Dessin à l'encre de Chine © Sonia Marques (Magic Ring - 2012)

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Ce n'est pas un poisson d'avril, il neige ;.)

Je regardais mes poissons, je les dessinais pour le projet conçu et réalisé en 2012, Magic Ring (l'Anneau Magique), dont le nom fut sorti du chapeau de recherches optimistes, depuis mon habitacle monacal limougeaud. Comment d'ailleurs s'est-il fleuri d'êtres exotiques aux formations dont j'étais issues, lettrées et artistiques, et des techniques, je passais dans le monde des bêtes, pour éviter la bêtise. Celui-ci, aujourd'hui, ce dessin à l'encre de Chine, mais plutôt l'encre achetée ici, noire, au pinceau d'ici, aux idées nouvelles d'ici, il me paraissait porter le flocon inattendu, d'un de ceux observés, si nombreux et tempétueux, virevoltant et provoquant la butée du mois d'avril, des pétales de sables, gris, flagellant les balcons, et donc, nos idées reçues. Les idées émanent toujours de recherches, parfois individuelles, parfois collectives, souvent de désaccords, de points de vues divergeant et se retrouvant sur une alliance, concertée et posée comme représentative d'un étonnement : cela ne nous appartient pas. Ici, elles étaient pensées par deux professeurs désaccordés cherchant accord, et artistes séparés chacun, chacune, en service dans une école supérieure d'art, qui se connaissaient bien, puisqu'ils avaient vécu ensemble et avaient déjà conduits plusieurs projets, qui fédéraient différentes personnes intéressées par des formes expérimentales artistiques, créées avec les outils dépendants de l'Internet, mais aussi, dans une indépendance de ces outils même et modes de communication. Aussi la fédération ne pouvait motiver que des personnes désintéressées par la visibilité, telle qu'elle se consomme dans ces écoles encore. Bien qu'une exposition (non visible) dans un Musée parisien de la photographie (beau paradoxe) fut une étape, pour qu'une conférence et une démonstration soient ouverts à un public averti des réalisations estudiantines, mais pas de prix, ni de médaille, ni de crédits supplémentaires dans les études (voir moins) ni la garantie de l'obtention de diplômes en échange de cette participation. Esquisser la disparition suggère de laisser place au sens, à l'analyse et aux réalisations techniques aussi, lorsque la poésie émet des tentatives, sans forcer la main, ni le cœur, ni l'opinion. Cela m'a souvent desservi, mais je l'assumais comme si je consolidais ce que l'enseignement m'avait apporté, dans mon parcours, et je l'ai vu, dans celui d'autres à la recherche d'être en apprentissage, pour ne garder que l'altruisme comme éthique, plutôt que sacrifices. Car, pour ma part, ce fut plutôt la garantie d'un discrédit supplémentaire dans mon enseignement, seul un article de presse élogieux, dont j'avais pris soin de ne pas valoriser mon nom, au profit des études, des étudiants, des artistes, fut crédité par l'école (la visibilité autorisée) Je pensais ainsi, que nous étions bien plus dans une communauté d'esprits, qui pense et comment elle s'autorisait à jouer et à inventer des idées créatives et des alliances fécondes. Ces jeux d'esprits intellectuels me permettent toujours, dans ma relation à l'autre, à un proche, à un professionnel, ou une, ou avec des plus jeunes en études, et de plus âgés, de faire évoluer nos manières de faire (puisque la technique est perfectible dans ces domaines et demande à être perfectionnée sans cesse) et ainsi d'imaginer, comment élaborer de nouvelles notions ou formes, certes, abstraites, qui peuvent se concrétiser et se trouver inspirantes et canalisatrices de progrès. Dans le cadre scolaire, d'études supérieures en art, les capacités intellectuelles des étudiants se trouvaient ainsi stimulées. Je mesure aujourd'hui, à quel point, ces dernières années, j'ai dû agencer mes capacités et compétences au service de données d'autres domaines, pas vraiment artistiques, mais tout aussi efficientes. J'ai ainsi compris que mes facultés pouvaient enrichir d'autres milieux, et que celles-ci, à leur tour, s'en trouvaient plus profondes et plus altruistes. Les écoles se sont trouvées prises dans un repli qui ne leur permettaient plus d'inventer et de stimuler l'esprit critique, de déplier, ni faire coexister les jeux intellectuels, l'humour, le silence, le retrait, la page blanche, l'hypothèse même de n'avoir aucune réponse toute faite. La pléthore des offres individualistes s’ingéniait à pressuriser et aggravait les excès et les violences, sans aucune volonté d'économiser les êtres, si ce n'est la planète, ou les données, dans des écoblanchiments visibles. La gravité avait figé toute possibilité de mettre en mouvement un plus large nombre d'étudiants et plus divers. La clôture avait refermé les portes des évolutions et des révolutions. Dans un cercle, comme un poisson dans son bocal, nous pouvions observer, avec distance, l'ennui, et la neurasthénie, symptômes des récitations et répétitions, de cet enfermement. La difficulté d'étudier et de participer à ces excès, afin de garantir les crédits alloués annuels, tandis que les étudiants s’appauvrissent et ne peuvent s'économiser pour leur avenir a manifestement réduit les effectifs, sans qu'aucune analyse démographique ne soit prise au sérieux, afin d'élaborer une veille précise sur les changements, ce que j'ai pu réaliser, sans marchander de visibilité. Il n'est plus question de genre ni de pouvoir, mais bien plus de discernement, car contrairement à ce qui est admis, l'espérance de vie se réduit, en tous cas, celle de bénéficier du temps, pour mieux la penser.

Sans mélancolie, je relisais mes notes sur l'anneau magic (Magic Ring) que j'avais co-écrit :


"L'anneau magique est un ensemble de sites Internet d'artistes liés les
uns aux autres sous la forme d'un anneau, de manière totalement décentrée
et transparente. Issu du Web des années 90, ce format appelé autrefois
Webring (« anneau du Web ») a été exhumé et repensé dans son mode de
navigation à l'occasion d'un projet de recherche mené en école d'art en
France et à l'étranger. Cette page est la seule trace visible de l'anneau
magique. Naviguer au sein de cette communauté requiert un geste magique :
tourner la souris dans le sens des aiguilles d'une montre pour afficher la
carte de l'anneau.

Dans l'imaginaire collectif l'anneau symbolise le lien et la communauté.
Il est le signe d'une alliance ; de deux êtres (la bague au doigt), de
familles conjuguées (les nœuds borroméens) ou de continents (les anneaux
des jeux olympiques). L'anneau réunit en même temps qu'il isole en
scellant une union, un emblème radial et radical. La force de l'anneau est
donc controversée, capable du meilleur et du pire. L'idée de communauté
traverse l'histoire d'Internet et porte en elle cette ambivalence en étant
associée à des projets pharaoniques et philanthropiques (le logiciel
libre) mais aussi au complot. Aujourd'hui, l'idée de communauté sur Internet est incarnée
par les réseaux sociaux. Ce n'est ni un rêve ni un cauchemar
mais un commerce qui transforme les liens hypertextes et les liens humains
en produits monnayables. À l'inverse de Facebook, Twitter et consorts qui
capitalisent les ressources des utilisateurs sans garantir de savoir les
préserver mais en se réservant le droit d'en garder une copie pour de
futurs investissements, l'anneau magique n'héberge rien, demeure invisible
et confie son destin au hasard."

L'Anneau Magique.
2012

Dix années plus tard, ce petit objet invisible, est une forme de pensée toujours d'actualité. Non visible, elle s'est émancipée du cadre scolaire, car non repérée, ni répertoriée. Les écoles d'art sont devenues des organismes de visibilité (non visibles pour tous) où l'enseignement, s'il y en a, dirige ses stratégies, car il y en a, vers la visibilité comme seule finalité, en échange de réalisations non rémunérées, quasi bénévoles. Cette marchandisation de la gratuité en échange de "visibilité" a favorisé la restriction d'accès à ces écoles et à la création hors de cette seule visibilité marchandée, et surtout une sorte de cordon sanitaire qui exclu toute critique de cette fermeture. En quelque sorte, Magic Ring optait pour l'ouverture et la poésie, la capacité d'imaginer, puisqu'il n'y avait pas de capitalisation de visibilité. Cette tentative même était l'échec annoncé de sa réussite dans de tels cadres de crédits de visibilités. Cet espèce de sable qui fuie des mains lorsque l'on tente de saisir les grains, fait l'épreuve du temps. On peut penser dans son coin, seul, avec ses acquis, mais l'altérité et l'interrogation de l'autre pensé (l'autre qui pense) favorise une sortie inattendue et conjure toute répétition, fatigue et risque de repli. Lorsque nous observons nombre de concepts ou réalisations, ou références similaires enseignées politisées qui répertorient les crédits en balisant le territoire et malgré la diversité des écoles d'art éparpillées, cette répétition vient valider et certifier des codes d'accès pour cette marchandisation de la visibilité (en échange du travail artistique gratuit) et, le plus souvent, à des visées d'électorats politiques. Ces petites jauges humaines, qui se renouvellent chaque année (calendrier scolaire) fabriquent des visuels, des formes, scandent des slogans, comme autant de petits outils, attendus par des candidats aux élections, utilisés car gratuits, à disposition et adaptés aux slogans du moment (interchangeables, et très rapidement recyclés) Ce code est duplicable, et seuls, les personnes disposant de réserve d'argent peuvent s'en servir, comme nous avons pu constater le développement de campagnes virtuelles à la carte bancaire et aux dons de données personnelles, sans qu'aucun esprit critique ne puisse élaborer le rapport sectaire qu'ils induisent. Les autres, exclus, ou ostracisés, investissent d'autres domaines, et pour les plus cultivés, désertent ces lieux privés, officiellement publiques (mais non accessible à tous, ni visibles pour tous). D'autres encore, qui n'ont pas les moyens financiers mais désireux d'accéder à ces lieux de commerce de la visibilité, s'obstinent et se radicalisent en tentant de marchander toujours une semi-visibilité, en échange de regroupements de frustrations et comptes d'épiciers, singeant des formes syndicales inefficaces pour ceux-ci, mais terriblement efficaces pour les candidats aux élections diverses, "chalengées " sur des calendriers annuels. Si la culture n'est plus l'apanage des lieux de culture, depuis qu'elle a formulé l’aveu de n'être pas essentielle et se réservait qu'à une élite qui optimise sa fiscalité au large des côtes, elle s'est largement transformée et n'est plus reconnue dans le costume habituel du capitalisme à la papa et ne se digère pas très bien, encore. Difficilement sondables, ces transformations culturelles sont passionnantes et ne peuvent s'analyser qu'à travers celles et ceux n'ayant plus accès aux lieux de culture, car faisant migrer les aspects cultivés, vers des milieux dépossédés.

Les flocons de neige, après la poussière jaune saharienne, déstabilisaient nos paysages et ces souhaits de toujours plus de pouvoir d'achat, une association de mots devenue irréelle, tant notre réalité nous pousse à plus de sobriété. J'écrivais sur la pauvreté d'esprit et cette malheureuse définition des pauvres qui enrichie les candidats prétendants nous gouverner, je crois, en septembre dernier, je prévoyais ces migrations de populations, les dépossédés, sachant que nous étions déjà traversés de nos origines migrantes. J'écrivais sur ce qui nous chauffera plus, ni ne nous éclairera. Est-ce que les chars virilistes et ces expressions guerrières sorties par échos, partout dans nos contrées, sont les scories de ces derniers éclats terrifiants avant la transition, afin que les populations puissent comprendre ce qu'elles ne veulent plus, ce qu'elles ne peuvent plus subir et comment s'organiseraient-elles, afin de renverser la vapeur, ces quelques puissants délirants nous imposant leur régression ? Comme ces flocons de neige complètement fous, ce jour, hilares et inquiétants, ils me projettent dans un temps reculé des estampes japonaises, dans lesquelles, un parapluie s'avère l'abri le plus poétique et nu, et nous invitant au plus humble sentiment, celui d'être un flocon parmi les autres flocons, contrarié, chagriné, heureux de voler et impuissant d'être voué à fondre comme neige sans soleil. Mouillés sans montrer nos têtes sur des affiches d'oiseaux-moqueurs imitant les autres oiseaux sans peine, et pourtant, les idées pleines, invisibles, le sourire intérieur et sondeur, celui qui traverse le temps sans frémir l'instant présent.