Sonia Marques : L'oiseau loisir

© Sonia Marques, L'oiseau loisir - 2011
"Je m'enferme dans ma chambre et, comme une divinité dans son nuage, je m'enveloppe dans la fumée de ma pipe. J'ai un ami intime qui fait mes délices et que tu aimerais à la folie. C'est un sansonnet familier que Pagello a tiré un matin de sa poche et qu'il a mis sur mon épaule. Figure-toi l'être le plus insolent, le plus poltron, le plus espiègle, le plus gourmand, le plus extravagant. Je crois que l'âme de Jean Kreyssler est passé dans le corps de cet animal, il boit de l'encre, il mange le tabac de ma pipe toute allumée, la fumée le réjouit beaucoup et tout le temps que je fume il est perché sur le bâton et se penche amoureusement vers la capsule fumante. Il est sur mon genou ou sur mon pied quand je travaille, il m'arrache des mains tout ce que je mange, il foire sur le bel vestito de Pagello. Enfin c'est un animal charmant. Bientôt il parlera, il commence à essayer le nom de George."
(George Sand, dans une lettre à Alfred de Musset, Venise, 15 avril et 18 avril 1834)

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Dans le menu Incognitos de mon site Internet Kiwaïda où je présente mon nouveau catalogue de dessins réalisé en août 2011, j'ai rajouté un petit texte à propos des oiseaux :

Ce qui n'est pas écrit dans le texte dédié aux Incognitos, c'est la part belle aux oiseaux. En réalisant ce catalogue de dessins, en couleur, il devenait évident que les êtres ailés soient en couverture. Ils m'accompagnent, m'inspirent, j'en élève et les vois grandir. Ils font à leur manière la même chose. Ils me regardent, témoins quotidiens et nous conversons. Un de mes albums musicaux en a été la dédicace (Pépino) Dans mes lectures de George Sand, hasard, je me suis aperçue que cet écrivain avait cette même admiration. Alors je cherchais ses mots en vain. Voici ce que je trouvais :

"L'oiseau, je le soutiens, est l'être supérieur dans la création. Son organisation est admirable. Son vol le place matériellement au-dessus de l'homme, et lui crée une puissance vitale que notre génie n'a pas pu encore nous faire acquérir. Son bec et ses pattes possèdent une adresse inouïe. Il a des instincts d'amour conjugal, de prévision et d'industrie domestique; son nid est un chef d'oeuvre d'habileté, de sollicitude et de luxe délicat. C'est la principale espèce où le mâle aide la femelle dans les devoirs de la famille, et où le père s'occupe, comme l'homme, de construire l'habitation, de préserver et de nourrir les enfants. L'oiseau est chanteur, il est beau, il a la grâce, la souplesse, la vivacité, l'attachement, la morale, et c'est bien à tort qu'on en a fait souvent le type de l'inconstance. En tant que l'instinct de fidélité est départi à la bête, il est le plus fidèle des animaux. Dans la race canine si vantée, la femelle seule a l'amour de sa progéniture, ce qui la rend supérieure au mâle; chez l'oiseau, les deux sexes, doués d'égales vertus, offrent l'exemple de l'idéal dans l'hyménée. Qu'on ne parle donc pas légèrement des oiseaux. Il s'en faut de fort peu qu'ils ne nous valent; et, comme musiciens et poètes, ils sont naturellement mieux doués que nous. L'homme-oiseau, c'est l'artiste." 
(George Sand, Histoire de ma vie, 1847)

De mon côté, l'accès à la contemplation est peut-être ce que m'ont appris les êtres ailés. Ils symbolisent l'imaginaire, l'intelligence et la beauté et sont des miroirs de nos fragilités, dans ce que nous avons acquis de prédation, ne serait-ce que dans l'invention des cages, de la capture, dans ce qu'il y a en tension avec l'envol et la liberté : le pouvoir magique de voler. L'éthologie et les découvertes outre-atlantique sur la vie domestique avec des oiseaux ont été, (au-delà des à prioris sur la fantaisie de ce hobby, qui n'en est pas un, pour ma part) un loisir alors vital. Loisir pour l'oiseau me semble être plus honnête afin de le rapprocher de l'humain et ses passe-temps favoris : Le mot, dérivé du verbe latin licere (être permis), signifie, au début du XIIe s., la " liberté", l'"oisiveté". Puis, à partir du XVIIIe s., il évolue vers le sens de"distraction". Également, je distrais les oiseaux, étant convenu entre nous, que nous sommes en cages respectives (nos habitats), et que, d'êtres captifs, d'égal à égal, nous passons le temps à siffler, barvarder en perruches, si ce n'est dessiner et déchiqueter du papier. Et dans notre monde contemporain : enlever les touches du clavier d'un ordinateur est un jeu d'adresse et de vive désobéissance assez jouissif. 

Cela dit, boire de l'encre et respirer un nuage de fumée de pipe au quotidien, n'importe quel oiseau, même écrivain rejoindrait le paradis un peu plus tôt... sans avoir eu le temps d'écrire ses propres maux.