénies, le sommeil n’est pas notre ennemi. Pour récupérer des forces, il est même notre fidèle ami. L’amitié du sommeil a trompé les dépressions du jour, afin d’échapper à ses devoirs de paraître, le seul calendrier de l’être humain, basé sur les jours et non, les nuits. En fermant les yeux sur tous les mots d’ordre, solidaires, nous nous en sommes sortis, nous sommes nés de l’obscur, en accompagnant le vertige du monde. Désespérément improductifs pour les traces diurnes et les rois de la distinction, notre destinée s’abîmait, pour eux, dans l’indistinct et l’inquiétude. Notre décalage avec la norme, nous rapprochait des solitudes trop en mouvement, incontrôlables, sans obligation de reproduire le visible. Artistes amoureux, dans nos théâtres d’apparitions, dans l’ombre de la nuit, nous avions mis à distance le réel, pour mieux nous en souvenir et tracer dans notre mémoire sensible, les dessins rédempteurs, des phénomènes de l’amour. C’est dans cette promiscuité profonde et lunaire que la surface s’était engloutie et nous avait enveloppé ensuite, pour nous habiller de son invisibilité.
Tu ne me vois plus. Je ne te vois plus. Nous nous sommes perdus de vue.
Là, dans l’indicible, une seule certitude : je t’aime.

mercredi 1 avril 2020

ÐÉ☾ѺИℱЇ✝Ṳℝ∃

^
Photographie © Sonia Marques

Déconfit, il daignait se retourner : n'en faites pas tout un foin !
Elle n'était pas seule, il ne voulait jamais la quitter. Il se trouvait maintenant sur son lit de muguets à ses côtés. Elle avait fini par l'accepter, bien qu'il fût un peu petit et qu'elle n'aimât pas beaucoup son mordant et son humour pince-sans-rire, ni ses griffes trop saillantes. Mais elle aimait son courage à vivre, qu'il partageait avec les humains de ce monde. Elle aimait aussi son air déconfit quand son râtelier restait vide, quand ce genre d'évènement, ou sa maîtresse, trompaient son attente. Il hésitait entre l'exil et le royaume, en méditant sur la pensée camusienne. Toujours pas de carottes ? C'est la déconfiture ! S'il est ainsi que tous les Lapins sont égaux : Parle à mon pompon, mes oreilles sont malades !

Sans rancune, espèce de confiné à la noix !
Les terriers sont à la mode, dans le monde entier.
Il y a des années-lumière !

Ils se doraient la pilule, voici qu'ils sont blancs comme des cachets d'aspirine !

Comme moi <3

En telle compagnie intellectuelle, elle n'en finissait pas de tomber sur le cul...







- page 1 de 2