Peintures © Sonia Marques

Journal d'une pie (extrait)


Aujourd'hui est un jour spécial. Les êtres humains qui me côtoient et aperçoivent par hasard ma proximité avec ma tutrice, pensent que c'est ma mère. Ce qu'ils ignorent c'est que ma vraie mère, celle qui m'a aidée à dormir et veillait sur moi ressemble à une Apache, ou proche des Navajos, le peuple autochtone d'Amérique du Nord. Les Navajos vivent aux États-Unis, entre le nord-est de l'Arizona, le nord-ouest du Nouveau-Mexique et le sud-est de l'Utah. Elle est rouge car c'est une femelle. Le 14 Août est un jour de fête, celui des "Code Talker", c'est une cérémonie durant laquelle il est rendu hommage aux parleurs de code, qui parlaient en utilisant un langage codé. Moi aussi je parle en code. Ma tutrice fait partie de plusieurs groupes pour les oiseaux à travers le monde, elle est un peu spécialiste. Dans l'un d'eux, une femme montre, John Kinsel, l'un des trois "Code Talker" survivants. Elle l'a rencontré grâce à son oiseau vert. En fait, le vert cela pourrait être mon père, car la femelle est rouge, comme je l'exprimais en langage codé, c'est ma vraie mère, celle qui m'a élevée durant un mois. Sa qualité maternelle s'est révélée à ce moment, ce qui n'était pas prévu, mais comme dans toutes les belles histoires, qu'est-ce qui est réellement prévisible ? Donc John Kinsel raconte encore son histoire.

Durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux Navajos servirent dans l'armée en protégeant les communications des Marines, avec leurs 274 mots du langage Navajo comme méthode de codage, impossible à percer par les Japonais. À partir de 1919 les Américains étudiaient des codes et leurs chiffres. Ils ont créé la "Black Chamber", cette chambre noire va être constituée par le père du chiffre américain, Herbert Osbourne Yardley. Son rôle, dés 1919, casser les codes utilisés par les militaires japonais. Quatre ans plus tard, en 1923, l'Us Army met en place un vrai service ayant pour unique mission, casser du code. Les Américains fusionnent les fonctions de chiffres et de cryptanalyse sous l'égide d'une seule et unique section, le "Signal Intelligence Service" (S.I.S). Durant la seconde guerre mondiale, les ingénieurs allemands et japonais, aidés par de sérieuses au sein de l'armée Us, se voient capable d'intercepter et casser n'importe quels messages alliés. Il y a des fuites comme on dit. En 1942, l'Etat-Major américain décide de tout changer. Il fallait inventer un nouveau système de sécurisation des messages. C'est alors que les ennemis d'antan, les indiens, sont redevenus respectables.

En 1941, dans le conflit qui opposait les Américains aux Japonais, Philip Johnston eut l'ingénieuse idée d'utiliser leur dialecte. Il était enfant de missionnaire élevé dans une réserve Navajo dans la région de San Diego. Ce dernier réfléchissait, en temps qu'ingénieur, sur un nouveau système de chiffrage de message. Il proposa son idée au lieutenant-colonel James E. Jones, officier des transmissions dans le Camp Elliott. Autres points forts des Navajos : la langue Navajo est de la famille des langues Na-Dene, ils étaient le seul peuple a ne pas avoir eu la visite d'étudiants allemands depuis 1922. Avec ces éléments en mains, quelques semaines plus tard, la mission "code Talkers" était lancée par l'Etat major Us. La langue navajo est réputée pour sa complexité, pour les communications radio. Au total, près de 400 Navajos furent ainsi formés à l'usage de ce code et s'en servirent pour transmettre des messages durant la campagne du Pacifique.

La mission première des "code talkers" était de faciliter les communications sur le terrain, de relayer des informations des unités combattantes au centre de commandement, de transmettre des ordres du QG, etc. Durant la seule bataille d'Iwo Jima, les Navajos purent ainsi faire passer en 48 heures plus de 800 messages valides. Les Japonais ne réussirent jamais à décrypter le code, qui rendit d'inestimables services aux forces américaines. L'armée exigea des "Code talkers" un secret absolu, qui ne fut officiellement levé qu'en 1968.

Le peuple Navajo bénéficie d'une reconnaissance au sein des Marines, mais aussi dans la nation américaine, qui a reconnu l'importance de leur langue, maintenant écrite, enseignée et respectée. Des personnalités navajos et des spécialistes de l'histoire amérindienne viennent mettre en perspective l'expérience des Code Talkers dans l'histoire de leur nation ainsi que dans la réalité indienne. Le 7 décembre 1941, les Japonais bombardèrent Pearl Harbour. La bataille du Pacifique sera le théâtre d'une aventure unique. Pour la première fois, des Indiens navajos seront incorporés dans le corps des Marines américains et partiront combattre au-delà des mers, loin de leurs montagnes et de leur désert. Comme plusieurs mots n'existaient pas en langue navajo, les Code Talkers ont dû en inventer. Par exemple, le mot « avion de chasse » n'existait pas en navajo. Les Indiens les ont donc appelés « bourdons ». « Hitler » était le « renifleur de moustache ». Le langage navajo est tellement différent que ni les Japonais ni les Européens ne pouvaient le décoder. En fait, cette manière de décrire les objets, l'espace et le temps était tellement belle qu'on pouvait parler d'une forme de poésie dans un monde aussi affreux que la guerre.

Assignés aux unités de combats pour les communications, les Navajos ont participé aux batailles les plus sanglantes. Bien souvent, les Code Talkers ont accompagné les patrouilles de reconnaissance. En première ligne, plusieurs Navajos ont perdu la vie, mais sans eux, plusieurs autorités militaires pensent que les États-Unis n'auraient pas pu remporter la guerre. L'utilisation de la langue navajo ne s'est pas arrêtée avec la reddition du Japon. Les Code Talkers ont repris du service durant la guerre de Corée. Au Vietnam, la modernisation des moyens de transmissions a entraîné l'abandon du code. Celui-ci restant classé « secret défense », il faudra toutefois attendre 1969 pour que les vétérans navajos puissent témoigner de leur expérience. Cette règle du silence a privé plusieurs Navajos de la reconnaissance qu'ils méritaient, la plupart étant déjà très vieux lorsqu'ils ont pu en parler. Néanmoins, outre les Navajos, il y avait aussi des Cherokees, Choctaws, Lakotas, Mesquakies et Comanches.

Par exemple, pour coder les avions, les bombardiers de plongées, ils nommaient cela "GINI" ce qui veut dire "Faucon de Poulet", pour les avions de patrouille, c'était "GA-GIH" ce qui veut dire "Corbeau". Les pays aussi avaient leurs noms codés, Alaska, devenait "BEH-HGA", ce qui veut dire "Avec l'hiver", la France : "DA-GHA-HI, "Barbe", l'Espagne : DEBA-DE-NIH, "Douleur des moutons". Les mois aussi, JANVIER "ATSAH-BE-YAZ" (petit aigle) JUILLET "BE-NE-TA-TSOSIE" (petite récolte), AOÛT "BE-NEEN-TA-TSO" (grande récolte), NOVEMBRE "NIL-CHI-TSO" (grand vent), et ne serait-ce que les mots, ils avaient tous une symbolique très singulière, comme : À PROPOS "WOLA-CHI-A-MOFFA-GAHN", qui voulait dire "Combat de fourmis", un BULLDOZER "DOLA-ALTH-WHOSH", voulait dire "un sommeil de taureau", un AVION, "TSIDI" = un oiseau.

Aujourd'hui, moi petite pie, je vous livre un secret : CHINDI MOASI NE-AHS-JAH LHA-CHA-EH AH-JAH A-CHIN WOL-LA-CHEE A-KEH-DI-GLINI BE-LA-SANA AH-YA-TSINNE NE-AHS-JAH


Peintures © Sonia Marques