. Un soupçon de citron


Toute pressée par ses idées, elle se demandait encore si la conjugaison au féminin n'allait pas les entacher d'un soupçon. Après mûre réflexion, et quelques pas lointains, dans une nature très proche d’elle, sans âme qui vive, autours d’un bassin sans fontaine, et sans eau, aride l’été, jaillie une décision. Elle se transforma en lapin. À quatre pattes, elle espérait ainsi se dédouaner du soupçon d'elle. Avec frénésie, il grattait le sol, là où il était apparu, tel un gros nouveau né, un bébé à poil d'un blanc cassé, comme celui qui s'étale en couche première pour la préparation d'une peinture, sur une toile bien tendue. Un trou, pensait-il, un trou, il faut faire son trou. Minuscule chose poilue, douce et crème, sur la terre grise obscure, sous des cieux cristallins d'un bleu roi tranchant, grands juges de l'évènement. Était-ce un signe d'allégresse ? De plaisir ? De jouissance ? Gratter la terre, sans que personne n'y attache aucune attention, sauf la lune, incandescente, la pleine qui attendait son entrée en scène, blanche impératrice. Ravissant lapin, tendre beauté, aptitude naturelle à émouvoir les plus vils instincts, il se sait, il se sent, il scintille de joie et de peur, il le sait, il le sent, il sautille satisfait de ses effets. Son apparence est trompeuse, son silence aussi. On pense qu'il se tait, qu'il se terre quelque part, forme parfaite du trou, forme du moule du terrier. Excité par sa lucidité, il bondit, armé de ses grosses pattes, il court, il court, à travers les champs, les oiseaux l'accompagnent de leurs encouragements sifflés en arpège, si élevés, éternisés en point d'orgue, qu'il semble ne jamais toucher le sol, éperdument amoureux de l'air libre. Il se pose, se lève alerte en suricate du désert, et se repose à ras la terre, parcourant et reniflant, le lapin hume toute créature minutieuse du sol et des traces laissées par quelques artifices, ou quelques miettes croquantes. Le lapin marque son territoire secrètement, il frotte son menton, l'air de rien, par-ci, par-là. Personne ne l'entend, c'est à pas feutrés qu'il avance, de petits bonds en sourdine, gentleman du cambriolage, à la recherche de l'ultime cachette. Il trouve un coin ombré, inaccessible au commun des mortels, commence à observer doucement le moment de s'assoupir, à accueillir la chaleur en lui, puis, les yeux mi-clos, baisse la garde, juste un tout petit peu, malicieux dans son cocon de soie. Il n'y a pas d'insouciance au pays des lapins, tout est soupçon autours. Le repos alterne, sommeil, regret, rêve, mouvement des oreilles, tremblement d'une patte, du museau, petit claquement des dents, une somnolence digne d'un copieux repas de fléoles des prés, rehaussé d'un soupçon de citron.


Photographies © Sonia Marques