Montagnes et vallées

 

 

 


http://www.montagnes-et-vallees.net/

À propos :

Montagnes et Vallées est un projet des artistes Sonia Marques et Etienne Cliquet lancé en mai 2011. Il est conçu comme un atlas de cartes à télécharger, à imprimer et à plier. Chacune d'elles est constituée de lignes correspondant à des plis. En langage d'origami, on parle de plis « montagnes » ou « vallées » d'un déplié selon leur orientation (en creux ou en relief). Chaque carte figurant dans l'atlas Montagnes et Vallées est un déplié original dont les contours et la forme finale se révèlera uniquement à la personne faisant l'expérience de le plier. Le déplié requiert ici notre attention comme élément en soi, à la fois complexe et actuel à plusieurs égards. En terme mathématique, un déplié est un graphe donc un réseau (des sommets reliés par des arêtes). Procéder au pliage fait se rapprocher les différents points de la feuille qui se superposent comme une navigation à travers différents sites Internet ou différentes couches de réalités. En pliant la feuille, on donne corps à la topologie d'un réseau et au processus de commutation. Le déplié représente donc un réseau et à la fois un code source pour un objet à venir.

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Production Les CAPUCINS – centre d’art contemporain, ville d’Embrun (direction artistique Caroline Engel) dans le cadre du projet européen SMIR (eSpaces Multimédia pour l’Innovation et la Recherche en production culturelle) / programme Alcotra.

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Ci-dessous, version censurée par le centre d'art du déplié 'pression', parmi 4 autres dépliés : 'voler', 'frontières', 'potager' et 'la fée'.



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Dialogue et genèse des créations :

Étienne Cliquet travaillait pour le centre d'art Les Capucins sur un projet en ligne Montagnes et vallées. Il m'a proposé de travailler sur l'un des dépliés qu'il avait commencé à concevoir, celui de la fée, avec l'idée d'y inscrire un poème, des mots, car il pensait que celui-ci m'était dédié. J'ai repris son déplié et j'ai créé des variations de couleurs dans ses dessins de traits. La couleur devenait plus importante que les mots, et d'ailleurs, elle pouvait à mon sens se passer de mot. Je lui ai envoyé un texte sur ce qu'était devenue cette fée, en lui proposant d'augmenter sa proposition, d'aller un peu plus loin. J'avais investi la fée jusqu'à l'incorporer. Ma proposition était de la réaliser à échelle humaine, faire un double de moi, à ma taille, comme une marraine, une fée. Elle pouvait ainsi passer de la petite taille d'un papillon, d'une libellule, à celui d'une sculpture (voir le projet réalisé, La fée, sur ce site Internet) Un peu désemparé, il a accepté et continuait à travailler sur ses autres dépliés qu'il devait aboutir pour le centre d'art. En disposant côte à côte les dépliés et celui de la fée en couleur, il trouvait que celle-ci prenait plus de place, de force et que les autres, au trait avaient moins d'impact visuel. Je lui ai donc proposé de travailler également sur les autres propositions amorcées, de la même façon, avec des motifs cartographiques dans un temps très limité. Nous traversions une période sociale sertie de pressions (le travail, l'actualité, le monde) et l'affaire DSK (Dominique Strauss-Kahn) avait explosée dans les médias, faisant retentir une omerta sur les abus de pouvoir envers les femmes, les noirs, les plus pauvres... Je venais de lire les chefs d'accusation d'abus sexuels, par le juge américain, de ce grand patron français promis au poste de futur président. Étienne a conçu une pince en origami pour exprimer cette pression et j’ai inscrit sur le déplié les chefs d'accusation de DSK, tels quels. Par notre dialogue sur cette affaire et sur les pressions sociales, nous avons trouvé une forme adéquate, un objet (fragile de papier) qui synthétisait ce que nous souhaitions exprimer à ce moment-là. L'ensemble des 5 dépliés en ligne ("voler"," frontières", "potager", "pression", "fée") sur le site Internet créé Montagnes et vallées, était prêt à être diffusé. Mais "pression" a été censuré. Les raisons invoquées : la crainte que cela ne passe pas auprès des élus, peur d'un scandale, de l'annulation de l'exposition car les chefs d'accusations "sexual abuse", "criminal sexual act", "attempted rape", "forcible touching" étaient reproduits sur le déplié. De notre point de vue d'artistes, soutenir ce projet, sa réflexion, et expliciter la démarche, nous semblaient alors le plus pertinent. Pas de crainte car il n'y avait pas de référence au nom de DSK. Ces chefs d'accusation symbolisaient aussi des accusations émises par tout présumé violeur dans notre société, ce sont des termes inventés par la justice et le droit, ici, dans ce contexte, cette forme artistique, ils prennent étrangement la forme de poèmes. La proposition était l'interprétation en miroir de mots et de faits écrits dans tous les journaux, ici miniaturisés dans une forme artistique. Je l'inscrivais dans une histoire de l'art qui datait déjà, avec les artistes américaines Barbara Kruger et Jenny Holzer, dans les années 70-80, héritière de l'art minimal et de l'art conceptuel, influencée par les découvertes de l'écriture féminine, libérée de l'idéologie patriarcale. Je ne pensais pas que cela puisse être censuré. Cela tombait justement sur cet outil de pression symbolisé par une pince : au tour des artistes de la subir cette pression, cet abus de pouvoir. C'était le déplié, parmis les 5, qui avait une portée plus engagée en réponse à notre actualité. Il était également un signe de notre temps, comme un ex voto, à ne pas oublier dans le futur, un outil, une amulette. Étienne a trouvé un code pour crypter les mots des chefs d'accusation, consensus pour celles et ceux qui craignaient de bien lire, en ayant la promesse qu'à la fin août, date à laquelle se terminait l'exposition, nous pourrions diffuser l'original. Je le montre ici, sur mon site, gardant cette liberté d'expression. Cette date est devenue d'autant plus révélatrice, que fin août 2011, la justice américaine qui avait prononcé ces chefs d'accusations (en mai 2011), du viol de Dominique Strauss-Kahn (patron du Fonds Monétaire International), sur Nafissatou Diallo, (femme de ménage au Sofitel de Manhattan), a abandonné les poursuites au pénal, en prononçant un non-lieu. Cet ex voto, cette pince en origami à plier soi-même, reste un signe important afin de ne pas oublier les pressions, notamment celles des hommes sur les femmes ou des riches sur les pauvres, et ici, la pression exercée sur les artistes à qui l'on propose d'exposer à condition qu'ils réalisent de jolies choses et n'expriment pas trop ce qu'ils pensent, ou pire qu'ils oublient leur histoire, d'où ils viennent, et les artistes qui les précèdent et les animent.

Cette collaboration dégage d'autres idées artistiques qui font débat, notamment sur les pratiques dites amateurs et celles considérées par l'art contemporain, et sur les droits d'auteurs. Sarah Morris, peintre américano-britannique, a été poursuivi par Robert Lang, créateur d’origami, en mai 2011, pour avoir plagié ses conceptions originales pour « Origami Series ».
" L’artiste contemporaine reconnait avoir fait un emprunt direct aux créations de Lang méconnaissant ainsi les risques qu’elle encourait. Le créateur d’origami lui réclame des dommages et intérêts ainsi que le remboursement de ses frais de justice. Robert Lang est considéré comme l’un des plus grands artistes en origami au monde et a effectué des demandes de protection pour chaque création. Un origami est le résultat d’une formule mathématique. Très peu de personnes sont capables de créer des origamis originaux. La législation américaine sur de telles créations n’interdit pas les dérivés mais ceux-ci doivent faire l’objet d’une demande auprès du créateur qui se réserve le droit d’agréer ou non. En l’occurrence rien n’a été fait et Robert Lang considère cela comme du pur plagiat. La renommée des œuvres de Morris, qui ont fait l’objet de nombreuses expositions et sont référencées sur google images, ne fait qu’aggraver les choses étant donné qu’elles sont, selon Lang, de sa main et non de celle de Morris. Lang écrit sur son site internet : « Si vous connaissez des peintures de Mme. Morris basées sur des origamis qui ne figurent pas dans notre plainte, nous serions heureux d’en prendre connaissance ». Le créateur n’est pas prêt de laisser la victoire à son adversaire." (article de ArMediaAgency)

En réalisant Montagnes et Vallées, Étienne Cliquet m'avait exposé cette question que Robert Lang posait. Car lui-même conçoit des dépliés et des diagrammes, les transmets, et son travail est basé sur l'orgami (son site http://www.ordigami.net/ mais ne se pose pas tel que celui de Lang ou de Morris. Notre collaboration est aussi cette conscience de la conception d'un déplié et de sa capacité à faire oeuvre, à son interprétation, à une autre échelle, à sa transformation. Je souhaitais, et c'est déjà le cas pour les oeuvres d'Étienne Cliquet, que La fée, soit (de A à Z) le déplié-l'oeuvre, que l'ensemble ait un sens cohérent, qu'il n'y ait pas de séparation entre le trait, la structure, l'architecture, la couleur, le volume, l'accrochage... Entre l'objet et le processus. Et que nous soyons auteurs, par notre dialogue, tout cela coulait de source.

Le conflit entre Sarah Morris et Robert Lang est passionnant et soulève pas mal de questions contemporaines. De mon point de vue, Morris aurait dû contacter Lang, si elle se passionnait autant pour ses dépliés jusqu'à les prendre pour modèles et en faire des interprétations, que je trouve réussies. Car, il est vivant, accessible, toute son activité (catalogue, Internet, conférence) bénéficie, elle aussi, d'une reconnaissance, donc c'est une pointure, un spécialiste, pas dans (et pour) l'art contemporain. Mais peut-être a-t-elle perçut ses dépliés comme "utilisables", "appropriables", par le biais de la technique traditionnelle, l'origami, et ancestrale, qui se transmet ? Elle en a oublié l'auteur dans un temps donné, communiqué, le soin accordé à ses conceptions et sa fonction pédagogique et le respect de ses réalisations. Avec le costume de l'artiste du marché de l'art contemporain, capitaliste, elle a "piqué", volé un peu de l'original, comme chaque artiste s'inspire et fait de l'iconoclasme, quand ce n'est pas de l' iconodoulie, pour créer une nouvelle oeuvre, la sublimer, ou la dénaturer... Cela dit, ses toiles, sont des oeuvres d'art, des peintures, loin du déplié, elles sont à la surface et d'une autre échelle, avec un savoir faire également de peintre (comme l'origamiste et son savoir faire du pliage) et ce savoir là est augmenté d'un savoir marchander l'oeuvre à l'échelle de la mondialisation.

Nous sommes dans une période de jurisprudence parfois exagérée, parfois bienvenue et le rappel à l'ordre et aux règles de civisme sont bien plus fréquents. Le civisme désigne le respect du citoyen pour la collectivité dans laquelle il vit et de ses conventions, dont notamment sa loi. Ce terme s'applique dans le cadre d'un rapport à l'institution représentant la collectivité : il s'agit donc du respect de la « chose publique » et de l'affirmation personnelle d'une conscience politique. Le civisme implique donc la connaissance de ses droits comme de ses devoirs vis-à-vis de la société (Wikipédia) Ce terme est en lien avec Vandalisme, il n'y a point de hasard, si les termes sont liés. Point de hasard si dans Montagnes et Vallées, nous évoquons les violences et jurisprudences de notre temps. Nous avons vu avec l'affaire de Julian Assange, célèbre activiste australien, fondateur de Wikileaks (association qui a donné une audience aux fuites d'information tout en protégeant ses sources) icône de l'infowar (première guerre de l'information) qu'il a été lui-même accusé de viol (ou de "sexe par surprise"), condamnable selon le droit suédois. La plaignante suédoise aurait non consenti à leur pratique (sans préservatif) Mise en abîme du privé à la sphère publique, dans ces transgressions, de ce qui est protégé, non protégé, consenti, non consenti. Dernièrement (Août 2011) Wikileaks aurait commis quelques imprudences dans la gestion des "informations confidentielles" et des câbles diplomatiques qui lui ont été confiés et n’aurait pas hésité à violer le secret des sources. En France, le "secret des sources" est protégé par L’article 109 du code pénal :
"Tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine". Il s’ensuit que la protection du secret fait l’objet d’une protection particulière dans la hiérarchie des normes en France. Rien n’obligerait Julian Assange à laisser révéler ses sources dans Wikileaks.

Revenons à Pression' : j'aime bien l'idée que le civisme et le vandalisme soient réunis dans une oeuvre qui devient complexe dans la sphère publique, parce qu'autoréférente dans l'actualité. Comme toute oeuvre qui arrive dans la sphère publique, son intérrêt est dans ce qu'elle cache, crypte, dans ce qui est scellé par le, les auteurs. Montagnes et Vallées joue beaucoup sur des choses non dites, cryptées, implicite (dans les plis)... Vis à vis de procès, on est tenté de prendre parti. Or les dépliés sont des processus et préservent un coté dérangeant parce que non résolus.

Un mot est commun à ces 2 affaires très différentes qui nous occupaient toutes 2 dans notre projet, dont la justice américaine s'est occupée, ce mot à pris toute son importance, la nécéssité au préalable de : Consentir

Consentir : verbe transitif
Sens 1 Accepter qu'un événement ait lieu, qu'une chose se fasse.
Anglais (consentir à quelque chose) to consent to something
Sens 2 Accorder quelque chose à une personne. Ex Il a consenti à me faire une ristourne de 10%.
Synonymes : accepter, accorder, acquiescer, adhérer, admettre, applaudir, approuver, autoriser, avouer, concéder, condescendre, daigner, donner, être, laisser, octroyer, permettre, se résigner, tolérer, toper, vouloir.

"Quand une femme accorde un rendez-vous, elle ne sait jamais si elle consentira ou si elle ne consentira pas. C'est même pour le savoir qu'elle donne le rendez-vous."
[Tristan Bernard]

"Qui ne dit rien consent, mais qui consent à tout sans rien dire est une belle lavette, un bon à tout et un propre à rien."
[Pierre Dac]


Dans Montagnes et Vallées les dépliés diffusés, à imprimer et plier soi-même (le mode-d'emploi est le déplié lui-même) sur le site Internet, ne présentent pas leur finalité, la chose, l'objet final n'est pas montré, ni exposé, il est à fabriquer par l'internaute, le plieur, la plieuse. Nous nous concentrons sur le processus, non sur le produit fini, qui est également un potentiel, induit par le déplié, "à venir", comme si l'achèvement de l'oeuvre dépendait de celle ou celui qui la reçoit, perçoit, manipule. Une sorte de souplesse (d'esprit, manuelle, de façon de voir les oeuvres, les acquérir, les transmettre) est proposé par le pliage, qui peut paraître hermétique au premier abord, pour ces jeux de patience. Nous sommes convaincus que ces jeux artistiques, taquins, sont des manières de voir des mondes et demandent souvent à l'autre d'être reflexifs (actifs et non passifs) Les mathématiques sont ici, dans l'origami, représentés comme un casse-tête dont l'objectif est de créer de la complexité à partir d'une seule feuille de papier carrée, sans la découper ni la coller. L'accent est mis non seulement sur la forme finale et la séquence, mais également sur les plis.

L'origami est l'art du papier plié. Le terme origami a été inventé en 1880 à partir des mots oru (plier) et kami (papier). Avant cette date, cet art se nommait orikata (formes pliées). L'objet obtenu par le pliage du papier est appelé une figure. La méthode utilisée pour plier le papier et produire une figure s'appelle modèle. Le plan contenant les directives de pliage est constitué d'un ensemble de diagrammes. Les personnes qui pratiquent l'origami sont des plieurs de papier ou origamistes. "Le déplié est une image des plis d'un origami représentés par des lignes de différentes couleurs ou de différentes épaisseurs selon leurs sens" (voir article sur le blog d'Ordigami) Pour avoir assisté à de longues séances de pliages, on déplie souvent ce que l'on plie lorsque commence cette activité d'orgamiste. J'ajoute que les mots qui s'inscrivent le long des plis, ou dans les aires de repos, forment dans ce projet, des poèmes à déplier (voir une autre collaboration : Poèmes à la dent bleue)

 

 

 


© Sonia Marques - 2011