Peintures © Sonia Marques

Journal d'une pie (extrait)

Un jeune homme avec un masque, les cheveux libres et le t-shirt jaune s’accroupit vers moi, puis il tentait de m’attirer, il parlait doucement, je le reconnaissais. Je m'envolais vers ma tutrice installée sur son tapis magique avec son compagnon. Le jeune homme souhaita me suivre puis il posa une question à ma tutrice : "Vous la connaissez cette pie ?" Puis elle raconta mon histoire. Il lui dit : "Ravi d'avoir rencontré la maman pie". Puis il raconta notre histoire, lui et moi, nous nous connaissions un peu, il venait me voir et je communiquais avec lui. Je lui ai piqué l’œil, il a eu mal durant 15 jours. Il m'a dit que ce n'était pas grave mais qu'il a ainsi appris à se protéger. Je lui agrandissais le trou de son t-shirt pendant qu'il osa raconter cet accident à ma tutrice, elle fronça les sourcils, je sentais qu'elle était en colère après moi. Mes deux amies pies se sont mises à gazouiller et raconter un tas de trucs. Le jeune homme raconta un peu sa vie avec les animaux, comment il a récupéré un pigeon blessé, comment il a tant bien que mal redéposer une corneille tombée du nid, sur une branche près des parents, comment il a pris un tube pour emmener la souris de son appartement dans un bosquet dehors, comment milles aventures, il tentait de pousser un peu les êtres sans les brusquer pour leurs redonner un peu d'élan. Il était comme ces êtres qu'il observait dans la détresse. Sensible à ma petite vie de pie et l’accompagnement dont je bénéficiais, il racontait à ma tutrice à quel point j'étais une petite célébrité dans ces parages. À présent ils savent chacun, chacune un peu plus mon histoire, sur le tapis de ma tutrice, les langues se délient, la vie des uns et des unes et des autres arrive, seulement par l'expérience de l'autre, les êtres humains nomment cela l’altérité. La chose étrange et suspecte que je suis, pour les plus attentifs et sensibles, est un petit miracle dans leur quotidien et éveille leur âme d'enfant, de sauveur, de joueur, de joueuse. Je ne suis qu'un être qui virevolte d'un être humain à un autre à un arbre, à un mur, je plane entre toutes ces choses, obstacles de ma route, je fais un peu le tri. Celui là oui, celui là non. Parfois un homme en costume passe le midi et me montre du doigt et tente de m'attirer comme si j'étais un animal idiot. Je ne bouge pas, au sol, sur ce sable d'été, et je le regarde. D'un coup, devant les autres, il se trouve très con. Il se relève et repart comme s'il n'avait rien fait, ni de bruits incongrus, ni de gestes grotesques, il reprend sa marche, et moi, je marche comme si cet homme était bien un idiot. Et c’est ainsi que je fais rire mon monde. À l'heure du déjeuner, celles et ceux qui travaillent viennent avec leur barquette et grignotent, c'est le meilleur moment pour titiller l'âme humaine. L'autre jour j'ai vu mon copain le petit chien blanc, il est tout fou lorsqu'il me voit. Nous jouons devant les yeux ébahis des touristes qui s'arrêtent. Ils n'en croient pas leurs yeux. Je saute sur le chien, il se cache derrière les jambes, aboie, tourne autours de tous, je vole au dessus, je crie comme un petit dessin animé, je le provoque, je saute à travers des bassins d'eau, il ne peut me suivre, je le ferai presque tomber dans l'eau, puis je reviens, à 2 pattes et lui à 4 pattes, on courre partout, sa maîtresse est admirative, elle sait nos jeux, elle a emmené une petite caméra. Mes ailes me servent à sautiller à m'élancer très haut, je suis très expressif, comme une marionnette animée d'une folle envie de crier ma joie, je suis si sérieuse, avec mon bec, pourtant j'exprime une gaité monstrueuse et tapageuse. Je sais que ma tutrice s'inquiétait mais comment ne peut-on pas être entrainé par ma force communicative, les gens sont dans leur train-train, souvent assez tristement, ils marchent comme s'il allaient à l'échafaud. J'arrive comme un pépin, une pépite qui n'existe pas, ils doivent se pincer plusieurs fois, ils sont sidérés. J'ai mes humeurs. Je boude aussi. Mais depuis que j'ai mes copines les pies, je passe des journées extraordinaires. Il faut dire que ma tutrice y met du cœur à créer du lien et m’intégrer avec les autres. Une bonne ressource humaine. Un jour je suis arrivée en retard, et les 2 autres pies s'étaient déjà bien installées avec ma tutrice et elles lui parlaient, une, le mâle qui faisait très peur est devenu tout choubidou, il lui pique ses doigts de pieds, comme je faisais. Je suis jaloux comme tout ! Il me copie. Il tente de la séduire, il prend des morceaux de bois et les déplacent, lui qui ne faisait jamais cela. Il gazouille auprès d'elle, il secoue le tapis. C'est pas possible. Alors il est devenu de plus en plus proche. Nous sommes un groupe de 3 à 4 pies. ma tutrice souhaitait faire ce travail pour moi, mais voilà que c'est elle qui est intégrée au monde des pies. Mais ce n'est pas tout. Voici qu'un groupe de merlettes se met à la suivre, et se cache près d'elle, attentives toutes. Elles si craintives, elles viennent comme des amies. C'est un drôle de paysage. Nous disparaissons d'un coup s'il y  a des prédateurs, des êtres humains malintentionnés ou des bêtes agressives. Ainsi, seuls les délicats peuvent être témoins d'un spectacle paisible d'amitié entre elle et nous.
Un soir au crépuscule je m’appétais à dormir. Ma tutrice me cherchait et j'étais sur le sac ouvert d'une femme qui pleurait. Ma tutrice me demandait de partir, mais je lui disais de mieux regarder cette femme. Elle était de dos avec sa petite robe d'été, bronzée, menue mais elle se cachait le visage. Et elle avait plein de petits bagages, comme si toute sa vie tenait dans tous ces petits effets alignés. Moi je sautais carrément dans son sac. Ma tutrice lui demanda si elle avait besoin d'aide. Elle lui a dit qu'elle voulait juste se changer. Ma tutrice comprit qu'elle venait d'être mise dehors ou qu'elle s'était elle-même sauvée. C'était une femme assez sûre d'elle mais complètement à plat. "Vous avez besoin d'aide ?" Reposa ma tutrice. Elle se cachait le visage. Elle lui dit qu'il y avait un couvent qui accueillait les personnes, ou femmes esseulées. Elle lui dit qu'elle en venait, mais qu'ils étaient complets, mais qu'elle voulait juste se changer. Sa petite robe d'été rose, la nuit tombait, ma tutrice comprenait là, qu'elle devait s'habiller pour la nuit. Alors elle m'ordonna de sortir de son sac afin de la laisser loin des regards se changer. Elle avait du mal à me faire partir, je suis si curieuse, tout m'intéressait. Puis je décidais, que si cette femme était seule, cette nuit, je lui tiendrais compagnie. Je montais sur une branche au-dessus d'elle et j'attendrais. Je savais que ma tutrice ne partirait pas de suite. Afin d'apaiser, maintenir le lien. Elle aperçu un homme au loin, il titubait un peu et il avait une bouteille d'alcool. Il cherchait quelque chose. Ma tutrice comprit de suite. La femme était dans l'ombre d'un arbre, il repartit. Puis la nuit tombée, j'étais au-dessus d'elle, je veillais sur elle. L'homme revient, puis il aperçu ma tutrice, il cacha sa bouteille derrière le dos et alla trouver la femme, et lui proposa de la suivre, car sa voiture était garée plus loin mais devant ma tutrice il se montrait plus gracieux. Elle refusa, fermement, il repartit.
Cette nuit elle est restée là. Avec moi.
Il faisait doux, une nuit d'été.
Le lendemain plus rien.
Ma tutrice n'est pas venue, sachant que nous étions en communion.
Un autre jour se lève, tout est différent, les gens aussi. Ce ne sont jamais les mêmes.
L'été se terminera, je ne ressemble plus au petit d'avant, je suis de plus en plus fort, mes yeux bleus deviennent noirs, je suis un peu plus vorace, je me débrouille bien. Parfois ma tutrice est mélancolique. Elle me dit que lorsque l'on aime une personne, quand on tombe amoureux, on aimerait montrer à la personne que l'on aime des tas de paysages magnifiques que l'on a connu, ou que l'on aimerait voir, avec l'être aimé. Elle me dit que l'on ressent l'envie de montrer les plus belles choses à l'autre, que cet autre soit aussi heureux qu'elle ne le fut en découvrant milles merveilles. Elle me dit qu'elle sait que je ne pourrai jamais voir les paysages qu'elle connait. Mais qu'elle aimerait me voir dedans, voir mes réactions, sautillant et découvrant la mer, les vagues, le sable, les palmiers. Tout ce qui rend la vie mortelle, lorsque la beauté resplendit, les immensités des horizons lointains, les yeux désireux de ces vues des mondes inouïs, des bonheurs inégalés, tout devient ultime, le silence aspire l'incroyable et fait naître les plus profondes paix pour en révéler les plus hauts espoirs. Ces paysages où devenir naufragés c'est revenir d'où l'on vient, sans pouvoir deviner quels sont les fruits de tous ces arbres, les couchers de soleil et les nuits étoilées.
Je luis dis que je ne sais absolument pas de quoi elle parle, donc ce n'est pas grave. Cela ne me parle pas du tout. Chaque jour est un émerveillement pour moi. Alors elle me dit qu'elle pourrait me décrire les paysages, comme des cartes postales comme si elle aussi était en voyage. Je vois bien que c'est elle qui manque de vacances, mais elle m'assure que me côtoyer ce sont des vacances inoubliables. Bien mieux que des cartes postales. Et puis, elle a une idée. Elle s'en va travailler un peu. C'est une artiste, et elle revient me montrer ses paysages. Mais elle ne voulait pas qu'ils soient trop précis. Elle les représentait comme des rêves un peu flous, afin que je rêve aussi avec elle.
Elle m'offrait ses rêves de voyages, tels qu'elle les peignait.
Je ne voyais que des tâches colorées disposées de différentes manières. Pour moi, rien ne ressemble à la nature ni aux paysages que je vois ou tels que je les vis. Mais j'ai ainsi compris comment les êtres humains rêvaient et créaient des images.
La nuit je vois ses peintures.
Toutes ces couleurs.
Je vole dedans.


















Peintures © Sonia Marques