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jeudi 21 septembre 2023

ℒ℮ яøṧṧї❡ᾔøL



Journal d'une pie (extrait)


Il arrivait l'orangé, chanter devant elle. Souvent, il se posait sur différentes branches la regarder. Si elle ne le voyait pas, il se posait au sol, animant son petit buste rond couleur d'une belle orange, afin qu'elle le discerne sur les pétales brunes des feuilles au sol, ou parmi les plus vertes. Ainsi elle pouvait le voir, puis il se disposait très rapidement sur une branche face à elle. Très curieux d'elle et ses lectures, ses yeux ronds noirs l’observaient. Et comme cela ne lui suffisait pas, il sautait  de branches en branches, puis d'arbres en arbres situés près du sol, pour l'observer de différents points de vue, car elle était assise en train de lire. Ainsi, une nouvelle complicité s’installait au fil de ses venues, très silencieuses. L'oiseau minuscule n'avait pas encore dit un seul mot, tandis qu'elle en avalait de multiples, de ses lectures.
Puis, un jour, de ces jours plus tristes que les autres, où la solitude intérieure était plus intense et incommunicable à l'humain, il apparut devant elle sur une branche, d'un air plus léger que les autres. Il s'affichait ainsi : Le rossignol.
Elle venait de perdre son joyeux complice de tous les temps, son petit oiseau orange africain. Il était âgé mais toujours vif, voici qu'un rossignol, aussi orangé, vient lui offrir son plus beau chant.
Il commença, il déroula une mélodie très douce et fluide, il chantait pour elle. Elle n'en revenait pas, tout cela pour elle ? Elle savait que le rossignol annonçait notre venue, nous les pies. Mais là, elle avait un petit soliste pour elle toute seule, dans la fraîcheur d'une fin d'été, sans aucun autre spectateur, ni même aucun passant.
Il mis sa patte dans sa poche, ainsi disait-elle de ses amis les oiseaux, il s'installait donc, en confiance pour un petit bout de temps. Puis il émit des petits sons discontinus, si infimes qu'elle se demandait s'il était possible qu'un être humain puisse les entendre. Elle devait ainsi régler ses niveaux d'écoute, elle entendit qu'elle pouvait ainsi s'adapter aux sons différents et aux complaintes, les siennes, mais aussi la sollicitude des autres, de ce petit orange, un porte-parole de son oiseau africain.
L'ouïe développée, elle fermait les yeux, et le rossignol s'approcha d'elle sur la première branche. Elle le remerciât.
Il s'envola comme il était venu, une apparition  qui forme les doutes des matérialistes, cela n'existe pas disent-ils.
Tout récit des rossignols n'est qu'une affabulation de plus.
Pourtant, le rossignol chantait, pour elle.
Nous voici ensuite, parader auprès d'elle. Mon concurrent et copain devenu, le mâle pie, qui avait perdu ses plumes, en pleine mue, lui qui était devenu si laid, et faisait peur à tous, était devenu le prince de la forêt, la mue terminée. Elle avait accompagné sa mue en redoublant de victuailles nutritives. Il était luisant et noir, ses plumes chatoyantes.
Moi petite pie, à mon tour d'être en mue, je n'osais la voir, et passait furtivement, ma tête déplumée, montrait ma fragilité. Elle savait ce moment difficile et se montrait plus tendre à mon égard. Je l'écoutais et recevais ses paroles simples comme de petites étapes vers le nouveau costume le plus solide.
Elle me raconta qu'elle avait un nouvel ami, un rossignol. Nous le savions bien, viendront les mésanges bleues nouvelles naissances accompagnant ce rossignol, minuscules et ravies d'être assises à côte de lui, sur la même branche.
C'est un livre qu'elle a lu, il y a des années, "Menina e moça", portugais, il fut traduit sous différentes titres, "Le livre des solitudes", ou "Mémoire d'une jeune fille triste", de l'auteur mystérieux, Bernardim Ribeiro. Elle avait connu la traductrice française, et avait été invitée à la rencontrer, il y a vingt années déjà. Celle-ci avait été étonnée de la voir si jeune, alors qu'elles avaient communiqué par courrier électronique durant des mois sur ce sujet, et cet auteur. Elle avait été très déçue de cette surprise, et s'était exclamée qu'elle ne la pensait pas si jeune, et ne pouvait plus lui parler. Elle préférait continuer à fantasmer l’érudition dépourvue de beauté, de cette précarité dont font preuves les enfants sauvages, ces chatons sous les voitures, qui se nourrissent des restes de tables. Elle était flamboyante et mettait en valeur la pétrissure des âmes, des mots qu'elle inventait même pour son jeune âge. Son hardiesse et sa douceur furent insupportables, elle qui recevait tous les honneurs et les crédits de livres qu'elle n'avait jamais écrits, elle qui n'était ni auteure, ni écrivain, ni artiste, et qui venait de découvrir un lutin savant. Elle préférait que personne ne le sache, ce qu'elle avait vu devant ses yeux, personne ne devait jamais le voir, en tous cas, de son groupe qui l'honorait, il devait rester quelques privilégiés, avec une petite connaissance étoilée, sur laquelle, ils continueraient à graviter sans trop de mal, nourris et logés dans de bonnes enseignes. La traductrice avait eu la primeur de ses recherches sur les îles, la décrivant comme une île sans amour entourée d'amour. Le principe même d'une saudade incarnée. Si un être est baigné dans un océan d'amour, mais asséché de cet amour, alors, pensait-elle, c'est vraiment un écrivain, une solitaire solidaire des causes de l'écriture de l'âme.
Ma tutrice avait décontenancé une traductrice passionnée d'auteurs lusophones, elle faisait la rencontre d'une artiste qui écrivait. Elle était si persuadée d'avoir en communication une femme d'expérience et âgée, que sa jeunesse physique lui rendait impossible la continuité de leurs échanges érudits.
Elle se trouvait comme moi, la pie : Est-ce bien la vérité ? Oui c'est moi la pie, je ne demande pas à vous convaincre.
Quel âge a l'intelligence ? Aucun, car elle peut être aussi sotte et insolente qu'elle ne peut jamais être dépassée, c'est insupportable d'être en présence d'un animal qui sait déjà tout, et dont aucun enseignement n'arrangera le destin. Surtout lorsque cet animal fait l'idiot, ou la sourde oreille.
Le concert d'une forêt est indicible pour tout être humain, trop de sons s'y déroulent sans qu'il ne s'en aperçoive. Il ne sait jamais qui est le plus vieux, le plus jeune, tout se confond, et lui-même n'est capable que d'y répondre par le bruit, le plus sordide de ses gestes maladroits. La vue est un sens trompeur, riche d'illusions, les erreurs de jugement sont multiples et révélatrices des approximations, des discriminations, des ostracismes les plus inconcevables. Un groupe se fait relais de sa propre cruauté, afin de garder secret la primeur d'un faux-savoir sur lequel spéculer. Il faut pour cela désigner un coupable, et lui attribuer le rôle de la plainte et la tristesse éternelle. De ces visions, ils inventèrent le cinéma, riche d’interprétation de ces bribes de vues. Nous les pies, et autres oiseaux, nous sommes très éloignés du cinéma, et de ces fantasmes.

La délicatesse des esprits ailés est une aventure de l'érudition, implacable, revenir à l'ignorance peut-être insoutenable, comme la légèreté de l'être.

Le roman qui marquait ma tutrice évoquait un rossignol, ainsi fut-elle enchantée de voir ce rossignol, suite à sa saudade, lui chanter son allégresse. La beauté du style de ce roman, écrit autour de 1540, publié avant même d’être achevé, puis complété par une suite déroutante (dans l’édition d’Évora), intrigue et fascine ses lecteurs depuis bientôt cinq cents ans. Un éditeur le décrit ainsi : "Une jeune fille solitaire, entreprend de mettre dans un livre « les choses qu’elle a vues et entendues ». La narratrice prévoit que son récit restera inachevé et elle avance comme excuse la tristesse qui l’accable : le ton est donné, le livre sera triste. Il deviendra au fil du temps l’illustration emblématique de la saudade, ce sentiment caractéristique de l’âme portugaise. Les récits successifs aux registres différents font de cette œuvre l’amorce d’«un Décaméron sentimental ». Le Livre des nostalgies réunit des univers tels que les «chansons d’ami» médiévales, le roman chevaleresque (féminin) et le roman sentimental. Le choix d’une narratrice féminine lui donne par ailleurs une grande liberté pour adopter ce ton qui lui est propre, et qui a su charmer des générations de lecteurs. La contemplation rêveuse de la nature, la compassion devant toute souffrance, l’éveil du sentiment amoureux ou l’abandon à la passion, la conviction que le malheur est le lot de la destinée humaine, sont décrits avec une justesse et une délicatesse qui font de Bernardim Ribeiro un lointain précurseur des romantiques. La richesse de l’œuvre ne se limite pas là. On remarquera que la puissance d’émotion qu’elle diffuse n’empêche pas une critique subtile des valeurs chevaleresques, un rappel discret de la réalité de la vie pastorale, moins riante que ne l’idéalise une fiction aristocratique, une dénonciation plus ou moins voilée de l’hypocrisie sociale. Comme il y a cinq cents ans, le lecteur d’aujourd’hui devrait être séduit, voire envoûté par ce texte hors normes, encore marqué par le Moyen Âge et déjà ancré dans la Renaissance, qui se prête à diverses interprétations et renferme encore bien des mystères. La poésie en demeure intacte, tout comme la fascination qu’elle exerce."

Cette tristesse, ce sentiment de solitude suggère que dans le monde des humains, sur la terre ferme, on ne peut soutenir l'amour sans désamour. Dans le processus de cheminement intérieur de chaque être, cette intimité reliée à la terre, en rêvant le ciel, est un exil. Le charme de cet état d'être, est, pour le commun des mortels, crypté. Ainsi certains le trouvent ésotérique, étrange, mystérieux, ou écrit pour un public clandestin de juifs cultivés fraîchement convertis, et fidèles en secret à la tradition de leur peuple. L’avertissement de l'auteur est tout aussi digne d'une signe d'un trouble-fête : " S'il arrivait que ce livre tombe sous les yeux de gens heureux, qu'ils ne le lisent pas. "

Sous sa crypte, je l'écoutais me raconter ses aventures... nous nous installions sur les branches après le rossignol... Quelle chance inouïe avions-nous tous écopé, des mois de pénitences pour apprendre le jardin de la liberté.


Photographies © Sonia Marques

mardi 2 février 2021

$☮ℒℰЇḺ

— Tu étais petit, je me souviens, et moi pas beaucoup
plus grande que toi. Tu te souviens ? Quand tu partais avec
tes chèvres de bonne heure le matin ; nous, on regardait de
derrière les vitres. Nous autres, on regardait pieds nus et en
chemise ; et il y avait la grande blanche qui partait toujours
en avant, il y avait la petite noire qui ne voulait jamais
suivre, il y avait la mère Émonet qui était toujours en retard ;
alors tu te mettais en colère et tu soufflais de toutes tes
forces dans ton cornet.
— Je me souviens ; c’est pas si vieux.
— Eh bien, tu vas recommencer. Frotte-le avec de la
poudre blanche pour qu’il soit bien brillant quand le soleil
reviendra.
C’est un instrument de cuivre avec une embouchure de
corne noire ; lui, riait.
— Une bonne idée, disait Jean ; ça nous fera une promenade.
Et puis ça marquera mieux la différence, disait-il.
Parce qu’il y a ceux qui vivent dans les chambres et il y a
ceux qui vivent en plein air.



Extrait du chapitre 13 du livre :
Si le soleil ne revenait pas
de Ramuz Charles Ferdinand – 

Dans un hameau du valais suisse, adossé à la montagne, le soleil n’est pas directement visible, caché par les crêtes, d’octobre à avril. Cet hiver-là, Anzevui, le vieux guérisseur, un peu sorcier, consulte un vieux livre et annonce que le soleil s’éteindra au printemps. Il faut dire que des signes sont là, de la guerre d’Espagne à une météo exceptionnelle. La menace de mort qui plane dans la petite communauté va bouleverser le comportement de ses membres. Certains cèdent à la panique, d’autres font des réserves et les jeunes gens se moquent du vieillard. Seule, Isabelle va se dresser contre la fatalité.

*

Charles Ferdinand Ramuz est né en 1878 à Lausanne, en Suisse, de parents commerçants. Après des études de lettres à Lausanne, il part pour Paris, où il séjournera régulièrement jusqu’en 1914, tout en participant à la vie littéraire romande. En 1903 il publie Le petit village, un recueil de poèmes. Son premier roman, Aline (1905), est un succès. Suivront jusqu’en 1911 des romans centrés sur un personnage (dont Vie de Samuel Belet, Aimé Pache, peintre vaudois, Jean-Luc persécuté). En 1914, il revient vivre définitivement en Suisse. Il fonde les Cahiers vaudois avec Edmond Gilliard et Paul Budry. Avec La guerre dans le Haut-Pays (1915), Le règne de l’esprit malin (1917), La guérison des maladies (1917), il renonce au roman explicatif pour décrire des communautés aux prises avec les forces du mal, la guerre, la fin du monde. Il développe une nouvelle langue plus proche du langage parlé – au grand dam des puristes – abandonnant la narration linéaire et introduisant le « on » comme l’expression d’une collectivité. Les années d’après guerre sont marquées par les difficultés financières. En 1924, Ramuz signe un contrat chez l’éditeur Grasset. C’est entre 1926 et 1937 que paraissent les grands romans tels que La grande peur dans la montagne (1925-26), La beauté sur la terre (1927), Farinet (1932), Derborence (1934), Le garçon savoyard (1936), Si le soleil ne revenait pas (1937). Le Grand Prix Schiller lui est remis en 1936. Lorsque son ami et éditeur lausannois Henry-Louis Mermod lui propose la publication de ses œuvres complètes en 1940-41, Ramuz relit et corrige tous ses textes. Il décède en 1947 à Pully près de Lausanne.


*
Je découvre ce texte, des échos avec ce que nous vivons, espérer voir le soleil, mais savoir qu'il peut ne pas revenir, m'a semblé être une belle philosophie, pour revenir à des textes limpides, qui restituent la paroles des gens.
Ce texte est accessible à tous et visible par petits chapitres, en ligne. Ce sont les scènes du Golfe (Théâtres de Vannes et Arradon) qui ont mis en place ce mois-ci Un jour, un chapitre. Ghislaine Gouby, directrice de Scènes du Golfe en fait une présentation :




Et voici le chapitre 12 :