L'île de Seuqramainos

 

 

 


Page d'acceuil du site Seuqramainos



=> Ci-dessus, vues de l'Épicycloïde de l'île de Seuqramainos – Écriture, signes, programme informatique - 2001


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Epicycloïdes de l’île de Seuqramainos


Cette visualisation de données est une cartographie du contenu de l’île de Seuqramainos par mots-clefs, par projets. Le programme informatique est épicycloïdal. Celui-ci était précurseur du Tag Cloud (en français : nuage de mots-clefs) qui s’est imposé en 2007 avec le Web 2.0 (usages du World Wide Web qui ont suivi la forme initiale du web, dit aussi Web social) Ce nuage est une sorte de condensé sémantique d’un document (voir aussi folksonomie, métadonnée), une représentation visuelle des mots-clefs (tags) les plus utilisés sur un site Web. Généralement, les mots s'affichent dans des polices de caractères d'autant plus grandes qu'ils sont utilisés ou populaires. Pour la création de cette interface en 2001, une forme épicycloïdale est générée à chaque actualisation de la page. Les mots en couleur rose sont cliquables et s’agrandissent au passage de la souris. La courbe ressemble d’ailleurs à des nuages, des volutes, des ornements, des enroulements, d’autant plus que les seuls signes typographiques utilisés sont des étoiles. En géométrie, une épicycloïde est une courbe décrite par un point fixe d'un cercle qui roule extérieurement sans glisser sur un autre cercle. Le mot est une extension de cycloïde, inventé en 1599 par Galilée, et a la même étymologie : il vient du grec epi (sur), kuklos (cercle, roue) et eidos (forme, « semblable à ») Plusieurs mathématiciens se sont intéressés à cette courbe (Rømer, Durer, Huygens, Leibniz, L'Hôpital, Jacques Bernoulli, Euler, Edmond Halley et Isaac Newton…) L’astronome et astrologue Ptolémée l'a utilisé pour décrire le mouvement des planètes dans leur modèle géocentrique (Théorie des épicycles attribuée à Hipparque, mais basée sur les travaux d'Apollonius de Perga, apparue au IIe siècle av. J.‑C.) Ce modèle physique géocentrique erroné m’a beaucoup inspiré pour l’île et l’insularité (que l’on retrouve sur le site Nissologie) car, au delà de la forme, il représente une conception d’un monde singulier, d’un individu. Je l’associe à la vision d’un ou d’une artiste qui s’échafaude sur des erreurs, des bugs. L’imprévu génère une situation nouvelle, une création, dont les artistes s’emparent afin de la faire évoluer, de façon constructive ou destructive, quasi autistique ou autarcique. La part d’isolement nécessaire de l’artiste (concentration, atelier, conception, fabrication, mise en œuvre) et sa séparation, ont été des notions fortes dans cette œuvre conceptuelle et identitaire (Seuqramainos) jusqu’à rechercher la non interaction dans un monde interconnecté (Internet) Je me suis référée au livre de l’écrivain Virginia Woolf, Une chambre à soi, publié en 1929, expliquant qu’une femme artiste, pour créer, a besoin d’une certaine indépendance financière et d’une chambre à soi, à savoir un espace isolé, qui ferme à clef afin de ne pas être dérangé par sa famille, où le travail de réflexion et de créativité peut s'effectuer librement.

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Ci-dessus, extrait du catalogue Habiter Internet concernant le texte de Sonia Marques sur l'île de Seuqramainos, d'une conférence qui a eu lieu le mercredi 2 mars 2005, à l’école supérieure des beaux-arts de Rennes. Cette invitation s’inscrivait dans le workshop pour les étudiants des écoles de Bretagne, dirigé par l'artiste professeur Reynald Drouhin, dont la thématique était une question : «Habiter l’Internet ?» Lors de cette conférence, plusieurs textes ont été lus ("Isolarii", "Demeure", et des "Notes" de l'île…), ainsi que différents projets artistiques ont été vidéoprojetés (Diaspora, Cluster, Noosphère, Singing with a little robot, Jubiler…) et des sons de l'album Insonia Inverno ont été diffusés. Le texte du catalogue relate comment se forme cette autopoïesie, cette poésie prenant en compte sa formation qu’est l’environnement de l’île de Seuqramainos. Depuis, l'île s'est dissolue dans l'océan des réseau.

Cet extrait est publié sur les éditions Isolarii créées en 2011.


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Conférence sur l'île de Seuqramainos



Vendredi 4 mars 2005
A posteriori
Hier, mercredi 2 mars 2005 à l’école supérieure des beaux-arts de Rennes, à 17H dans l’amphithéâtre, j’ai fait une conférence sur « L’île de Seuqramainos ». Cette invitation s’inscrivait dans le workshop pour les étudiants des écoles de Bretagne, dirigé par Reynald Drouhin, dont la thématique était une question : « Habiter l’Internet ?». Vers 15h, j’ai eu le temps d’échanger avec les étudiants, 2 en particulier, sur leur projet respectif.

Quelques sons, de l’album « Insonia Inverno » (qui veut dire Insomnie Hiver en portugais) réalisés en 2000 servaient d’interstices entre les lectures de mes notes et les projections (images-films). Plusieurs références mixtes, au croisement de divers domaines, auxquelles je n’ai pu expliciter davantage leur histoire, me servent de support à ma recherche. J’essaierai, ainsi par cette synthèse, à posteriori, de vous en donner les liens sur Internet, ma bibliographie subjective, sous chacun des paragraphes concernés. J’espère ainsi vous ouvrir des portes dans vos investigations personnelles au travers de ma démarche.
« Demeure » est une de mes notes, diffusée sur Internet. Ce texte a été lu à haute voix, écrit spécialement pour cette conférence rennaise enneigée. Il parle de l’habitation physique, mon appartement, et de mon habitation virtuelle, sans séparer ces espaces, espaces-temps. La viabilité d’un espace physique est toute relative et peut parfois devenir une vraie fiction lorsque l’on est pris dans des contingences désincarnées (contrats, cautions solidaires, non-fonctionnement de l’électricité, du gaz…). Passer du temps, sur Internet, afin de faire vivre un espace, le construire, l’aménager, déménager ses données, faire transiter du on line au off line, tout imaginaire, peut parfois rendre viable l’espace virtuel, car le temps consacré à celui-ci, à se déplacer dedans, agrandi considérablement ses dimensions, surtout si l’on y invente sa propre topologie. La précarité dans laquelle, certains individus créent, maintient leur habitation réelle au strict minimum, pour ne pas dire, la réduit. La capacité des chercheurs, des artistes à inventer, fait qu’ils ouvrent leur imaginaire au-delà des contingences réelles, ils habitent ailleurs. C’est de cet ailleurs habitable, que ce texte introduit la conférence, c’est en tant que chercheure (de trésor) que j’entrouvre une fenêtre afin de donner l’accès au mode d’imagination (ou création d’images, symboles, métaphores), à la fabrication d’une œuvre. Nous passons ainsi derrière le voir, d’avant les colonisations, jusqu’à ne plus rien voir et imaginer. Je parle ainsi, de comment je demeure en une image, laquelle est une île émergeant d’un réseau.
De mon parcours d’artiste, j’explique alors, comment se forme cette autopoïesie, cette poésie prenant en compte sa formation qu’est l’environnement de l’île de Seuqramainos. Le terme autopoïèse vient du grec auto: soi-même, et poièsis: production. Les chiliens Maturana et Varela l’ont rapporté en 1974 dans leurs recherches sur la cybernétique et la systémique. Tout comme cette île autonome et interconnectée, l’autopoïèse est un modèle d'organisation d'un réseau dans lequel chaque composant doit participer à la production ou à la transformation des autres. Certains de ces composants forment une frontière ou clôture opérationnelle, qui circonscrit le réseau de transformations tout en continuant de participer à son autoproduction.
« L’épicycloïde » qui est la seconde interface du site Internet de l’île de Seuqramainos (capture tout en haut, illustrant cette synthèse de conférence) emprunte du même nom celui d’une courbe de mathématique issue des cycloïdes. Pour la voir, imaginez la trajectoire d’un point fixe sur une roue qui avance (ou recule) sur le sol, vous obtenez une belle arabesque. Les mots qui gravitent sur cette courbe changent de place à l’actualisation en formant des boucles ou des dessins clos, autours d’un centre invisible. Certains mots cliquables ouvrent des projets-espaces, des dimensions hypertextuelles plus ou moins connectées, d’autres attendent d’être explorés.
Sans arbre généalogique, le projet « Diaspora » réalisé en 2001, visualise une cartographie des migrations de ma famille, de leurs allers et retours d’un pays à un autre, sous forme de fenêtres (pop up) sur le monde (planète Terre en noir et blanc presque lunaire). En géologie, les données satellitaires sont particulièrement intéressantes, notamment les images RADAR, puisqu'elles accentuent le relief d'un territoire, la texture de la surface terrestre, ce qui révèle des informations géologiques invisibles pour l'oeil humain. Je les rapproche des déplacements, souvent invisibilisés dans les biographies des personnes, où l’on préfère privilégier les titres et lieux fixes. Dans « Diaspora », pour comprendre ma généalogie migratoire j’ai relaté une courte biographie de chacune des personnes de ma famille proche (et pourtant, à distance) en mettant en valeur leurs vas et viens dans différents pays (principalement entre la France, le Portugal et l'Espagne et aussi Cuba, l'Allemagne, la Suisse, le Brésil). Les trajets écrits, forment une certaine généalogie des voyages. L’aspect migratoire de l’île de Seuqramainos, peut se comprendre de façon ontologique entre deux verbe « être » : en portugais, ser exprime « être ce que l’on est » et estar, « être là où l’on est ». C’est entre ces deux états, que l’île fonde ses paradoxes dont la culture lusophone réveille les sens. On peut se situer dans un lieu physique précis tout en habitant ailleurs. Dans un autre sens, les immigrés viennent toujours de quelque part et renaissent ailleurs, ils reconstruisent en s'appuyant sur d'anciennes cultures tout en renouvellant leur habitation, leur mode d'être. Je peux vivre dans un milieu culturel français tout en me reconnaissant dans d'autres cultures métissées, d'autres territoires. Je suis née dans une relation centre-périphérie, dans l'une des banlieues de la capitale, en Ile de France, dans ce pluralisme où se côtoient des communautés plus ou moins poreuses, certaines complètement incorporées, dans la discrétion, pouvant développer des idées républicaines, y participer, d'autres en constante évolution, transition, d'autres reclues, invisibilisées, maintenues dans la différence ou volontairement secrètes, toutes, dans les « entres », ces espaces de créations de liens, les « links » de l'Internet, d'un hypertexte, entrelaçant l'intégration à la diffusion des savoirs faire en faisant savoir en temps réel à plusieurs personnes de divers milieux, en enchevêtrant l'ancien et le nouveau, le passé et les projections à venir... Une île est à la fois un centre et une périphérie (de continent). L'île de Seuqramainos est un système complexe, concentrique et excentrique (dans tous les sens du terme), elle-même dans un réseau de noeuds, connectée à d'autres périphéries-centres, liées les unes aux autres, mais elle tente de garder une certaine autonomie, indépendance.
Si « Diaspora » suit, au coup par coup, les cheminements ruraux des membres éparses d'une famille, en même temps que ses investigations culturelles et historiques, c'est que ce projet artistique, hybride (sociologique, philosophique, intertextuel), déroutant, n'est pas construit comme une généalogie arborescente, patriarcale, mais plus dans l'idée rhizomatique (Cf. : Gilles Deleuze, Félix Guattari dans leur livre « Mille Plateaux », 1980) de ce qui ne commence pas et n'aboutit pas. L'arbre est filiation, mais le rhizome est alliance, tandis que celui-ci impose le verbe « être », le rhizome a pour tissu la conjonction « et... et... et... » qui secoue et déracine le verbe « être ». L'avènement de l'hypertexte et de ses particularités de navigation a ouvert la voie à de nombreuses questions et recherches sur le traitement de l'information et l'action de tisser (prégnance du temps et de la mémoire).
Quand est-il lorsque les migrants sont bâtisseurs ? En effet, le thème de ce workshop, porte sur le verbe « habiter ». J'ai remarqué qu'il y avait des liens sur l'architecture (le précédent conférencier de ce workshop, Nikola Jankovic, est architecte). On peut penser tout d'abord, avant d'habiter, à comment construire son habitation, (la cabane est l'archétype de la construction d'une maison). En réfléchissant à cette conférence, dans le train, en venant à Rennes, j'ai pensé à mon père qui est maçon. Toute sa vie a été de construire (en dur) des maisons, logements, lieux pour habiter, s'abriter. Si la notion d'habiter sur Internet est devenu une réalité, pour ma part, c'est que j'y ai construit un mode d'habitat, en pensant l'architecture du réseau. Je n'emploierai pas le terme maison, ici, bien qu'il y ait une construction, mentale et physique, mais d'un environnement, quasi immersif. Lorsque l'on se trouve dans l'île de Seuqramainos, on y est immergé, tandis que vu de loin, on ne perçoit de l'île, qu'une partie émergée. Pour revenir au phénomène de la construction des migrants, prenons comme exemple, l'idée de la permanence de l'émigration dans l'Histoire du Portugal, afin d'expliciter comment se construit cette île migratoire. Ces deux termes contradictoires, permanence (qui dure sans arrêt) et émigration (un déplacement qui n'est pas fait pour durer : aller s'établir dans un autre pays, comme l'immigration : venir se fixer dans un autre pays) convoquent les paradoxes qui créent une dynamique. Depuis les années soixante avec la plus grande vague de migration de portugais vers la France (une partie de ma famille a fait le saut), ce phénomène a imprimé ses marques dans l'espace rural du pays d'origine et dans le pays d'accueil par le développement des constructions. La France recherchait alors de la main-d’oeuvre dans le bâtiment. Le livre « Maisons de rêve au Portugal » (1994) des sociologues Roselyne de Villanova, Carolina Leite et de l'architecte Isabel Raposo, montre que les savoirs faire des immigrés, venant d'ailleurs, ont métissé le paysage dans les deux sens. Les maisons construites, souvent autoconstruites au Portugal sur le sol natal, pour les vacances ou un éventuel retour, parfois clandestines (les auteures écrivent « lieux de l'architecture sans architecte »), ont emprunté des modes culturels français. Pour celles construites ou autoconstruites en France, le processus de fusionnement diffère selon l'acculturation. Ces maisons singulières tranchent par leur apparence, leur aménagement, leurs matériaux et techniques jouxtés avec des traditionnels. Considérées comme « marginales » ou moins « savantes », ces architectures suscitent l'intérêt de quelques chercheurs, elles ont aussi été, dans mon enfance, des lieux de vie. La circulation des influences dans les manières d'habiter et les enjeux symboliques liés à la maison sont aussi la concrétisation d'un rêve, ancré dans des réalités contradictoires.
Tout comme ces habitations, symboles des réalisations de rêves, l'île de Seuqramainos, dans sa légèreté évidente, son immatérialité (rendue matérielle, réalisable) en rapport avec la maison en dur, est cette « maison onirique », dont parlait Gaston Bachelard sur les rêveries, habitée par le souvenir plus profondément que la maison natale, on y rêve comme à un désir, à une image. À présent, c'est en tant que chercheure que je m'intéresse à ces habitus, ces modes singuliers d'autoconstructions, au travers d'une certaine histoire familliale migratoire, et l'auto-organisation (systémique) de l'île de Seuqramainos en est l'expression artistique contemporaine. Elle s'autoconstruit sur ce sable mouvant qu'est le réseau Internet, par ce processus identitaire migratoire. Quelque part, j'ai appris à construire à partir de rien, à habiter les choses en les rêvant, aujourd'hui, habitant les mots, par la poésie, sans en être propriétaire. En ce sens, L'île de Seuqramainos rappelle le château de sable, une architecture de l'inutile qu'un enfant construit, cristallisant son imaginaire, avant l'ensevelissement. Bref, avant de nous éloigner davantage, « Diaspora » prend la mesure de l'inmesurable, les allers et retours, ces déplacements, lieux de vie, de pensées. La récolte de la dispersion de mes sources de lectures, par les citations d’écrivains (comme Eduardo Lourenço, dans son livre « Mythologie de la saudade », 1997), d’historiens (comme Albano Cordeiro, dans ses analyses des « Apports de la communauté portugaise à la diversité ethnoculturelle de la France », 1997), forme un recueil (entre ser et estar), une sorte de base de données intellectuelles, singulière, adaptée à ces transports de culture, véhicules de sens difficilement accessibles dans une culture monolithique, donc, à composer soi-même. Ce recueil de citations rassemble aussi des histoires des découvertes et des voyages (par les colonisations, les premières cartographies transocéaniques et inventions du monde, 1415-1580, par les navigateurs) constituant mes éveils identitaires aux vieilles hsitoires de la formation des continents, après les archipels, le tout dans la langue française, ou raconté pour les francophones. Le projet en ligne « Diaspora » est inachevé.
Les recherches de l’historien Serges Gruzinski dont j’ai suivi les cours à l’E.N.S.B.A. de Paris en 1998 m’ont beaucoup apporté sur la notion de métissage. Le tissage-même des hypertextes de l’île de Seuqramainos vient des origines migratoires et de leurs rêves ou désenchantements, des mélanges de cultures, de traditions, croyances, et de ses dynamiques d’identification, créations, accommodations, rejets et résistances. Dans son livre, « La pensée métisse » (1999), Serges Gurzinski, explique que la globalisation mondiale n’est pas nouvelle et que dès le XVIe siècle, par la colonisation des images en Amérique latine (interactions dans tous les sens entre portugais, espagnols et indiens), des expressions hybrides ont proliféré, une pensée métisse s’est déployée, mais la civilisation occidentale ne l’a pas toléré. « C’est pourquoi les cultures métisses qui prolifèrent en réaction à l’occidentalisation se voient condamnées à occuper des territoires limités, des espaces subordonnés, des zones compartimentées sans contact entre elles » dit-il, lors du colloque international sur « l’Expérience métisse » en 2004 pour le futur musée du quai Branly, d'Arts et civilisations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques, (ouverture prévue à Paris en 2006). Mes recherches d’écritures se rapprochent de celles de Serge Gruzinski, reprenant les aventures des notions de mélange et métissage. Il montre comment il est impossible de penser les éléments culturels mis en contact comme étant séparés, sauf à poser l'idée d'une pureté originelle perdue avec la rencontre. Il se propose d'étudier comment se construisent les métissages, naissent des cultures nouvelles nées de « l'interpénétration et de la conjugaison des contraires », d'où sa critique au structuraliste Lévi-Strauss qui, d'après lui, aurait collaboré avec la formation de l'image d'un Brésil exclusivement exotique.
La variété des pratiques artistiques, de nos jours, permet d'appréhender différentes techniques et médiums. Le choix de formations diversifiées (écoles d'arts appliqués, graphisme, arts plastiques, multimédias, danse, musique) m'a fait explorer toutes sortes de matériaux par curiosité et désir de manipulation, d'invention, sans à priori de mode, selon le contexte de mes créations. L'accès à divers domaines de connaissance, par nos bibliothèques municipales (enfant, ma mère me conduisait dans celle des adultes) et à présent par Internet, m'a fait explorer, en dehors de l'école, les sciences, la psychologie cognitive et voir des images inouïes, des profondeurs sous-marines jusqu'aux cartes du ciel, sans avoir les moyens pour voyager ou acheter des livres, mais avec une liberté de navigation, en faisant des liens entre chaque découverte et en creusant mes recherches.
Mon « Catalogue irraisonné », un catalogue raisonné indiscipliné autopublié sur Internet, permet d'entrevoir la diversité des supports (vidéo, volume, scénographie, dessins, photographies, installations, Internet) utilisés et l'apport de sources multiples d'écrits. Ces apprentissages ont trouvé des moments d'expositions hétéroclites, en France ou au Canada, s'adaptant aux formats de monstrations tout en cryptant leurs métissages. En investissant l'Internet et les réseaux technologiques, j'ai trouvé là un médium plus adapté au tissage, dont les codes artistiques n'étaient pas encore formatés (1999). J'ai inventé mes propres zones autonomes temporaires de monstration (Cf. le livre « T.A.Z » d'Hakim Bey, écrit en 1991) publiques (voir plus bas, le collectif «Téléférique ») ou secrètes (l'île de Seuqramainos), ne pouvant exister qu’en préservant un certain anonymat. Dans le « Catalogue irraisonné », les formes d'expressions (sons, images) des dix dernières années, ont été des prétextes à écrire (2003) rétrospectivement, en prenant en compte les contextes d'élaborations artistiques migratoires, avec une critique de l'art contemporain institué en France. Ce catalogue est surtout supports d'histoires, de nouvelles, de fabulations. La comptine enfantine «Ah vous dirai-je maman / ce qui cause mon tourment / papa veut que je raisonne / comme une grande personne / moi je dis que les bonbons / valent mieux que la raison » est jouée par différents instruments, au synthétiseur midi, sur l'interface, la couverture en ligne du catalogue. Elle insinue le caractère ludique mais néanmoins sérieux de cette mémoire. On peut dire que l'île est peuplée d'histoires, liées les unes aux autres.
J'ai parcouru dans ce « Catalogue irraisonné », sans linéarité historique, l'archivage de certaines oeuvres comme :
« Vancouver lover », une installation photographique en couleur, réalisée et exposée au Canada (1997, exposition collective « Story » à la Grunt Gallery et en 1998, exposition personnelle avec Etienne Cliquet à Dynamo Gallery)
L'installation « Technologie insonore » exposée à Paris (1999, en vitrine de l'Espace Infozone, exposition collective « Sounds politics » puis plus tard en vitrine de la Galerie Area, pour l'exposition collective « O.V.N.I. »)
Mes premières vidéos des « Songes » parmi celles d'une compilation réalisée « Dance clips» toutes projetées à Paris (1999, Galerie Area), ou encore des travaux d'études à l'école supérieure des beaux-arts de Paris, avec l'installation-performance produite spécialement pour les portes-ouvertes de l'école « Manger des nuages ». J'ai montré également quelques dessins aux feutres du « Cahier mains », un vocabulaire expressif d'avant les formations artistiques institutionnelles. Mais le temps était compté et il me fallait avancer dans l'objet de ma venue, pour cette conférence, d'autant plus que ces travaux antérieurs à l'investissement depuis 1999, sur Internet, méritent de plus amples explications, étant donné, qu'ils sont tous imbriqués dans des logiques de réseau, ou exprime déjà le voyage, les transports, les vacances. Dans chacune de ces réalisations archivées dans le « Catalogue irraisonné », il y a un texte derrière chaque planche contact, une histoire qui fait retour, l'anthologie de l'expression artistique.
La découverte d’une île vient d’un décrochement du continent. Comprendre l’île, c’était retrouver l’individu s'exilant du groupe. J’ai présenté les activités du collectif d’artistes « Téléférique » que j’ai créé en 1999 avec Etienne Cliquet. Par les archives, j’ai montré ce que faisaient ces artistes ensemble, ce qui faisait ce groupe et sa sympathie, de mon point de vue. Téléférique était motivé par l’invention de nouvelles formes de diffusion sur Internet ou dans des espaces (activité on line par le téléchargement ou off line par les démos). Les démos, justement (du grec demo « peuple ») s’inscrivaient dans une critique de l’exposition en proposant des démonstrations, des composites de projets artistiques mêlant art et science, informatique et poétique, musique et programmation. Dans l’histoire des jeux et des médias, j’ai fait référence à la scène du « demomaking » des années 80, dont les nostalgiques d’aujourd’hui, continuent à historier toutes les productions artistiques et à faire des élections des meilleurs démos, rendue publiques, lors d’assemblées d’individus en réseau dans une salle dédiée (la plus célèbre encore aujourd’hui est l’Assembly finlandaise de plus de 120 membres). Dans Téléférique, nous avons fabriqué et auto-administré notre propre serveur, nous nous hébergions, comme quoi la notion d'habitation sur Internet, nous préoccupait déjà, d'autant plus que nous nous éloignions volontairement des coûteuses installations interactives vidéo de l'époque. Ces 4 années actives correspondaient aux utopies pirates des premières formes artistiques sur le réseau, entre la fin des années 90 et le tout début du troisième millénaire. Puis Internet est vite devenu le parfait miroir du capitalisme global. Pas de frontière, l'argent et l'information circulent librement fidèlement aux règles du capitalisme. Artistes, utilisant ce nouveau média pour leur création, se sont trouver face à un paradoxe tragique, donnant lieu à des législations privilégiant l'auto-surveillance des hébergeants (serveurs) sur les habitants (créateurs de contenus) d'une part et d'autre part à des formes invisibles d'investigation, résistances plus ou moins efficaces, symboliques, avec les pirates électroniques (hackers). L'évolution rapide de cette épopée collective, fait participer tout acteur, actrice, à l'actualisation des connaissances juridiques, à une veille technologique. L'habitation sur Internet et les créations artistiques qui en découlent ont développé des médias tactiques. La création du collectif Téléférique venait d'un désir d'invention, de création d'espace et de connaissances technologiques, de solidarité, d'accompagnement, là où il y avait un vide dans nos écoles d'art. Depuis, celles-ci se sont équipées d'un coup d'outils performants, sans accueillir les concepts des artistes des décennies passées. Je ne devrais d'ailleurs pas en faire une généralité, car j'ai réussi à m'infiltrer sans piston, dans l'une d'elle (2001) et à donner des cours pratiques et théoriques sur les arts numériques, tout en les autopubliant sur Internet en temps réel. Mais force est de constater que le plus souvent « les étudiants se satisfont d’un peu d’email et de surf, sauvegardé dans un Intranet filtré et contrôlé » tandis que «l’art contemporain continue son boycott vieux d’une décennie des travaux des nouveaux médias dans les galeries, les biennales et les expositions comme la Documenta XI » et que « les universités sont toujours en train de créer leurs nouveaux départements sur les médias », dixit le théoricien des médias australien, Geert Lovink, dans son article écrit en 2003, « Un monde virtuel est possible : des médias tactiques aux multitudes numériques » traduit sur la revue en ligne Multitude, dont je laisse le lien direct ci-dessous, car il décrit un panorama critique des utopies virtuelles de ces dernières années.
Je me suis beaucoup impliquée lors de l'organisation des démos, spécialement conçues, adaptées à chaque lieu (bar, espaces autogérés, centre d'art, écoles, universités, toit d'immeuble, musée, appartement, ministère, rave-party, château...) Elles étaient festives, évanescentes, parfois avec très peu de public. Écouter les sons de mes albums « Insonia Inverno » et « Insonia Verão », c'est se souvenir de tous ces merveilleux moments, uniques. La teneur poétique et métaphorique du téléférique, transport avant tout, féerique peut-être, à distance (du grec « têle», loin) en tous cas, préfigurait la notion d’habitation d’un nom, du moins la transition vers, puisque le téléférique par câble, le plus souvent en montagne, facilite le transit, d’un espace à un autre. Prendre le téléférique et aller vers cette île saillante, ce pain de sucre (comme le bondinho de Rio de Janeiro) c’était retrouver l’individu dans le groupe, à distance des émulations collectives, de l’effervescence carnavalesque des démos publiques.
Seule femme dans ce groupe de garçons, je me suis interrogée sur la présence des femmes artistes dans l’Histoire de l’art, sur les critères de sélections et les modes d'expositions et d'éducations dans le multimédia notamment. Les études cyberféministes montrent pourtant que les femmes et les machines ont une longue histoire commune. « Les femmes ont créé des machines, leur ont donné leurs noms ou les ont portés. On a adapté les machines aux femmes et vice-versa, elles se sont appropriées ces machines et elles s'y sont parfois identifiées. » (Voir les récents travaux des collectifs Constantzw et Digitales sur les genres et les nouvelles technologies). L'invention du cyberfeminisme date des années 1990, quand en même temps et sans le savoir la théoricienne anglaise Sadie Plant et le groupe d'artistes Australiennes VSN Matrix, se sont mises à utiliser le terme. Sadie Plant associe le mot avec la relation des femmes avec la technologie, qu'elle décrit comme intime et subversif. Pour elle, le cyberfeminisme est la réponse théorique au fait que de plus en plus de femmes produisent un travail créatif dans les arts électroniques et les technologies du virtuel. Il y a des références internationales récurrentes dans les NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication), qui sont encore méconnues dans le milieu artistique en France et pourtant incontournables. Nathalie Magnan, enseignante à l’école supérieure des beaux-arts de Dijon, a écrit un texte en français « Cartographie subjective du cyberfeminisme » afin d’en communiquer les stratégies multiples qui en découlent aujourd’hui. Elle a traduit en français notamment, le texte « Cyborg Manifesto » de la chercheure Donna Haraway, écrit en 1983 et l’a publié dans le livre « Connexions, art, réseaux, media » aux éditions de l’E.N.S.B.A., Paris (2002). Ce livre est disponible dans toutes les écoles d’arts françaises, reste quelques tuteurs et tutrices pour faire le lien, entre l’écriture et la lecture (ce que je tente, entre autres, de faire dans mes cours de multimédias à l’école supérieure des beaux-arts d’Angers). Le « Manifeste Cyborg » est un texte visionnaire et ironique. Donna Haraway travaille avec l’hétérogénéité du réseau qui comprend les espaces réels, virtuels, domestiques, publics, subjectifs et objectifs. Dans ce système, l’individu devient une interface qui relie les humeurs variables d’un corps démesuré. Elle voit dans la construction du cyborg une figure techno-mythique construite sur un engagement social et politique.
Pour ma part, après avoir participé activement au développement des arts numériques en France, je voyais s'installer un manque d'audace, un manque de sensualité dans l'utilisation du réseau, de concepts symboliques, de rêves, qui à mon sens, forment l'énergie d'une oeuvre d'art. Je trouvais certains travaux cités et recités comme fédérateurs, pauvres en contenus, en cultures, basés uniquement sur la virtuosité technologique avancée comme preuve de nouveauté. Je suis le plus souvent déçue par les communications rapides de projets, les effets d'annonce de noms, sans comprendre l'interaction contextuelle ou les intentions des auteurs, leurs expériences vécues, leurs doutes. Je pense qu'un projet artistique est fragile dans son élaboration et que cette fragilité sensible fait la qualité de l'oeuvre, nous rapproche d'elle et nous accompagne dans les mystères de notre quotidien. Avec l'interpénétration de différents domaines (psychlogies-sciences-arts-coutumes), cette sensibilité auctoriale, qu'elle soit celle d'une personne anonyme ou d'une personnalité, ou encore d'un groupe d'individus, devrait être rendue plus évidente et aiguë, de nos jours et la complexité plus accessible au commun des mortels. Je remarque, mais peut-être me trompe-je, que se soit des femmes ou des hommes, les artistes sont plus tentés qu'hier, de suivre le pas, facile et redondant, de modèles dominants de communications et d'exposition, devenus plus efficaces et rentables, on line ou off line. Réfléchir sur les conditions d'expositions, de communications, de compréhension d'une oeuvre, qu'elle soit ancienne ou moderne, traditionnelle ou technologique, d'amateurs ou de professionnels, aujourd'hui m'a conduit à prendre la liberté de diffuser ces réflexions sur Internet.
Lors d'une résidence, au sein du collectif Téléférique, à l'espace multimédia de Gantner, en Alsace, (2003), nous avions (Etienne Cliquet, Robin Fercoq et moi-même) été conduit à réaliser un projet commun avec une dizaine d'ordinateurs, que nous avions nommé « Cluster » (qui veut dire, un groupe, une grappe, en informatique, un cluster peut être défini comme un assemblage de nœuds avec des processeurs, P.C. ou stations, autonomes et que reliés, se comportent comme un système d'image unique). J'en ai rapidement parlé lors de ma conférence, hors c'est un moment charnière important entre le groupe et l'individu, le collectif Téléférique et l'émergence de l'île de Seuqramainos. Nos références étaient alors liées au lieu de la résidence, près de la Suisse, où le premier roman de science-fiction « Frankenstein » a été écrit en 1818, par Mary Shelley, en fuite de l'Angleterre, avec des amis. J'ai découvert, après cette résidence qu'Ada de Lovelace, créatrice du premier programme pour ordinateur, le logiciel, en 1843, (la cyberféministe Sadie Plant en a écrit une histoire) était la fille du poète anglais, Lord Byron, lui-même en compagnie de ses amis, le couple Shelley au moment de l'écriture du monstre « Frankenstein », une créature technologique.
Au-delà du projet officiellement conçu et réalisé sur place du « Cluster », qui était un jeu en réseau, j'ai réalisé, à posteriori (décidément !), un journal hypertextuel de cet épisode nommé « Cluster, dernière partie » presque clandestinement, ne rentrant pas dans les modèles autorisés du groupe et de la résidence d'artistes. Cette partie de jeu inscrivait mes résolutions individuelles, par jeux de mots dans ma dernière collaboration avec le collectif. Ce journal illustré explique comment se fait et se défait un projet collectif. Le caractère crypté (code informatique+poésie) de ces pages écrites, avec les images d'un road-movie, paraît d'autant plus enchevêtré qu'il met en abîme le groupe (un tritêtes) concevant le jeu avec le groupe des 10 machines (le cluster, l'objet commun du processus de travail). Cette résidence était, de mon point de vue, une vraie science-fiction, une sorte de partition dans laquelle j'avais très peu de champ d'action. Je n'avais plus qu'à la déchiffrer psychologiquement en premier lieu, telle qu'elle m'était donnée au jour le jour, puis, en deuxième lieu, je n'avais plus qu'à l'écrire, comme un cryptologue, en la chiffrant à ma guise. C'est dans ce travail d'écriture que j'ai pu retrouver un espace de liberté, en inventant un monde à partir des éléments réels, locaux. L'auteure le devient lorsqu'elle commence à jouer, créer, à prendre du plaisir en inventant sa propre partie (musicale) dans l'orchestre, puis si cela fait défaut, en inventant celle des autres (création de personnages) jusqu'à orchestrer elle-même l'ensemble pour le sauver. Ici, l'ensemble était d'emblée livré à la fatalité des mauvaises configurations logistiques (le jeu en réseau ne fonctionnait pas techniquement) et des préjugés de genre. Dans le texte, je tisse le réel au virtuel et récupère ce qui était fatalement perdu, la conception d'une oeuvre symbolique juste avant qu'elle ne se fige dans l'esquisse d'une prouesse technique. L'idée intrinsèque de l'interaction entre une topologie virtuelle (mathématique du jeu en réseau) et une topographie réelle (l'Alsace, l'hiver, le déroulement de la résidence et le sens que cela produit) est réinjectée dans un autre projet ludique et romanesque, plus souple. « Cluster, dernière partie » est un grand poème libre, à la fois anarchique et structuré utilisant le journal comme un instrument d'autocompréhension sur le changement personnel et collectif.
L'individu est une île, périmètre paradoxal de chair et de pensées qui s'inscrit dans le monde tout en lui demeurant étranger, coupé du continent des autres. En cherchant un espace qui m’était proche, une indépendance, un habitat, presque un habit, je me suis rapprochée de mon être et plus précisément de mon être-là. Mentalement j’ai construit un environnement d’après mes pensées les plus lointaines, jusqu’à ce que je m'en souvienne assez. Il est question de mémoire fragile lorsque l’on convoque ou exploite le réseau Internet. La connaissance et sa perte font partie du même fatum. En remontant la pente de l’oubli, j’ai emmagasiné des écritures et subi des crashs disks. L’île de Seuqramainos est apparue et certains, certaines m’en ont donné différentes définitions, d’après leurs propres souvenirs, d’après de réelles définitions, ou d’après leur imaginaire. L’île de Seuqramainos est devenu un lieu d’autoproduction, mon laboratoire expéri-mental, une sorte de nouvel atelier d'artiste (à moindres frais et extensible) et mon lieu de diffusion. Tout d’abord, lieu d’exil, puis île initiatique, démesurée, cryptée, difficilement accessible (son langage complexe induit son propre mode de protection), l’île de Seuqramainos est devenue viable, mais reste secrète. Je ne médiatise pas son adresse, prenant à rebrousse-poil le médium Internet de grande visibilité (en ne cherchant pas à tout prix l'indexation dans les moteurs de recherches, en évinçant les robots, les spiders du net). Pourquoi se compliquer la vie pour ne pas faire simple !? me disent certains net-artistes, fondant leur activité sur Internet, sur l'interêt d'y être repéré facilement et d'avoir un maximum d'entrée. Mais, il n'y a pas de plus court chemin pour espérer comprendre l'île, il y a la mer des cultures à traverser et puis elle n'est tout simplement pas localisable, mais imag-inable, sans image univoque. Ce qui m'intéresse dans ce média (ou médium artistique) d'hypervisibilité, c'est justement de réussir à y vivre sereinement, presque retranché dans le réseau afin de tenter une viabilisation. J'utilise alors, comme mode de communication, le bouche-à-oreille, je colporte l'existence de l’île de Seuqramainos comme un secret, une histoire racontée dans le creux de l'oreille. Ceux qui y parviennent, ont vraiment envie de visiter l'île. Il faut entreprendre un long voyage pour aborder sur ses rivages. Ceux qui y débarquent par hasard se demandent s'ils sont les seuls à la découvrir, car ils n'en ont eu vent, d'autres n'y voient que du feu, trop pressés, quittent les lieux dès l'abordage, déçus par la complexité, le manque de lisibilité, de guide dans la navigation, de références usitées des net-artistes, des multimédia-récidivistes. Ces promesses de nouveau début peuvent décevoir, car trop arides, il faut y penser, et au contraire, ces commencements chaînées peuvent engloutir le visit-cliqueur ou la visit-cliqueuse, qui de façon boulimique, attrapera l'envie d'en savoir plus. Initiatique, cette île voyage, constamment dans l'apprentissage et la transmission. Les paysages mentaux qu’elle génèrent forment un système (la systémique et la cybernétique, influencent mes différentes organisations ou perceptions de l’espace physique et psychique).
Quelques projets connexes ont été projetés comme « Autoportrait » (sélectionné au F.I.L.E. Festival International de Langage Électronique 2004, de São Paulo au Brésil) qui passent en revue 44 tableaux inversés.
Les premières histoires écrites par des interlocuteurs depuis une question énigmatique : « Qu'est-ce que pour vous Seuqramainos ? » Avant que le site Internet ne soit mis en ligne, sans que ces proches choisis, du moment, ne connaissent l'existence de l'île. Certaines des définitions proposées ont été lues à haute voix. Les palindromes des auteurs se sont acoutumés à Seuqramainos.
« Jubiler » est une vidéo sonore de 12 minutes réalisée en 2004, lors de démonstrations de judokas. Éprouver une joie vive, voici ce que ces combats, ces jeux enfantins expriment à travers cette pixellisation. Les petits judokas sont des notes de musiques que la manipulation numérique fait avancer et reculer, fait sauter ou recommencer leur lutte.
« Isolarii » est une autre de mes notes, diffusée sur Internet, lue à haute voix parlant des isolarios, ces cartes des îles, archipels, imaginés par les cartographes du quattrocento au début du siècle. De façon poétique, j’imagine comment l’île de Seuqramainos s’émiette ou se concentre comme un isolarii. Ce texte rassemble des questions ouvertes, des doutes sur la notion d’existence, sur l’autarcie, le solipsisme, la monstruosité et le paradisiaque que l’île évoque dans l’absolu, le merveilleux. Cette métaphysique tente de libérer de nouvelles dimensions dans l’esprit. « Isolarii » parle surtout de comment naît une œuvre et comment la regarde-t-on, et, est-elle visible ?
« Noosphère » est un film de 45 minutes environs, dont les 10 premières minutes ont été projeté et ont clôturé la conférence. Ce film vu d’en haut, survole des espaces de la terre, parfois en se rapprochant de la neige au pôle Nord, parfois en s’éloignant jusqu’à ne voir que les vaisseaux sanguins des fleuves d’un potentiel Sud. Il n’y a plus de notions de territoire. Tandis que les premiers sons (« Deep1, Deep2, Deep3 ») de l’album « Insonia inverno » densifient l’espace immersif de projection, graves basses fréquences, vibration de la salle, donc nous plonge dans des profondeurs les images, elles, nous éloignent de notre condition terrienne, d’être humain, en nous élevant à hauteur d’avions. Cela crée un volume, déployé par ces échelles sonores et imaginaires, un volume dans lequel nous lévitons entre être extérieur au monde et regarder notre planète de loin et être complètement en nous, sonder notre intériorité. Le mot Noosphère était déjà défini par ce que Pierre Teilhard de Chardin (philosophe et théologien) nommait dès 1930, une conscience planétaire, née de l’interconnexion de millions de pensées individuelles, l'espace des idées. Cette fine pellicule entourant la Terre, contiendrait à la fois toutes les connaissances de l'humanité et toute sa capacité de traitement de l'information. C’est dans les années 90 avec l'arrivée de l'Internet que cette idée est rendue plus perceptible. Un fournisseur d'accès a d'ailleurs choisi comme nom « Noos » (du mot grec signifiant esprit).
La question posée d’un étudiant à savoir comment je fabriquais mes sons, avec quels logiciels, m’a fait rebondir sur une dernière chanson : « Singing with a little robot », une interprétation de celle, écrite par Lou Reed, « Pale blues eyes » en 1969, à travers laquelle, j’essaie d’apprendre à chanter à un robot. La machine fait-elle corps avec la chanteuse qui l’habite où la machine habite-t-elle une chanteuse ? On a l’impression que les deux sont ici en phase d’initiation par leur interaction, en un seul morceau, dans un seul geste…
Cela se rapproche du travail de Laurie Anderson, que j’apprécie, qui vit aux Etats-Unis, connue comme violoniste, compositeur et artiste multimédia. Elle pratique un art où différents langages se combinent, se chevauchent, sans qu'aucun ait la primauté. Il y a de la musique (live, ou enregistrée), du texte (de brefs poèmes ou récits, à tonalité insolite ou fantastique), une machinerie électronique (des synthétiseurs qui font muter le son de la voix ou suscitent une percussion sourde). Dans les années 70, entre avant-garde et culture populaire, c'était une figure emblématique de l'underground new-yorkais. J’ai découvert ses sons de rock futuriste et expérimental (« O Superman » / « Big science ») que nous écoutions avec le collectif Téléférique, lorsque je le conduisais en voiture, la nuit, en allant en Alsace (résidence en 2003, à l’espace multimédia de Gantner). Voici, qu’en cherchant son site Internet, j’ai lu qu’elle était mariée à Lou Reed ( ?), la boucle est bouclée ;-.)
Une ancienne étudiante rennaise me parlait de Brian Eno aussi, en rapport avec mes sons. J’ai en CD la musique pour les aéroports (1979) pour calmer les passagers, j’aime beaucoup. Un son à vivre et qui vous habite. Je sais qu’il a inventé le concept de la musique ambient, mais mes connaissances s’arrêtent là. Ces échanges m’auront donné le goût d’aller plus loin…
À la question posée comme thématique de cet atelier, avec les étudiants, habiter sur Internet ? J’y réponds, à ce jour, par une sphère de pensée, dont l’île de Seuqramainos en déploie la dimension.

Sonia Marques

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Notes :
- Ce texte a été diffusé dans son intégralité sur l'île de Seuqramainos pendant quelques années, suite à la conférence et à la publication (le texte a été coupé pour le catalogue) Étant dissolue dans l'océan des réseaux depuis, toutes les adresses affiliées n'ont pas été gardées ici sous chaque paragraphe.
- Plusieurs des réalisations artistiques nommées dans ce texte, sont exposés sur ce site Internet kiwaida.nu



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Les éditions de l'île de Seuqramainos







Les éditions de l'ile de Seuqramainos sont des nouvelles écrites entre 2002 et 2005 : "Elle même", "La nage", "Les grincheux", "Tout contre vous", "Les épaves", "Une lexicographe à Gianguja", "Les inséparables" (et en bonus : "Jusqu'au bout du monde")

 

 


© Sonia Marques - 2011