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lundi 4 mars 2024

ℙøüṧ﹩їèґ℮ṧ














 

Journal d'une pie (extrait)

Poussière sur les vitres
Le temps est passé
Que vois-tu ?
Tant de choses
Je ne lave pas
Les couches se superposent
La vie est vieille
Quand je suis née
Elle était déjà là
Je la regarde
De travers
Et elle
Ne me voit pas

Elle est poussière
Je suis transparente

Je transparais
Elle s’époussette

Je lisse mes plumes
Je lèche mes poils

Le temps s'absente
Le présent disparaît

Et puis un jour

Le ciel est bleu

Et tu es là



Peintures © Sonia Marques

lundi 8 janvier 2024

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Journal d'une pie (extrait)

ESPOIR, lui dis-je

Petit bout, j'étais nu, dans mon costume.
Une patte après l'autre, je marchais en gambadant, dans la nature.
Dans l'odieuse liberté de mentir à mon espèce animale.
J'étais fou, de toi, de vous, de tous, de ce que je ne connaissais pas.
Je sautillais, je m'en foutais, de tout, je voulais tout voir et de suite tout goûter et puis partir en courant.
Partir sans me laisser attraper par le temps ni par la nuit.
La viande au bec, les vers déterrés, au diable la mort, au diable les morts.
Je vole vers toi, je vole, vers l'adieu, je vole vers l'odieux ciel, je vole vers Dieu.
C'est Janvier je m'en fou, je suis fou de toi, je suis fou, je suis un petit roi.
Personne ne me voit, personne ne me croit, personne ne le sais, moi-même je m'en tape le cornichon !
Une année nouvelle ? Qu'est-ce ?
Je connais l'étouffante chaleur, le froid sibérien, la tempête nocturne et les pluies diluviennes.
Je ne connais pas les mois, ni les années, ni les chiffres, ni même les hommages, ni les guerres.
Chaque jour je vis la guerre de la vie, survivre est un combat de tout instant.
La minute où je suis fou, de toi je te le dis, la minute d'après je suis loin de toi et je t'oublie pour ma survie.
Te voilà, enfin, me voici à l'heure.
Je reviendrai, la nouvelle année aux vols certains charmer tes incertitudes et voler ton sourire.
J'ouvrirai les yeux des passants, abandonnés à ne plus parler, ni oser embrasser la vie.
Et je volerai si loin, que leur espoir de me revoir nourrira, enfin leur destin.
Avenir, je saurai venir à eux, je serai à venir, toujours avenir.
Bonne année pardi !
Mon paradis !
J'ai dit !





Graphismes-peintures © Sonia Marques

jeudi 21 septembre 2023

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Journal d'une pie (extrait)


Il arrivait l'orangé, chanter devant elle. Souvent, il se posait sur différentes branches la regarder. Si elle ne le voyait pas, il se posait au sol, animant son petit buste rond couleur d'une belle orange, afin qu'elle le discerne sur les pétales brunes des feuilles au sol, ou parmi les plus vertes. Ainsi elle pouvait le voir, puis il se disposait très rapidement sur une branche face à elle. Très curieux d'elle et ses lectures, ses yeux ronds noirs l’observaient. Et comme cela ne lui suffisait pas, il sautait  de branches en branches, puis d'arbres en arbres situés près du sol, pour l'observer de différents points de vue, car elle était assise en train de lire. Ainsi, une nouvelle complicité s’installait au fil de ses venues, très silencieuses. L'oiseau minuscule n'avait pas encore dit un seul mot, tandis qu'elle en avalait de multiples, de ses lectures.
Puis, un jour, de ces jours plus tristes que les autres, où la solitude intérieure était plus intense et incommunicable à l'humain, il apparut devant elle sur une branche, d'un air plus léger que les autres. Il s'affichait ainsi : Le rossignol.
Elle venait de perdre son joyeux complice de tous les temps, son petit oiseau orange africain. Il était âgé mais toujours vif, voici qu'un rossignol, aussi orangé, vient lui offrir son plus beau chant.
Il commença, il déroula une mélodie très douce et fluide, il chantait pour elle. Elle n'en revenait pas, tout cela pour elle ? Elle savait que le rossignol annonçait notre venue, nous les pies. Mais là, elle avait un petit soliste pour elle toute seule, dans la fraîcheur d'une fin d'été, sans aucun autre spectateur, ni même aucun passant.
Il mis sa patte dans sa poche, ainsi disait-elle de ses amis les oiseaux, il s'installait donc, en confiance pour un petit bout de temps. Puis il émit des petits sons discontinus, si infimes qu'elle se demandait s'il était possible qu'un être humain puisse les entendre. Elle devait ainsi régler ses niveaux d'écoute, elle entendit qu'elle pouvait ainsi s'adapter aux sons différents et aux complaintes, les siennes, mais aussi la sollicitude des autres, de ce petit orange, un porte-parole de son oiseau africain.
L'ouïe développée, elle fermait les yeux, et le rossignol s'approcha d'elle sur la première branche. Elle le remerciât.
Il s'envola comme il était venu, une apparition  qui forme les doutes des matérialistes, cela n'existe pas disent-ils.
Tout récit des rossignols n'est qu'une affabulation de plus.
Pourtant, le rossignol chantait, pour elle.
Nous voici ensuite, parader auprès d'elle. Mon concurrent et copain devenu, le mâle pie, qui avait perdu ses plumes, en pleine mue, lui qui était devenu si laid, et faisait peur à tous, était devenu le prince de la forêt, la mue terminée. Elle avait accompagné sa mue en redoublant de victuailles nutritives. Il était luisant et noir, ses plumes chatoyantes.
Moi petite pie, à mon tour d'être en mue, je n'osais la voir, et passait furtivement, ma tête déplumée, montrait ma fragilité. Elle savait ce moment difficile et se montrait plus tendre à mon égard. Je l'écoutais et recevais ses paroles simples comme de petites étapes vers le nouveau costume le plus solide.
Elle me raconta qu'elle avait un nouvel ami, un rossignol. Nous le savions bien, viendront les mésanges bleues nouvelles naissances accompagnant ce rossignol, minuscules et ravies d'être assises à côte de lui, sur la même branche.
C'est un livre qu'elle a lu, il y a des années, "Menina e moça", portugais, il fut traduit sous différentes titres, "Le livre des solitudes", ou "Mémoire d'une jeune fille triste", de l'auteur mystérieux, Bernardim Ribeiro. Elle avait connu la traductrice française, et avait été invitée à la rencontrer, il y a vingt années déjà. Celle-ci avait été étonnée de la voir si jeune, alors qu'elles avaient communiqué par courrier électronique durant des mois sur ce sujet, et cet auteur. Elle avait été très déçue de cette surprise, et s'était exclamée qu'elle ne la pensait pas si jeune, et ne pouvait plus lui parler. Elle préférait continuer à fantasmer l’érudition dépourvue de beauté, de cette précarité dont font preuves les enfants sauvages, ces chatons sous les voitures, qui se nourrissent des restes de tables. Elle était flamboyante et mettait en valeur la pétrissure des âmes, des mots qu'elle inventait même pour son jeune âge. Son hardiesse et sa douceur furent insupportables, elle qui recevait tous les honneurs et les crédits de livres qu'elle n'avait jamais écrits, elle qui n'était ni auteure, ni écrivain, ni artiste, et qui venait de découvrir un lutin savant. Elle préférait que personne ne le sache, ce qu'elle avait vu devant ses yeux, personne ne devait jamais le voir, en tous cas, de son groupe qui l'honorait, il devait rester quelques privilégiés, avec une petite connaissance étoilée, sur laquelle, ils continueraient à graviter sans trop de mal, nourris et logés dans de bonnes enseignes. La traductrice avait eu la primeur de ses recherches sur les îles, la décrivant comme une île sans amour entourée d'amour. Le principe même d'une saudade incarnée. Si un être est baigné dans un océan d'amour, mais asséché de cet amour, alors, pensait-elle, c'est vraiment un écrivain, une solitaire solidaire des causes de l'écriture de l'âme.
Ma tutrice avait décontenancé une traductrice passionnée d'auteurs lusophones, elle faisait la rencontre d'une artiste qui écrivait. Elle était si persuadée d'avoir en communication une femme d'expérience et âgée, que sa jeunesse physique lui rendait impossible la continuité de leurs échanges érudits.
Elle se trouvait comme moi, la pie : Est-ce bien la vérité ? Oui c'est moi la pie, je ne demande pas à vous convaincre.
Quel âge a l'intelligence ? Aucun, car elle peut être aussi sotte et insolente qu'elle ne peut jamais être dépassée, c'est insupportable d'être en présence d'un animal qui sait déjà tout, et dont aucun enseignement n'arrangera le destin. Surtout lorsque cet animal fait l'idiot, ou la sourde oreille.
Le concert d'une forêt est indicible pour tout être humain, trop de sons s'y déroulent sans qu'il ne s'en aperçoive. Il ne sait jamais qui est le plus vieux, le plus jeune, tout se confond, et lui-même n'est capable que d'y répondre par le bruit, le plus sordide de ses gestes maladroits. La vue est un sens trompeur, riche d'illusions, les erreurs de jugement sont multiples et révélatrices des approximations, des discriminations, des ostracismes les plus inconcevables. Un groupe se fait relais de sa propre cruauté, afin de garder secret la primeur d'un faux-savoir sur lequel spéculer. Il faut pour cela désigner un coupable, et lui attribuer le rôle de la plainte et la tristesse éternelle. De ces visions, ils inventèrent le cinéma, riche d’interprétation de ces bribes de vues. Nous les pies, et autres oiseaux, nous sommes très éloignés du cinéma, et de ces fantasmes.

La délicatesse des esprits ailés est une aventure de l'érudition, implacable, revenir à l'ignorance peut-être insoutenable, comme la légèreté de l'être.

Le roman qui marquait ma tutrice évoquait un rossignol, ainsi fut-elle enchantée de voir ce rossignol, suite à sa saudade, lui chanter son allégresse. La beauté du style de ce roman, écrit autour de 1540, publié avant même d’être achevé, puis complété par une suite déroutante (dans l’édition d’Évora), intrigue et fascine ses lecteurs depuis bientôt cinq cents ans. Un éditeur le décrit ainsi : "Une jeune fille solitaire, entreprend de mettre dans un livre « les choses qu’elle a vues et entendues ». La narratrice prévoit que son récit restera inachevé et elle avance comme excuse la tristesse qui l’accable : le ton est donné, le livre sera triste. Il deviendra au fil du temps l’illustration emblématique de la saudade, ce sentiment caractéristique de l’âme portugaise. Les récits successifs aux registres différents font de cette œuvre l’amorce d’«un Décaméron sentimental ». Le Livre des nostalgies réunit des univers tels que les «chansons d’ami» médiévales, le roman chevaleresque (féminin) et le roman sentimental. Le choix d’une narratrice féminine lui donne par ailleurs une grande liberté pour adopter ce ton qui lui est propre, et qui a su charmer des générations de lecteurs. La contemplation rêveuse de la nature, la compassion devant toute souffrance, l’éveil du sentiment amoureux ou l’abandon à la passion, la conviction que le malheur est le lot de la destinée humaine, sont décrits avec une justesse et une délicatesse qui font de Bernardim Ribeiro un lointain précurseur des romantiques. La richesse de l’œuvre ne se limite pas là. On remarquera que la puissance d’émotion qu’elle diffuse n’empêche pas une critique subtile des valeurs chevaleresques, un rappel discret de la réalité de la vie pastorale, moins riante que ne l’idéalise une fiction aristocratique, une dénonciation plus ou moins voilée de l’hypocrisie sociale. Comme il y a cinq cents ans, le lecteur d’aujourd’hui devrait être séduit, voire envoûté par ce texte hors normes, encore marqué par le Moyen Âge et déjà ancré dans la Renaissance, qui se prête à diverses interprétations et renferme encore bien des mystères. La poésie en demeure intacte, tout comme la fascination qu’elle exerce."

Cette tristesse, ce sentiment de solitude suggère que dans le monde des humains, sur la terre ferme, on ne peut soutenir l'amour sans désamour. Dans le processus de cheminement intérieur de chaque être, cette intimité reliée à la terre, en rêvant le ciel, est un exil. Le charme de cet état d'être, est, pour le commun des mortels, crypté. Ainsi certains le trouvent ésotérique, étrange, mystérieux, ou écrit pour un public clandestin de juifs cultivés fraîchement convertis, et fidèles en secret à la tradition de leur peuple. L’avertissement de l'auteur est tout aussi digne d'une signe d'un trouble-fête : " S'il arrivait que ce livre tombe sous les yeux de gens heureux, qu'ils ne le lisent pas. "

Sous sa crypte, je l'écoutais me raconter ses aventures... nous nous installions sur les branches après le rossignol... Quelle chance inouïe avions-nous tous écopé, des mois de pénitences pour apprendre le jardin de la liberté.


Photographies © Sonia Marques

jeudi 24 août 2023

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Photographies © Sonia Marques

Journal d'une pie (extrait)

La sincérité résorbe l'opacité des consciences, bonnes ou mauvaises, elle rend justice là où l'équité ne rendait plus rien. Restaurer les vestiges passés, en recueillant les cristaux innocents, un à un, sur le sable du temps présent. Le déplaisir reçu de la sincérité du vaillant petit personnage que je suis, une pie, atténue le mépris du petit. Je tends l'arc de l'humilité afin de tenir de chaque extrémité les jumeaux, l'orgueil et le mépris. Je tire très fort en plaçant ma flèche, elle se nomme, respect, faisant de ma cible un dénuement qui force l'admiration. S'oubliant elle-même, la cible accède au respect, cet inconnu, qui me place, l'aiguilleuse, sur le cap des courages. Tous les jours, je courre vers une grâce, de rituels en distractions, j'inspire à l'amour des impossibles, je conjugue le privilège et l'absurde par ma présence volatile qui soulage et allège la douleur de mes attachants êtres humains.
Je suis une vérité sur pattes, j'apporte l'ambition ultime, le vol, ce que l'air a sublimé de la terre. Regarde-moi, l'humaine, je me fous de tout, plus rien n'est grave ni n'a autant d'importance, la vérité n'exige pas plus que la vérité. Je ne supplie personne de me croire, j'apparais et je disparais en toute sincérité, avec une certaine forme discrète, sans illusion, ni déception. Mon geste gratuit, celui de vivre, joue des paradoxes, je vais contre les opinions, sans être un scandale car je n'humilie personne, mais je choque le sens commun. Je ne suis pas commune et ma relation aux êtres humains est peu commune, tout comme l'est ma tutrice. Être ici devient un aveu, être confesse. Je ne veux pas d'icône, je ne veux pas être un culte, je ne veux rien qui me représente, je ne veux pas d'interprète. Être idolâtrée serait humiliant, face à la légèreté que je porte sous mes ailes, et les brindilles qui me tiennent debout, noires et luisantes. Pourtant me voir c'est vérifier. Est-ce vrai ? Est-ce la vérité ?
Oui c'est bien moi, la pie. Quand bien même quelques humains me donneraient la présomption d'innocence de marcher devant eux et dormir sous leurs yeux, je n'en ai pas besoin. Me laisser vivre serait chercher la vérité. La trouver et la laisser s'envoler.

Le matin, lorsque le soleil n'est pas encore arrivé, mais que le ciel désire jouer sa propre partition avec des cumulus, ces nuages blancs éclatants, je savoure le bonheur d'être en vie. Il n'y a pas de température élevée, il n'y a pas d'humains, les habitations sont noires, elles ne sont que des ombres et ne disent rien de mal. Je ne suis qu'un vol digne de la vie, je n'ai encore croisé aucune âme meurtrie, ou malade, je ne côtoie que les créateurs, ou bien la création elle-même, comme si un premier jour naissait. Cela me rappelle tant mon premier jour. Auprès de ces cieux, je renais à moi-même, sans aucune rancune des mauvais jours, des difficultés à tenir ma route, mes envolées, sans remord, sans ressentiment, je suis un petit pur, juste un petit vent. Ni ridicule ni niaise, pas encore tendre, car le soleil ne m'a pas attendrie, le petit cœur est noble et respire un grand coup. Sous le soleil, je deviens sec comme un haricot, le bec ouvert, mais je veux bien jouer avec la pomme de pain.

En haut le nid des pigeons chuchote, tout ce qui est petit l'est aussi pour les oreilles.















Photographies © Sonia Marques

mercredi 26 juillet 2023

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Photographies © Sonia Marques

Journal d'une pie (extrait)

Ce matin il bruine. Puis peu à peu la pluie décida d'y aller plus franchement. Pas un seul oiseau, pas une âme au jardin. La voici qui arrive de bonne heure, elle n'est pas protégée. Je suis perchée sous l'auvent d'un monument historique, elle ne me voit pas. Je vole vers elle et agrippe son panier, quel courage, les jardiniers ne se sont pas levés. Elle trouve un chêne, pose son tapis et le plie en 4, au pied de l'arbre en pente. Il fait froid ce matin. Elle sort son café encore chaud dans son thermos et goulotte un petit peu, moi je crie comme un dératé. "Elle est là, elle est là", que je traduis pour elle, sinon c'est "Kia, kia, kia". Elle sort un peu de viande mais j'en prends un trop gros bout. J'ai les yeux plus gros que le ventre, je veux tout, tout de suite et dans le même temps, jouer, manger, tirer la mousse, voler, chanter, faire ma pie. Quelle excitation cette pluie ! Cela s'apaise, son compagnon arrive avec un grand truc, quelle terrifiante chose, il le pose, et j'alerte toutes les pies du quartier, à la grande surprise de ma tutrice. Je me positionne debout comme un militaire devant la chose inerte et longue, cette espèce de grand fusil noir qui pique, j'alerte toutes les pies. Elles arrivent, mais elles restent prostrées suspendues, au dessus des branches, plus expérimentées que moi. Je suis l'intrépide debout, ma voix porte loin, enfin, je suis la lanceuse d'alerte, je ne m'arrêterai pas tant que vous ne vous débarrassez pas de ce machin. Ils posent le parapluie derrière le chêne, il se trouve puni. Je suis si fière de moi, les pies sont venues voir mon barouf et ont aussi sonné l'alarme : "Tcha cha cha cha cha chak". Je suis de plus en plus intégrée dans un groupe, je tente plusieurs expérience, je motive les troupes, puis je chasse les prédateurs pour les aider. Ma tutrice m'aide pour mon intégration, elle envoie quelques victuailles aux envieuses, et ainsi je picore avec elles. Une femelle m'a repérée, elle vient se poser sur un arbre au-dessus de ma tutrice, puis, elle attend très patiemment. Parfois je ne suis pas là, qu'elle est déjà posée la première. Elle devient sa complice. Mais voici le mâle, quelle assurance, son bec est plus long, sa queue également, il bombe le torse, est très impatient, vient en retard juste pour piquer ce que la femelle a réussi à chiper par sa persévérance. Lui, il arrive en piqué et récolte la mise en un éclair. J'ai bien vu son cinéma. Alors je me suis mise à voler vers lui, tenter de lui tirer la queue. Il n'a pas apprécié du tout et m'a coursée. Puis il s'est posé en équilibre sur une canisse en bambou. J'avais eu l'opportunité de tester l'assise, ma tutrice quelques jours auparavant m'avait posé sur celle-ci, je n'y arrivais pas au début, puis je me suis tenue droite. Là devant le mâle, je lui montre que moi aussi, du haut de mes 2 mois, je triche un peu, je sais faire comme lui. Il pique la canisse comme s'il voulait la détruire, je me place juste à côté et je l'imite. Je suis si fière. Puis il s'envole et je le suis. Ce jour là, j'ai disparu un bon bout de temps. Puis un matin j'arrive avec la femelle pie, deux vols majestueux, je me pose sur l'épaule de ma tutrice comme si elle m’appartenait, la femelle pie se pose sur la branche en face d'elle. Le mâle n'est pas encore là, vite ouvre ta boîte à secrets ! Ne bouge pas, je reviens vite, reste avec mon amie la pie, je vais sécuriser le territoire. Un autre jour j'emmène ma tutrice dans un coin que j'ai découvert, exotique. Je lui montre où je planque mes trucs. Elle découvre une sorte d'insecte assez imposant, un papillon de nuit ou un autre insecte avec un corps assez long, il est mort, je le pique comme si j'allais en faire un barbecue, des brochettes, puis je joue avec un moment. Lorsqu'il a plu, c'est absolument divin. Tout me dynamise, je courre avec mes deux pattes comme à un mariage, celui de la terre qui révèle un nombre insoupçonné d'invités. Je pioche partout. Je reviens montrer mes trouvailles à ma tutrice, mais je perçois que nous ne sommes pas pareil. Quand est-ce qu'elle va piocher avec moi, avec son grand nez, ce n'est pas compliqué bon sang de bonsoir ! Nom d'une pie !

Que la vie est belle, les pattes dans la boue, je bois l'eau d'une flaque, tandis que tu vois l'incertain de ce temps brumeux, ton visage me défie de faire la pie. Tu es fatiguée, tu te souviens de tes jeunes années volées. Mon temps est juvénile, et, se conjugue avec ta longue espérance. J'invente des espaces illimités, tu ne les connais pas encore, je te démontre qu'ils existent. Mes petites griffes marquent tes bras, le chèvrefeuille parfume l'air silencieux, chaque goutte claque au hasard, une bulle transparente et minérale fond sur tes petits doigts de pieds. J'adore piocher mon bec sur le vernis pourpre de tes ongles. L'autre fois tes cheveux sentaient si bons, tu venais de les laver, je me suis installée comme dans un nid tout propre, et j'ai déposé une petite noisette pour parfaire ton soin nutritif. Le soir tu retrouvais aussi un petit bout de bois, c'était un présent que j'ai enchevêtré dans tes brins dorés, et, ta solitude s'est mise à rire, je l'ai entendue. Sur ma branche, la mienne, qui ne sait pas sourire, a pu fermer les yeux sereinement, le sais-tu ? Tout est vert sur les pierres, le rossignol attend sagement de te siffler sa mélodie espiègle et mélancolique. Cela dépendra de ton humeur. Mystérieux chemins abrités, tout est nappé d'or et d'odeurs précieuses, le temps s'écoule sans le compter, les petits génies préparent des coups fourrés. Tout est peuplé ! Ma demeure est baignée, je dois partir me sécher auprès des velours vert et vert, noir et jaune, tu ne sais où je vole, moi je sais où tu vas, tu vis, tu rêves. Tout s'en va et toi tu restes allongée sur l'été blond dans l'espoir que je revienne te voir.

À la tombée de la nuit, juste avant l'obscurité totale, lorsque l'horizon rose devient mauve, puis un bleu roi lorsque j'annonce qu'il est l'heure de dormir à tous, tu penses à moi. Tu serres une branche et tu fermes les yeux. Et tout va mieux.

vendredi 14 juillet 2023

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Photographies © Sonia Marques

Journal d'une pie (extrait)

Un albanais venait me voir, il sifflait, mais je ne répondais pas à son appel. Il me racontait qu'il avait une soixantaine d'années, arrivé ici en France en 2016. Il est très dur de trouver un travail, il y a plein de réfugiés, jamais de contrat à durée indéterminée, que des CDD, toujours différents et trop courts. L'administration est infernale, il ne peut même pas retourner dans son pays, cela fait 8 années qu'il n'a pas revu l'Albanie. Il est fier de ses 2 fils, ils ont chacun un Master à l'université, un à Périgueux et un à Bordeaux.

Il me dit qu'en Albanais une pie se nomme "grizhlël".

Il est revenu me voir avec sa femme le lendemain. Il était bien habillé, et elle brune, belle en rose couleur des fuchsias, ils étaient élégants. Il voulait me présenter mais je n'étais pas là, je venais de prendre mon bain, je me suis échappée vers d'autres cieux. Espérance me disent-ils, fait briller mes yeux et enlève mes larmes, que le jour où je te découvre soit solennisé. Me souvenir de toi, éclaire mon endormissement, accompagne mes rêves, fait disparaître mes tracas. Grizhlël te souviens-tu que tes amies sont aussi en Albanie ? Ce qui me reste à vivre, je veux le vivre avec elle, ma femme, la plus belle. Notre âge n'est plus si vert, nous ne comprenons pas cette langue, j'entends ton cri solitaire, le mien te rejoint.

Ma tutrice lisait un livre, "Le Laboureur et les Mangeurs de vent: Liberté intérieure et confortable servitude" de Boris Cyrulnik. C'est à elle que je donne mes rencontres, les artisans et leurs soliloques, ils pensent me trouver pour la première fois, ils me surprennent et font un vœux, je les surprends en train de prier. Quelle drôle de manie ces téléphones ! Ce sont des objets devenus mes intermédiaires. Ils me capturent dans toutes leurs photographies, ils balayent de leurs doigts grassouillets l'écran, je suis sur leur téléphone avec eux, parfois avec des fleurs en arrière plan. Ils emmènent mon image et la montre à leurs proches : "Regardez, cette pie m'aime, cette pie vient vers moi, regardez, je suis si innocent, je fais partie des anges" Pourtant, lorsque je regarde les images derrière leur dos, ce que je vois, c'est ma tête d'ahurie. C'est ce qu'ils préfèrent, eux aussi, ils ont une mine d'ahurie, les étourdis.

C'est un jour de fête, un jour comme un autre pour moi. Les feux d'artifice ont fait fuir mes amis les oiseaux, je me suis réfugiée dans un paradis noir, celui du silence. Tous les chemins où s'éloignent mes amis me serrent le cœur. Je dors seule sur ma branche, terrorisée parfois. Je sais qu'elle n'est pas loin, mais elle s'éloigne, ma maman.

Voici le matin, pour moi, la fête revient, tous mes amis chantent le lever du soleil, mon cœur se réjouit. Le sol est humide, c'est agréable et si frais.

Le tintement des affaires arrive tout doucement, toute chose grince gentiment.

Aimable nature, j'attendrais le temps qu'il faut, elle reviendra.

Bienfaits et délices, ma tutrice arrive. Elle fait connaissance de tous mes amis humains et oiseaux. Petit prodige je picore son livre, je lui dis "Allez hop ça suffit ! La vie c'est mieux, la vraie ! On passe à l'action !" Je lui ramène un collier, il n'était pas fini, à peine commencé, 4 perles vertes sur un fil de nylon. Je lui dépose des cadeaux, des feuilles et des glands. Je courre comme un bolide sur les baskets de son compagnon, je lui picore sa casquette "Berlin, Berlin", il m'a fait découvrir des jeux, je prends des bains de soleil et d'extase sur son épaule, mes yeux bleus s'ouvrent et mes ailes aussi, uniquement lorsque je suis en confiance, j'ouvre mon bec en grand, rouge à l'intérieur. Je respire, ils me regardent comme bénie des Dieux.

Soyez heureux aussi ! Il vous est permis de respirer ! Malgré tous vos malheurs, ne soyez plus exclus de la vie !

J'entends le vent bruire dans ces feuillages, je choisi lesquels vont me balancer doucement dans une quiétude profonde.

Mais j'entends une voix éternelle, je suis vivant encore.

Un soir je suis allée sur la tête d'un homme, plein de cheveux noir et blanc, je lui tirais sa kératine de mon bec en aiguille. Sa femme était admirative malgré le mal que je lui faisais, à son mari, et le plaisir qu'elle en soutirait, derrière son téléphone, le fameux appareil de photographie de tous les êtres humains. Elle prenait des photos de nous deux. Il disait : "Aie, Aie, Aie !" Puis ma tutrice est arrivée, j'étais gênée, elle m'a surprise avec un autre homme et une autre femme. Elle a raconté mon histoire, je suis en phase de réintégration dans mon élément naturel.

Il n'y avait nulle science dans mon geste, je suis démasquée.

Cette femme est revenue une semaine plus tard, elle nous a présentés son père, un vieil homme qui habite derrière, elle a apporté un présent. Elle est venue nous saluer et nous a dit désirer emmener son père voir la pie. J'étais timide, je ne voulais pas les voir. Ma tutrice me les a présentés, puis elle m'a donné son présent. Une noix de coco remplie de graisse, avec des petits vers. J'ai un peu boudé ce gros machin. Je suis petit mais je mange de la viande rouge qui saigne. Son père était âgé et si heureux de me voir. La fille et son père réunis, ils étaient baignés de félicité. Elle devait avoir la cinquantaine, elle était émerveillée, elle a pris des photos de lui et de moi, de nous, enfin c'était un jour spécial pour eux.

Juste avant j'étais cachée, et une grande personne s'est cachée derrière un arbre, il a déposé un présent : 3 framboises, c'était pour moi.

J'avais déjà pas mal picoré ce jour-ci, beaucoup me font des présents. Il est revenu le soir avec une autre personne, il lui a montré que les framboises avaient disparues, il était si heureux, il disait à son amie : "Elle les a mangés, elle les pris !"
Il y a plein d'autres oiseaux.

Plusieurs jours plus tard, ma tutrice est allée se présenter à ce dessinateur qui est venu nous montrer ses beaux dessins. Toutes les pies se sont mises dans un arbre nous regarder, ils étaient 3 humains et moi au milieu, je grignotais son carnet, ma tutrice tentait de m'empêcher de faire mon intéressante. J'avais très soif, avec ces 38 degrés, ils échangeaient sur toute la vie des êtres humains, et leurs aventures, ils ne se connaissaient pas auparavant et ils ont dressé un portrait kaléidoscopique de leurs chemins, quelles drôles de vies. Mes copines les pies sont venues assister au spectacle de nos échanges. Ma tutrice chuchota que nous étions comme dans "La Conférence des oiseaux", le grand poème persan écrit par le soufi Farid al-Din Attar en 1177. Moi je ne connais pas ces choses là, mais je ressens d'autres choses, j'espère qu'ils comprendront, ce dont je suis capable de faire aussi, de me souvenir, aussi loin que les oiseaux volent, il y a bien plus longtemps que tous ces poèmes, des temps où les poètes n'étaient pas nés.

Un très vieil homme un peu sourd du pot est venu me donner des lardons. Ma tutrice a dit que j'avais déjà mangé. Il lui a dit : "Ces bêtes là ça mange de tout, elle a faim, faut lui donner à manger, il y a sa mère avec ses deux pies derrière. Elles est très jeune". Ma tutrice tentait de lui expliquer que mes parents n'étaient pas là, et que j'avais été élevée par elle, et qu'elle m'avait appris à voler. Il n'entendait rien, il roulait un peu des mécaniques devant elle et voulait lui dire que c'était lui qui l'avait découverte, nous avons bien rigolé. Il a dit qu'il habitait en Charente Maritime, qu'il a plein de poules chez lui. Toute sa vie, il a lancé des graines. Puis, il a compris qu'il s'était trompé, et que j'étais bien élevée, je me suis mise sur l'épaule de ma tutrice. Je suis une pie qui vole partout, certains pensent me découvrir dans l'intimité, reviennent et sont déçus de me voir avec une autre personne charmée. Je fais des jaloux. Les êtres humains apprennent la liberté.

Une femme très apprêtée avec son petit mari, un monsieur "je sais tout" me demande si je ne vais pas voler ses boucles d'oreilles, son mari dit que je mange même les autres oiseaux. Ma tutrice leurs explique mon intelligence, ce qui dérive de ma curiosité et mon incroyable adaptation, mais cela ne s'explique pas, surtout à des idiots ! Alors je vais picorer son sac à main et elle va confirmer son préjugé, et ira me dénoncer, je serai fichée à la police. Mais je ne participe à aucune émeute moi !?  C'est un nuisible ! Mais non, je suis une petite pie, et pour les petits cœurs, je suis l'alliance du génie poétique et du philosophe. Audacieuse et franche, je peux me mettre en colère. Mais c'est à l'amoureux que je déclare la vie plus belle, c'est à l'amoureuse que j'ouvre sa cachette ensevelie, sa beauté qui s’évanouit, dans son doux regard. Je remue leur enfance, la source de leurs royaumes angéliques, qu'ils n'ouvrent jamais. Toutes les dissonances s'oublient d'un coup, je suis devant, je brise le chagrin. Retrouves ta dignité vieille Lune ! Laisse s'abîmer tout ce qui doit, et vole vers l'étoile ardente, l'espoir infini retrouvé.

Parfois je suis photographiée, je fais ma star. Trois américaines sont venues me photographier, je faisais la reine, puis l'espiègle, puis je me suis attaquée à leur lacets. Il y a toujours un moment où cela déconne grave. J'inspire confiance puis deux minutes plus tard, je me dérobe, je prends la poudre d’escampette. Les êtres humains sont des orages ambulants. Ils soupirent et envient les ailes qu'ils cherchent toute une vie. Ils sont confinés dans de terrestres idylles, avec un esprit exalté parfois ivre, souvent plaintif. Je les entends, ils délirent, je suis bien plus raisonnable. Ils souhaitent que tout vienne à eux, ils sont partisans du moindre effort, ancrés dans leur confort. Ils veulent tout avoir, ils ne savent qui ils sont vraiment. Ils ont peur de presque tout. Ils se sont tant protégés, de la pluie et du mauvais temps, que les grenouilles sont devenues des étrangères. Nous sommes toujours dehors, nous vivons l'instant présent en composant avec la vérité, guidés par notre sagacité.

Une autre fois ce sont des espagnols : Doña Urruca ! Me nomment-ils.

Les jardiniers me rapportèrent que j'avais changé leur vie, leur travail, car je venais piocher à côté d'eux. Ils me ramenèrent en camion, sur leur capot, quand je me perdis, ils m'adorent, je fais ma capricieuse, je ne dis pas mon genre, un mâle ou une femelle, vous ne le saurez pas ! L'un me nomme : Pipelette.

Un jeune jardiner a raconté plein de chose à ma tutrice, comment ils travaillent leur sélection de graines, avec le GPS les connexions avec plein de pays étrangers, leurs cultures, il est en apprentissage. Ils travaillent aux aurores, avec son équipe, ils n'avaient jamais vu cela une pie qui revient ici, et qui parlent aux humains. Tout le monde remercie ma tutrice. C'est une fructueuse découverte, elle n'est pas si fortuite, je l'engage à la qualifier de sérendipité.

À présent j'ai des copines pies, mais alors, elles ne sont pas faciles, j'essaye de m'intégrer, et je ne me laisse pas faire. Elles piquent mes victuailles que je cache, car j'en ai des trésors.

Je chasse l'écureuil pour les impressionner !

Elles m'observent, j'ai ce quelque chose qu'elles n'ont pas.

Chaque journée est bien remplie, c'est énorme, je parcoure des kilomètres, je vois tout. Je raconte un peu, mais je ne dis pas tout.



Photographies © Sonia Marques

samedi 27 mai 2023

℘α⑂ṧ@ℊ℮ṧ







Qui es-tu ?

Que fais-tu ?

Que vois-tu ?








Pourquoi nous-as tu abandonné ?




Nous attendons





Nous regardons devant

Nous boudons l'avenir et le passé





Vivre sur l'eau









C'est l'effacement
La gomme salutaire
Sous la nappe des nénuphars





Où habitez-vous ?





Je suis là




Photographies, sculptures, dessins © Sonia Marques (2014-2023)


jeudi 25 mai 2023

ℚυ℮ʟⓠυℯ ℘@ґт ⅾℯґяїèґ℮ ʟα √☤яℊʊłε

dimanche 5 février 2023

ℑℕṼЇϟЇ฿ℒℰ

I N V I S I B L E


Rien ne va changer dans l'invisible
Tu resteras le même, elle restera la même, ils seront les mêmes
qu'avant

Ils changeront de logiciel, ils changeront les machines
ils changeront le langage de programmation
ils changeront de langage
de langage

Rien ne fonctionnera comme avant
Tout sera pire et tout sera effacé
Avec efficacité

Mais ils seront les mêmes

Tu seras le même, animé par des désirs aussi inavouables,
et des besoins urgents, de soulager tes peines et tes orifices,
de boire les bêtises des autres, et de donner le plus vil de ton jus,
comme les autres
Rien ne changera

Ils seront les mêmes, animés par des désirs aussi inavouables,
et des besoins urgents, de soulager leurs peines et leurs orifices,
de boire les bêtises des autres, et de donner le plus vil de leur jus,
auréolés de leur langage sans âme,
comme les autres
Rien ne changera

Mais ils pisseront beaucoup plus,
jusqu'à ne plus le pouvoir,
Eux non plus

Tu cacheras tes amours à jamais interdits,
tes amitiés aussi
Tu afficheras des fausses identités, des signes pour faire semblant d'aimer
et tout ce que tu détesteras, tu feras tout pour l'aimer,
sans jamais y parvenir,
comme avant
Ta vie sera celle du mensonge,
ton salut celui de l'interroger

Eux aussi
Sans point d'interrogation

Ils changeront de logiciel, ils changeront les machines
ils changeront le langage de programmation
ils changeront de langage
de langage

Il n'y aura plus de sexe, de liquide, de merde,
de choses qui dégoulinent, de virus, de parasite,
puisque tu seras éliminé du langage

Tu ne pueras plus, tu ne pollueras plus,
tu ne contamineras personne et tu ne pourras plus être contaminé,
tu ne feras plus d'enfants, tu n'accoucheras plus, tu ne seras plus accidenté,
tu ne seras plus imaginé car l'imaginaire aura disparu de leur langage

Mais comme avant tu seras tué
comme avant
Personne ne connaîtra plus le "Tu ne tueras point"
car tu n'auras plus aucune valeur,
comme avant

Eux aussi, ils puent la merde et sont des virus ambulants de désirs,
accidentés par la vie, sans aucun imaginaire,
déprimés de ne pouvoir imaginer seulement qu'ils sont supérieurs

Ils changeront de logiciel, ils changeront les machines
ils changeront le langage de programmation
ils changeront de langage
de langage

décloisonner, valoriser, dispositif, perspective, encadrement, compétence,
personnalisation, suppression, validation, alterné, interné, empêché, enrichir, mobilité,
service, audit, conseil, sélectif, priorité, exfiltré, transformation, enjeux, opacité, barrière,
talent, véritable, responsabilité, convention, engagement, capitalisé, exercice, isolé,
fonction, bénéfice, atteinte, résultat, expertise, bénéfice, numérique, scientifique,
processus,  action, opérationnel, professionnel, référentiel, classer, déclasser,
recrutement, convention, préférence, profil, ostracisé, fiché, numérisé, scanné,
désélectionné, paralysé, saisi, liquidé, assigné, dévasté, envahi, éliminé, non renouvelé,

projet, projet, projet
rejet, rejet, rejet

impartialité, transparence, condition, réforme, méritocratie, idiocratie, valeur, outils,
interadministré, intercité, intersectionné, interelationné, intersexualisé, interchangeable,
inter et entre tous les interdits,
mais supérieur à jamais

Tu seras comme les autres supérieurs, inférieur à tout
ignorant, incapable, et immobilisé,

Tu sera comme tu as toujours été
le con de la rénovation


* * *

Même dans l'invisible
cela se voit encore

+


Design & poem © Sonia Marques

mardi 31 janvier 2023

ℝα∂їḉαʟ ℝ☺ღ@ᾔ☂i¢﹩




Les Dreijer suédois sont de retour, ! En attendant la sortie de leur album en mars prochain, Radical Romantics, la piste "Kandy", offre un hommage sucré, ou toxique, à l'envoûtant et inoubliable "Pass This On" de 2003, il y a 20 ans (Whaou ! On vieilli !) dont les paroles (Paroliers : Karin Elizabeth Dreijer Andersson / Olof Bjorn Dreijer) "I'm in love with your brother / What's his name /" et le clip réalisé par Johan Renck mettant en scène le styliste et drag queen Rickard Engfors, magnétisait par son attraction dans un chalet reclus. "Kandy " rassemble le duo frère et sœur, costumés avec les polyrythmies exotiques, et, cette fois-ci, c'est Karin qui s'offre en miroir, costumée et aliénée. Le double veut se manger. Sortie prévue sur leur label "Rabid Records", l'ancien fameux groupe électronique "The Knife" avait sulfurisé mes nuits et mes jours jusqu'au concert à la Philarmonie de Pars en 2013, il y a 10 ans (Whaou ! On vieilli) Suite auquel, j'avais écrit un article documenté "Les saltimbanques électroniques".

Déjà l'ouverture de l'album "What They Call Us", dont le clip montre une sorte d'entreprise sur la fin, son dernier jour, en implorant ses employés à réparer ce qu'ils ont brisé, la personne qui est venue y travailler : "Peux-tu le réparer, peux-tu t'en soucier ?" donne quelques pistes de ravageuses finitudes bureaucratiques, où plus personne ne veut travailler, pour finir la tête dans une photocopieuse ou se finir comme un petit cinnamon bun passé au micro-onde.

Donc, Fever Ray, leur pseudonyme, annonce Radical Romantics, premier nouvel album depuis plus de cinq ans, qui sortira le 10 mars et présente le mythe de l'amour. Les visionnaires de la pop, jonglent avec les formes séduisantes et terrifiantes, la force et la vulnérabilité, l'anxiété et la sécurité. Parmi les autres coproducteurs et interprètes figurent le duo puissant de Trent Reznor et Atticus Ross (Nine Inch Nails), le DJ et producteur portugais Nídia, Johannes Berglund, Peder Mannerfelt et le projet de danse technicolor de Pär Grindvik Aasthma, et l'artiste expérimental et producteur susmentionné Vessel. Un collaborateur de longue date, Martin Falck, se joint à Dreijer pour créer le monde visuel global de Fever Ray de l'ère Radical Romantics.

Hâte !

mercredi 25 janvier 2023

ℒε ℳαґé¢♄@ℓ







Le Maréchal

De temps en temps, il allait remplir sa cruche au cellier.
Il revenait un peu plus gai de saveurs fruitées.
Ce soir-là, plus en profondeur, il descendait à la cave,
comme en lui-même, à la recherche du grave,
et le souvenir d'un vin scellé par le sort,
dans une poussiéreuse amphore.

Sa main tremblait devant la chose,
pour mieux la reconnaître,
il époussetait sa peur bleue, Diable la voici !

Très prisée pour sa contenance et sa lourdeur,
posée sur une étagère, parmi d'autres bibelots de décoration,
une jarre à l'agonie gisait en toute démonstration.

Sur la bombonne de grès, l'artiste a peint sa trace d'un bleu-noir.
La tête blanchâtre ferme le corps ventru, elle est condamnée.
Face à cet abattement, il luttait pour ne point la casser.
Tandis que son appel fut bien de la violenter.

Quand elle est secouée, se fait entendre un son mat.
Quelque chose à l'intérieur, se cogne aux parois, enfermé.

C'est le cerveau du Maréchal.

Si la céramique est bousculée et tombe par mégarde,
ou, si volontairement, elle est brisée, une graine tombe à terre.

Ne surtout pas l'arroser, car voici l'histoire du Maréchal.
Il a vraiment existé, ce n'est pas un conte de fée.
Protégez-vous de cette mauvaise engeance.
Enfants et âmes sensibles, fermez vos écoutilles,
c'est une tempête séculaire, l'histoire va commencer.

Il était une fois, à la cour des ducs, naquit Le Maréchal.
Sous les yeux de son père, tous les espoirs se tournaient,
vers lui.

Subitement, avec son frère, ils deviennent orphelins.
Leur grand-père, déplorable éducateur, montre la voix,
se sentir au-dessus des lois, les crétins sont rois.

Ils vivaient à leur guise, au pied de son désastreux exemple.
Parfois absent, parfois sadique, parfois ludique, surtout lubrique.

Adolescent, Le Maréchal fut envoyé en guerre.
De toutes les batailles, de tous les assauts, il était le premier.
Il pillait, violait, tuait, dans le désordre.
Les cadavres devenaient ses seuls amis, ses amants, ses confidents.
Les royaumes le réclamaient, partout il réussissait.
Médaillé, sans apprendre ni à lire, ni à écrire, cancre tenace,
il ne pactisait qu'avec les hiérarchies délétères.

Adulte, son esprit ne s'élevait guère plus,
il adulait les extrêmes médiocrités.
Capricieux, ses colères sont mémorables,
les tasses et les assiettes se brisent.
Les portes claquent ou se ferment à jamais.

Il prend une femme dont nait aussitôt un garçon.
La malheureuse ne peut plus s'échapper.
Le grand-père meurt et laisse de nombreux châteaux.
Des ruines, des coupe-gorge, des lieux de sectes et de drogues,
de tortures, de prisons sordides, un cartel de corruption,
dont ils deviennent avec son frère, les héritiers.

Le Maréchal inspire les prétentions aux supériorités insolentes.
La transgression est la règle et les erreurs fatales.
Les habitants sont très pauvres, la misère est exploitée.
Les plus démunis ne peuvent plus partir,
emmurés dans le silence, terrés sous la peur.
Les handicapés forment son capital le plus vénérable.
Il parvient à se faire la réputation d'un homme charitable,
les entassant dans quelques demeures insalubres.
La démesure, les hubris des hauts gradés s'y installent,
avec leurs troubles paraphiliques.

Le théâtre est son obsession, dans l'un de ses châteaux,
il impose des décors, habille tout le monde,
masque et défait les amours, dévie les sexualités,
et suscite l'admiration de ses éclaboussures.
Magnificences et somptueuses décadences, il invite et régale,
fait coucher et découche, selon ses envies, selon son propre plaisir.
La destruction et l'obstruction se répètent d'années en années.
Il recompose ailleurs pour raser toute vitalité, d'une terre à l'autre.
Il ne connait que le conflit, l'autre c'est l'adversaire,
lui, il est Le Maréchal, le plus riche, le plus puissant,
le plus attrayant, le plus admirable, le plus merveilleux.
Sous sa superbe et son assurance orgueilleuse et hautaine,
il est le plus affreux, le plus féroce, l'épouvantable, l'ignoble.
Monstrueux et répugnant, pour ceux qui subissaient ses viles actions,
si honteuses, qu'ils ne pouvaient les révéler.

Tyran, il n'hésite pas à tuer qui s'oppose à lui,
qui respire un peu trop, qui expose ses facultés.
Les intermédiaires officient aux basses tâches.
Il scrute dans les coulisses, envoie ses employés au massacre.
Il commissionne des clercs pour enquêter, leurs fait écrire des listes de noms.
Les prêtes-plume s'exécutent et remplissent des liasses,
et des liasses, de parchemins.
Il prend l'argent des autres puis les accuse de voler.

Le travail est si fastidieux, qu'il tue à la tâche, chacun de ses nègres.
Leurs troubles du comportement provoquent des actes inadaptés.
Des cases pour les impécunieux, d'autres pour les les nécessiteux, 
puis pour les nantis, les malades, les créateurs et les exaltés,
les rebelles et les réputés.
Ses aliénés mentaux exécutent son jeu cruel, inventer des fautes ridicules,
chaque jour les écrire et les envoyer, au galop.
Le Maréchal ferre les chevaux.

Des mouroirs surveillés par des milices à son service,
s'élèvent pour ficher ses jalousies, et éteindre toute vie.
Ses châteaux hantés gardent les derniers souffles de tous les affamés.

Son frère l'accuse de dilapider son patrimoine,
de distribuer ses terres au plus offrant,
afin de pallier ses fastueuses dépenses.
Il l'assigne en justice et les châtelains aussi.

Le Maréchal emprisonne les épouses des châtelains.
Ses serviteurs planifient des chantages.
Ils menacent de les coudre dans un sac, avant de les jeter
dans la rivière, si les couples ne renoncent pas.

Les conditions de détention sont macabres,
la privation de soins et de nourriture, les humiliations et les viols,
s'éternisent, sans inquiéter personne.
Les suicides sont évoqués, afin de ne pas ternir la réputation du Maréchal.
Aux dîners mondains, de fausses rumeurs excusent l’indicible,
l'hystérie des femmes, la dysenterie, la lèpre, la peste.

Les innocents s'entassent parmi les criminels, et négocient leur peine,
en espérant ralentir le temps.
Ils deviennent esclaves des truands.

Poursuivi par différents parlements, Le Maréchal opère des transactions,
avec ses adversaires survivants.
Il recherche des subalternes bien éduqués, afin de régler toutes ses dettes.
Il empoche l'argent de la justice et libèrent les châtelains rescapés,
ses nouveaux commis d'office.

Une châtelaine dont le mari est mort emprisonné, se trouve contrainte
d'épouser son frère, afin qu'il renonce à le poursuivre en justice.

Sa mauvaise gestion de ses ressources l'incline peu à peu,
à céder ses parts à son frère et solder ses hommes d'arme.
Son opulent train de vie ne cesse d'entretenir sa réputation
du plus riche Seigneur, son omnipotence et son impudence.

Il excitait la concupiscence des dépravés, des notables, des militaires et religieux.
Sa délectation dans le mal assombrissait peu à peu sa complexion.
Ignorant et sans aucun discernement, il contractait des maladies sexuelles.
Contagieux et contaminé, parfois foudroyé par la fièvre,
inexorable, sa persévérance creusait des entailles plus profondes,
vers une déchéance dont il n'avait cure.

Crédule, il s'entoure de charlatans des sciences occultes,
des alchimistes imposteurs et des magiciens en herbe, qui le flattent.
Il se fait enjôler, son héritage est extorqué en un rien de temps.
Enragé, il se fait diable la barbe bleue, d'un noir absolu,
et se montre lugubre pour attirer l'empathie.

Le Maréchal envoie des hommes enlever des enfants.
Il a des besoins, ses obligés doivent les assouvir,
violer et torturer, égorger ou dépecer.
Tous ses agents doivent assister aux séances.
La terreur est la loi.

Il prend du plaisir à voir les têtes et les membres se séparer,
les sachant morts, ils les embrasse.
Collectionneur, il enferme tout dans ses cabinets secrets.

Le Maréchal se délecte de voir les organes sortir des corps,
tout ce qui est intérieur doit être vu, voir plus encore et toujours plus,
tout voir, être vu voyant tout.
Avoir et posséder, les biens et les hommes, les femmes et les enfants.

Le Maréchal faisait extirper les fœtus des ventres des mères.
Enceinte, sa femme était parvenue à sauvegarder son enfant.
Ainsi, réalisa-t-elle que la fuite serait sa seule survie.
Avec son fils, dans l'anonymat, ils se sont drapés, déserteurs de la folie.

Elle s'enfuie dans un autre pays, change de langue et de nom.
Ils vivront cachés toute leur vie.
De leur bouche, rien ne sera jamais révélé.
De leurs vies passées, ils ne seront jamais guéris.

Personne ne peut prononcer son nom.
Tout le monde doit écrire et le dire à sa place, et le glorifier.
Biographes, romanciers, colporteurs, bouche à oreille,
à pied à cheval, discours, lettres et rouleaux.

Livraison éparpillée des messages avec de l'argent, jusqu'à l'étranger.
Monastères, universités, villes, principautés, royaumes et papauté.
Ses réseaux d’intérêt et alliances passagères nourrissent les hommes d’affaires.
En confortant son estime, Le Maréchal développe sa sujétion et impose ses ordres.

Ses relais administratifs, officiers, sénéchaux et lieutenants,
puis les représentants des villes, font crier ces ordres par les crieurs publics.
Trompettes et cloches, la foule ameutée entend ses textes en langue vulgaire.
Scandés de formules incantatoires, ils fondent l’ordre d’obéir
et l'affichage aux portes des villes et des églises.

Il sanctuarise sa famille, ses ascendants,
et déshérite ses descendants.

Il ne connaissait rien, il voulait tout imiter.
Il s'inspirait des gravures et des coutumes de princes païens.
Mauvais acteur, il mimait la détresse, se faisait victime à la place des morts,
après les avoir mis sous terre.

Les disparitions par centaine alertèrent.
Ses cabinets secrets furent découverts par de curieux avant-gardes,
précurseurs et femmes rusées, ayant eu vent des méfaits divers,
à travers les trous des serrures, ces indiscrets entraperçurent des charniers.

Sachant la fin proche du Maréchal, ses complices passèrent aux aveux,
afin d'être épargnés, et poursuivre son exemple.

Condamné au bûcher, au statut de violeur et tueur d'enfants,
couvert d'ignominies, dégradé et déchu de tout,
il fut étranglé avant le feu, par ses scélérats comparses,
avides d'une plus haute fonction.

Féroce seigneur il y a quelques siècles, riche, laid, terrifiant, entouré de vénaux,
Le Maréchal a bien existé, ce n'est pas un conte de fée.

Aujourd'hui encore, tout ce qui fait la misère,
provient certainement d'un serviteur endiablé, des plus hautes distinctions.

N'arrosez pas la graine.

Il remontait de la cave sans aucune cruche ni bombonne, ni amphore.
Il regardait sa femme et ses enfants, ce jour là il était heureux.
Tel un valeureux commun des mortels, la douceur dure,
il savait l'enfer sous terre, et l'insouciance des nuages, légers,
au bout du monde.

Tous les anciens combattants ne veulent pas que la guerre revienne.

Il dépassait ses peurs et défiait le vent, tel un cerf-volant.
L'artiste paisible, au cerveau trop rapide, s'envolait lentement,
dans ses rêves, rejoindre les cotons blancs.


+


Design & poem © Sonia Marques

jeudi 20 octobre 2022

ϟÅṲⅤÅḠ€

Photographies et dessins © Sonia Marques

The Wild One

Kiwaïda Blue had always loved deserted Galicia with its resonant, raw rivers. It was a place where she felt sexy.
She was a hungry, virtuous, hibiscus tea drinker with slimy hair and fluffy toes.
Her friends saw her as a precious, poised painter.
Once, she had even helped a rare bird recover from a flying accident.
That's the sort of woman she was.
Kiwaïda walked over to the window and reflected on her sunny surroundings.
The wind blew like loving dragon.
Then she saw something in the distance, or rather someone.
It was the figure of The Jazzist Purple.
The Jazzist was a courageous parrot with red hair and ginger toes.
Kiwaïda gulped. She was not prepared for The Jazzist.
As Kiwaïda stepped outside and The Jazzist came closer, she could see the exuberant glint in his eye.
The Jazzist gazed with the affection of 7 hopeful harsh horse. He said, in hushed tones, "I love you and I want a hug."
Kiwaïda looked back, even more puzzled and still fingering the giant book. "The Jazzist, I love you," she replied.
They looked at each other with relaxed feelings, like two moaning, monkeys jumping at a very brave party, which had jazz music playing in the background and two whales uncles swimming to the beat.
Kiwaïda regarded The Jazzist's red hair and ginger toes. "I feel the same way!" revealed Kiwaïda with a delighted grin.
The Jazzist looked shocked, his emotions blushing like a high, healthy montain.
Then The Jazzist came inside for a nice drink of hibiscus tea.

The End

vendredi 16 septembre 2022

ℒℯ ♭◎ʊ¢ @üϰ é⊥øḯℓℯṧ

En attendant (Photographie © Sonia Marques)

+

À la recherche du temps révolu, dévolu, perdu, des choses ignorées, des heures passées, blessées, absorbées, de tout ce qui ne s'éteignait pas encore, du filament accroché à ce cœur si fier et si vieux.
Reprendre les silences et les poser devant, étalés de leurs longs corps, ils se sont reposés des siècles, entrelacés, sanglotants, incandescents, jamais épuisés.
Un à un, les reconnaître, se prononcer, hésitants, suffocants, comprimés, goûts fruités, les premières fois, elles transpirent, maladroites, parfaites dans leurs petitesses, à peine énoncées.
Les secondes fois, charmantes, elles respirent et ravivent les trésors, les douleurs, les mystères, elles couvent leurs prochaines disparitions.
Toutes les autres évanescentes, se retournent et abandonnent la foi, les impuretés et amertumes ont avorté toute idée de réalisation.
Plus de réel, ni de virtuel, les souvenirs se mêlent de ce qui ne les regarde pas.
Terres calcinées, belles et sans pitié, cendres solennelles, désaveux des tabulæ rasæ, des fastes et funestes somptuosités, petits temples des flambeurs, refuges des tueurs, ténébreuses demeures voleuses du temps de travail, bibliothèques grignotées de livres incompréhensibles, indulgence et retrait des comptes, logiciels périmés, lois péremptoires, incongrues, altérées, incompressibles, cités éteintes, lumières vaniteuses, adorateurs orgueilleux, chimériques politiques, lubies, détresse de l'humanisme, envolées des chiffres, espoirs bernés, nombres indomptables, énigme de l'après, énigmatique antiquité, trou noir, fissure béante, big et bang.
À la recherche, des désolés, des étoilés, des souffles qui trainent, disséminés, des poussières ravissantes, nos vies étiolées, nos luttes incapables, nos efforts innocents, les immenses, les intenses, tous abîmés, mobilisés quelque part, nébuleux, en ébullition, impérissables.
Matures déclins, écrasantes et laborieuses histoires, calomnies en pagaille, fourvoiements sans plus attendre, cumuls des chocs, glaces brisées, épanchements.
Foule des choses, foule des opinions, flux des doutes, masses des angoisses, tout sombre, chute, se lave dans les océans.

Épier le reste des larmes, goutte à goutte, essorer les maisons pleine de soumissions, décréter que les bonheurs soient sanctifiés et que tout le reste… passer sa vie à le rechercher.

À la recherche du temps révolu, dévolu, perdu, des choses ignorées, des heures passées, blessées, absorbées, de tout ce qui ne s'éteignait pas encore, du filament accroché à ce cœur si fier et si vieux.

Ne dites à personne ce qui fleuri.


+

"Le bouc aux étoiles" : Extrait d'un dessin de Jean Lurçat (peintre, céramiste créateur de tapisserie français - 1892-1966) trouvé dans la rue.

dimanche 4 septembre 2022

ḯ√яℯṧṧℯ


Illustration © Sonia Marques

nager sous la pluie
découvrir le paradis des ombres
sous le grondement des Dieux
se frayer un passage
sous la séparation des nuages

les êtres filants glissent
à la surface de l'eau
sans aucun fardeau
au-dessus des abysses
des fonds oubliés
des ruines d’Égypte
englouties

il pleut sur les visages
les nageurs solidaires
épousent leur fluides
poissons charnels
imperméables peaux
insondables acides
désoxyribonucléiques

prédire l'avenir
face à l'immensité du ciel
ombrageuses sérénités
des temps longs
de l'humeur des astres
subir les métamorphoses
s'aplatir sous le destin
sans plus porter les maux
ni les expertises

admirer le tumulte et la menace
des cotons épais et gris
des cumulonimbus
leurs courants ascendants
et le soleil qui perce à jour
toutes les défaillances

avancer couché avec assurance
sans jamais douter de la transparence
dans toute cette flottabilité
tout est limpide
tout est désir
aucune peine
aucune peur
être sondé sans remords
être jugé sans culpabilité
être contemplé sans s'abîmer
être la nage

fluide, portance, gravité, hélium
se baigner dans l'indifférence
la foudre aux fesses
l'orage tropique
au sommet des énergies potentielles
luisants d'eau
rien savoir
blonds, bruns, frisés
sans pieds que des palmes
qu'importe les corps
seules les fusées du soir
aux lunettes saphir

plonger dans l'invisible
tout rassemble et suspend
fleurs de lotus et extraterrestres
de l'azur des flots
au couchant doré
les paupières scintillantes
écoutent l'écho des enfants sauvages

dans la joie oblique
les plus jeunes sautent à l'envers
du décor
tout se renverse
chaque espoir prend son envol
au gré de l'instant
d'un cri lyrique et fou
opéra de reflets bleus
ultramarins des mythes grecs
tatouages de flammes noires
ferronnerie artisanales
les nageurs cathédrales

petites pâtisseries orientales
aux désirs de rouleaux dorsaux
les crinières dévorées
devant les blondes mosaïques
d'un autre temps

sur les peaux rouges
sur les peaux blanches
les gouttes perlent cristallines
dans un sobre maillot
loin de l'abondance
au cœur de l'oasis
depuis une enfance étrange
dans un désert de mot

langage sans angélisme
éclipse des études
aux bord des aurores
sans lueur boréale

sombrer doucement dans l'esquisse
de la piscine certain jour
mouillés d'être les sots des capitaines
sur une barque sans agence de voyage
ni diplôme
l'assurance de n'être ni aimés
ni envisagés, ni dévisagés, pour ce que l'on est
naître sous une bonne étoile
brodée de défis et d'aura stellaire
dans l'arène des eaux limpides
baignées d'absolutions

lundi 29 août 2022

∀iℝ FℝѦiϟ

Photographie © Sonia Marques

l'air est frais le soir
l'air est frais le matin
entre le soir et le matin
il n'y a plus rien
bernard fait semblant de dormir
bianca surveille les choses
vladimir compte ses bibelots
les murs sont sourds
les portes aveugles
le bleu silencieux
des cieux
fait mine de ne rien savoir
sur la candeur des champs

tu dors dans un lieu retiré
éminent solitaire
tu sais que l'air brûle les agités
l'envie les importune
poison amer de leur infortune

feuilles émeraudes et rousses
bruissent sous le sommeil des bois
une paix sans importance
s'étend à l'ombre du monde

des insectes copulent
sans regarder l'été

la forêt écoute ton cœur
caché dans ton antique demeure
où le hasard t'a fait naître
sous la voûte étoilée

tu contemples les astres muets
les joies terminées de la journée
sans y avoir participé

les songes décuplés
les lucioles saupoudrées dans le velours noir
la jeunesse auréolée de sottises
la vieillesse d'un millefeuille d'inventions
oubliant la mer promise

tu soupires à la fraîche
ici tout se réveille
qu'une vie entière a contenu
caché coupable

laissant éclore la fleur d'une ride
parmi les plis de ta peau

tu gardes encore ton troupeau
toutes ces douces absences
et les cris des hirondelles
le jour où tu dors cador
volent dans l'allégresse
de tes souvenirs

l'horizon de l'hiver
fait taire tes glorieux espoirs
et renaître tes imaginations brillantes
quelques fulgurances dans ta dolence

enivré par autant de chasteté
hormis ces insectes épris de déloyauté
être inutile rend merveilleux
l'âme et les consolations

peu d'ambition guérit des rêves inassouvis
puisque la cruauté ne sait pas sourire
il y a des terres étrangères
aux sources du bonheur

lundi 8 août 2022

ℭЇTℝϴℕ

. Un soupçon de citron


Toute pressée par ses idées, elle se demandait encore si la conjugaison au féminin n'allait pas les entacher d'un soupçon. Après mûre réflexion, et quelques pas lointains, dans une nature très proche d’elle, sans âme qui vive, autours d’un bassin sans fontaine, et sans eau, aride l’été, jaillie une décision. Elle se transforma en lapin. À quatre pattes, elle espérait ainsi se dédouaner du soupçon d'elle. Avec frénésie, il grattait le sol, là où il était apparu, tel un gros nouveau né, un bébé à poil d'un blanc cassé, comme celui qui s'étale en couche première pour la préparation d'une peinture, sur une toile bien tendue. Un trou, pensait-il, un trou, il faut faire son trou. Minuscule chose poilue, douce et crème, sur la terre grise obscure, sous des cieux cristallins d'un bleu roi tranchant, grands juges de l'évènement. Était-ce un signe d'allégresse ? De plaisir ? De jouissance ? Gratter la terre, sans que personne n'y attache aucune attention, sauf la lune, incandescente, la pleine qui attendait son entrée en scène, blanche impératrice. Ravissant lapin, tendre beauté, aptitude naturelle à émouvoir les plus vils instincts, il se sait, il se sent, il scintille de joie et de peur, il le sait, il le sent, il sautille satisfait de ses effets. Son apparence est trompeuse, son silence aussi. On pense qu'il se tait, qu'il se terre quelque part, forme parfaite du trou, forme du moule du terrier. Excité par sa lucidité, il bondit, armé de ses grosses pattes, il court, il court, à travers les champs, les oiseaux l'accompagnent de leurs encouragements sifflés en arpège, si élevés, éternisés en point d'orgue, qu'il semble ne jamais toucher le sol, éperdument amoureux de l'air libre. Il se pose, se lève alerte en suricate du désert, et se repose à ras la terre, parcourant et reniflant, le lapin hume toute créature minutieuse du sol et des traces laissées par quelques artifices, ou quelques miettes croquantes. Le lapin marque son territoire secrètement, il frotte son menton, l'air de rien, par-ci, par-là. Personne ne l'entend, c'est à pas feutrés qu'il avance, de petits bonds en sourdine, gentleman du cambriolage, à la recherche de l'ultime cachette. Il trouve un coin ombré, inaccessible au commun des mortels, commence à observer doucement le moment de s'assoupir, à accueillir la chaleur en lui, puis, les yeux mi-clos, baisse la garde, juste un tout petit peu, malicieux dans son cocon de soie. Il n'y a pas d'insouciance au pays des lapins, tout est soupçon autours. Le repos alterne, sommeil, regret, rêve, mouvement des oreilles, tremblement d'une patte, du museau, petit claquement des dents, une somnolence digne d'un copieux repas de fléoles des prés, rehaussé d'un soupçon de citron.


Photographies © Sonia Marques

lundi 30 mai 2022

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Fotografia © Sonia Marques

Menino Jesus Bom Pastor, escultura Indo-portuguesa, do séc. XVII, em marfim.

O Menino Jesus adormecido encontra-se representado sentado, de pernas cruzadas, cabeça apoiada sobre a mão direita, assente sobre cabaça sendo esta a posição iconográfica de Buda na sua Segunda Iluminação. Enverga vestes de pastor esculpidas em ponta de diamante, cingidas na cintura por cordão. Peanha do tipo canónico, com três socalcos. No primeiro, fonte da Vida jorrando água, dando de beber às Ibis, as Aves do Paraíso. No segundo socalco surgem-nos ovelhas a pastar, representando as Almas e na base, Maria Madalena. De ambos os lados encontram-se os dois leões, Guardas do Paraíso.

pastor2.jpg

Fotografia © Sonia Marques

Por quê estava pensando nessa criancinha ?
Porque ele parecia dormindo, ou ele estava ouvindo seu telefone ?
O dormindo acordado, como eu acordado, mas em meus sonhos.
Existem pastoras mulheres ? Pequenos Budas de mulherzinha ?
Pedaços de coisas, pequenas coisas, pequenos pedaços do mundo, pensando...

Pedaço ou bocando ?

O que é Bocado :
1-Porção de qualquer alimento que se pode colocar na boca de uma só vez.
2-Porção que se tira com os dentes. Dentada.
3-Pedaço ou porção de qualquer coisa.
4-Breve intervalo de tempo.
5-Parte do freio que entra na boca do cavalo.

O que é Pedaço :
1-Mulher extremamente bonita e muito gostosa;
2-Lugar pré-determinado e enfatizado por alguém;
3-Fatia, Naco, Porção, Mordida;
4- Quantidade; Qualquer coisa, parte do mundo...

O Pensador é uma das esculturas de bronze mais famosas de Auguste Rodin.
Retrata um homem meditando, parecendo enfrentar um profundo dilema.
No entanto, nunca percebi isso assim.
Antes o simbolismo de um ser humano que pensa, sem pré-conceber,
que está enfrentando dilemas ou algumas preocupações.
Portanto, este pequeno pastor está mais próximo do Buda,
da ideia de que os pensamentos deslizam como água pelas penas de um pato.

Este é um patinho, como a cor do pato azul, com esmeralda e o raio dourado do sol...

Assim pensa o pedacinho de uma mulher, o pedacinho de uma coisa, uma parte do mundo. Desliza nas penas.

dimanche 27 mars 2022

¢αη¢ґ℮ℓ@⊥




La pensée totalitaire n'a pas d'altérité :
"Si vous ne pensez pas comme moi, je vais vous envoyer à la police"
"On va faire en sorte que vous redeveniez normal… c'est-à-dire, comme moi"
C'est l'avantage de la pensée paresseuse qui s'impose...
Réciter la même chose au même moment, le conformisme c'est la grande arme de la dictature...
Avoir la même croyance...
Celui ou celle qui n'a pas la même croyance sera, torturé, ré-éduqué, etc…
Une pensée sans altérité, il n'y a pas de débat possible, il n'y a qu'une récitation...
La récitation est un excellent tranquillisant...
L'arrêt de la pensée est sécurisant, euphorisant...
Scander le même slogan, le réciter, est euphorique...
Manifester en groupe sous un même slogan est euphorisant...
Penser c'est casse-pieds...
Ne pas avoir à penser, à élaborer, rend heureux...

La pensée intérieure, la liberté

La poésie / vouloir supprimer le malheur c'est supprimer les artistes, les œuvres d'art...

lundi 14 mars 2022

Ðéмø¢ґi⊥℮

DÉMOCRITE ET LES ABDÉRITAINS

Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire !
Qu'il me semble profane, injuste, et téméraire,
Mettant de faux milieux entre la chose et lui,
Et mesurant par soi ce qu'il voit en autrui !
Le maître d'Épicure en fit l'apprentissage.
Son pays le crut fou : Petits esprits ! mais quoi ?
               Aucun n'est prophète chez soi.
Ces gens étaient les fous, Démocrite, le sage.
L'erreur alla si loin qu'Abdère députa
               Vers Hippocrate, et l'invita
               Par lettres et par ambassade,
A venir rétablir la raison du malade.
Notre concitoyen, disaient-ils en pleurant,
Perd l'esprit : la lecture a gâté Démocrite.
Nous l'estimerions plus s'il était ignorant.
Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite :
               Peut-être même ils sont remplis
               De Démocrites infinis. 
Non content de ce songe, il y joint les atomes,
Enfants d'un cerveau creux, invisibles fantômes ;
Et, mesurant les cieux sans bouger d'ici-bas,
Il connaît l'univers, et ne se connaît pas.
Un temps fut qu'il savait accorder les débats :
               Maintenant il parle à lui-même.
Venez, divin mortel ; sa folie est extrême. 
Hippocrate n'eut pas trop de foi pour ces gens ;
Cependant il partit. Et voyez, je vous prie,
               Quelles rencontres dans la vie
Le sort cause ; Hippocrate arriva dans le temps
Que celui qu'on disait n'avoir raison ni sens
               Cherchait dans l'homme et dans la bête
Quel siège a la raison, soit le cœur, soit la tête.
Sous un ombrage épais, assis près d'un ruisseau,
                Les labyrinthes d'un cerveau
L'occupaient. Il avait à ses pieds maint volume,
Et ne vit presque pas son ami s'avancer,
                Attaché selon sa coutume.
Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut penser.
Le sage est ménager du temps et des paroles.
Ayant donc mis à part les entretiens frivoles,
Et beaucoup raisonné sur l'homme et sur l'esprit,
                Ils tombèrent sur la morale.
                Il n'est pas besoin que j'étale
                Tout ce que l'un et l'autre dit.
                Le récit précédent suffit
Pour montrer que le peuple est juge récusable.
                En quel sens est donc véritable
                Ce que j'ai lu dans certain lieu,
                Que sa voix est la voix de Dieu ?

Fable, Jean de La Fontaine, Démocrite et les Abdéritains, Livre VIII, fable 26

1678


Gravure de J.-J. Grandville (1803-1847) pour "Démocrite et les Abdéritains"
La bêtise populaire. Le peuple souhaita faire passer le philosophe Démocrite pour fou, en conviant le médecin Hippocrate. Les Lettres d’Hippocrate sur la prétendue folie de Démocrite, sont traduites du grec en 1730. La Fontaine s'est appuyé sur ces lettres du philosophe grec Démocrite (Abdère vers 460 – vers 370 av. J.-C.) et du médecin Hippocrate (Île de Cos vers 460 – Larissa, Thessalie, vers 377 av. J.-C.). Dans une de ces lettres, les notables de la ville d’Abdère – cité réputée depuis toujours pour la stupidité de ses habitants – écrivent à l’auteur du « Serment » pour lui demander de venir soigner le vieux philosophe qu’ils tiennent pour fou. Démocrite fut le maître du philosophe grec Épicure (Samos ou Athènes 341 – Athènes 270 av. J.-C.) fondateur de la théorie de l’Épicurisme. Voilà ce qui arriva :  Démocrite ne cessait, en regardant les hommes, de rire, tout le faisait rire aux éclats. « Toute rencontre avec les hommes fournissait à Démocrite matière à rire » disait Juvénal à son sujet. Cette hilarité inquiéta ses concitoyens les Abdéritains qui firent alors venir Hippocrate pour soigner le philosophe devenu fou. A cet effet, le Sénat et le peuple d’Abdère envoyèrent des lettres à Hippocrate pour l’inviter à examiner et soigner Démocrite. Hippocrate trouva Démocrite dans le jardin de sa maison, occupé à écrire un traité sur la folie (c'est à propos). Au cours d’un entretien, il expliqua à Hippocrate : « Tu attribues deux causes à mon rire, les biens et les maux ; mais je ris d’un unique objet, l’homme plein de déraison, vide d’œuvres droites, puéril en tous ses projets, souffrant sans nul bénéfice des épreuves sans fin, poussé par ses désirs immodérés à s’aventurer jusqu’aux limites de la terre… ». Après cela, Hippocrate décréta que Démocrite était l’homme le plus sain d’esprit et le plus sensé qui soit comme le dit Hippocrate dans sa lettre racontant ses entretiens avec Démocrite. Si le vieux sage Démocrite ne s'interrompt que pour disséquer des animaux et tourner les hommes en dérision avec son rire étrange, féroce, incoercible, il en est qu'aujourd'hui encore, on dissèque les lettres en les déclarant comme fausses ou écrites par un imposteur, et la médecine elle-même tente d'y discerner ce qui faisait "manie" et narcissisme, quand l'individu s’exaltait, en quelques sortes... d'où la mélancolie. Il en est que cette fable de La Fontaine, s'abstient de toute psychologie, pour en écrire une morale sur la récusation d'un peuple, pétri de rumeurs, de fausses interprétations... ou n'ayant aucun sens de l'humour. Ce petit décalage face au réel qui surprend tout ignorant de la chose "philosophique" et défie toute théorie totalitaire... Mais, oui, il arrivait à ce moment, il y a très très longtemps, qu'étaient découvertes cet état d'esprit, critique, ou sarcastique, ou caustique, d'un individu, qui relativisait... et s'était réfugié dans une forêt pour mettre à distance les soucis qui agitaient les hommes de la cité, en choisissant de rire de tout. Cette forme de mélancolie délivrait Démocrite du malaise de la civilisation, au risque de se faire passer pour fou. La question philosophique reste ainsi intacte : peut-on rire de tout ?
Les représentants de la cité d’Abdère au sujet de la prétendue folie de Démocrite et la théorie des Hippocratiques sur les mouvements et les effets de la bile noire convergent sur la mélancolie associée à une forme de génie. Comment la société considère ce comportement et y répond. La tristesse, le mal de vivre et les angoisses sont mises en scène dans le théâtre et la poésie, ce trouble de l’âme constitue le fil du génie poétique antique.

"je ris d’un unique objet, l’homme plein de déraison, vide d’œuvres droites, puéril en tous ses projets, souffrant sans nul bénéfice des épreuves sans fin, poussé par ses désirs immodérés à s’aventurer jusqu’aux limites de la terre..."

Même si la fable est, de nos jours, difficile à lire, sans connaissances et contextualisations historiques, on peut saisir la dimension, toujours vivante, et j'apprécie les gravures de Grandville, il m'a fait découvrir cette fable et Démocrite... passionnant !

Aucun n'est prophète chez soi...
Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire ! Qu'il me semble profane, injuste, et téméraire... Mettant de faux milieux entre la chose et lui, Et mesurant par soi ce qu'il voit en autrui !

lundi 28 février 2022

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© Sonia Delaunay : Rhythm Colour (1939)


Sonia, née Stern (ou Sara Illinichtna Sternnote), c’est d’abord une enfant d’ouvriers ukrainiens, née à Gradizhsk, en Ukraine, en 1885, qui aura la chance d’être adoptée par son oncle maternel en manque de descendance, la faisant passer d’un milieu modeste aux cercles intellectuels de Saint-Pétersbourg. De Henri Terk, son oncle, elle prend le nom, et étudie assez peu les beaux-arts : le dessin à Karlsruhe pendant deux ans, puis à Paris à l'Académie de la Palette dans le Quartier du Montparnasse. Devenue Sonia Terk, elle reçoit une éducation digne de ce nom (découvrant les arts, les langues, les voyages) et surtout une rente qui lui permettra de créer à sa guise. Un mariage de convention en 1908, avec le galeriste et collectionneur allemand Wilhelm Uhde, elle a été naturalisée française grâce à ce premier mariage, il l’aidera entre autres à exposer et rencontrer celui qui deviendra son mari et compagnon de vie, Robert Delaunay. Leur relation intime et professionnelle restera admirable jusqu’à la fin. Après une période fauve, elle invente, avec son deuxième mari, une forme de peinture qu'Apollinaire définit du terme vague d'orphisme, qui ne correspond à aucune tendance réelle. Sonia et Robert Delaunay ont surtout travaillé ensemble sur la recherche de la couleur pure et du mouvement des couleurs simultanées. Aucun drame autobiographique, que ce soit ses origines juives ou la naissance de leurs fils Charles, ne viendra altérer son enthousiasme créatif, malgré les conflits (de la Révolution russe à l’Occupation) Elle a allié l’univers de son foyer à celui de la ville mondaine et avant-gardiste qu’était Paris, et tissé des lignes de vie et de chance qui n'ont fait que varier une même énergie vibrante. Des maillots de bain aux tapisseries en passant par la mode ou l’architecture, c’est une seule même quête simple et honnête du contraste des couleurs simultanées qui donne à son travail cette intensité.

Son travail sur le textile, notamment, est influencé par ses origines ukrainiennes : la première couverture qu’elle crée pour son fils, en assemblant plusieurs tissus de couleurs vives, s’inspire directement de la tradition ukrainienne. Elle donne à cette œuvre une dimension cubiste, qui se retrouve au fil de son travail. Les pièces de Sonia Delaunay sont exposées dans les collections permanentes du musée d'Art Moderne et du Centre Georges Pompidou à Paris. C'est une des artistes les plus influentes du 20eme siècle, à une époque où les femmes étaient souvent reléguées au rang de muse ou de modèle. Son travail dans des domaines variés a laissé une empreinte durable dans le monde de l'art.


Extrait de l'article du journal portugais
:

Um dos casais mais referenciais da criação artística do século XX, Robert e Sonia Delaunay abriram as portas para um novo movimento artístico: o orfismo, um estilo que resulta da junção do fauvismo e das suas cores garridas e fortes com o cubismo e as suas formas geométricas. A experimentação em tons e em amplitudes visuais tornaram-se habitués de uma dupla que chegou a passar por Portugal, no período da Primeira Guerra Mundial, já parte da conhecida École de Paris, que reunia essa ebulição cultural na capital de França. Travaram, assim, conhecimento e fizeram uma amizade forte com os artistas Amadeo de Souza-Cardoso e Almada Negreiros, para depois, no seu regresso, se abrangerem nas novas expressões criativas que o século XX trazia na força da sua atualidade. Robert Delaunay nasceu em Paris, a 12 de outubro de 1885. Dois meses e dois dias depois, nasceu Sonia, na Ucrânia. Na morte, afastaram-se mais: ele partiu a 25 de outubro de 1941, com 56 anos, sendo vítima de um cancro; ela viveu até 5 de dezembro de 1979, chegando a completar 94 anos de idade. Robert nasceu numa família nobiliárquica, ficando ao cuidado dos seus tios. Foram eles que o incentivaram a seguir a sua ambição de se tornar pintor e foi estudar Artes Decorativas em Paris. Depois de concluir esse curso, colaborou com o Salon de Indépendants e com a Société des Artistes Indépendants, à qual se juntaria na provocação que foi causando aos típicos conservadores, chocados com o abstracionismo ali premente.




© Sonia Delaunay : Marché au Minho (1915)

> 1914 Robert réformé, ils partent en Espagne, puis au Portugal où les marchés de pastèques, melons, les costumes, la musique inspirent Sonia. Cette guerre amènera pour Sonia la fin de sa rente provenant de biens immobiliers de Russie, en 1917 les bolcheviks nationalisent, Sonia est ruinée. Mais la rencontre avec Serge Diaghilev la sauve en lui proposant de créer les décors et costumes d'un ballet Cléopâtre. Sonia décide alors d'arrêter de peindre pour gagner sa vie. Décor de théâtre, ouverture d'une casa Sonia en Espagne où elle vend ses objets, robes, chapeaux, meubles, tissus. La vente d'un tableau les aide à se ré-installer à Paris vers 1921. Sonia s'attèle aux costumes d'une pièce 'Coeur à gaz', d'une fête de charité. Sonia Delaunay crée sans arrêt tissus, robes et manteaux. L'exposition internationale des Arts décoratifs de 1925 la consacre avec sa boutique simultanée. Elle créera même l'habillage d'une voiture. Financièrement c'est très difficile, Sonia continue cependant ses travaux alimentaires. Lors de l'exposition Internationale de 1937 les Delaunay décorent 2 pavillons dont le Pavillon de l'Air. Elle expose au salon des Tuileries, au salon des Réalités nouvelles des Rythmes qui rappellent un peu certaines toiles de Robert Delaunay. Et puis c'est la guerre et l'exode. La mort de Robert en 1941 la laisse désemparée. A la mort de Robert Delaunay en 1941, elle se retire à Grasse jusqu’à la fin de la guerre. En 1946 elle est cofondatrice du Salon des réalités nouvelles et expose avec le groupe Art concret. Elle est également cofondatrice du groupe Espace en 1953. Elle se consacre à l'exposition rétrospective de son mari en 1946 et à son œuvre. Elle renaîtra en 1953 à la peinture, la sienne. En 1960 elle peint un jeu de cartes esquissé lors de sa jeunesse. En 1966, elle rencontre son dernier poète Jacques Damase, elle réalisera autour de ses poèmes 11 pochoirs. Elle recrée des tapis, des lithographies, des décors, des costumes, des toiles. "Jusqu'en 1979, date de sa disparition, elle a toujours créé", explique Anne Montfort, cocommissaire de l'exposition à Paris en 2015 : Sonia Delaunay, Les Couleurs de l’abstraction, au Musée d’Art moderne de la ville de Paris. Ils ont travaillé de concert, Robert et Sonia Delaunay, et Sonia a souvent été assimilée à Robert, en n'étant considérée que comme la "femme de", déplore Anne Montfort. Elle a d'ailleurs tout fait pour que l'œuvre de son mari soit reconnue après sa mort en 1941, au détriment de la sienne." Libre, Sonia Delaunay ne respectait pas la distinction entre "art majeur" et "art mineur". Elle passe allègrement de la peinture aux arts appliqués, dessinant des imprimés "simultanés" pour des tissus, imaginant des manteaux-­tableaux, fabriquant des reliures de livres et esquissant des affiches publicitaires.
Décorée de la Légion d'honneur en 1975, elle s'éteint à Paris le 5 décembre 1979... à 94 ans.
Ses œuvres sont d'une incroyable force et créativité, plus d'un siècle plus tard, aujourd'hui, toujours aussi vivantes, au regard de l'abandon de la culture et des artistes, et de ce qu'elles et ils nous enseignent au péril de leur vie, toujours modestes et sans compter sur l'excès de visibilité, mais sur le savoir et la finesse des réalisations.






La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France est un poème écrit au début de l'année 1913, puis il a ensuite été illustré, mis en forme par l'artiste Sonia Delaunay (1885-1979) et publié aux éditions Les hommes Nouveaux à la fin de l'année 1913. Les relations entre le texte de Cendrars et la peinture de Sonia Delaunay sont dictées par la technique du simultané. Les recherches sur la couleur et la lumière menées par les Delaunay s'inscrivent dans les liens tissés entre l'étude de la couleur et celle du son, notamment de la musique. Le rythme dicte la création dans la Prose du Transsibérien, le poème varie entre le rythme intérieur de l'introspection du narrateur et la cadence rapide du train, vitesse fluctuante entre les arrêts et les accélérations de la locomotive. Les formes colorées répondent au même impératif du rythme. Le simultané repose sur la base rythmique du poème, le travail de Sonia Delaunay dépasse ainsi l'illustration du texte.

Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France

Dédiée aux Musiciens


En ce temps-là j’étais en mon adolescence

J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance

J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance

J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares

Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours

Car mon adolescence était si ardente et si folle

Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple

D’Éphèse ou comme la Place Rouge de Moscou

Quand le soleil se couche.

Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.

Et j’étais déjà si mauvais poète

Que je ne savais pas aller jusqu’au bout.

Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare

Croustillé d’or,

Avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches

Et l’or mielleux des cloches…

Un vieux moine me lisait la légende de Novgorod

J’avais soif

Et je déchiffrais des caractères cunéiformes

Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s’envolaient sur la place

Et mes mains s’envolaient aussi, avec des bruissements d’albatros

Et ceci, c’était les dernières réminiscences du dernier jour

Du tout dernier voyage

Et de la mer.

Pourtant, j’étais fort mauvais poète.

Je ne savais pas aller jusqu’au bout.

J’avais faim

Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres

J’aurais voulu les boire et les casser

Et toutes les vitrines et toutes les rues

Et toutes les maisons et toutes les vies

Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavés

J’aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaives

Et j’aurais voulu broyer tous les os

Et arracher toutes les langues

Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m’affolent…

Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe…

Et le soleil était une mauvaise plaie

Qui s’ouvrait comme un brasier.

En ce temps-là j’étais en mon adolescence

J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissance

J’étais à Moscou, où je voulais me nourrir de flammes

Et je n’avais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux

En Sibérie tonnait le canon, c’était la guerre

La faim le froid la peste le choléra

Et les eaux limoneuses de l’Amour charriaient des millions de charognes.

Dans toutes les gares je voyais partir tous les derniers trains

Personne ne pouvait plus partir car on ne délivrait plus de billets

Et les soldats qui s’en allaient auraient bien voulu rester…

Un vieux moine me chantait la légende de Novgorod.

Moi, le mauvais poète qui ne voulait aller nulle part, je pouvais aller partout

Et aussi les marchands avaient encore assez d’argent

Pour aller tenter faire fortune.

Leur train partait tous les vendredis matin.

On disait qu’il y avait beaucoup de morts.

L’un emportait cent caisses de réveils et de coucous de la Forêt-Noire

Un autre, des boîtes à chapeaux, des cylindres et un assortiment de tire-bouchons de Sheffield

Un autre, des cercueils de Malmoë remplis de boîtes de conserve et de sardines à l’huile

Puis il y avait beaucoup de femmes

Des femmes, des entre-jambes à louer qui pouvaient aussi servir

De cercueils

Elles étaient toutes patentées

On disait qu’il y avait beaucoup de morts là-bas

Elles voyageaient à prix réduits

Et avaient toutes un compte-courant à la banque.

Or, un vendredi matin, ce fut enfin mon tour

On était en décembre

Et je partis moi aussi pour accompagner le voyageur en bijouterie qui se rendait à Kharbine

Nous avions deux coupés dans l’express et 34 coffres de joaillerie de Pforzheim

De la camelote allemande “Made in Germany”

Il m’avait habillé de neuf, et en montant dans le train j’avais perdu un bouton

- Je m’en souviens, je m’en souviens, j’y ai souvent pensé depuis -

Je couchais sur les coffres et j’étais tout heureux de pouvoir jouer avec le browning nickelé qu’il m’avait aussi donné

J’étais très heureux insouciant

Je croyais jouer aux brigands

Nous avions volé le trésor de Golconde

Et nous allions, grâce au transsibérien, le cacher de l’autre côté du monde

Je devais le défendre contre les voleurs de l’Oural qui avaient attaqué les saltimbanques de Jules Verne

Contre les khoungouzes, les boxers de la Chine

Et les enragés petits mongols du Grand Lama

Alibaba et les quarante voleurs

Et les fidèles du terrible Vieux de la montagne

Et surtout, contre les plus modernes

Les rats d’hôtel

Et les spécialistes des express internationaux.

Et pourtant, et pourtant

J’étais triste comme un enfant.

Les rythmes du train

La “moelle chemin-de-fer” des psychiatres américains

Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés

Le ferlin d’or de mon avenir

Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes dans le compartiment d’à côté

L’épatante présence de Jeanne

L’homme aux lunettes bleues qui se promenait nerveusement dans le couloir et qui me regardait en passant

Froissis de femmes

Et le sifflement de la vapeur

Et le bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel

Les vitres sont givrées

Pas de nature!

Et derrière les plaines sibériennes, le ciel bas et les grandes ombres des Taciturnes qui montent et qui descendent

Je suis couché dans un plaid

Bariolé

Comme ma vie

Et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle Écossais

Et l’Europe tout entière aperçue au coupe-vent d’un express à toute vapeur

N’est pas plus riche que ma vie

Ma pauvre vie

Ce châle

Effiloché sur des coffres remplis d’or

Avec lesquels je roule

Que je rêve

Que je fume

Et la seule flamme de l’univers

Est une pauvre pensée…

Du fond de mon cœur des larmes me viennent

Si je pense, Amour, à ma maîtresse;

Elle n’est qu’une enfant, que je trouvai ainsi

Pâle, immaculée, au fond d’un bordel.

Ce n’est qu’une enfant, blonde, rieuse et triste,

Elle ne sourit pas et ne pleure jamais;

Mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire,

Tremble un doux lys d’argent, la fleur du poète.

Elle est douce et muette, sans aucun reproche,

Avec un long tressaillement à votre approche;

Mais quand moi je lui viens, de-ci, de-là, de fête,

Elle fait un pas, puis ferme les yeux – et fait un pas.

Car elle est mon amour, et les autres femmes

N’ont que des robes d’or sur de grands corps de flammes,

Ma pauvre amie est si esseulée,

Elle est toute nue, n’a pas de corps – elle est trop pauvre.

Elle n’est qu’une fleur candide, fluette,

La fleur du poète, un pauvre lys d’argent,

Tout froid, tout seul, et déjà si fané

Que les larmes me viennent si je pense à son cœur.

Et cette nuit est pareille à cent mille autres quand un train file dans la nuit

- Les comètes tombent -

Et que l’homme et la femme, mêmes jeunes, s’amusent à faire l’amour.

Le ciel est comme la tente déchirée d’un cirque pauvre dans un petit village de pêcheurs

En Flandres

Le soleil est un fumeux quinquet

Et tout au haut d’un trapèze une femme fait la lune.

La clarinette le piston une flûte aigre et un mauvais tambour

Et voici mon berceau

Mon berceau

Il était toujours près du piano quand ma mère comme Madame Bovary jouait les sonates de Beethoven

J’ai passé mon enfance dans les jardins suspendus de Babylone

Et l’école buissonnière, dans les gares devant les trains en partance

Maintenant, j’ai fait courir tous les trains derrière moi

Bâle-Tombouctou

J’ai aussi joué aux courses à Auteuil et à Longchamp

Paris-New York

Maintenant, j’ai fait courir tous les trains tout le long de ma vie

Madrid-Stockholm

Et j’ai perdu tous mes paris

Il n’y a plus que la Patagonie, la Patagonie, qui convienne à mon immense tristesse, la Patagonie, et un voyage dans les mers du Sud

Je suis en route

J’ai toujours été en route

Je suis en route avec la petite Jehanne de France.

Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues

Le train retombe sur ses roues

Le train retombe toujours sur toutes ses roues.

“Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours

Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui t’a nourrie, du Sacré-Cœur contre lequel tu t’es blottie

Paris a disparu et son énorme flambée

Il n’y a plus que les cendres continues

La pluie qui tombe

La tourbe qui se gonfle

La Sibérie qui tourne

Les lourdes nappes de neige qui remontent

Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l’air bleui

Le train palpite au cœur des horizons plombés

Et ton chagrin ricane…

“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

Les inquiétudes

Oublie les inquiétudes

Toutes les gares lézardées obliques sur la route

Les fils télégraphiques auxquels elles pendent

Les poteaux grimaçants qui gesticulent et les étranglent

Le monde s’étire s’allonge et se retire comme un accordéon qu’une main sadique tourmente

Dans les déchirures du ciel, les locomotives en furie

S’enfuient

Et dans les trous,

Les roues vertigineuses les bouches les voix

Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses

Les démons sont déchaînés

Ferrailles

Tout est un faux accord

Le broun-roun-roun des roues

Chocs

Rebondissements

Nous sommes un orage sous le crâne d’un sourd…

“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

Mais oui, tu m’énerves, tu le sais bien, nous sommes bien loin

La folie surchauffée beugle dans la locomotive

La peste le choléra se lèvent comme des braises ardentes sur notre route

Nous disparaissons dans la guerre en plein dans un tunnel

La faim, la putain, se cramponne aux nuages en débandade

Et fiente des batailles en tas puants de morts

Fais comme elle, fais ton métier…

“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

Oui, nous le sommes, nous le sommes

Tous les boucs émissaires ont crevé dans ce désert

Entends les sonnailles de ce troupeau galeux

Tomsk Tchéliabinsk Kainsk Obi Taïchet Verkné Oudinsk Kourgane Samara Pensa-Touloune

La mort en Mandchourie

Est notre débarcadère est notre dernier repaire

Ce voyage est terrible

Hier matin

Ivan Oulitch avait les cheveux blancs

Et Kolia Nicolaï Ivanovitch se ronge les doigts depuis quinze jours…

Fais comme elles la Mort la Famine fais ton métier

Ça coûte cent sous, en transsibérien, ça coûte cent roubles

Enfièvre les banquettes et rougeoie sous la table

Le diable est au piano

Ses doigts noueux excitent toutes les femmes

La Nature

Les Gouges

Fais ton métier

Jusqu’à Kharbine…

“Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

Non mais… fiche-moi la paix… laisse-moi tranquille

Tu as les hanches angulaires

Ton ventre est aigre et tu as la chaude-pisse

C’est tout ce que Paris a mis dans ton giron

C’est aussi un peu d’âme… car tu es malheureuse

J’ai pitié j’ai pitié viens vers moi sur mon cœur

Les roues sont les moulins à vent du pays de Cocagne

Et les moulins à vent sont les béquilles qu’un mendiant fait tournoyer

Nous sommes les culs-de-jatte de l’espace

Nous roulons sur nos quatre plaies

On nous a rogné les ailes

Les ailes de nos sept péchés

Et tous les trains sont les bilboquets du diable

Basse-cour

Le monde moderne

La vitesse n’y peut mais

Le monde moderne

Les lointains sont par trop loin

Et au bout du voyage c’est terrible d’être un homme avec une femme…

“Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre?”

J’ai pitié j’ai pitié viens vers moi je vais te conter une histoire

Viens dans mon lit

Viens sur mon cœur

Je vais te conter une histoire…

Oh viens! Viens!

Aux Fidji règne l’éternel printemps

La paresse

L’amour pâme les couples dans l’herbe haute et la chaude syphilis rôde sous les bananiers

Viens dans les îles perdues du Pacifique!

Elles ont nom du Phénix, des Marquises

Bornéo et Java

Et Célèbes a la forme d’un chat.

Nous ne pouvons pas aller au Japon

Viens au Mexique!

Sur ses hauts plateaux les tulipiers fleurissent

Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil

On dirait la palette et les pinceaux d’un peintre

Des couleurs étourdissantes comme des gongs,

Rousseau y a été

Il y a ébloui sa vie

C’est le pays des oiseaux

L’oiseau du paradis, l’oiseau-lyre

Le toucan, l’oiseau moqueur

Et le colibri niche au cœur des lys noirs

Viens!

Nous nous aimerons dans les ruines majestueuses d’un temple aztèque

Tu seras mon idole

Une idole bariolée enfantine un peu laide et bizarrement étrange

Oh viens!

Si tu veux nous irons en aéroplane et nous survolerons le pays des mille lacs,

Les nuits y sont démesurément longues

L’ancêtre préhistorique aura peur de mon moteur

J’atterrirai

Et je construirai un hangar pour mon avion avec les os fossiles de mammouth

Le feu primitif réchauffera notre pauvre amour

Samowar

Et nous nous aimerons bien bourgeoisement près du pôle

Oh viens!

Jeanne Jeannette Ninette nini ninon nichon

Mimi mamour ma poupoule mon Pérou

Dodo dondon

Carotte ma crotte

Chouchou p’tit-cœur

Cocotte

Chérie p’tite chèvre

Mon p’tit-péché mignon

Concon

Coucou

Elle dort.

Elle dort

Et de toutes les heures du monde elle n’en a pas gobé une seule

Tous les visages entrevus dans les gares

Toutes les horloges

L’heure de Paris l’heure de Berlin l’heure de Saint-Pétersbourg et l’heure de toutes les gares

Et à Oufa, le visage ensanglanté du canonnier

Et le cadran bêtement lumineux de Grodno

Et l’avance perpétuelle du train

Tous les matins on met les montres à l’heure

Le train avance et le soleil retarde

Rien n’y fait, j’entends les cloches sonores

Le gros bourdon de Notre-Dame

La cloche aigrelette du Louvre qui sonna la Barthélemy

Les carillons rouillés de Bruges-la-Morte

Les sonneries électriques de la bibliothèque de New-York

Les campanes de Venise

Et les cloches de Moscou, l’horloge de la Porte-Rouge qui me comptait les heures quand j’étais dans un bureau

Et mes souvenirs

Le train tonne sur les plaques tournantes

Le train roule

Un gramophone grasseye une marche tzigane

Et le monde, comme l’horloge du quartier juif de Prague, tourne éperdument à rebours.

Effeuille la rose des vents

Voici que bruissent les orages déchaînés

Les trains roulent en tourbillon sur les réseaux enchevêtrés

Bilboquets diaboliques

Il y a des trains qui ne se rencontrent jamais

D’autres se perdent en route

Les chefs de gare jouent aux échecs

Tric-trac

Billard

Caramboles

Paraboles

La voie ferrée est une nouvelle géométrie

Syracuse

Archimède

Et les soldats qui l’égorgèrent

Et les galères

Et les vaisseaux

Et les engins prodigieux qu’il inventa

Et toutes les tueries

L’histoire antique

L’histoire moderne

Les tourbillons

Les naufrages

Même celui du Titanic que j’ai lu dans le journal

Autant d’images-associations que je ne peux pas développer dans mes vers

Car je suis encore fort mauvais poète

Car l’univers me déborde

Car j’ai négligé de m’assurer contre les accidents de chemin de fer

Car je ne sais pas aller jusqu’au bout

Et j’ai peur.

J’ai peur

Je ne sais pas aller jusqu’au bout

Comme mon ami Chagall je pourrais faire une série de tableaux déments

Mais je n’ai pas pris de notes en voyage

“Pardonnez-moi mon ignorance

“Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers”

Comme dit Guillaume Apollinaire

Tout ce qui concerne la guerre on peut le lire dans les Mémoires de Kouropatkine

Ou dans les journaux japonais qui sont aussi cruellement illustrés

À quoi bon me documenter

Je m’abandonne

Aux sursauts de ma mémoire…

À partir d’Irkoutsk le voyage devint beaucoup trop lent

Beaucoup trop long

Nous étions dans le premier train qui contournait le lac Baïkal

On avait orné la locomotive de drapeaux et de lampions

Et nous avions quitté la gare aux accents tristes de l’hymne au Tzar.

Si j’étais peintre je déverserais beaucoup de rouge, beaucoup de jaune sur la fin de ce voyage

Car je crois bien que nous étions tous un peu fous

Et qu’un délire immense ensanglantait les faces énervées de mes compagnons de voyage.

Comme nous approchions de la Mongolie

Qui ronflait comme un incendie

Le train avait ralenti son allure

Et je percevais dans le grincement perpétuel des roues

Les accents fous et les sanglots

D’une éternelle liturgie

J’ai vu

J’ai vu les trains silencieux les trains noirs qui revenaient de l’Extrême-Orient et qui passaient en fantômes

Et mon œil, comme le fanal d’arrière, court encore derrière ces trains

A Talga 100.000 blessés agonisaient faute de soins

J’ai visité les hôpitaux de Krasnoïarsk

Et à Khilok nous avons croisé un long convoi de soldats fous

J’ai vu, dans les lazarets, des plaies béantes, des blessures qui saignaient à pleines orgues

Et les membres amputés dansaient autour ou s’envolaient dans l’air rauque

L’incendie était sur toutes les faces, dans tous les cœurs

Des doigts idiots tambourinaient sur toutes les vitres

Et sous la pression de la peur, les regards crevaient comme des abcès

Dans toutes les gares on brûlait tous les wagons

Et j’ai vu

J’ai vu des trains de 60 locomotives qui s’enfuyaient à toute vapeur pourchassées par les horizons en rut et des bandes de corbeaux qui s’envolaient désespérément après

Disparaître

Dans la direction de Port-Arthur.

À Tchita nous eûmes quelques jours de répit

Arrêt de cinq jours vu l’encombrement de la voie

Nous le passâmes chez Monsieur Iankéléwitch qui voulait me donner sa fille unique en mariage

Puis le train repartit.

Maintenant c’était moi qui avais pris place au piano et j’avais mal aux dents

Je revois quand je veux cet intérieur si calme, le magasin du père et les yeux de la fille qui venait le soir dans mon lit

Moussorgsky

Et les lieder de Hugo Wolf

Et les sables du Gobi

Et à Khaïlar une caravane de chameaux blancs

Je crois bien que j’étais ivre durant plus de 500 kilomètres

Mais j’étais au piano et c’est tout ce que je vis

Quand on voyage on devrait fermer les yeux

Dormir

J’aurais tant voulu dormir

Je reconnais tous les pays les yeux fermés à leur odeur

Et je reconnais tous les trains au bruit qu’ils font

Les trains d’Europe sont à quatre temps tandis que ceux d’Asie sont à cinq ou sept temps

D’autres vont en sourdine, sont des berceuses

Et il y en a qui dans le bruit monotone des roues me rappelle la prose lourde de Maeterlinck

J’ai déchiffré tous les textes confus des roues et j’ai rassemblé les éléments épars d’une violente beauté

Que je possède

Et qui me force.

Tsitsika et Kharbine

Je ne vais pas plus loin

C’est la dernière station

Je débarquai à Kharbine comme on venait de mettre le feu aux bureaux de la Croix-Rouge.

Ô Paris

Grand foyer chaleureux avec les tisons entrecroisés de tes rues

Et tes vieilles maisons qui se penchent au-dessus et se réchauffent

Comme des aïeules

Et voici des affiches, du rouge du vert multicolore comme mon passé bref du jaune

Jaune la fière couleur des romans de la France à l’étranger.

J’aime me frotter dans les grandes villes aux autobus en marche

Ceux de la ligne Saint-Germain-Montmartre m’emportent à l’assaut de la Butte

Les moteurs beuglent comme les taureaux d’or

Les vaches du crépuscule broutent le Sacré-Cœur

Ô Paris

Gare centrale débarcadère des volontés carrefour des inquiétudes

Seuls les marchands de couleur ont encore un peu de lumière sur leur porte

La Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens m’a envoyé son prospectus

C’est la plus belle église du monde

J’ai des amis qui m’entourent comme des garde-fous

Ils ont peur quand je pars que je ne revienne plus

Toutes les femmes que j’ai rencontrées se dressent aux horizons

Avec les gestes piteux et les regards tristes des sémaphores sous la pluie

Bella, Agnès, Catherine et la mère de mon fils en Italie

Et celle, la mère de mon amour en Amérique

Il y a des cris de sirène qui me déchirent l’âme

Là-bas en Mandchourie un ventre tressaille encore comme dans un accouchement

Je voudrais

Je voudrais n’avoir jamais fait mes voyages

Ce soir un grand amour me tourmente

Et malgré moi je pense à la petite Jehanne de France.

C’est par un soir de tristesse que j’ai écrit ce poème en son honneur

Jeanne

La petite prostituée

Je suis triste je suis triste

J’irai au Lapin Agile me ressouvenir de ma jeunesse perdue

Et boire des petits verres

Puis je rentrerai seul

Paris

Ville de la Tour unique du grand Gibet et de la Roue.

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