Photographies © Sonia Marques

Journal d'une pie (extrait)

Je découvrais un nouveau jardin. Il y avait une petite touffe évasée, ses fleurs étoilée sont d'une teinte rose vif, et d'autres à côté, virent au brun puis au pourpre. Les fleurs sont nommées, Orpin. La plante soigne les aphtes, le traitement des brûlures, et prévient des hémorragies. C'est une plante grasse de longues tiges charnues aux feuilles larges et épaisses de couleur vert jade à vert d'eau. Les jardiniers ont bien travaillé. J'ai vu des fleurs de Vénus, des Verbena, on les nomme aussi Verveine de Buenos-Aires. Elle sont de la famille des verveines utilisées en huiles essentielles, depuis l'Antiquité elles ont des vertus miraculeuses. Elles s'apparentent à la myrte, ma tutrice apprécie beaucoup son odeur. Roses, elles s'élancent depuis une tige qui les déploie bien ordonnées. Je vais me ressourcer aux origines de toute vraie vie. Ma tutrice suit mes aventures, excentrée d'elle-même, elle s'ouvre à la joie d'une communion, à la rencontre de ma particularité et de cet environnement que j'explore. Elle va vers l'autre, elle comprend, elle nomme les présences qui nous entoure, puisqu'elle m'a apprivoisée. Cela ne se voit pas dans le jardin, bien que j'ai une tendance à voler vers elle, ou dévoiler notre complicité en me posant sur son épaule. Elle tente d'éviter ce signalement, il y a des envieux et des incultes. Elle esquisse ses connaissances vers celles et ceux qui sont à l'écoute, par pédagogie et paisibles initiations. Les dépassements sont nombreux et ne s'évitent pas lui soufflais-je, sur ses cheveux. Les ressources créatrices sont plus fortes, tandis que l'égo tant à racornir tout sur lui-même, je suis un messager qui témoigne de son extériorité. En racornissant tout à lui-même l'égo se ferme de toute possibilité d'enrichissement, il s'entoure de préjugés et opprime sa beauté, elle lui reste méconnue. Je vole vers l'autre, je propose une forme philosophique, c'est comme un geste et une parole sans aucun mot, le fil de l'amour, si tu le vois ?
La naissance d'une personne peut advenir en se ressourçant de l’amour aux origines de toute vraie vie. Dans un élan mystique je dévoile un paysage, ma trajectoire est inattendue pour l'être humain : je vole.
Ce n'est pas nouveau, l'être humain envie cette faculté, celle de voler. De l'envie à la jalousie, se cache une peur, il se sent en insécurité, il ressent une perte de territoire, une peur de l'abandon, une peur d'être trompé, un manque de confiance en lui, il en résulte une rivalité constante et permanente avec les autres. J'ai rencontré une petite fille accompagnée par sa grand-mère, elle n'avait que 4 ans et demi, mais elle était très grande, et elle souhaitait m’attraper. Elle attira sa grand mère dans un recoin, ma tutrice se reposait et découvrit ce petit bout de femme vêtu de rose et qui se nommait Rose. La petite approcha sa main très doucement de mon dos, puis je me dérobais assez rapidement. Sa grand mère se présenta à ma tutrice, elles échangèrent, mais moi, j'avais cette petite aux yeux de mygales noires et sa langue qui s'activait sur ses lèvres, elle se léchait les babines et disait tout fort : "Je l'ai presque touchée" Ma tutrice trouva qu'elle était en avance pour son âge, en général, les enfants qui m'approchent et engagent un questionnement avec ma tutrice sont les plus précoces. La petite nous raconta son quotidien, sa grand mère était très sympathique, elle lui a dit : "Tu t'en souviendras longtemps de ce moment exceptionnel". Petite pie, j'ai compris que je pouvais devenir un sujet, parfois un objet de désir. Les sentiments terrestres me sont étrangers. Lorsque je joue avec mon amie l'autre pie, je lui attrape la queue. Tout simplement car les êtres humains malintentionnés ont tenté de me tirer la queue. J'ai commencé à imiter ce trait d'esprit avec d'autres pies, avec lesquelles j'estimais que je pouvais avoir un ascendant. C'était me tromper, chez les pies, on ne tire pas la queue.

Le soleil se lève, il fait encore frais, je vaque à mes occupations et elles sont multiples. Ma découverte du nouveau jardin, avec des arbres et buissons différents, des fleurs et des légumes, c'est très bien rangé. Il y a plusieurs autres pies aguerries, elles savent où se nourrir. Je n'ai pas eu de parents pour m'apprendre, je suis dans une imitation approximative. Je passe beaucoup de temps à cacher de menues choses que j'estime importantes à mes yeux, mais elles ne s'avèrent pas nourrissantes. Je sais que ma tutrice veille au grain, elle connait l’imprégnation et les conséquences, j'ai pour l'instant une attitude mi-imprégnée par l'être humain, mi-sauvage, j'aime bien avoir ce truc en plus. Je ne sais pas assez que notre complicité, avec ma tutrice fait des envieux. Nous avons eu une désagréable expérience. De jeunes enfants d'êtres humains qui s'ennuyaient âgés d'une dizaine d'années ou une quinzaine, sont venus nous harceler sur plusieurs jours. Ils voulaient me toucher et ont insulté ma tutrice et son compagnon. Ils m'ont protégé. Ils pensaient que ce serait d'autres oiseaux, ou les chats qui seraient mes principaux prédateurs, mais ce sont bien les êtres humains, en particuliers les adolescents. Ils sont peu éduqués et indifférents aux animaux, aux choses de la nature. Et, ils sont très envieux de cette filiation entre un être humain et un animal, que celui-ci soit dans la nature. Ils pensent d'un coup que je pourrai leurs appartenir. Ils sont aussi jaloux de l'amour qui co-existe. Dans ce pays, la violence est encouragée, partout. Elle est montrée comme modèle d'émancipation, de protestation, de manifestation, d'existence. Dans ma réalité, ce sont nos jardins qui sont piétinés, les arbres coupés, les êtres humains ne nous voient pas, ils nous insultent souvent et nous méprisent.

Spectateurs du secret, lorsque l'amour vers une autre espèce nous apprend sur tout un monde invisible, nous demeurons pour les autres, non initiés, des sortes d'espions secrets, des ennemis, et nous pouvons devenir des bouc émissaires d'ignorants.
Un jour j'ai vu des amoureux allongés, un jeune homme et une jeune femme. Petite pie, je pensais que tous les amoureux sont des êtres très sympathiques, qui jouent et donnent de la nourriture adaptée. Ils mangeaient des frites, la jeune femme avait un briquet et pour me repousser, elle l'a allumé sur mes ailes, cela m'a fait très peur. Heureusement ma tutrice a vu cet incident de loin et est venue réaliser un peu de pédagogie. Ils ont compris, mais moi j'ai compris qu'il y avait des êtres humains différents. Au début, je pensais qu'ils devaient être tous comme ma tutrice, j'allais vers eux avec tout mon enthousiasme, mon petit cœur porté par ses ailes si fragiles. Les êtres humains manquent beaucoup de culture. Il y a peu d'enseignant engagés dans les écoles pour sensibiliser les jeunes et les moins jeunes. Cette jeune femme avait plus de 20 ans. Ma tutrice sait que dans ce pays, on supprime les enseignants, on fait de même, avec un briquet, on pense les éloigner. Ici, les écoles sont brûlées. Les employeurs maintiennent les enseignants dans une précarité extrême, et leurs enlèvent le sel de leur vie, tout leur parcours, leur savoir, et les laissent sans emploi. Ils ne veulent plus que les enseignants évoluent, leur situation de vie est contrainte par de nombreuses règles communautaires qui les empêchent de s'épanouir. Souvent, sans qu'ils ne s'en aperçoivent, c'est entre mêmes enseignants que les contraintes se créent, au fur et à mesure, ils s'isolent de leur famille, de leur histoire, ils deviennent marginaux. Ma tutrice rencontre des sans domiciles fixes, le pas dans la vie cachée dans la nature est rapide, entre la vie d'avant et la vie à se cacher pour dormir. Il n'y a pas de solidarité. Sont poussés vers les marges de la société humaine, des êtres sensibles et cultivés. Pourtant leur savoir ne peut faire face à leur détresse. Rien ne sert de savoir lorsque tout nous repousse, lorsque la nature humaine devient repoussante. Nous les pies nous côtoyons tous ces êtres, certains attendent que les jardins se vident afin de s'installer la nuit venue et déguerpir au petit matin, je me lève avec eux, dès notre réveil, ils savent qu'ils doivent partir, reprendre leur sac, et passer leur journée à faire semblant, de lire sur un banc publique, de tenir encore debout. Mais moi je vois leur barbe grandir, ils étaient habillés à la mode de tous ces jeunes, ils ne parlent plus, ils dorment comme s'ils se préparaient à mourir en silence. Puis, ils hurlent comme des fauves. Cachés, les touristes pensent que ce sont des animaux derrière un mur. Ils sont aussi savants que nous, dans le camouflage, car nous le savons tous, les oiseaux se cachent pour mourir.

Je ne connaissais rien à ces pratiques très répandues de groupe, ces méthodes de harcèlement qui s’acquièrent très tôt à l'école. Ma tutrice a étayé une pensée philosophique sur ce phénomène, elle s'applique, mais cela ne sert à rien. Elle est sérieuse, j'espère lui faire découvrir cet autre monde, celui de la confiance. Les êtres humains sont lâches ensemble. Ils sont solidaires uniquement dans cette faculté de trouver une personne sur qui se défouler ensemble. Parfois ils disent que les pies sont des nuisibles. Ils ont répertorié notre famille d'oiseau comme une race qu'il faut éliminer. Même si les études ont évolué, certains ont gardé cette idée que nous volons leurs récoles et leur bijoux. Petite pie j'ai vécu le harcèlement mais contrairement aux êtres humains, cela ne me touche pas, d'ailleurs je ne comprends rien aux insultes. Le danger est au sol, le danger est partout, dans les branches, le jour et la nuit. La liberté aussi, est à chaque instant, le choix doit se faire en un éclair. Le savoir, dans ce pays est devenu une cible, il est attaqué. La connaissance se cache, au grand désespoir des êtres humains sensibles.

J'ai rencontré plusieurs autres êtres humains très gentils, et aussi des experts, une soigneuse qui m'avait remarquée et voulait me capturer pour réaliser ses expériences. Heureusement que ma tutrice était là. Elle lui a raconté mon histoire. La soigneuse était jeune et encore en stage et elle m'avait repérée, elle trouvait que j'étais une pie atypique, mais elle ne savait pas que j'étais en phase de réintégration. Elle était vêtue d'une robe blanche décolletée, et avait une multitude de tatouages partout, sur ses jambes, ses bras, et un petit sac en toile. Elle correspondait avec ses amis à l'aide d'un casque sur ses oreilles et se photographiait sans arrêt avec son téléphone, son visage en faisant des moues. Lorsqu'elle a vu ma tutrice elle s'est présentée comme une soigneuse, c'était plutôt l'inverse que j'ai vu. Elle était prête à me désintégrer, m'emmener en observation, car elle pensait que j'étais seule et isolée, et que je devais être malade quelque part. Je devais avoir des problèmes de santé, et comme elle venait d'apprendre qu'elle pouvait capturer pour soigner, ainsi se donnait-elle le pouvoir d'être soigneuse. Ma tutrice est bien plus âgée, elle a deux fois son âge et elle est très calme. Elle me dit qu'elle a connu aussi cela, en tant qu'être humain. Une femme qui se dotait d'un pouvoir qu'elle n'avait pas a voulu l'emmener voir un médecin pour que le médecin réalise qu'elle avait un problème pour être aussi atypique. Le médecin fut très embarrassé, car elle a vu que ma tutrice était douée, et intelligente et très gentille, mais harcelée au travail. Elle me fait comprendre que cela arrive chez les êtres humains de se sentir avoir un pouvoir sur l'autre. Elle me dit qu'en période de guerre, les méchants font cela, ils envoient des êtres humains être fichés chez des médecins ou à la police. Moi petite pie, j'ai pensé que ce monde s'ennuyait et ne savait pas grand chose. La soigneuse s'est aperçue à temps de l'erreur qu'elle allait faire. Moi j'étais très sympa, j'allais la voir, elle mangeait des poireaux, mais je n'aime pas ça. Ainsi ma tutrice a eu le contact d'une association qui sauve des oiseaux dans le Limousin, c'est exactement ce qu'elle a fait avec moi. Ils ont un nombre important cette année de choucas tombés du nid et de martinets. Ma tutrice trouve les martinets très beaux. Apus, apus, ils peuvent rester en vol durant des mois, sans se se poser, leurs pattes sont atrophiés, ils ont des vols incroyables, et ce sont les plus rapides, parfois 200km/heure. Ils sont confondus avec les hirondelles. Mais leur grosse tête est engoncée, leurs yeux si expressifs. Elle voyait un petit verdier se faufiler dans les branchages, d'un vert si vif, qu'elle ne le voyait que par intermittence, camouflé dans ces feuillage vert. C'est la soigneuse qui lui a dit le nom potentiel de cet oiseau. J'étais contente de les voir échanger, elles ont des connaissances différentes. La plus jeune, c'est par la théorie, ma tutrice c'est l'expérience du terrain et de la vie quotidienne avec des oiseaux, elle est artiste. La soigneuse lui révéla qu'avant son stage, elle n'avait jamais porté aucune attention aux oiseaux. Elle ne les distinguait pas et n'y attachait aucune importance. Son association recherchait des bénévoles, elle a dû apprendre très vite, depuis, elle fait très attention, cela a valorisé aussi son saut dans la vie active, il y a un sens dans sa vie professionnelle. C'est un très beau métier que celui de soigner des oiseaux et un beau métier jardinier. Ma tutrice rencontre des gens très riches, et différents que l'on ne distingue pas, et qui sont dans le lien à la nature.

Ma tutrice me dit que je suis la plus belle chose qui lui soit arrivé depuis des années. Moi je lui dis que sans elle je n'aurai pas pu vivre tout cela.

J'ai connu la pluie, la tempête, une chaleur étouffante, la raréfaction de l'eau, des comportement agressifs, des attentions particulières, des vols de nourritures par mes copines les pies, des courses poursuites, écureuil, hérisson, il y a eu une chatte qui a eu plein de petits chatons, j'ai vu tant de glands tomber, de fleurs pousser, de nuages, de cris diverses et variés de tant d'animaux, des langues étrangères humaines, je suis fatiguée tous les jours, et je suis vive de plus belle. Son compagnon me fabrique des jeux, il a plein d'idées très rapidement, ils les mets a exécution, sur le champs, j'aime cela, car je suis dans le même élan, enthousiaste et sans préjugé, il agence des fagots, des sortes d'avions de glands délicats. Au début il était venu confiant avec ses instruments de musique, mais je suis une pie. Puis un jour il est venu avec une boule rouge un peu molle, d'un rouge très vif, grosse comme une balle de ping-pong. Il était malin en me la présentant, mais ni une ni deux, je lui ai piqué la balle et suis partie avec le nez rouge du clown à travers champs. C'était incroyable. Je me signalais partout avec cette balle au bout du bec, puis je l'ai cachée avec préciosité dans un feuillage. Voici ma sagacité, qu'on se le dise, je suis une pie effrontée. 

Je suis un presque rien, je suis presque tout.

L'été s'éternisait ces dernières années, cet été, les journées ne se ressemblent pas, peut-être suis-je devenue la tutrice de ma tutrice ? Elle disait en souriant que le nom qu'elle pensait m'attribuer était une thérapie (Téra-pie). Ça c'est bien une mauvaise idée, son compagnon au moins, me nomme pimousse.

Pidoudou, pidoux.

Je reste "La pie", pour elle, je l'ai rencontrée sur des tapis. La pie des tapis.

À chaque instant, elle pense aux tapis volants avec moi. Lorsqu'elle était petite comme une pie, elle se transportait dans les contes fantastiques, où il y avait des tapis volants, persants. La lévitation n'est pas une mythologie pour elle. Le jardin est un espace sacré, depuis elle m’accueille sur un rectangle de tissus, comme si je venais dans un lieu qui comprenait le monde entier. Il faut imaginer un décor, une fontaine, une corne d'abondance, des invités, une vue sur le ciel. Il y a sur ce bout de tissus, qui est un tapis, le jardin du monde, parfait dans un calme absolu. Sur un tapis volant, la mobilité à travers le monde et l'espace, est une métaphore d'une partie du tout.

Tout est possible, tout est magique.

Et puis, il se replie, il disparait.

Et moi je m'envole comme si je n'avais jamais existé, comme si j'étais juste un rêve.

Un songe. Lorsque je reviens, la magie opère comme une apparition divine, et lorsque je ne suis plus là, j'arrive à maintenir l'espoir que je suis quelque part, ou ailleurs.

Au dessus de tout. Un esprit sain.