bat.png

Forêt noire


Avoir l'air étrangère, tel fut mon lot, mais au milieu d'étrangers.
Une petite carte de la taille des cartes bancaires,
Jésus, j'ai confiance en toi.
Chez un droguiste avec une main en résine, un bras,
un auriculaire, de l'autre main, coupé.
Un petit pierrot de cire qui vient de Sicile.
Le chemin est long, des jambes pendent en haut du tunnel,
le garçon noir sous sa capuche laisse baguenauder ses pieds par-dessus bord.

Au bout du tunnel, des jambes pendent, sans que l'on sache pourquoi,
ni où est le corps, ni à qui est le corps.
Si le bras est en moins, le petit doigt aussi, s'il manque un corps,
la bougie du pierrot blanc est une lumière toujours en devenir.
Marcher sous la chape de plomb, avec lui, il est ma paix, mon départ,
mon glaive et ma dignité.
Ils ont souhaité le conflit, partout la violence, les chars Wagner.
Je plaidais de ne rien faire, quand la guerre fleurit.

Nous arrivons en Écosse, le lac est gris d'un pétrole gelé.
L'hiver nous a déshabillé, les arbres n'ont que des tiges à offrir,
et le ciel tombe sur les gueux.
Incompris et jetés à la case départ, le jeu n'en vaut plus la chandelle.
Détachés, revoir le début, rebute, au loin les cris et les lettres mortes.
Combien d'années ? Autant de toiles d'araignées,
dans les recoins du triangle isocèle.
Et ce couple qui s'ensorcelle, les enfants pieds et poings liés,
le père ignore et trompe.

S'asseoir dans la forêt noire, la voix cassée,
alors que l'aube n'est point levée.
Aux lumières des épiphanies, voir l'impardonnable au goûter.
Du fond des ténèbres, Dieu veut savourer l'amer, il regarde le mal transpirer.
Autant d'années de tromperies, de fausses rumeurs,
d’usurpations d'identité, de manigances infâmes,
tu vois, il voit, nous voyons, Dieu nous voit.
Bas les masques !
Il est la vase croupie, elle est aigrie,
ils sont damnés dans leur bain de fausseté.
Il dédaignent leur souffrance et aspirent devenir aussi extrêmes, les pendus de Tulle,
déjà ils enfantent leurs drames.
Prendre le bien d'autrui, le parcours et l'expérience,
se véhiculer de toc et d'intox, l'enclume des temps maudis.
Âmes défuntes, cendres folies.

Où est la délivrance ? Là face à l'impensable, réunis autours d'un hasard,
suivant la carte du bateleur à l'endroit,
sur notre table.

C'est elle l'artiste le costume bariolé, elle brille et,
est enthousiaste.
À son souvenir, son énergie, sa motivation, elle a fait ce que,
je suis devenu.
J'ai pris sa place, je l'ai usurpée, j'ai pris une femme et lui ai demandé
de me donner deux enfants,
afin de prendre toute la place,
j'ai demandé un véhicule, j'ai demandé Venise,
j'ai fait l'aumône auprès d'une ogresse, j'ai tout obtenu et me voici devant l'artiste,
la papesse à qui j'ai tout pris.

J'ai menti à tout le monde, misérable mendiant, priez pour moi.

Tu n'es point pêcheur, je suis un poisson.
Tu es le poison, je sais le temps long.

Elle a l'air étrangère et je suis son étranger.
Elle a une baguette, elle a un pouvoir.
C'est l'enseignante des bâtons.
Elle tient un soleil, un rond jaune, elle s'amuse de ses reflets.
Sa personnalité revêt de multiples facettes, elle est si habile.
Tant d'années, elle est restée l'enfant, je suis le vieillard et ma femme me mange tout,
mes enfants me tuent au labeur.
Je ne sais plus rien de ces logiciels, les algorithmes me remplacent.
Sa table se dresse devant moi, émeraude et pourpre, tant d'étoiles qui brillent,
elle a toutes les cartes en mains pour réussir son plan.
Je m'en vais au vent mauvais, vers un mauve qui fait mentir le violet.
Loin de la menthe et des sapins verts.

La mise en mouvement est imminente.

Rien ne se fait sans un peu d'enthousiasme.

La famille rampe dans le minuscule carrosse de métal,
enfourne les enfants qui veulent tout prendre,
encore et encore.
Ils s'en vont dans le tourbillon des charognes, noués en pensant devoir renier leur choix.
Dévorés des yeux par les lions, la queue basse ils ramassent leur infortune,
le lierre enserré dans leur cœur.
Lâches comme au premier jour, le désamour les unis,
les enfants les abrutissent.

Nous rentrons par les montagnes, le souffle plus fort, devant cette pente,
ce vide.
Marcher encore, puisque l'or est dans nos bottes.
Passés de l'autre côté du miroir, le lac de pétrole,
Dieu comment as-tu fait ?
Sans révolte comment as-tu distillé le jus de ta bonté.
Patience éternelle, à qui sait attendre, prends pitié de nous,
tourmentés et inconsolés.
Assoiffés, voici les chutes du Niagara, malades, voici les élixirs de vie.

Nous descendons plus bas,
le soir s'empare de notre histoire.
Demain il faudra peindre le jour,
des rayures d'amour, rouge et orangés,
des nappes bleues et dorées.
Nous frapperons fort, la terre va brûler, le ciel sera incendié,
tout sera plus fidèle à toi,
notre chaleur insondable,
notre fièvre indomptable,
notre passion irisera toutes les prostrations.

Debout les diamants, les exercices spirituels armés de désirs.

Nous voici ardents des printemps.

+


Design & poem © Sonia Marques