Alice (en tchèque : Něco z Alenky, littéralement Quelque chose d'Alice) est le premier long métrage de l'artiste multiforme tchèque Jan Švankmajer, de 1987 réalisé à partir de l’œuvre de Lewis Carroll.

Fabuleuse découverte, il y a quelques années de découvrir ce film, et tous les autres de cet artiste tchèque. Il y a quelque chose d'inoubliable, lié aussi aux sons étranges, aux précipitations, je me souviens d'un aller-retour entre le muet (le mutisme) et les cris, les bruits des articulations, les gesticulations, et toutes les formes de liquides gustatifs, et les dérèglements notoires de l'histoire d'Alice. Lorsque les marionnettes continuent de bouger, et que le son disparait, on ne peut que contextualiser ce film avec l'histoire de l'artiste pris dans la dictature communiste de 1968 à 1989. Il subit, comme de nombreux artistes une censure, cette sorte de langue coupée, qui est imagée dans ce film d'animation. Il y a aussi dans ses fictions une mise en scène de traumatismes. Beaucoup de ses scénarios ne voient pas le jour et un grand nombre de ses films sont censurés dès leur sortie. Il lui est d'ailleurs interdit de filmer durant 7 ans. La censure communiste a aussi influencé le travail de Jan Švankmajer d'un point de vue formel et thématique : l'animation et le théâtre de marionnettes subissaient moins le joug de la censure que la fiction réaliste.
Jan Švankmajer se tenait à distance de la dissidence et aussi du régime, cette position fut théorisée comme la « double isolation ».
En 1970, il rejoint avec sa conjointe Eva Švankmajerovà, artiste et écrivaine, le groupe surréaliste de Prague. Le surréalisme tchèque se caractérise par ses positions politiques de gauche anti-dogmatiques. Il a été banni dès 1948, suite au putsch communiste, en raison de la publication en 1938 d’un texte de Karel Teige paru dans Surrealismus proti proudu (Surréalisme contre le courant) dans lequel il compare les dictateurs stalinistes aux fascistes. Pour Švankmajer, le surréalisme représente bien davantage une position rebelle anti-totalitaire qu’un courant esthétique.

 Jan Švankmajer explique : « Je n'ai pas vraiment souffert d'être empêché de faire des films pendant sept ans ; je continuais mon travail de plasticien. Je ne suis pas un cinéaste. »

Quelque chose d'Alice fut tourné dans ce contexte historique. À la fin des années 80, la République Tchèque était encore sous le joug d'une dictature communiste qui contrôlait la culture et le cinéma, et n'autorisait que les films de propagande ou pour enfants. Anti-communiste, Jan Švankmajer refusait de se plier à la propagande mais pour voir ses films distribués, il était obligé de se tourner vers les œuvres enfantines. La liberté prise, dans ce film, et même par rapport à l’œuvre de Lewis Carroll, a été possible par le soutien de producteurs étrangers. Sont exprimés les rêves, l’inconscient, le jeu avec les cadres et normes et morales, tout se décale et s'invente dans des bribes de souvenirs d'enfance, où le mélange est possible, de matières, d'organiques, de végétaux, d'objets du quotidien, dans une vétusté très créative, onirique. Ses techniques sont aussi extrêmement variées et font appel aux 5 sens, c'est sensoriel, c'est tactile, et cela touche à ce qui loge dans le secret de notre intimité.

« Mes expérimentations tactiles ont commencé un peu par dépit. Mon premier objet tactile a pris forme peu après que j’ai dû cesser de travailler à mon film Le Château d’Otrante (1973-1979). J’ai fini par refuser de refaire une scène pour obéir aux ordres de la direction de Krátky Film. Comme ce n’était pas ma première confrontation avec la censure consécutive à l’occupation soviétique, j’en suis venu à conclure que je ne pourrais effectivement plus réaliser mes propres films. Cette situation a duré sept longues années, durant lesquelles je me suis consacré à l’étude approfondie du toucher en relation avec l’imagination. Je me suis orienté vers un domaine de création qu’on pourrait presque considérer comme l’extrême opposé du film audiovisuel. Sans cette interdiction, les expérimentations décrites dans ce livre n’auraient probablement jamais eu lieu : voilà pour l’idée selon laquelle les systèmes totalitaires et la censure exerceraient un frein sur la création originale. C’est, en un sens, exactement le contraire. Les difficultés à surmonter et les interdictions à contourner donnent un coup de fouet à la méfiance et à la subversion, ressorts inhérents à toute création digne de ce nom. »