Photographies © Sonia Marques

Mon orchidée zébrée rose aux cœurs jaunes se porte bien cet hiver, de quoi offrir une note particulière aux froids. Elle se trouve lire une édition de belle facture, celle de Phaidon, qui rassemble des recettes de cuisine portugaise. La couverture est particulière, une surface en relief, pour simuler les carreaux de céramiques. L'approche du chef cuisinier Leandro Carreira est de contextualiser ses recettes régionales et typiques, dont je reconnais les préparations et m'évoque des souvenirs localisés, affectueux ou d'une inquiétante étrangeté, dans sa familiarité (comme dirait Freud), tout en découvrant d'autres recettes traditionnelles, inconnues. Sa recherche, de deux années et demi, fut un défi, lui-même n'étant pas écrivain, comme il le dit si simplement, afin de récolter toutes ces pièces tel un puzzle, en fédérant sa famille, ses amis. Officiellement le plus vieil État-nation d'Europe, le Portugal a rapporté toute une variété de produits, au fil de ses explorations et de son expansion : pommes de terre et sucre venus des Amériques ou épices d'Indes... Pendant la grande partie de son histoire, le Portugal, nous décrit le chef cuisinier, a été un pays pauvre ayant peu accès aux ingrédients raffinés. La population se nourrissait d'aliments rejetés par la monarchie et les élites : pain rassis, mauvais vin, parures, légumes et abats d'animaux. Mais, de ces obstacles, l’ingéniosité ne pouvait que fleurir et certain de ses plats traditionnels, comme l'Açorda (une soupe de pains) ou le Sarrabulho (ragoût d'abats de porc) témoignent de cette tradition profondément ancrée. Le pays adopta très tôt, par nécessité, une alimentation fondée sur l’anti-gaspillage.

Riches d'exemples, l'histoire décrite, par région, en passant par le commencement de l'Ibérie, du postulat du livre "Le radeau de pierre" écrit en 1986 par José Saramango, où il y a ce phénomène géologique étrange, celui du flottement du Portugal, à la dérive dans l'océan Atlantique. Toutes les questions de division ibérique (l'Espagne et le Portugal, intimement liés et divisés) forment ses tribus, aux régimes alimentaires similaires, depuis les phéniciens et les Grecs, ces marins qui atteignaient la péninsule ibérique, il y a 3000 années. Puis les Romains (blé, vin, huile d'olive), puis les Maures (riz, canne à sucre, amandes, caroube, fleur d'oranger, artichauts, épinards, asperges, céleris, lupins, aubergines, cumin, poivre, clous de girofles, gingembre...), les Juifs (semoule, beignets de légumes, ragoût de viande, pois chiche, feuilles de chou verts) sans oublier ce que les portugais importaient du Japon (tempura, poissons salé, oléagineux enrobés de sucre...) Le pays, depuis la Rome aux 7 collines de la capitale Lisboète, nommée par Jules César Félicitas Julia Olisipo, outres les grandes découvertes, son identité est soumise aux différents épisodes d'assimilation et acculturations, d'intégration et d'exclusion. Ce qui donne cette particularité aussi universelle que nationale, dans sa cuisine, transmise de générations en générations. Sa richesse et sa diversité sont le fruit d'un équilibre entre divers modes de vie, fermiers, pêcheurs, monastiques et aristocratiques, d'influences d’origines de terres lointaines.

Il me sera difficile de concocter certains mets, dans ce livre, bien que recréer, par ces recettes, les plats, comme le caldo verde, ou ceux de viandes, seront des défis, dans ma petite cuisine de fortune. Parcourir ce livre permet ainsi, aux ibériques (comme moi) de se souvenir des plats et étranges traditions, si différentes de celles du pays où l'on vit, ici, en France, où les méconnaissances perdurent de ces riches cultures. C'était pourtant la saison culturelle entre la France et le Portugal, préparée entre 2020 et 2022. Elle devait souligner la proximité et l’amitié qui lient les deux pays, incarnées notamment par la présence en France d’une très importante communauté luso-descendante, et au Portugal d’un nombre croissant d’expatriés français, deux communautés dynamiques, mobiles et actives, qui constituent un lien humain et culturel exceptionnel entre les deux pays. Je suis luso-descendante, artiste et professeure en école d'art nationale, et j'observe, que dans mon pays, en France, nous pouvons encore subir de mauvais traitements et de l'exclusion, en raison de nos origines. Nous avons tous le souhait qu'il en soit autrement, avec nos apports intellectuels et artistiques, et malgré la générosité, les gestes, la bienveillance, les parcours inédits et dont l'intégration est remarquable. Mais la réalité est là, et nous ne pouvons la dénier, ni détourner le regard de ce que, nos aînés, nos camarades, nos amis, et ceux qui ne sont ni nos amis, ni ne font partie de nos connaissances, subissent de mauvaises rumeurs, à l'égard des luso-descendants, par ignorance, plus que par racisme, osons-nous l'espérer, et par élégance, en éludant soigneusement les pires affres. Il y a une large part de méconnaissances, dont je qualifierai plus, une forme de restriction de l'intelligence (celle de l'adaptation et du sensible). Elle empêche donc, de penser, de façon plus ouverte, et d’accueillir un peu plus de l'universel dans le local. Si à mon âge avancé, et dans ma profession, j'ai encore dû subir des violences liés à mon nom de famille, celui de mes parents, de mes ressources, ce n'est nullement dû à mon mode de vie pauvre, c'est dû à cette ignorance, l'idée que le mode de vie pauvre est significatif de pauvreté culturelle, hors, dans mon cas précis, c'est une grande richesse, et seule la médiocrité veut l'ignorer, la désintégrer du corps social, oublier le parcours, les formations, l'intelligence et les enseignements, la transmission des savoir faire. Comme la cuisine, le don d’ingéniosité s'instigue dans l'apprentissage de l'anti-gaspillage, d'énergie, de matériaux, d'effort aussi (ne pas se disperser inutilement) et ce don est l'apanage des modes de vie pauvre, d'une richesse humaine et d'expériences assez rares et précieuses.

Merci et que l'hiver nous réchauffe un peu, toutes ces recettes sont économiques et douces, mais je ne garantie pas de réussir à tous les coups. Je vais devoir me réconcilier avec certains goûts, où, enfant je maugréais sur les soupes aux choux, fraîchement confectionnées par ma mère, des légumes du jardins, en pêchant soigneusement, les petits insectes, qui nageaient, pour les disposer de côté de mon assiette, et en espérant ne pas être démasquée de toute cette micro-collection, digne des petits artistes en herbe. Mais j'étais démasquée, évidemment, devant la précision de mon activité, il ne manquait que la nomenclature de la collection : mes petits nageurs choux. Lorsque l'on est petit, les détails nous apparaissent plus importants. Artiste, j'ai gardé quasiment toute la définition des détails de mon enfance. Ils sont toujours aussi importants et confèrent à la grande histoire commune, un ciselage, qui frise avec la dentelière.

Noël c'est celui de l'enfance, du réconfort, de festivités après des semaines de restrictions, d'ascèse, mais c'est surtout une fête des esseulés, une communion des personnes isolées, et de leurs enfants.


Présentation du livre :

Avec une cuisine variée à l’histoire passionnante, le Portugal est une destination de choix pour tous les amoureux de gastronomie. Portugal : Le Livre de cuisine rassemble des recettes venues de toutes les régions du pays, des plats à base de poissons et de fruits de mer de l’Algarve aux ragoûts réconfortants de la vallée du Douro en passant par les célèbres pâtisseries lisboètes. Chef réputé, Leandro Carreira a réuni plus de 550 recettes traditionnelles faciles à reproduire à la maison et qui reflètent toute l’ampleur et la diversité de la cuisine portugaise, un pays dont l’influence gastronomique s’est répandue bien au-delà de ses frontières.