Photographies © Sonia Marques

Journal d'une pie (extrait)

Ce matin il bruine. Puis peu à peu la pluie décida d'y aller plus franchement. Pas un seul oiseau, pas une âme au jardin. La voici qui arrive de bonne heure, elle n'est pas protégée. Je suis perchée sous l'auvent d'un monument historique, elle ne me voit pas. Je vole vers elle et agrippe son panier, quel courage, les jardiniers ne se sont pas levés. Elle trouve un chêne, pose son tapis et le plie en 4, au pied de l'arbre en pente. Il fait froid ce matin. Elle sort son café encore chaud dans son thermos et goulotte un petit peu, moi je crie comme un dératé. "Elle est là, elle est là", que je traduis pour elle, sinon c'est "Kia, kia, kia". Elle sort un peu de viande mais j'en prends un trop gros bout. J'ai les yeux plus gros que le ventre, je veux tout, tout de suite et dans le même temps, jouer, manger, tirer la mousse, voler, chanter, faire ma pie. Quelle excitation cette pluie ! Cela s'apaise, son compagnon arrive avec un grand truc, quelle terrifiante chose, il le pose, et j'alerte toutes les pies du quartier, à la grande surprise de ma tutrice. Je me positionne debout comme un militaire devant la chose inerte et longue, cette espèce de grand fusil noir qui pique, j'alerte toutes les pies. Elles arrivent, mais elles restent prostrées suspendues, au dessus des branches, plus expérimentées que moi. Je suis l'intrépide debout, ma voix porte loin, enfin, je suis la lanceuse d'alerte, je ne m'arrêterai pas tant que vous ne vous débarrassez pas de ce machin. Ils posent le parapluie derrière le chêne, il se trouve puni. Je suis si fière de moi, les pies sont venues voir mon barouf et ont aussi sonné l'alarme : "Tcha cha cha cha cha chak". Je suis de plus en plus intégrée dans un groupe, je tente plusieurs expérience, je motive les troupes, puis je chasse les prédateurs pour les aider. Ma tutrice m'aide pour mon intégration, elle envoie quelques victuailles aux envieuses, et ainsi je picore avec elles. Une femelle m'a repérée, elle vient se poser sur un arbre au-dessus de ma tutrice, puis, elle attend très patiemment. Parfois je ne suis pas là, qu'elle est déjà posée la première. Elle devient sa complice. Mais voici le mâle, quelle assurance, son bec est plus long, sa queue également, il bombe le torse, est très impatient, vient en retard juste pour piquer ce que la femelle a réussi à chiper par sa persévérance. Lui, il arrive en piqué et récolte la mise en un éclair. J'ai bien vu son cinéma. Alors je me suis mise à voler vers lui, tenter de lui tirer la queue. Il n'a pas apprécié du tout et m'a coursée. Puis il s'est posé en équilibre sur une canisse en bambou. J'avais eu l'opportunité de tester l'assise, ma tutrice quelques jours auparavant m'avait posé sur celle-ci, je n'y arrivais pas au début, puis je me suis tenue droite. Là devant le mâle, je lui montre que moi aussi, du haut de mes 2 mois, je triche un peu, je sais faire comme lui. Il pique la canisse comme s'il voulait la détruire, je me place juste à côté et je l'imite. Je suis si fière. Puis il s'envole et je le suis. Ce jour là, j'ai disparu un bon bout de temps. Puis un matin j'arrive avec la femelle pie, deux vols majestueux, je me pose sur l'épaule de ma tutrice comme si elle m’appartenait, la femelle pie se pose sur la branche en face d'elle. Le mâle n'est pas encore là, vite ouvre ta boîte à secrets ! Ne bouge pas, je reviens vite, reste avec mon amie la pie, je vais sécuriser le territoire. Un autre jour j'emmène ma tutrice dans un coin que j'ai découvert, exotique. Je lui montre où je planque mes trucs. Elle découvre une sorte d'insecte assez imposant, un papillon de nuit ou un autre insecte avec un corps assez long, il est mort, je le pique comme si j'allais en faire un barbecue, des brochettes, puis je joue avec un moment. Lorsqu'il a plu, c'est absolument divin. Tout me dynamise, je courre avec mes deux pattes comme à un mariage, celui de la terre qui révèle un nombre insoupçonné d'invités. Je pioche partout. Je reviens montrer mes trouvailles à ma tutrice, mais je perçois que nous ne sommes pas pareil. Quand est-ce qu'elle va piocher avec moi, avec son grand nez, ce n'est pas compliqué bon sang de bonsoir ! Nom d'une pie !

Que la vie est belle, les pattes dans la boue, je bois l'eau d'une flaque, tandis que tu vois l'incertain de ce temps brumeux, ton visage me défie de faire la pie. Tu es fatiguée, tu te souviens de tes jeunes années volées. Mon temps est juvénile, et, se conjugue avec ta longue espérance. J'invente des espaces illimités, tu ne les connais pas encore, je te démontre qu'ils existent. Mes petites griffes marquent tes bras, le chèvrefeuille parfume l'air silencieux, chaque goutte claque au hasard, une bulle transparente et minérale fond sur tes petits doigts de pieds. J'adore piocher mon bec sur le vernis pourpre de tes ongles. L'autre fois tes cheveux sentaient si bons, tu venais de les laver, je me suis installée comme dans un nid tout propre, et j'ai déposé une petite noisette pour parfaire ton soin nutritif. Le soir tu retrouvais aussi un petit bout de bois, c'était un présent que j'ai enchevêtré dans tes brins dorés, et, ta solitude s'est mise à rire, je l'ai entendue. Sur ma branche, la mienne, qui ne sait pas sourire, a pu fermer les yeux sereinement, le sais-tu ? Tout est vert sur les pierres, le rossignol attend sagement de te siffler sa mélodie espiègle et mélancolique. Cela dépendra de ton humeur. Mystérieux chemins abrités, tout est nappé d'or et d'odeurs précieuses, le temps s'écoule sans le compter, les petits génies préparent des coups fourrés. Tout est peuplé ! Ma demeure est baignée, je dois partir me sécher auprès des velours vert et vert, noir et jaune, tu ne sais où je vole, moi je sais où tu vas, tu vis, tu rêves. Tout s'en va et toi tu restes allongée sur l'été blond dans l'espoir que je revienne te voir.

À la tombée de la nuit, juste avant l'obscurité totale, lorsque l'horizon rose devient mauve, puis un bleu roi lorsque j'annonce qu'il est l'heure de dormir à tous, tu penses à moi. Tu serres une branche et tu fermes les yeux. Et tout va mieux.