NI PENA NI MIEDO >Géoglyphe réalisé en 1993, œuvre du poète chilien Raúl Zurita.
Villes proches: Grand La Serena, Mendoza (ville), Valparaíso / Coordonnées : 24°2'49"S 70°26'43"W

A environ soixante kilomètres au sud d’Antofagasta le dernier vers de La vie nouvelle du poète chilien Raúl Zurita fut tracé par des engins lourds sur plus de trois kilomètres, de sorte qu’il n’est visible entièrement que depuis le ciel.

Estas asombrosas fantasías se volvieron realidad cuando en 1993 el propio artista llevó a cabo una acción artística consistente en plasmar la frase “ni pena ni miedo” con una excavadora en un remoto lugar del desierto de Atacama ubicado 57 km al sur de la ciudad de Antofagasta. El resultado es un espectacular geoglifo que por su enorme extensión (3.154 metros de largo, 400 metros de ancho y 2 metros de profundidad) inicialmente sólo podía ser leído sobrevolando la zona con una avioneta, aunque hoy en día, con Google Earth o Google Maps este macro mensaje puede ser leído por millones de personas en todo el mundo.
La imagen aérea de esta obra supuso un intento de sobrepasar el concepto tradicional de literatura, acercándose al de arte total y sirvió para cerrar su libro de poemas La Vida Nueva, publicado en 1993, que cerraba una trilogía comenzada en 1979 con Purgatorio. En palabras del poeta: 

“…mi poesía va desde una mejilla quemada hasta el verso escrito para siempre en el desierto, “ni pena ni miedo”…con él cerré La Vida Nueva en 1993. No he sido en ese sentido, un poeta espontáneo. He vivido más de veinte años obsesionado con una idea: el vislumbre de la felicidad. Todo lo que he hecho tiene que ver con eso, con la fuerza y la vida (y la derrota).”

Artísticamente se trata de una de las intervenciones de land-art más impactantes de cuantas se han realizado en América Latina. A la contundencia de la intervención se une la potencia de lo enunciado, como si fuera un intento de exorcizar lo peor o incluso de invocar un arte en el que lo catártico no fuera decisivo. Sin embargo, la inquietud, el temor o lo siniestro, esto es, lo familiar e inhóspito no cesan de acechar a la actividad creativa. 

  "En un mundo donde lo más presente es la pena y el miedo, esa frase creo, es el único deseo vigente. En todo caso es increíble, el desierto donde está escrita se encargó de borrar todas las palabras salvo la palabra miedo. Es para mí demasiado elocuente."

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Imaginaire, femmes, Kaweskar, baskets, passage 2015-2016 (photographies © Sonia Marques)

« Nosotros escribimos para gentes sencillas, que […] muchas veces no saben leer. Sin embargo, sobre la tierra, antes de la escritura y de la imprenta, existió la poesía. Por eso sabemos que la poesía es como el pan, y debe compartirse por todos, los letrados y los campesinos, por toda nuestra vasta, increíble, extraordinaria familia de pueblos »

Nous écrivons pour des gens modestes qui […] souvent, ne savent pas lire. Cependant, sur la terre, avant l’écriture et l’imprimerie, la poésie a existé. C’est pourquoi nous savons que la poésie est comme le pain, et doit se partager entre tous, les lettrés et les paysans, entre toute notre vaste, incroyable, extraordinaire famille de peuples.
Pablo Neruda

« La poesía es el arte más frágil porque depende de las palabras y las palabras naufragan en este universo ruidoso. Pero al mismo tiempo es probablemente el arte más poderoso, porque lo único que hace es recoger la profunda nostalgia de la conversación, de la comunicación que se pierde»

La poésie est l’art le plus fragile car il dépend des mots et les mots font naufrage dans cet univers bruyant. Mais en même temps c’est probablement l’art le plus puissant, car la seule chose qu’il fait est de recueillir la profonde nostalgie de la conversation, de la communication qui se perd.
Raúl Zurita

En découvrant le film Le Bouton de nacre (El botón de nácar) documentaire écrit et réalisé par le chilien Patricio Guzmán, sorti en 2015 et les photographies de l'anthropologue allemand Martin Gusinde, de ses voyages  en Terre de Feu entre 1918 et 1924, l'histoire du Chili, la vision du poète chilien Raúl Zurita, je pensais à mon film vidéo et mon histoire Hansel que j'ai réalisé entre 2010 et 2013. Je décris un moment d'exil et de déplacement et des conditions de survies.
Dans un article destiné à
Patricio Guzmán, il est fait allusion à l'exil, cet arrachement brutal à soi-même, cette lancinante souffrance de ne plus pouvoir habiter le monde auquel on était destiné, cette habitude à prendre de vivre perpétuellement ailleurs que chez soi, qui dévoile une face solaire : la mise à distance du nationalisme, la découverte du monde et de soi-même comme altérité, la célébration plurivoque et universelle de la vie.

L'eau de source est mémoire de vie, nous décrit Patricio Guzmán, une histoire à la Chris Marker. Beaucoup d'informations nous arrivent dans ce film, comme archive ou histoire dans l'histoire. Claudio Mercado nous fait écouter le chant de l'eau par sa voix, le processus d'extermination sur 150 ans au Chili nous est expliqué par images, avec le fil conducteur du  bouton de nacre de Jemmy Button (1815-1864), la colonisation pour l'élevage, la déportation, l'expropriation, l'élimination, l'internement (Île Dawson), la déculturation, les missions salésiennes de Terre de Feu... Le philosophe Gabriel Salazar évoque le bref moment de la réappropriation par le pays, le Chili de ses origines indigènes sous la présidence de Salvador Allende (1970-73) puis le camp de concentration sur l'île Dawson : disparitions, torture, élimination au rail, vols de la mort, une guerre sale... Avec cet espoir imaginé, des cosmogonies autochtones, celui de renaître dans les étoiles...

Ma vision, dans Hansel, est aussi celle de l'imaginaire comme nourriture, et mes articles précédents en élaborent des chemins différents. Mais elle est celle d'un monde contemporain baigné d'images. Je me suis interrogée sur la poésie, elle est un moyen d'expression, dans mon travail artistique, qui irrigue d'autres moyens d'expressions (écritures, vidéos, dessins, sons, costumes...) La poésie m'a sauvée et je me suis souvent demandée dans des systèmes d'oppressions, comme nous en connaissons tant, pourquoi les habitants de ces systèmes n'en parlaient pas ensemble, comme pendant les dictatures. Pourquoi, la langue, les mots ne venaient pas. Lorsque j'ai commencé à écrire, c'était il y a longtemps, c'était sous forme poétique, car la forme apprise ne me permettait pas d'exprimer mes sentiments, plus librement. J'ai remarqué que ce que je ressentais et exprimais dans mes poésies, pouvaient refléter ce que d'autres ressentaient, sans pouvoir le ressentir. Je donnais des mots à des personnes qui n'exprimaient pas leurs sentiments, ne pouvaient pas le faire, ou avaient oublié de ressentir, bien qu'ils aient au préalable, sentis les choses, les évènements. Je ne savais pas, que d'autres se projetteraient dans mes poèmes, comme si je les avais écrit pour eux, comme des costumes sur mesure. Ainsi j'ai mieux compris ce qu'était la poésie, et ce, pourquoi, dans un couple, des familles, des communautés, des groupes, des villes, des pays, à des moments, des périodes, dans des écoles, des hôpitaux, des entreprises, des prisons, quand la pression, l'oppression sont moteurs, j'ai compris pourquoi personne ne parlait de ce qu'il ce passait, de ce que chacun vivait. Car, il y a peu de poètes, et peu de sensibles à la poésie. Poètes il nous est rare et précieux de rencontrer d'autres sensibles, ceux qui reçoivent, ceux qui perçoivent et les découvreurs, celles et ceux qui s'ouvrent. Si la poésie m'a sauvée, ce n'est pas d'en avoir lu, car en avoir serait déjà posséder, être en possession. C'est de n'avoir rien, si ce n'est l'imaginaire pour partir et former des mots, des mots, habitables. C'était donc d'inventer d'exprimer, de créer, mais sans jamais savoir que cela pouvait être de la poésie. C'était avant tout un langage qui décrivait les choses telles que je les ressentais, les observais, comme frotter des mots images, penser en me séparant du reste. Singer la vie, fait partie de ma poésie, du point de vue animal, de ma fantaisie.
Et depuis, bien d'autres poètes, à travers leurs œuvres, me soutiennent. Je suis en possession d'autres images et mémoires, je suis professeur afin de partager cette culture. Hansel raconte une histoire d'un passage du monde des images au monde des lettres, des lettrés, de l'apprentissage. C'est un envol, l'imaginaire d'une liberté. Un inversement aux fables du retour primitif vers le passé. Hansel ne connait ni les mots ni les lettres, c'est une proie vivante, une chair. L'histoire va vers l'avant, sans retour nostalgique vers le passé. Elle quitte le passé.
Le Manifesto Antropofágico, du poète brésilien Oswald de Andrade, de 1928 m'est resté en mémoire, d'études lusophones que j'ai effectuées à l'université la Sorbonne nouvelle 3 à Paris. Une reprise d'études, pendant que j'enseignais à Angers. Pas facile le chemin, les déplacements, mais vitalisant, dans une mémoire lusophone dont nombre d'auteurs m'ont été transmis, dans la langue portugaise. J'ai ainsi pu, étudiante, apprécier être en étude, de nouveau, mais aussi pu remarquer que le rythme effréné auquel étaient pliés les étudiants bien plus jeunes, sans avoir le temps ni de digérer, ni de comprendre les lectures, était insoutenable. Les professeurs très fatigués de répéter la même chose, depuis des années, venaient me confier leurs névroses, le temps d'une pause. Je m'étais déchargée des examens d'évaluations, les pires moments qui enlèvent tout bonheur d'apprendre encore, tel que je percevais les conditions d'études. Une professeure m'avait déconseillé de continuer, considérant qu'elle participait d'une machine à frustrations plutôt que celle de la découverte. Elle m'avait dit qu'il y avait, dans mes créations libres, tout ce qu'elle n'enseignait pas et que je n'avais nullement besoin de ces savoirs compilés. Avec plus de distance à présent, je pense que ces savoirs sont des trésors à qui sait les mettre en perspective et les interpréter avec son histoire. J'ai fini par suivre son conseil, malgré que la sélection à laquelle j'avais dû me plier pour être admise avec une validation des acquis de mon expérience, fut très complexe. Il aurait fallu que je dédie ce temps d'études uniquement à celui-ci, abandonnant tout temps d'enseignement en art, ce que je n'envisageais pas. J'ai appris que l'action de chercher, comme je peux le faire, artiste, peut être détaché de toute institution, tout programme. Ma réflexion sur le site Nissologie découlait de cette expérienceHansel est arrivé dans cet imaginaire des lettres, pourtant, pensé dans sa chair. Je navigue avec un canoé, sans trop de moyens, ni laboratoire, si ce n'est celui de la transmission et de petites antennes.
Masque raison
, est l'une des réponses qu'un artiste m'a donné pour la description de l'île de Seuqramainos, disparue dans l'océan des réseaux.
Ce que nous apprend le film de Patricio Guzmán, est concentré sur les peuples de l'eau de l’extrême Sud du chili, tous disparus ou presque, Tehuelches, Selknam, Mánekenk, Yagan, Kawésqar. Ils avaient de magnifiques maquillages, des masques costumes impressionnants, une habilité à naviguer en canoé, un savoir disparu. Ils naviguaient d'îles en îles, le foyer, le feu était au centre de leur embarcation. À présent, la science tente d'observer les étoiles afin de se souvenir du passé, avec des moyens colossaux. C'est comme si des milliers de personnes qui ne ressentaient plus rien, avaient oublié de ressentir, étaient astreints de déployer des technologies sophistiquées pour se souvenir de savoirs ancestraux.
Les poètes disséminés sur la terre sont nos étoiles.
J'avais écrit une nouvelle, Les inséparables, l'histoire d'Oubli et de Souvenir, deux personnages d'un même recommencement, publié sur les éditions, Isolarii, de l'
île de Seuqramainos.
Cela me fait penser à cette quête du savoir, et celle du doute.
Cycle vertigineux, des civilisations.

Ni pena, ni miedo