Je monte sur un Tupelo noir, je saute de branche en branche jusqu'en haut, c'est musical, comme si je faisais sonner une note à chaque fois que je touche avec mes deux pattes une nouvelle branche. Quel arbre magnifique ! Je ne l'avais jamais vu auparavant, il est conique et lumineux, il vient des indiens d'Amérique, il parait qu'en Automne il devient rouge. Il commence par changer de couleur en passant par le jaune vif, puis l'orangé flamboyant, puis le rouge éclatant et enfin le carmin. Ce sera un spectacle digne d'un feux d'artifice pour tous les oiseaux qui savent monter très haut ! Mais mon ami l'écureuil ? Il y sera assurément ! J'ai deux amies pies, c'est un couple, ils s'aiment pour la vie ! Nous les pies, nous vivons en couple, lorsque je rencontrerai ma moitié, je lui jurerai fidélité, jusqu'à la fin de ma vie, pour le meilleur et pour le pire, seule la mort nous séparera, nous nous aimerons d'un amour sincère. En attendant, je n'ai dit à personne si j'étais un mâle ou une femelle, mais cela ne regarde personne ! Chez nous l'unité sociale, ce qui fait le groupe, c'est le couple. D'ici deux années, je pourrai prétendre à convoler en noces, me marier, mais je suis déjà prêt ! Non, je rigole. Au début, le mâle me faisait vraiment peur, avec sa tête féroce. Il pique, nom d'un chien ! Mais je suis plus fort que lui à la course, il n'arrive pas à m’attraper. Au début j'étais tranquille avec la femelle, qui restait observatrice et patiente. Mais lorsqu'il y avait quelque chose à prendre, elle tombait d'un coup en piqué, sa vision est précise. Parmi les herbes, elle sait reconnaître des miettes ou des micro-nouveautés. Puis, ce couple vient
avec moi, nous sommes tous les trois, ils me rappellent mes parents, mais ce ne sont pas mes parents. Au début, ma tutrice s'est dit, mais ce sont ses parents ? Je ne peux pas être adoptée, je suis trop différente, je passe mon temps à jouer. L'autre jour, ma tutrice a lancé un petit fagot qu'avait confectionné son compagnon. Je l'ai attrapé par la ficelle et je sautillais de joie. Le mâle pensait que c'était quelque chose de si précieux, qu'il s'est mis à courir après moi, avec ses pattes, puis à voler. J'ai lâché le morceau tellement il était lourd. Au sol, le mâle s'est mis à piquer le fagot, à le transporter, mais il ne savait pas quoi faire, il n'avait pas pour habitude de jouer. Il a laissé tomber le fagot de bois. Heureusement ! Depuis j'ai appris à feinter. Je fais semblant de trouver des trucs, des boules qui brillent de papiers d’aluminium laissées par les êtres humains, je les prends délicatement avec mon bec et je parcoure le terrain avec fièrement. Le mâle s’interroge puis fonce sur moi, là cela devient très excitant pour moi, ma stratégie paye ! Je vole plus loin et au pied d'un arbre, je fais mine de le cacher, comme si c'était une victuaille très précieuse. Je dépose des feuilles sur lui, et je vais plus loin, l'air de rien. Le mâle arrive à toute allure, déterre la boule et est très déçu, cela ne se mange pas. Il fait la tête. Alors je complique le jeu. Je prends réellement un petit vers séché, je fais mine de l’enterrer quelque part, puis je le déterre en vitesse et je vais plus loin l’enterrer, puis je le déterre, puis je vole avec, puis je me pose sur ma tutrice et je le dépose entre les plis de sa veste, sur son bras. Et je regarde le mâle, qui en est encore à pointer tous mes leurres, toutes mes fausses cachettes où il n'y a rien de caché. Je reprends mon petit vers séché, entre les plis de la veste de ma tutrice, puis je le dépose dans sa poche, elle ne voit rien. Ainsi, elle aussi, lorsqu'elle rentre chez elle, et qu'elle met sa main dans sa poche, elle découvre un petit vers séché. Je rigole bien. Lorsque je suis content, je sautille et parfois je saute très haut, je fais des bonds, et j'ouvre mes ailes en exprimant ma joie, avec des petits cris. Lorsque je fais un leurre, je fais comme si de rien n'était, mais parfois, je ne sais cacher ma joie, alors ma tutrice voit bien que j'ai caché quelque chose, sous le tapis. Oui je suis la pie des tapis. Comme on dit : "Je mets tout sous le tapis, quand ça m'embête"
Je me balade dans les Lupins Indigos et parmi les Fuchsias de Magellan, qu'est-ce que c'est beau. Je montre les étiquettes à ma tutrice, je lui dis, là regarde !
C'est un jardin devenu très exotique, mais qu'est-ce que c'est beau, j'en ai plein les mirettes ! À présent j'ai des rendez-vous, dans des lieux différents, je connais de bonnes tables. Un matin, je suis arrivée comme un bouchon de champagne ! Et pof ! Une explosion d'émotions ! Une autre fois, c'est en silence que je débarque, sans un mot, je mets la patte sur la gamelle : Vas y ouvre ta boîte ! Et puis, je snobe mon monde. Je fais des caprices, je fais ma lunatique. Puis, une autre fois, je ne dis pas mes malheurs de la veille, je m'endors comme une grosse patate, sur le bras du compagnon de ma tutrice, ou bien sur son sac à dos. Je ne bouge plus : je veux être rassurée, mince alors ! Le câlin ! Le câlin ! Le câlin ! Vous êtes mes parents oui ou crotte de crotte de fausses pies de rien du tout ! Une autre fois je suis en colère : C'est quoi ce look ! Quelle casquette horrible, quelle couleur infecte, je vais faire mes besoins dessus ! C'est quoi ces grosses cerises, ces motifs rouges sur cette chemise, on dirait de gros yeux de monstres qui me regardent, des milliers d'yeux terrifiants, si c'est ainsi, je m'en vais : Ciao Baci !
Je me suis faite virée d'un arbre. Alors je suis revenue par derrière, et je me suis installée pour la sieste, en boule, je me suis aplatie et je mimais la grosse fatigue, mes plumes blanches gonflaient. Les autres pies m'ont foutu la paix ! Une fois j'ai vu un gros chat sur le muret marcher nonchalamment. Je me suis mise derrière et je l'ai engueulé très fort, qu'est- ce qu'il a eu peur ! Les autres pies ont dit : Mais elle est tarée ! Elle va s'attirer des ennuis à se la jouer solo ! Là elle joue gros ! Bon, il faut dire qu'elle fait peur la pie atypique, et elle pique bien. Elle est formée par ces êtres humains, elle se bat toujours contre plus fort qu'elle. Cela nous fascine ! Par contre qu'est-ce qu'elle est distraite ! Elle passe son temps à flâner, amusée d'un rien, et même des abeilles ! Elle commence à attraper des insectes, mais cela manque vraiment d'entraînement ! Elle est gourde la petite, mais si intrépide ! On aime bien sa compagnie, c'est une fantaisiste, on n'a jamais vu une pie comme ça !
Voilà ce que disent mes amies les autres pies. Ma tutrice est admirative, car lorsqu'elle lit son livre vraiment barbant, dont je lui ai arraché quelques coins de pages, et j'ai même réussi à piquer dans les mots, les lettres noires en caractères, il y a d'autres pies qui viennent se poser au-dessus d'elle et lui tiennent compagnie. Au début, elles avaient très peur d'elle, puis elles ont appris à la connaître et la reconnaître, elles se sentent bien avec elle. Ma tutrice ne les dérange pas, et les pies ne la dérangent pas, c'est un marché bien conclu, pour la paix autours de l'arbre, et afin que ma tutrice lise et soit transportée par son livre, elle oublie les pies au-dessus d'elle. Puis elle s’aperçoit que l'une lit les mots, et elle sourit à la pie qui lit. Un rayon de soleil nous ravit tous, une pluie fine nous donne le signal que chacune doit retourner dans ses pénates.
Ma tutrice a mille choses à faire, elle écrit beaucoup, c'est absurde, si au moins elle venait piocher avec nous, elle nous aiderait bien mieux. Puis, un jour, j'ai compris, qu'elle plantait des graines. Ses mots étaient des graines, qu'elle arrosait. Parfois, elle ne pouvait pas savoir à l'avance ce que cela donnerait. Mais avec l'expérience, elle maîtrise un peu mieux ses cultures. Elle a un jardin extraordinaire, dans lequel j'ai grandi, et je me suis évadée, à ma guise et selon mes envies, au gré du vent. Je peux parcourir 2 km, dans quelques temps ce sera 7 ou 9. Mais je vois beaucoup plus, avec l'envergure des hauteurs célestes.
Ce matin il bruine. Puis peu à peu la pluie décida d'y aller plus franchement. Pas un seul oiseau, pas une âme au jardin. La voici qui arrive de bonne heure, elle n'est pas protégée. Je suis perchée sous l'auvent d'un monument historique, elle ne me voit pas. Je vole vers elle et agrippe son panier, quel courage, les jardiniers ne se sont pas levés. Elle trouve un chêne, pose son tapis et le plie en 4, au pied de l'arbre en pente. Il fait froid ce matin. Elle sort son café encore chaud dans son thermos et goulotte un petit peu, moi je crie comme un dératé. "Elle est là, elle est là", que je traduis pour elle, sinon c'est "Kia, kia, kia". Elle sort un peu de viande mais j'en prends un trop gros bout. J'ai les yeux plus gros que le ventre, je veux tout, tout de suite et dans le même temps, jouer, manger, tirer la mousse, voler, chanter, faire ma pie. Quelle excitation cette pluie ! Cela s'apaise, son compagnon arrive avec un grand truc, quelle terrifiante chose, il le pose, et j'alerte toutes les pies du quartier, à la grande surprise de ma tutrice. Je me positionne debout comme un militaire devant la chose inerte et longue, cette espèce de grand fusil noir qui pique, j'alerte toutes les pies. Elles arrivent, mais elles restent prostrées suspendues, au dessus des branches, plus expérimentées que moi. Je suis l'intrépide debout, ma voix porte loin, enfin, je suis la lanceuse d'alerte, je ne m'arrêterai pas tant que vous ne vous débarrassez pas de ce machin. Ils posent le parapluie derrière le chêne, il se trouve puni. Je suis si fière de moi, les pies sont venues voir mon barouf et ont aussi sonné l'alarme : "Tcha cha cha cha cha chak". Je suis de plus en plus intégrée dans un groupe, je tente plusieurs expérience, je motive les troupes, puis je chasse les prédateurs pour les aider. Ma tutrice m'aide pour mon intégration, elle envoie quelques victuailles aux envieuses, et ainsi je picore avec elles. Une femelle m'a repérée, elle vient se poser sur un arbre au-dessus de ma tutrice, puis, elle attend très patiemment. Parfois je ne suis pas là, qu'elle est déjà posée la première. Elle devient sa complice. Mais voici le mâle, quelle assurance, son bec est plus long, sa queue également, il bombe le torse, est très impatient, vient en retard juste pour piquer ce que la femelle a réussi à chiper par sa persévérance. Lui, il arrive en piqué et récolte la mise en un éclair. J'ai bien vu son cinéma. Alors je me suis mise à voler vers lui, tenter de lui tirer la queue. Il n'a pas apprécié du tout et m'a coursée. Puis il s'est posé en équilibre sur une canisse en bambou. J'avais eu l'opportunité de tester l'assise, ma tutrice quelques jours auparavant m'avait posé sur celle-ci, je n'y arrivais pas au début, puis je me suis tenue droite. Là devant le mâle, je lui montre que moi aussi, du haut de mes 2 mois, je triche un peu, je sais faire comme lui. Il pique la canisse comme s'il voulait la détruire, je me place juste à côté et je l'imite. Je suis si fière. Puis il s'envole et je le suis. Ce jour là, j'ai disparu un bon bout de temps. Puis un matin j'arrive avec la femelle pie, deux vols majestueux, je me pose sur l'épaule de ma tutrice comme si elle m’appartenait, la femelle pie se pose sur la branche en face d'elle. Le mâle n'est pas encore là, vite ouvre ta boîte à secrets ! Ne bouge pas, je reviens vite, reste avec mon amie la pie, je vais sécuriser le territoire. Un autre jour j'emmène ma tutrice dans un coin que j'ai découvert, exotique. Je lui montre où je planque mes trucs. Elle découvre une sorte d'insecte assez imposant, un papillon de nuit ou un autre insecte avec un corps assez long, il est mort, je le pique comme si j'allais en faire un barbecue, des brochettes, puis je joue avec un moment. Lorsqu'il a plu, c'est absolument divin. Tout me dynamise, je courre avec mes deux pattes comme à un mariage, celui de la terre qui révèle un nombre insoupçonné d'invités. Je pioche partout. Je reviens montrer mes trouvailles à ma tutrice, mais je perçois que nous ne sommes pas pareil. Quand est-ce qu'elle va piocher avec moi, avec son grand nez, ce n'est pas compliqué bon sang de bonsoir ! Nom d'une pie !
Que la vie est belle, les pattes dans la boue, je bois l'eau d'une flaque, tandis que tu vois l'incertain de ce temps brumeux, ton visage me défie de faire la pie. Tu es fatiguée, tu te souviens de tes jeunes années volées. Mon temps est juvénile, et, se conjugue avec ta longue espérance. J'invente des espaces illimités, tu ne les connais pas encore, je te démontre qu'ils existent. Mes petites griffes marquent tes bras, le chèvrefeuille parfume l'air silencieux, chaque goutte claque au hasard, une bulle transparente et minérale fond sur tes petits doigts de pieds. J'adore piocher mon bec sur le vernis pourpre de tes ongles. L'autre fois tes cheveux sentaient si bons, tu venais de les laver, je me suis installée comme dans un nid tout propre, et j'ai déposé une petite noisette pour parfaire ton soin nutritif. Le soir tu retrouvais aussi un petit bout de bois, c'était un présent que j'ai enchevêtré dans tes brins dorés, et, ta solitude s'est mise à rire, je l'ai entendue. Sur ma branche, la mienne, qui ne sait pas sourire, a pu fermer les yeux sereinement, le sais-tu ? Tout est vert sur les pierres, le rossignol attend sagement de te siffler sa mélodie espiègle et mélancolique. Cela dépendra de ton humeur. Mystérieux chemins abrités, tout est nappé d'or et d'odeurs précieuses, le temps s'écoule sans le compter, les petits génies préparent des coups fourrés. Tout est peuplé ! Ma demeure est baignée, je dois partir me sécher auprès des velours vert et vert, noir et jaune, tu ne sais où je vole, moi je sais où tu vas, tu vis, tu rêves. Tout s'en va et toi tu restes allongée sur l'été blond dans l'espoir que je revienne te voir.
À la tombée de la nuit, juste avant l'obscurité totale, lorsque l'horizon rose devient mauve, puis un bleu roi lorsque j'annonce qu'il est l'heure de dormir à tous, tu penses à moi. Tu serres une branche et tu fermes les yeux. Et tout va mieux.
Je découvrais un nouveau jardin. Il y avait une petite touffe évasée, ses fleurs étoilée sont d'une teinte rose vif, et d'autres à côté, virent au brun puis au pourpre. Les fleurs sont nommées, Orpin. La plante soigne les aphtes, le traitement des brûlures, et prévient des hémorragies. C'est une plante grasse de longues tiges charnues aux feuilles larges et épaisses de couleur vert jade à vert d'eau. Les jardiniers ont bien travaillé. J'ai vu des fleurs de Vénus, des Verbena, on les nomme aussi Verveine de Buenos-Aires. Elle sont de la famille des verveines utilisées en huiles essentielles, depuis l'Antiquité elles ont des vertus miraculeuses. Elles s'apparentent à la myrte, ma tutrice apprécie beaucoup son odeur. Roses, elles s'élancent depuis une tige qui les déploie bien ordonnées. Je vais me ressourcer aux origines de toute vraie vie. Ma tutrice suit mes aventures, excentrée d'elle-même, elle s'ouvre à la joie d'une communion, à la rencontre de ma particularité et de cet environnement que j'explore. Elle va vers l'autre, elle comprend, elle nomme les présences qui nous entoure, puisqu'elle m'a apprivoisée. Cela ne se voit pas dans le jardin, bien que j'ai une tendance à voler vers elle, ou dévoiler notre complicité en me posant sur son épaule. Elle tente d'éviter ce signalement, il y a des envieux et des incultes. Elle esquisse ses connaissances vers celles et ceux qui sont à l'écoute, par pédagogie et paisibles initiations. Les dépassements sont nombreux et ne s'évitent pas lui soufflais-je, sur ses cheveux. Les ressources créatrices sont plus fortes, tandis que l'égo tant à racornir tout sur lui-même, je suis un messager qui témoigne de son extériorité. En racornissant tout à lui-même l'égo se ferme de toute possibilité d'enrichissement, il s'entoure de préjugés et opprime sa beauté, elle lui reste méconnue. Je vole vers l'autre, je propose une forme philosophique, c'est comme un geste et une parole sans aucun mot, le fil de l'amour, si tu le vois ?
La naissance d'une personne peut advenir en se ressourçant de l’amour aux origines de toute vraie vie. Dans un élan mystique je dévoile un paysage, ma trajectoire est inattendue pour l'être humain : je vole.
Ce n'est pas nouveau, l'être humain envie cette faculté, celle de voler. De l'envie à la jalousie, se cache une peur, il se sent en insécurité, il ressent une perte de territoire, une peur de l'abandon, une peur d'être trompé, un manque de confiance en lui, il en résulte une rivalité constante et permanente avec les autres. J'ai rencontré une petite fille accompagnée par sa grand-mère, elle n'avait que 4 ans et demi, mais elle était très grande, et elle souhaitait m’attraper. Elle attira sa grand mère dans un recoin, ma tutrice se reposait et découvrit ce petit bout de femme vêtu de rose et qui se nommait Rose. La petite approcha sa main très doucement de mon dos, puis je me dérobais assez rapidement. Sa grand mère se présenta à ma tutrice, elles échangèrent, mais moi, j'avais cette petite aux yeux de mygales noires et sa langue qui s'activait sur ses lèvres, elle se léchait les babines et disait tout fort : "Je l'ai presque touchée" Ma tutrice trouva qu'elle était en avance pour son âge, en général, les enfants qui m'approchent et engagent un questionnement avec ma tutrice sont les plus précoces. La petite nous raconta son quotidien, sa grand mère était très sympathique, elle lui a dit : "Tu t'en souviendras longtemps de ce moment exceptionnel". Petite pie, j'ai compris que je pouvais devenir un sujet, parfois un objet de désir. Les sentiments terrestres me sont étrangers. Lorsque je joue avec mon amie l'autre pie, je lui attrape la queue.
Tout simplement car les êtres humains malintentionnés ont tenté de me tirer la queue. J'ai commencé à imiter ce trait d'esprit avec d'autres pies, avec lesquelles j'estimais que je pouvais avoir un ascendant. C'était me tromper, chez les pies, on ne tire pas la queue.
Le soleil se lève, il fait encore frais, je vaque à mes occupations et elles sont multiples. Ma découverte du nouveau jardin, avec des arbres et buissons différents, des fleurs et des légumes, c'est très bien rangé. Il y a plusieurs autres pies aguerries, elles savent où se nourrir. Je n'ai pas eu de parents pour m'apprendre, je suis dans une imitation approximative. Je passe beaucoup de temps à cacher de menues choses que j'estime importantes à mes yeux, mais elles ne s'avèrent pas nourrissantes. Je sais que ma tutrice veille au grain, elle connait l’imprégnation et les conséquences, j'ai pour l'instant une attitude mi-imprégnée par l'être humain, mi-sauvage, j'aime bien avoir ce truc en plus. Je ne sais pas assez que notre complicité, avec ma tutrice fait des envieux. Nous avons eu une désagréable expérience. De jeunes enfants d'êtres humains qui s'ennuyaient âgés d'une dizaine d'années ou une quinzaine, sont venus nous harceler sur plusieurs jours. Ils voulaient me toucher et ont insulté ma tutrice et son compagnon. Ils m'ont protégé. Ils pensaient que ce serait d'autres oiseaux, ou les chats qui seraient mes principaux prédateurs, mais ce sont bien les êtres humains, en particuliers les adolescents. Ils sont peu éduqués et indifférents aux animaux, aux choses de la nature. Et, ils sont très envieux de cette filiation entre un être humain et un animal, que celui-ci soit dans la nature. Ils pensent d'un coup que je pourrai leurs appartenir. Ils sont aussi jaloux de l'amour qui co-existe. Dans ce pays, la violence est encouragée, partout. Elle est montrée comme modèle d'émancipation, de protestation, de manifestation, d'existence. Dans ma réalité, ce sont nos jardins qui sont piétinés, les arbres coupés, les êtres humains ne nous voient pas, ils nous insultent souvent et nous méprisent.
Spectateurs du secret, lorsque l'amour vers une autre espèce nous apprend sur tout un monde invisible, nous demeurons pour les autres, non initiés, des sortes d'espions secrets, des ennemis, et nous pouvons devenir des bouc émissaires d'ignorants.
Un jour j'ai vu des amoureux allongés, un jeune homme et une jeune femme. Petite pie, je pensais que tous les amoureux sont des êtres très sympathiques, qui jouent et donnent de la nourriture adaptée. Ils mangeaient des frites, la jeune femme avait un briquet et pour me repousser, elle l'a allumé sur mes ailes, cela m'a fait très peur. Heureusement ma tutrice a vu cet incident de loin et est venue réaliser un peu de pédagogie. Ils ont compris, mais moi j'ai compris qu'il y avait des êtres humains différents. Au début, je pensais qu'ils devaient être tous comme ma tutrice, j'allais vers eux avec tout mon enthousiasme, mon petit cœur porté par ses ailes si fragiles. Les êtres humains manquent beaucoup de culture. Il y a peu d'enseignant engagés dans les écoles pour sensibiliser les jeunes et les moins jeunes. Cette jeune femme avait plus de 20 ans. Ma tutrice sait que dans ce pays, on supprime les enseignants, on fait de même, avec un briquet, on pense les éloigner. Ici, les écoles sont brûlées. Les employeurs maintiennent les enseignants dans une précarité extrême, et leurs enlèvent le sel de leur vie, tout leur parcours, leur savoir, et les laissent sans emploi. Ils ne veulent plus que les enseignants évoluent, leur situation de vie est contrainte par de nombreuses règles communautaires qui les empêchent de s'épanouir. Souvent, sans qu'ils ne s'en aperçoivent, c'est entre mêmes enseignants que les contraintes se créent, au fur et à mesure, ils s'isolent de leur famille, de leur histoire, ils deviennent marginaux. Ma tutrice rencontre des sans domiciles fixes, le pas dans la vie cachée dans la nature est rapide, entre la vie d'avant et la vie à se cacher pour dormir. Il n'y a pas de solidarité. Sont poussés vers les marges de la société humaine, des êtres sensibles et cultivés. Pourtant leur savoir ne peut faire face à leur détresse. Rien ne sert de savoir lorsque tout nous repousse, lorsque la nature humaine devient repoussante. Nous les pies nous côtoyons tous ces êtres, certains attendent que les jardins se vident afin de s'installer la nuit venue et déguerpir au petit matin, je me lève avec eux, dès notre réveil, ils savent qu'ils doivent partir, reprendre leur sac, et passer leur journée à faire semblant, de lire sur un banc publique, de tenir encore debout. Mais moi je vois leur barbe grandir, ils étaient habillés à la mode de tous ces jeunes, ils ne parlent plus, ils dorment comme s'ils se préparaient à mourir en silence. Puis, ils hurlent comme des fauves. Cachés, les touristes pensent que ce sont des animaux derrière un mur. Ils sont aussi savants que nous, dans le camouflage, car nous le savons tous, les oiseaux se cachent pour mourir.
Je ne connaissais rien à ces pratiques très répandues de groupe, ces méthodes de harcèlement qui s’acquièrent très tôt à l'école. Ma tutrice a étayé une pensée philosophique sur ce phénomène, elle s'applique, mais cela ne sert à rien. Elle est sérieuse, j'espère lui faire découvrir cet autre monde, celui de la confiance. Les êtres humains sont lâches ensemble. Ils sont solidaires uniquement dans cette faculté de trouver une personne sur qui se défouler ensemble. Parfois ils disent que les pies sont des nuisibles. Ils ont répertorié notre famille d'oiseau comme une race qu'il faut éliminer. Même si les études ont évolué, certains ont gardé cette idée que nous volons leurs récoles et leur bijoux. Petite pie j'ai vécu le harcèlement mais contrairement aux êtres humains, cela ne me touche pas, d'ailleurs je ne comprends rien aux insultes. Le danger est au sol, le danger est partout, dans les branches, le jour et la nuit. La liberté aussi, est à chaque instant, le choix doit se faire en un éclair. Le savoir, dans ce pays est devenu une cible, il est attaqué. La connaissance se cache, au grand désespoir des êtres humains sensibles.
J'ai rencontré plusieurs autres êtres humains très gentils, et aussi des experts, une soigneuse qui m'avait remarquée et voulait me capturer pour réaliser ses expériences. Heureusement que ma tutrice était là. Elle lui a raconté mon histoire. La soigneuse était jeune et encore en stage et elle m'avait repérée, elle trouvait que j'étais une pie atypique, mais elle ne savait pas que j'étais en phase de réintégration. Elle était vêtue d'une robe blanche décolletée, et avait une multitude de tatouages partout, sur ses jambes, ses bras, et un petit sac en toile. Elle correspondait avec ses amis à l'aide d'un casque sur ses oreilles et se photographiait sans arrêt avec son téléphone, son visage en faisant des moues. Lorsqu'elle a vu ma tutrice elle s'est présentée comme une soigneuse, c'était plutôt l'inverse que j'ai vu. Elle était prête à me désintégrer, m'emmener en observation, car elle pensait que j'étais seule et isolée, et que je devais être malade quelque part. Je devais avoir des problèmes de santé, et comme elle venait d'apprendre qu'elle pouvait capturer pour soigner, ainsi se donnait-elle le pouvoir d'être soigneuse. Ma tutrice est bien plus âgée, elle a deux fois son âge et elle est très calme. Elle me dit qu'elle a connu aussi cela, en tant qu'être humain. Une femme qui se dotait d'un pouvoir qu'elle n'avait pas a voulu l'emmener voir un médecin pour que le médecin réalise qu'elle avait un problème pour être aussi atypique. Le médecin fut très embarrassé, car elle a vu que ma tutrice était douée, et intelligente et très gentille, mais harcelée au travail. Elle me fait comprendre que cela arrive chez les êtres humains de se sentir avoir un pouvoir sur l'autre. Elle me dit qu'en période de guerre, les méchants font cela, ils envoient des êtres humains être fichés chez des médecins ou à la police. Moi petite pie, j'ai pensé que ce monde s'ennuyait et ne savait pas grand chose. La soigneuse s'est aperçue à temps de l'erreur qu'elle allait faire. Moi j'étais très sympa, j'allais la voir, elle mangeait des poireaux, mais je n'aime pas ça. Ainsi ma tutrice a eu le contact d'une association qui sauve des oiseaux dans le Limousin, c'est exactement ce qu'elle a fait avec moi. Ils ont un nombre important cette année de choucas tombés du nid et de martinets. Ma tutrice trouve les martinets très beaux. Apus, apus, ils peuvent rester en vol durant des mois, sans se se poser, leurs pattes sont atrophiés, ils ont des vols incroyables, et ce sont les plus rapides, parfois 200km/heure. Ils sont confondus avec les hirondelles. Mais leur grosse tête est engoncée, leurs yeux si expressifs. Elle voyait un petit verdier se faufiler dans les branchages, d'un vert si vif, qu'elle ne le voyait que par intermittence, camouflé dans ces feuillage vert. C'est la soigneuse qui lui a dit le nom potentiel de cet oiseau. J'étais contente de les voir échanger, elles ont des connaissances différentes. La plus jeune, c'est par la théorie, ma tutrice c'est l'expérience du terrain et de la vie quotidienne avec des oiseaux, elle est artiste. La soigneuse lui révéla qu'avant son stage, elle n'avait jamais porté aucune attention aux oiseaux. Elle ne les distinguait pas et n'y attachait aucune importance. Son association recherchait des bénévoles, elle a dû apprendre très vite, depuis, elle fait très attention, cela a valorisé aussi son saut dans la vie active, il y a un sens dans sa vie professionnelle. C'est un très beau métier que celui de soigner des oiseaux et un beau métier jardinier. Ma tutrice rencontre des gens très riches, et différents que l'on ne distingue pas, et qui sont dans le lien à la nature.
Ma tutrice me dit que je suis la plus belle chose qui lui soit arrivé depuis des années. Moi je lui dis que sans elle je n'aurai pas pu vivre tout cela.
J'ai connu la pluie, la tempête, une chaleur étouffante, la raréfaction de l'eau, des comportement agressifs, des attentions particulières, des vols de nourritures par mes copines les pies, des courses poursuites, écureuil, hérisson, il y a eu une chatte qui a eu plein de petits chatons, j'ai vu tant de glands tomber, de fleurs pousser, de nuages, de cris diverses et variés de tant d'animaux, des langues étrangères humaines, je suis fatiguée tous les jours, et je suis vive de plus belle. Son compagnon me fabrique des jeux, il a plein d'idées très rapidement, ils les mets a exécution, sur le champs, j'aime cela, car je suis dans le même élan, enthousiaste et sans préjugé, il agence des fagots, des sortes d'avions de glands délicats. Au début il était venu confiant avec ses instruments de musique, mais je suis une pie. Puis un jour il est venu avec une boule rouge un peu molle, d'un rouge très vif, grosse comme une balle de ping-pong. Il était malin en me la présentant, mais ni une ni deux, je lui ai piqué la
balle et suis partie avec le nez rouge du clown à travers champs. C'était incroyable. Je me signalais partout avec cette balle au bout du bec, puis je l'ai cachée avec préciosité dans un feuillage. Voici ma sagacité, qu'on se le dise, je suis une pie effrontée.
Je suis un presque rien, je suis presque tout.
L'été s'éternisait ces dernières années, cet été, les journées ne se ressemblent pas, peut-être suis-je devenue la tutrice de ma tutrice ? Elle disait en souriant que le nom qu'elle pensait m'attribuer était une thérapie (Téra-pie). Ça c'est bien une mauvaise idée, son compagnon au moins, me nomme pimousse.
Pidoudou, pidoux.
Je reste "La pie", pour elle, je l'ai rencontrée sur des tapis. La pie des tapis.
À chaque instant, elle pense aux tapis volants avec moi. Lorsqu'elle était petite comme une pie, elle se transportait dans les contes fantastiques, où il y avait des tapis volants, persants. La lévitation n'est pas une mythologie pour elle. Le jardin est un espace sacré, depuis elle m’accueille sur un rectangle de tissus, comme si je venais dans un lieu qui comprenait le monde entier. Il faut imaginer un décor, une fontaine, une corne d'abondance, des invités, une vue sur le ciel. Il y a sur ce bout de tissus, qui est un tapis, le jardin du monde, parfait dans un calme absolu. Sur un tapis volant, la mobilité à travers le monde et l'espace, est une métaphore d'une partie du tout.
Tout est possible, tout est magique.
Et puis, il se replie, il disparait.
Et moi je m'envole comme si je n'avais jamais existé, comme si j'étais juste un rêve.
Un songe. Lorsque je reviens, la magie opère comme une apparition divine, et lorsque je ne suis plus là, j'arrive à maintenir l'espoir que je suis quelque part, ou ailleurs.
Un albanais venait me voir, il sifflait, mais je ne répondais pas à son appel. Il me racontait qu'il avait une soixantaine d'années, arrivé ici en France en 2016. Il est très dur de trouver un travail, il y a plein de réfugiés, jamais de contrat à durée indéterminée, que des CDD, toujours différents et trop courts. L'administration est infernale, il ne peut même pas retourner dans son pays, cela fait 8 années qu'il n'a pas revu l'Albanie. Il est fier de ses 2 fils, ils ont chacun un Master à l'université, un à Périgueux et un à Bordeaux.
Il me dit qu'en Albanais une pie se nomme "grizhlël".
Il est revenu me voir avec sa femme le lendemain. Il était bien habillé, et elle brune, belle en rose couleur des fuchsias, ils étaient élégants. Il voulait me présenter mais je n'étais pas là, je venais de prendre mon bain, je me suis échappée vers d'autres cieux. Espérance me disent-ils, fait briller mes yeux et enlève mes larmes, que le jour où je te découvre soit solennisé. Me souvenir de toi, éclaire mon endormissement, accompagne mes rêves, fait disparaître mes tracas. Grizhlël te souviens-tu que tes amies sont aussi en Albanie ? Ce qui me reste à vivre, je veux le vivre avec elle, ma femme, la plus belle. Notre âge n'est plus si vert, nous ne comprenons pas cette langue, j'entends ton cri solitaire, le mien te rejoint.
Ma tutrice lisait un livre, "Le Laboureur et les Mangeurs de vent: Liberté intérieure et confortable servitude" de Boris Cyrulnik. C'est à elle que je donne mes rencontres, les artisans et leurs soliloques, ils pensent me trouver pour la première fois, ils me surprennent et font un vœux, je les surprends en train de prier. Quelle drôle de manie ces téléphones ! Ce sont des objets devenus mes intermédiaires. Ils me capturent dans toutes leurs photographies, ils balayent de leurs doigts grassouillets l'écran, je suis sur leur téléphone avec eux, parfois avec des fleurs en arrière plan. Ils emmènent mon image et la montre à leurs proches : "Regardez, cette pie m'aime, cette pie vient vers moi, regardez, je suis si innocent, je fais partie des anges" Pourtant, lorsque je regarde les images derrière leur dos, ce que je vois, c'est ma tête d'ahurie. C'est ce qu'ils préfèrent, eux aussi, ils ont une mine d'ahurie, les étourdis.
C'est un jour de fête, un jour comme un autre pour moi. Les feux d'artifice ont fait fuir mes amis les oiseaux, je me suis réfugiée dans un paradis noir, celui du silence. Tous les chemins où s'éloignent mes amis me serrent le cœur. Je dors seule sur ma branche, terrorisée parfois. Je sais qu'elle n'est pas loin, mais elle s'éloigne, ma maman.
Voici le matin, pour moi, la fête revient, tous mes amis chantent le lever du soleil, mon cœur se réjouit. Le sol est humide, c'est agréable et si frais.
Le tintement des affaires arrive tout doucement, toute chose grince gentiment.
Aimable nature, j'attendrais le temps qu'il faut, elle reviendra.
Bienfaits et délices, ma tutrice arrive. Elle fait connaissance de tous mes amis humains et oiseaux. Petit prodige je picore son livre, je lui dis "Allez hop ça suffit ! La vie c'est mieux, la vraie ! On passe à l'action !" Je lui ramène un collier, il n'était pas fini, à peine commencé, 4 perles vertes sur un fil de nylon. Je lui dépose des cadeaux, des feuilles et des glands. Je courre comme un bolide sur les baskets de son compagnon, je lui picore sa casquette "Berlin, Berlin", il m'a fait découvrir des jeux, je prends des bains de soleil et d'extase sur son épaule, mes yeux bleus s'ouvrent et mes ailes aussi, uniquement lorsque je suis en confiance, j'ouvre mon bec en grand, rouge à l'intérieur. Je respire, ils me regardent comme bénie des Dieux.
Soyez heureux aussi ! Il vous est permis de respirer ! Malgré tous vos malheurs, ne soyez plus exclus de la vie !
J'entends le vent bruire dans ces feuillages, je choisi lesquels vont me balancer doucement dans une quiétude profonde.
Mais j'entends une voix éternelle, je suis vivant encore.
Un soir je suis allée sur la tête d'un homme, plein de cheveux noir et blanc, je lui tirais sa kératine de mon bec en aiguille. Sa femme était admirative malgré le mal que je lui faisais, à son mari, et le plaisir qu'elle en soutirait, derrière son téléphone, le fameux appareil de photographie de tous les êtres humains. Elle prenait des photos de nous deux. Il disait : "Aie, Aie, Aie !" Puis ma tutrice est arrivée, j'étais gênée, elle m'a surprise avec un autre homme et une autre femme. Elle a raconté mon histoire, je suis en phase de réintégration dans mon élément naturel.
Il n'y avait nulle science dans mon geste, je suis démasquée.
Cette femme est revenue une semaine plus tard, elle nous a présentés son père, un vieil homme qui habite derrière, elle a apporté un présent. Elle est venue nous saluer et nous a dit désirer emmener son père voir la pie. J'étais timide, je ne voulais pas les voir. Ma tutrice me les a présentés, puis elle m'a donné son présent. Une noix de coco remplie de graisse, avec des petits vers. J'ai un peu boudé ce gros machin. Je suis petit mais je mange de la viande rouge qui saigne. Son père était âgé et si heureux de me voir. La fille et son père réunis, ils étaient baignés de félicité. Elle devait avoir la cinquantaine, elle était émerveillée, elle a pris des photos de lui et de moi, de nous, enfin c'était un jour spécial pour eux.
Juste avant j'étais cachée, et une grande personne s'est cachée derrière un arbre, il a déposé un présent : 3 framboises, c'était pour moi.
J'avais déjà pas mal picoré ce jour-ci, beaucoup me font des présents. Il est revenu le soir avec une autre personne, il lui a montré que les framboises avaient disparues, il était si heureux, il disait à son amie : "Elle les a mangés, elle les pris !"
Il y a plein d'autres oiseaux.
Plusieurs jours plus tard, ma tutrice est allée se présenter à ce dessinateur qui est venu nous montrer ses beaux dessins. Toutes les pies se sont mises dans un arbre nous regarder, ils étaient 3 humains et moi au milieu, je grignotais son carnet, ma tutrice tentait de m'empêcher de faire mon intéressante. J'avais très soif, avec ces 38 degrés, ils échangeaient sur toute la vie des êtres humains, et leurs aventures, ils ne se connaissaient pas auparavant et ils ont dressé un portrait kaléidoscopique de leurs chemins, quelles drôles de vies. Mes copines les pies sont venues assister au spectacle de nos échanges. Ma tutrice chuchota que nous étions comme dans "La Conférence des oiseaux", le grand poème persan écrit par le soufi Farid al-Din Attar en 1177. Moi je ne connais pas ces choses là, mais je ressens d'autres choses, j'espère qu'ils comprendront, ce dont je suis capable de faire aussi, de me souvenir, aussi loin que les oiseaux volent, il y a bien plus longtemps que tous ces poèmes, des temps où les poètes n'étaient pas nés.
Un très vieil homme un peu sourd du pot est venu me donner des lardons. Ma tutrice a dit que j'avais déjà mangé. Il lui a dit : "Ces bêtes là ça mange de tout, elle a faim, faut lui donner à manger, il y a sa mère avec ses deux pies derrière. Elles est très jeune". Ma tutrice tentait de lui expliquer que mes parents n'étaient pas là, et que j'avais été élevée par elle, et qu'elle m'avait appris à voler. Il n'entendait rien, il roulait un peu des mécaniques devant elle et voulait lui dire que c'était lui qui l'avait découverte, nous avons bien rigolé. Il a dit qu'il habitait en Charente Maritime, qu'il a plein de poules chez lui. Toute sa vie, il a lancé des graines. Puis, il a compris qu'il s'était trompé, et que j'étais bien élevée, je me suis mise sur l'épaule de ma tutrice. Je suis une pie qui vole partout, certains pensent me découvrir dans l'intimité, reviennent et sont déçus de me voir avec une autre personne charmée. Je fais des jaloux. Les êtres humains apprennent la liberté.
Une femme très apprêtée avec son petit mari, un monsieur "je sais tout" me demande si je ne vais pas voler ses boucles d'oreilles, son mari dit que je mange même les autres oiseaux. Ma tutrice leurs explique mon intelligence, ce qui dérive de ma curiosité et mon incroyable adaptation, mais cela ne s'explique pas, surtout à des idiots ! Alors je vais picorer son sac à main et elle va confirmer son préjugé, et ira me dénoncer, je serai fichée à la police. Mais je ne participe à aucune émeute moi !? C'est un nuisible ! Mais non, je suis une petite pie, et pour les petits cœurs, je suis l'alliance du génie poétique et du philosophe. Audacieuse et franche, je peux me mettre en colère. Mais c'est à l'amoureux que je déclare la vie plus belle, c'est à l'amoureuse que j'ouvre sa cachette ensevelie, sa beauté qui s’évanouit, dans son doux regard. Je remue leur enfance, la source de leurs royaumes angéliques, qu'ils n'ouvrent jamais. Toutes les dissonances s'oublient d'un coup, je suis devant, je brise le chagrin. Retrouves ta dignité vieille Lune ! Laisse s'abîmer tout ce qui doit, et vole vers l'étoile ardente, l'espoir infini retrouvé.
Parfois je suis photographiée, je fais ma star. Trois américaines sont venues me photographier, je faisais la reine, puis l'espiègle, puis je me suis attaquée à leur lacets. Il y a toujours un moment où cela déconne grave. J'inspire confiance puis deux minutes plus tard, je me dérobe, je prends la poudre d’escampette. Les êtres humains sont des orages ambulants. Ils soupirent et envient les ailes qu'ils cherchent toute une vie. Ils sont confinés dans de terrestres idylles, avec un esprit exalté parfois ivre, souvent plaintif. Je les entends, ils délirent, je suis bien plus raisonnable. Ils souhaitent que tout vienne à eux, ils sont partisans du moindre effort, ancrés dans leur confort. Ils veulent tout avoir, ils ne savent qui ils sont vraiment. Ils ont peur de presque tout. Ils se sont tant protégés, de la pluie et du mauvais temps, que les grenouilles sont devenues des étrangères. Nous sommes toujours dehors, nous vivons l'instant présent en composant avec la vérité, guidés par notre sagacité.
Une autre fois ce sont des espagnols : Doña Urruca ! Me nomment-ils.
Les jardiniers me rapportèrent que j'avais changé leur vie, leur travail, car je venais piocher à côté d'eux. Ils me ramenèrent en camion, sur leur capot, quand je me
perdis, ils m'adorent, je fais ma capricieuse, je ne dis pas mon genre, un mâle ou une femelle, vous ne le saurez pas ! L'un me nomme : Pipelette.
Un jeune jardiner a raconté plein de chose à ma tutrice, comment ils travaillent leur sélection de graines, avec le GPS les connexions avec plein de pays étrangers, leurs cultures, il est en apprentissage. Ils travaillent aux aurores, avec son équipe, ils n'avaient jamais vu cela une pie qui revient ici, et qui parlent aux humains. Tout le monde remercie ma tutrice. C'est une fructueuse découverte, elle n'est pas si fortuite, je l'engage à la qualifier de sérendipité.
À présent j'ai des copines pies, mais alors, elles ne sont pas faciles, j'essaye de m'intégrer, et je ne me laisse pas faire. Elles piquent mes victuailles que je cache, car j'en ai des trésors.
Je chasse l'écureuil pour les impressionner !
Elles m'observent, j'ai ce quelque chose qu'elles n'ont pas.
Chaque journée est bien remplie, c'est énorme, je parcoure des kilomètres, je vois tout.
Puissance de son architecture
L'Araucaria de Chine
Aux aiguilles de couleur bleu argenté
Où m'emmènes-tu la pie ?
Au paradis pardi !
Tout en haut du conifère vert émeraude
Parsemé de boules d'artichauts mordorés
Le long de son tronc d'écorce rougeâtre
Je te suis la pie
Où se perd le bout de ton chemin ?
Tu sautilles sur la gaité
Mais après quoi cours-tu ?
Après qui ?
La queue panachée rouge
Tu veux l'attraper ?
Clé d'or de ta liberté
Sur la route des oasis
Les trente degrés à l'ombre
Je te suis la pie
Ta modeste opportunité sans souci
Qu'il est doux cet écureuil
Il vole comme toi d'arbres en arbres
Sous les cieux inconnus
Et l'été brûlant
Son agilité te ressemble
Vous faites la paire tous les deux
Des ravissants intrépides
Son museau pointu termine un minois bien dessiné
Espiègle pie n'a pas dit son dernier mot
À cache-cache enroulés sur les branches
Les plumets de poils roux virevoltent
Ardents baignés d'une lumière idéale
Tu pointes la pie de ton bec noir
Ta dextérité laisse le rongeur surpris
Les noix tombent de vos jeux invisibles
Sur un bourdon patibulaire
Au maillot jaune rayé de noir
À la recherche du pollen des fleurs
Amour musical des idiophones
Envoûtantes percussions caribéennes
Dans une flore mellifère
Pour rien au monde
Vous ne quitteriez ce pays céleste
Petits séraphins
Nous laissant détailler tous les instants de notre existence
Une vision de haute définition
Infimes poussières d'anges
Aux pieds des arbres à miel
L'extrême fidélité des sentiments éprouvés
*
Avec un petit pincement au cœur, je regardais les photographies de la pie lorsqu'elle était très petite. Je me demandais comment dormait-elle.
Dans la nature, depuis un arbre, le miracle se produisit, la pie tomba vers nous, vers moi, "tcha cha cha cha cha chak", me cria-t-elle. La pie avec ses petites pattes courra me saluer, et bien mieux, me faire la fête "KIAK !". Les émotions sont fortes, dans ces situations, c'est un bouleversement. J'ai fait perdurer l'accompagnement dans son élément naturel. Je suis devenue un oiseau, un grand oiseau.
Montée dans un arbre, et m'endormir à la tombée de la nuit, me lever à 6h, et aller chercher de la nourriture, lorsque la vie gazouille de toutes parts, déterrer les vers, picorer les mousses, et voler le plus haut, se percher dès qu'un bruit éclate, ou qu'un chat rode en passe-muraille, à la tombée de la nuit, alerter toutes les autres pies et le faire fuir. Avec mes copines, je parle pica pica. Les bains de soleil enlèvent mes parasites, le formicage, laisse les fourmis envoyer leur projections défensives d'acide formique faire leur travail sur mes ailes. Les êtres humains ne sont pas tous gentils, ignorants tout du monde ailé. Mais il y a des rencontres merveilleuses, une petite fille venue des châteaux de Chambord et son père, ils vont à Sète, elle va voir sa grand-mère. Il y a des amoureux, ils ne me voient pas, il se bécotent en bas de mon arbre, parfois ils esquissent des gestes doux à l'abri des regards devant des lotus roses flamboyants. Il y a des sans domiciles fixes très tôt, ou très tard, ils font comme moi, farfouillent dans les poubelles, il y a tant de restes de nourritures, car tant de touristes qui parcourent les jardins. Les jardiniers font beaucoup de bruit, de nouvelles plantes jaillissent, des pavots blancs qui touchent le ciel. Les arbres japonais et l'arbre à soie, des chênes et des séquoias, des bouleaux, des arbres qui sentent la vanille ou les amandes, des chiens énormes, des boules blanches et crèmes ou ceux en muselière. Et voici le merle noir, il est avec sa femme brune et tachetée, ils ont un petit brun tacheté, ils leurs trouvent des petites choses. Mes copines les mésanges bleues, les noires, les rouge-gorges et ce pivert qui taille les arbres sans arrêt. Les faucons pèlerins sont partis. Des photographes avec de très grands appareils aux aurores sont venus nous apprendre la nouvelle, un petit s'est pris un mur en piqué au moment d'attraper une proie ailée au vol. Ils peuvent atteindre 300 km/heure en piqué, là ils ne savaient pas bien s'y prendre. C'est la catastrophe. Et puis la mère a été vue morte, que s'est-il passé ? Le nichoir est vide. Les pigeons font la fête partout, leurs prédateurs sont partis. Il y a des grenouilles la nuit, si petites, les chats les observent, les chauve- souris parcourent dans tous les sens le paysage la nuit.
Je me suis envolée sur l'Albizia julibrissin, cet arbre à soie si fleuri et rose, afin de passer mes premières nuits, chassée par deux grandes pies, prise au piège. Ainsi ai-je découvert que ce fut un italien botaniste, Filippo Albizzi qui ramena de Constantinople les graines de cet arbre. Il ressemble au genre des Acacias et des Mimosas. Ma tutrice humaine connait bien les acacias, sa mère elle-même aime chiper des graines et faire des expériences, cultiver la surprise. L'été cet arbre est orientaliste, il a une valeur ornementale par la couleur rose de ses étamines. On se sert de son bois jaune et marbré en menuiserie. D'une forte odeur d’ail à la coupe, cela ne m'a pas dérangé. Les fleurs sont toniques et digestives, elles ressemblent à de petits pinceaux roses disposées en parasol sur les cimes. Heureusement qu'il était là, pour un atterrissage impromptu.
Mes amis les oiseaux, sont les créatures les plus joyeuses au monde. Enfin de la gaité autours de moi, comme moi. Que les êtres humains sont méchants et bêtes, ce sont eux les bêtes. Pourquoi nous-ont-ils nommés les bêtes ? Pour nous humilier ? Ignorants ! Nous sommes timides et si téméraires, le courage le plus noble, celui dont les êtres humains, n'ont cure. Pourtant nous sommes vifs, plein d'ardeur et de francs enthousiasmes, une sincérité dans nos élans, nous chantons par petits bonheurs, par petits plaisirs, restaurés par le sommeil. Pris de frayeurs, nous nous taisons, silencieux cachés. Nous sommes sensible au naturel, mais point au cultivé. C'est l'état de nature qui nous offre notre vitalité, opportunistes, nous les oiseaux, nous les pies, nous baignons dans la félicité. Un touriste nous disait : "Les êtres humains ont peur de la gratuité, si habitués aux choses du commerce, lorsque la nature leur donne des fruits et des légumes, ils ne veulent pas les prendre, il veulent prendre seulement ceux qui se vendent, contre de l'argent"
Je dois avouer que voir un être humain rire m'est étranger, mais qu'est-ce que c'est merveilleux. Ma mère humaine, me nourrissant, malgré qu'elle fasse partie de ces créatures tourmentées, avec leurs vies misérables, étrangères à tous les phénomènes naturels, me procure un grand réconfort de ce rire malicieux que je ne peux imiter. Mais je suis joueuse, et mon allégresse s'exprime au gré des jeux. Son compagnon est taquin avec moi et il m'a appris à me défendre, à être plus précise, je tourne autours de lui et je joue à cache-cache. Volubile, je concurrence le rire, même si mon aspect semble être celui de faire la tête, mon air sérieux dément ce qui m'anime, la joie, intrinsèque à ma nature, la vie. Je fais partie d'un grand peuple ignoré de tous, nous avons une connaissance infinie du monde, notre intelligence est admirable et notre adaptation multiple, inattendue.
Entendons-nous bien, j'aime les êtres humains, ils m'ont sauvé la vie aussi. Mais le savent-ils, nous sommes en train de sauver la leur... Afin qu'ils éprouvent de la joie à vivre. *
Hommage à Érik Satie, le musicien, par l'artiste peintre Magritte (1925-1935) encre sur papier