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Littérature

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26/07/2023

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Photographies © Sonia Marques

Journal d'une pie (extrait)

Ce matin il bruine. Puis peu à peu la pluie décida d'y aller plus franchement. Pas un seul oiseau, pas une âme au jardin. La voici qui arrive de bonne heure, elle n'est pas protégée. Je suis perchée sous l'auvent d'un monument historique, elle ne me voit pas. Je vole vers elle et agrippe son panier, quel courage, les jardiniers ne se sont pas levés. Elle trouve un chêne, pose son tapis et le plie en 4, au pied de l'arbre en pente. Il fait froid ce matin. Elle sort son café encore chaud dans son thermos et goulotte un petit peu, moi je crie comme un dératé. "Elle est là, elle est là", que je traduis pour elle, sinon c'est "Kia, kia, kia". Elle sort un peu de viande mais j'en prends un trop gros bout. J'ai les yeux plus gros que le ventre, je veux tout, tout de suite et dans le même temps, jouer, manger, tirer la mousse, voler, chanter, faire ma pie. Quelle excitation cette pluie ! Cela s'apaise, son compagnon arrive avec un grand truc, quelle terrifiante chose, il le pose, et j'alerte toutes les pies du quartier, à la grande surprise de ma tutrice. Je me positionne debout comme un militaire devant la chose inerte et longue, cette espèce de grand fusil noir qui pique, j'alerte toutes les pies. Elles arrivent, mais elles restent prostrées suspendues, au dessus des branches, plus expérimentées que moi. Je suis l'intrépide debout, ma voix porte loin, enfin, je suis la lanceuse d'alerte, je ne m'arrêterai pas tant que vous ne vous débarrassez pas de ce machin. Ils posent le parapluie derrière le chêne, il se trouve puni. Je suis si fière de moi, les pies sont venues voir mon barouf et ont aussi sonné l'alarme : "Tcha cha cha cha cha chak". Je suis de plus en plus intégrée dans un groupe, je tente plusieurs expérience, je motive les troupes, puis je chasse les prédateurs pour les aider. Ma tutrice m'aide pour mon intégration, elle envoie quelques victuailles aux envieuses, et ainsi je picore avec elles. Une femelle m'a repérée, elle vient se poser sur un arbre au-dessus de ma tutrice, puis, elle attend très patiemment. Parfois je ne suis pas là, qu'elle est déjà posée la première. Elle devient sa complice. Mais voici le mâle, quelle assurance, son bec est plus long, sa queue également, il bombe le torse, est très impatient, vient en retard juste pour piquer ce que la femelle a réussi à chiper par sa persévérance. Lui, il arrive en piqué et récolte la mise en un éclair. J'ai bien vu son cinéma. Alors je me suis mise à voler vers lui, tenter de lui tirer la queue. Il n'a pas apprécié du tout et m'a coursée. Puis il s'est posé en équilibre sur une canisse en bambou. J'avais eu l'opportunité de tester l'assise, ma tutrice quelques jours auparavant m'avait posé sur celle-ci, je n'y arrivais pas au début, puis je me suis tenue droite. Là devant le mâle, je lui montre que moi aussi, du haut de mes 2 mois, je triche un peu, je sais faire comme lui. Il pique la canisse comme s'il voulait la détruire, je me place juste à côté et je l'imite. Je suis si fière. Puis il s'envole et je le suis. Ce jour là, j'ai disparu un bon bout de temps. Puis un matin j'arrive avec la femelle pie, deux vols majestueux, je me pose sur l'épaule de ma tutrice comme si elle m’appartenait, la femelle pie se pose sur la branche en face d'elle. Le mâle n'est pas encore là, vite ouvre ta boîte à secrets ! Ne bouge pas, je reviens vite, reste avec mon amie la pie, je vais sécuriser le territoire. Un autre jour j'emmène ma tutrice dans un coin que j'ai découvert, exotique. Je lui montre où je planque mes trucs. Elle découvre une sorte d'insecte assez imposant, un papillon de nuit ou un autre insecte avec un corps assez long, il est mort, je le pique comme si j'allais en faire un barbecue, des brochettes, puis je joue avec un moment. Lorsqu'il a plu, c'est absolument divin. Tout me dynamise, je courre avec mes deux pattes comme à un mariage, celui de la terre qui révèle un nombre insoupçonné d'invités. Je pioche partout. Je reviens montrer mes trouvailles à ma tutrice, mais je perçois que nous ne sommes pas pareil. Quand est-ce qu'elle va piocher avec moi, avec son grand nez, ce n'est pas compliqué bon sang de bonsoir ! Nom d'une pie !

Que la vie est belle, les pattes dans la boue, je bois l'eau d'une flaque, tandis que tu vois l'incertain de ce temps brumeux, ton visage me défie de faire la pie. Tu es fatiguée, tu te souviens de tes jeunes années volées. Mon temps est juvénile, et, se conjugue avec ta longue espérance. J'invente des espaces illimités, tu ne les connais pas encore, je te démontre qu'ils existent. Mes petites griffes marquent tes bras, le chèvrefeuille parfume l'air silencieux, chaque goutte claque au hasard, une bulle transparente et minérale fond sur tes petits doigts de pieds. J'adore piocher mon bec sur le vernis pourpre de tes ongles. L'autre fois tes cheveux sentaient si bons, tu venais de les laver, je me suis installée comme dans un nid tout propre, et j'ai déposé une petite noisette pour parfaire ton soin nutritif. Le soir tu retrouvais aussi un petit bout de bois, c'était un présent que j'ai enchevêtré dans tes brins dorés, et, ta solitude s'est mise à rire, je l'ai entendue. Sur ma branche, la mienne, qui ne sait pas sourire, a pu fermer les yeux sereinement, le sais-tu ? Tout est vert sur les pierres, le rossignol attend sagement de te siffler sa mélodie espiègle et mélancolique. Cela dépendra de ton humeur. Mystérieux chemins abrités, tout est nappé d'or et d'odeurs précieuses, le temps s'écoule sans le compter, les petits génies préparent des coups fourrés. Tout est peuplé ! Ma demeure est baignée, je dois partir me sécher auprès des velours vert et vert, noir et jaune, tu ne sais où je vole, moi je sais où tu vas, tu vis, tu rêves. Tout s'en va et toi tu restes allongée sur l'été blond dans l'espoir que je revienne te voir.

À la tombée de la nuit, juste avant l'obscurité totale, lorsque l'horizon rose devient mauve, puis un bleu roi lorsque j'annonce qu'il est l'heure de dormir à tous, tu penses à moi. Tu serres une branche et tu fermes les yeux. Et tout va mieux.

Par kiwaïda at 00:24

17/05/2023

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Photographie © Sonia Marques

Offrir à l'autre et recevoir, au détour d'un regard, un livre, un auteur portugais, Raul Brandão, de l'édition Chandeigne, chez cet éditeur, chez qui, j'aimais aller à Paris, dans le 6e arrondissement, dans sa librairie, passer quelques après-midi, et lui me raconter, dans son fatras de nouvelles parutions les unes et les autres, tous ces voyages écrits, qui nous font croire, qu'un jour, on partira, aussi.

Lui qui se  concentrait constamment sur le drame terrible de la condition humaine, imprégné de souffrance, d'angoisse, de mystère et de mort, et ses références constantes à l'offensé et à l'humilié, face visible de l'expression humaine qui est l'un des motifs les plus réguliers de son travail, est devenu, l'un des écrivains  avec Fernando Pessoa, ayant le plus influencé l'évolution de la littérature portugaise au XXe siècle,

Humus, n'est pas un roman comme un roman, il aborde des personnages issus de l'écriture poétique et philosophique, qui interrogent les modes de représentation du réel pour s'affirmer comme une méditation sur la métaphysique de la douleur et sur l'absurdité de la condition humaine, entre le rêve et la disgrâce.


Raul Brandão

Prosateur, écrivain de fiction, dramaturge et peintre, originaire de Foz do Douro, Porto, il est né le 12 mars 1867 et a vécu une partie de sa vie à Lisbonne, où il est décédé le 5 décembre 1930. Descendant d'hommes de la mer, son enfance a été marquée par le paysage physique et humain de la zone de pêche de Foz do Douro. Toujours à Porto, il vit avec les jeunes écrivains António de Oliveira, António Nobre et Justino de Montalvão avec qui, en 1892, il signe le manifeste Nefelibatas. Il a commencé sa carrière littéraire en 1890 avec Impressões e Paisagens.



Prosador, ficcionista, dramaturgo e pintor, oriundo da Foz do Douro, no Porto, nasceu a 12 de março de 1867, e viveu parte da sua vida em Lisboa, onde veio a falecer a 5 de dezembro de 1930. Descendente de homens do mar, a sua infância foi marcada pela paisagem física e humana da zona piscatória da Foz do Douro. Ainda no Porto, conviveu com os jovens escritores António de Oliveira, António Nobre e Justino de Montalvão com quem, em 1892, subscreveu o manifesto Nefelibatas. Iniciou a sua carreira literária em 1890 com Impressões e Paisagens. Frequentou o curso superior de Letras, mas ingressou na carreira militar. Colocado em Guimarães, retirou-se para a Casa do Alto, quinta próxima de Guimarães, local de produção da maior parte da sua obra literária, alternando o isolamento nortenho com estadias em Lisboa, onde desenvolveu paralelamente uma atividade jornalística, tendo colaborado em publicações como o Imparcial, Correio da Noite, Correio da Manhã e O Dia. Nestes últimos, é constante o seu debruçar sobre o terrível drama da condição humana, perpassado pelo sofrimento, a angústia, o mistério e a morte. São também constantes as referências aos ofendidos e humilhados, face visível da expressão humana que é um dos motivos mais regulares na sua obra.

Ao longo de uma obra multifacetada, Raul Brandão viria a ser um dos escritores que, a par de Fernando Pessoa, mais influíram na evolução da literatura portuguesa do século XX, sendo eleito figura tutelar não apenas de gerações suas contemporâneas, como o grupo reunido em torno de Seara Nova, ou o chamado grupo da Biblioteca Nacional (Jaime Cortesão, Raul Proença, Aquilino Ribeiro, Câmara Reis), como de gerações posteriores para as quais a redescoberta da obra de Raul Brandão serviu de esteiro para o reformular de estruturas novelísticas tradicionais.

Esse processo de rutura que se enceta com A Farsa, romance que dá a voz à personagem Candidinha, um ser marginalizado pela sociedade em quem, sob a farsa da submissão, se condensa um discurso de ódio, de inveja e de maldade, culminaria em obras-primas como Os Pobres e Húmus. Dificilmente qualificáveis como romances, estas duas obras, aproximando-se de caracteres da escrita poética e filosófica, colocam em causa os modos de representação do real para se afirmar como uma meditação sobre a metafísica da dor e sobre o absurdo da condição humana, dentro da qual as coordenadas de tempo, espaço, intriga ou personagens, apenas esboçadas, servem de cenário universal e abstrato para o drama secular da luta do homem entre o sonho e a desgraça.

Conjugando a influência de Dostoievski, com o simbolismo e com um sentido de modernismo, registado em processos como a fragmentação do eu [nas duas obras acima enunciadas, o eu tenta opor-se à voz de um alter-ego, o filósofo Gabiru, cujo discurso, também na primeira pessoa, é esboçado nos "papéis do Gabiru" (Húmus) ou na "filosofia do Gabiru" (Os Pobres)], Raul Brandão inaugura uma forma de escrita romanesca que, rompendo com a linearidade do tempo e da sintaxe narrativa, se desenvolve de forma circular em torno de símbolos e palavras-chave como árvore, sonho, dor, espanto, morte.

Entre a redação e a publicação de Os Pobres (1906) e Húmus (1917), Raul Brandão publicou os romances históricos El-Rei Junot (1912), A Conspiração de 1817 (1914, reeditado, em 1917, com o título: 1817 - A Conspiração de Gomes Freire) e O Cerco do Porto, pelo coronel Owen (1915), obras que, tendo por objeto as convulsões do início do século XIX, se até certo ponto divergem da obra ficcional do autor pela exigência de rigor no tratamento da matéria histórica, revelam também uma tendência para envolver os conteúdos de um sentido universalizante anunciado desde a introdução a El-Rei Junot, quando afirma, numa reflexão metafísica que poderia ser colocada na boca do Gabiru, que "A história é dor, a verdadeira história é a dos gritos. [...] O Homem tem atrás de si uma infindável cadeia de mortos a impeli-lo, e todos os gritos que se soltaram no mundo desde tempos imemoriais se lhe repercutem na alma. - É essa a história: o que sofreste, o que sonhaste há milhares de anos, tateou, veio, confundido no mistério, explodir nesta boca amarga, neste gesto de cólera...".

Em conexão ainda com a obra de ficcionista, Raul Brandão publicou três volumes de Memórias (vol. I, 1923; vol. II, 1925; vol. III, 1933) onde evoca episódios, figuras, boatos, chistes políticos e sociais; e apresenta um testemunho direto sobre acontecimentos históricos. No prefácio ao primeiro desses volumes memorialísticos, a comprovar que as fronteiras entre os vários géneros cultivados por Raul Brandão têm contornos diluídos, a voz do autor torna-se, pela mesma angústia metafísica, indistinta da das suas personagens ficcionais, ao afirmar que "O Homem é tanto melhor quanto maior quinhão de sonho lhe coube em sorte. De dor também", ao constatar a inutilidade da vida ("Agarro-me a um sonho; desfaz-se-me nas mãos; agarro-me a uma mentira e sempre a mesma voz me repete: - É inútil! Inútil!"), ao concluir que " Deus, a vida, os grandes problemas, não são os filósofos que os resolvem, são os pobres vivendo. O resto é engenho e mais nada. As coisas belas reduzem-se a meia dúzia: o teto que me cobre, o lume que me aquece, o pão que como, a estopa e a luz. / Detesto a ação. A ação mete-me medo. De dia podo as minhas árvores, à noite, sonho. Sinto Deus - toco-o. Deus é muito mais simples do que imaginas. Rodeia-me - não o sei explicar. Terra, mortos, uma poeira de mortos que se ergue em tempestades, e esta mão que me prende e me sustenta e que tanta força tem... [...] Teimo: há uma ação interior, a dos mortos, há uma ação exterior, a da alma. A inteligência é exterior e universal e faz-nos vibrar a todos duma maneira diferente. Destas duas ações resulta o conflito trágico da vida. O homem agita-se, debate-se, declama, imaginando que constrói e se impõe - mas é impelido pela alma universal, na meia dúzia de coisas essenciais à vida, ou obedece apenas ao impulso incessante dos mortos." (Memórias, vol. I, Lisboa, Perspetivas e Realidades, s/d, p. 14).

Raul Brandão é ainda autor de várias peças de teatro, onde temática ou formalmente subverte as expectativas da receção dramática do início do século XIX, em peças como O Gebo e a Sombra, O Rei Imaginário, O Doido e a Morte, Eu Sou um Homem de Bem ou O Avejão.

Chandeigne publie le petite article sur ce livre, en français (de Gladys Marivat – Le Monde – Mars 2023) :

Plus d’un siècle après sa première ­parution, en 1917, que vient nous dire ­Humus, le chef d’œuvre du romancier portugais Raul Brandao (1867-1930) ?

La voix impitoyable de son narrateur, son acuité terrible, n’ont rien perdu de leur pouvoir de fascination. Entre affliction et dégoût, son journal entremêle la description du train-train d’un village, une réflexion profonde sur la finitude humaine et des visions étranges de personnages, tel le « Gueux », « un être qui vient de l’irréel », probablement en communication directe avec le mystère de la vie. Les personnages de Brandão attendent la mort. L’écrivain voit dans leurs attitudes la manifestation de ce qui les agite : jalousie, ennui, amertume, avarice. Les personnages de Brandão entendent la mort : elle est omniprésente dans les pierres qui s’effritent, la mousse et la pourriture qui recouvrent les maisons. Le narrateur se reconnaît en eux. Tous ont en commun d’être visités par « le rêve ». « Le rêve trouble la ville comme le printemps trouble cet étang, qui n’est que boue et azur : il le colore et l’agite. Mais l’habitude a si bien imprégné la vie que l’on cohabite avec la peur et que l’on continue d’aller au bureau. » Les éditions Chandeigne, qui le rééditent, qualifient Humus d’«antichambre» du Livre de l’intranquillité (Christian ­Bourgois, 1988-1992), de Fernando Pessoa (1888-1935). Il a influencé un siècle d’écrivains portugais, dont le Prix ­Nobel José Saramago (1922-2010), qui le cite comme son livre préféré.


( ´ ∀ `)ノ~ ♡

Heureux le petit prosateur...


Photographie © Sonia Marques

Par kiwaïda at 18:26

10/12/2022

¢αℓ∂ø √εґ∂ε














Photographies © Sonia Marques

Mon orchidée zébrée rose aux cœurs jaunes se porte bien cet hiver, de quoi offrir une note particulière aux froids. Elle se trouve lire une édition de belle facture, celle de Phaidon, qui rassemble des recettes de cuisine portugaise. La couverture est particulière, une surface en relief, pour simuler les carreaux de céramiques. L'approche du chef cuisinier Leandro Carreira est de contextualiser ses recettes régionales et typiques, dont je reconnais les préparations et m'évoque des souvenirs localisés, affectueux ou d'une inquiétante étrangeté, dans sa familiarité (comme dirait Freud), tout en découvrant d'autres recettes traditionnelles, inconnues. Sa recherche, de deux années et demi, fut un défi, lui-même n'étant pas écrivain, comme il le dit si simplement, afin de récolter toutes ces pièces tel un puzzle, en fédérant sa famille, ses amis. Officiellement le plus vieil État-nation d'Europe, le Portugal a rapporté toute une variété de produits, au fil de ses explorations et de son expansion : pommes de terre et sucre venus des Amériques ou épices d'Indes... Pendant la grande partie de son histoire, le Portugal, nous décrit le chef cuisinier, a été un pays pauvre ayant peu accès aux ingrédients raffinés. La population se nourrissait d'aliments rejetés par la monarchie et les élites : pain rassis, mauvais vin, parures, légumes et abats d'animaux. Mais, de ces obstacles, l’ingéniosité ne pouvait que fleurir et certain de ses plats traditionnels, comme l'Açorda (une soupe de pains) ou le Sarrabulho (ragoût d'abats de porc) témoignent de cette tradition profondément ancrée. Le pays adopta très tôt, par nécessité, une alimentation fondée sur l’anti-gaspillage.

Riches d'exemples, l'histoire décrite, par région, en passant par le commencement de l'Ibérie, du postulat du livre "Le radeau de pierre" écrit en 1986 par José Saramango, où il y a ce phénomène géologique étrange, celui du flottement du Portugal, à la dérive dans l'océan Atlantique. Toutes les questions de division ibérique (l'Espagne et le Portugal, intimement liés et divisés) forment ses tribus, aux régimes alimentaires similaires, depuis les phéniciens et les Grecs, ces marins qui atteignaient la péninsule ibérique, il y a 3000 années. Puis les Romains (blé, vin, huile d'olive), puis les Maures (riz, canne à sucre, amandes, caroube, fleur d'oranger, artichauts, épinards, asperges, céleris, lupins, aubergines, cumin, poivre, clous de girofles, gingembre...), les Juifs (semoule, beignets de légumes, ragoût de viande, pois chiche, feuilles de chou verts) sans oublier ce que les portugais importaient du Japon (tempura, poissons salé, oléagineux enrobés de sucre...) Le pays, depuis la Rome aux 7 collines de la capitale Lisboète, nommée par Jules César Félicitas Julia Olisipo, outres les grandes découvertes, son identité est soumise aux différents épisodes d'assimilation et acculturations, d'intégration et d'exclusion. Ce qui donne cette particularité aussi universelle que nationale, dans sa cuisine, transmise de générations en générations. Sa richesse et sa diversité sont le fruit d'un équilibre entre divers modes de vie, fermiers, pêcheurs, monastiques et aristocratiques, d'influences d’origines de terres lointaines.

Il me sera difficile de concocter certains mets, dans ce livre, bien que recréer, par ces recettes, les plats, comme le caldo verde, ou ceux de viandes, seront des défis, dans ma petite cuisine de fortune. Parcourir ce livre permet ainsi, aux ibériques (comme moi) de se souvenir des plats et étranges traditions, si différentes de celles du pays où l'on vit, ici, en France, où les méconnaissances perdurent de ces riches cultures. C'était pourtant la saison culturelle entre la France et le Portugal, préparée entre 2020 et 2022. Elle devait souligner la proximité et l’amitié qui lient les deux pays, incarnées notamment par la présence en France d’une très importante communauté luso-descendante, et au Portugal d’un nombre croissant d’expatriés français, deux communautés dynamiques, mobiles et actives, qui constituent un lien humain et culturel exceptionnel entre les deux pays. Je suis luso-descendante, artiste et professeure en école d'art nationale, et j'observe, que dans mon pays, en France, nous pouvons encore subir de mauvais traitements et de l'exclusion, en raison de nos origines. Nous avons tous le souhait qu'il en soit autrement, avec nos apports intellectuels et artistiques, et malgré la générosité, les gestes, la bienveillance, les parcours inédits et dont l'intégration est remarquable. Mais la réalité est là, et nous ne pouvons la dénier, ni détourner le regard de ce que, nos aînés, nos camarades, nos amis, et ceux qui ne sont ni nos amis, ni ne font partie de nos connaissances, subissent de mauvaises rumeurs, à l'égard des luso-descendants, par ignorance, plus que par racisme, osons-nous l'espérer, et par élégance, en éludant soigneusement les pires affres. Il y a une large part de méconnaissances, dont je qualifierai plus, une forme de restriction de l'intelligence (celle de l'adaptation et du sensible). Elle empêche donc, de penser, de façon plus ouverte, et d’accueillir un peu plus de l'universel dans le local. Si à mon âge avancé, et dans ma profession, j'ai encore dû subir des violences liés à mon nom de famille, celui de mes parents, de mes ressources, ce n'est nullement dû à mon mode de vie pauvre, c'est dû à cette ignorance, l'idée que le mode de vie pauvre est significatif de pauvreté culturelle, hors, dans mon cas précis, c'est une grande richesse, et seule la médiocrité veut l'ignorer, la désintégrer du corps social, oublier le parcours, les formations, l'intelligence et les enseignements, la transmission des savoir faire. Comme la cuisine, le don d’ingéniosité s'instigue dans l'apprentissage de l'anti-gaspillage, d'énergie, de matériaux, d'effort aussi (ne pas se disperser inutilement) et ce don est l'apanage des modes de vie pauvre, d'une richesse humaine et d'expériences assez rares et précieuses.

Merci et que l'hiver nous réchauffe un peu, toutes ces recettes sont économiques et douces, mais je ne garantie pas de réussir à tous les coups. Je vais devoir me réconcilier avec certains goûts, où, enfant je maugréais sur les soupes aux choux, fraîchement confectionnées par ma mère, des légumes du jardins, en pêchant soigneusement, les petits insectes, qui nageaient, pour les disposer de côté de mon assiette, et en espérant ne pas être démasquée de toute cette micro-collection, digne des petits artistes en herbe. Mais j'étais démasquée, évidemment, devant la précision de mon activité, il ne manquait que la nomenclature de la collection : mes petits nageurs choux. Lorsque l'on est petit, les détails nous apparaissent plus importants. Artiste, j'ai gardé quasiment toute la définition des détails de mon enfance. Ils sont toujours aussi importants et confèrent à la grande histoire commune, un ciselage, qui frise avec la dentelière.

Noël c'est celui de l'enfance, du réconfort, de festivités après des semaines de restrictions, d'ascèse, mais c'est surtout une fête des esseulés, une communion des personnes isolées, et de leurs enfants.


Présentation du livre :

Avec une cuisine variée à l’histoire passionnante, le Portugal est une destination de choix pour tous les amoureux de gastronomie. Portugal : Le Livre de cuisine rassemble des recettes venues de toutes les régions du pays, des plats à base de poissons et de fruits de mer de l’Algarve aux ragoûts réconfortants de la vallée du Douro en passant par les célèbres pâtisseries lisboètes. Chef réputé, Leandro Carreira a réuni plus de 550 recettes traditionnelles faciles à reproduire à la maison et qui reflètent toute l’ampleur et la diversité de la cuisine portugaise, un pays dont l’influence gastronomique s’est répandue bien au-delà de ses frontières.

Par kiwaïda at 14:33

08/08/2022

ℭЇTℝϴℕ

. Un soupçon de citron


Toute pressée par ses idées, elle se demandait encore si la conjugaison au féminin n'allait pas les entacher d'un soupçon. Après mûre réflexion, et quelques pas lointains, dans une nature très proche d’elle, sans âme qui vive, autours d’un bassin sans fontaine, et sans eau, aride l’été, jaillie une décision. Elle se transforma en lapin. À quatre pattes, elle espérait ainsi se dédouaner du soupçon d'elle. Avec frénésie, il grattait le sol, là où il était apparu, tel un gros nouveau né, un bébé à poil d'un blanc cassé, comme celui qui s'étale en couche première pour la préparation d'une peinture, sur une toile bien tendue. Un trou, pensait-il, un trou, il faut faire son trou. Minuscule chose poilue, douce et crème, sur la terre grise obscure, sous des cieux cristallins d'un bleu roi tranchant, grands juges de l'évènement. Était-ce un signe d'allégresse ? De plaisir ? De jouissance ? Gratter la terre, sans que personne n'y attache aucune attention, sauf la lune, incandescente, la pleine qui attendait son entrée en scène, blanche impératrice. Ravissant lapin, tendre beauté, aptitude naturelle à émouvoir les plus vils instincts, il se sait, il se sent, il scintille de joie et de peur, il le sait, il le sent, il sautille satisfait de ses effets. Son apparence est trompeuse, son silence aussi. On pense qu'il se tait, qu'il se terre quelque part, forme parfaite du trou, forme du moule du terrier. Excité par sa lucidité, il bondit, armé de ses grosses pattes, il court, il court, à travers les champs, les oiseaux l'accompagnent de leurs encouragements sifflés en arpège, si élevés, éternisés en point d'orgue, qu'il semble ne jamais toucher le sol, éperdument amoureux de l'air libre. Il se pose, se lève alerte en suricate du désert, et se repose à ras la terre, parcourant et reniflant, le lapin hume toute créature minutieuse du sol et des traces laissées par quelques artifices, ou quelques miettes croquantes. Le lapin marque son territoire secrètement, il frotte son menton, l'air de rien, par-ci, par-là. Personne ne l'entend, c'est à pas feutrés qu'il avance, de petits bonds en sourdine, gentleman du cambriolage, à la recherche de l'ultime cachette. Il trouve un coin ombré, inaccessible au commun des mortels, commence à observer doucement le moment de s'assoupir, à accueillir la chaleur en lui, puis, les yeux mi-clos, baisse la garde, juste un tout petit peu, malicieux dans son cocon de soie. Il n'y a pas d'insouciance au pays des lapins, tout est soupçon autours. Le repos alterne, sommeil, regret, rêve, mouvement des oreilles, tremblement d'une patte, du museau, petit claquement des dents, une somnolence digne d'un copieux repas de fléoles des prés, rehaussé d'un soupçon de citron.


Photographies © Sonia Marques

Par kiwaïda at 16:05

19/06/2022

☾ℒѺШℕ ♭яαїᾔ ℘☺ẘεґ



















Petite sélection photographique, icône d'une intelligence extrême: l'hyper clown... sensible... lucide...


Citation de Norma Jeane Mortenson...

J’ai une grosse tête, vous savez. Bien sûr, il n’y a rien dedans mais elle est grosse tout de même.
J’aime les plaisanteries, mais je ne veux pas en être une.
Plus j’y pense, plus je me rends compte qu’il n’y a pas de réponse : la vie doit être vécue.

Elle aurait 96 ans ce mois-ci...


Par kiwaïda at 19:51

21/11/2021

ḰηüL℘

knulp.jpg

C'est la journée de la fatigue. Enfin !

Relire Hermann Hess et son Knulp, ou bien l'éloge de l'oisiveté...

Knulp est un roman de Hermann Hesse paru en 1915 et narrant trois moments de la vie de Karl Eberhard Knulp, un vagabond volontaire. Le récit se compose de trois parties. La première, intitulée Printemps, relate la convalescence de Knulp chez son vieux camarade, le mégissier Émile Rothfuss. Il courtise Barbara Flick, une jeune domestique, mais finit par écourter son séjour chez son ami, la femme de ce dernier lui faisant de plus en plus d'avances. Dans Je me souviens de Knulp, raconté par un compagnon d'errance, Knulp livre quelques fragments de sa philosophie de vie. Les derniers jours de Knulp, atteint de la tuberculose, sont racontés dans La Fin. Il passe quelques jours chez son ancien condisciple, le docteur Machold qui tente de l'envoyer dans un hôpital. Knulp parvient à déjouer les plans de son ami et poursuit quelques semaines sa vie errante. À la fin du récit, faisant le bilan de sa vie, il dialogue avec Dieu avant de s'endormir apaisé dans la neige.

Extraits :

Il n'aimait pas faire de projets ou des promesses à long terme. Quand il ne pouvait disposer librement du lendemain, il en éprouvait un malaise. (...)
On le laissait aller. Ainsi, un beau chat partage, dans leur maison, la vie des maîtres qui croient le tolérer avec indulgence alors que, indifférent aux hommes accablés sous le poids du labeur, il mène une existence libre de tout souci, élégante, paresseuse et princière.

+

J'ai songé souvent à mes parents. Ils croient que je suis leur enfant, que je suis comme eux. Mais malgré l'affection que je leur porte, je suis pour eux un étranger qu'ils ne peuvent comprendre. Et ce qui fait que je suis moi, ce qui, peut-être, constitue mon âme, c'est cela qui leur semble accessoire et qu'ils mettent sur le compte de la jeunesse ou d'un caprice passager. Ça ne les empêche pas de m'aimer et de me vouloir du bien. Un père lègue à son enfant son nez, ses yeux et même son intelligence : il ne lui transmet pas son âme. Tout être humain à une âme neuve.

+

Knulp dit que nul ne peut mêler son âme à l'âme d'un autre. Deux êtres peuvent aller l'un vers l'autre, parler ensemble mais leurs âmes sont comme des fleurs enracinées, chacune à sa place; nulle ne peut rejoindre l'autre, à moins de rompre des racines; mais cela précisément est impossible.
Faute de pouvoir se rejoindre, elles délèguent leur parfum et leurs graines; mais la fleur ne peut choisir l'endroit où tombera la graine; c'est là l’œuvre du vent et le vent va et vient à sa guise : il souffle où il veut.

+

Vois-tu, disait Dieu, je t'ai pris tel que tu étais. En mon nom tu as vagabondé, tu as communiqué aux sédentaires un peu de ton besoin de liberté. En mon nom, tu as fait des bêtises, tu t'es attiré des moqueries ; c'est moi-même dont on s'est moqué en toi et qu'on a aimé en toi. Car tu es mon enfant et mon frère et un morceau de moi-même et tu n'as goûté à rien et souffert de rien que je n'ai goûté et souffert avec toi.


+

Tu sais que j’ai toujours eu des engouements ; quand j’avais fait une nouvelle découverte, plus rien au monde ne comptait sur le moment.

+

Mais il n’aimait pas mettre son nez dans les affaires d’autrui et n’éprouvait point le besoin de corriger ses semblables ni de leur ouvrir les yeux.

+

Il m'arrive de penser que la plus belle chose au monde, c'est un tel oiseau, un de ces oiseaux qui planent librement dans le ciel. Une autre fois, rien ne me paraît plus merveilleux qu'un papillon, un papillon blanc par exemple, avec des yeux rouges sur les ailes, ou bien un rayon de soleil couchant sur les nuages.

+

Une chose est belle, quand on la regarde au bon moment.

+

Je crois aussi que la plus belle chose qui soit, c’est de connaître, en dehors du plaisir, la tristesse ou l’angoisse.
— Comment cela ?
— Voici ce que je veux dire : une jeune fille, si belle soit-elle, on la trouverait peut-être moins belle si l’on ne savait que sa beauté est éphémère, qu’elle vieillira et mourra. Si la beauté demeurait éternellement, je m’en réjouirais, certes, mais je la contemplerais plus froidement et je penserais : tu la verras toujours, elle n’est pas liée à l’instant. Par contre, ce qui est passager, ce qui se transforme, je le contemple non seulement avec joie mais aussi avec compassion.
— Ma foi…
— C’est pourquoi je ne connais rien de plus admirable qu’un feu d’artifice : les fusées bleues et vertes s’élèvent dans les ténèbres et au moment précis où elles sont les plus belles, elles retombent et s’éteignent. Quand on assiste à ce spectacle, on éprouve de la joie et en même temps de l’angoisse : tout se passe très vite et il faut qu’il en soit ainsi ; si le spectacle durait plus longtemps, il serait beaucoup moins beau. Tu ne trouves pas ?

+

Knulp avait raison de suivre sa nature. En cela, peu de gens étaient capables de l'imiter; il avait raison de parler à tout le monde, comme un enfant, et de gagner tous les cœurs, de raconter de belles histoires à toutes les femmes et de croire que chaque jour est un dimanche.

+

L'art de l'oisiveté, écrits entre 1899 et 1962, les 37 textes du volume, la plupart inédits en français, parlent de la musique, de la peinture, de livres, de paysages, de rencontres avec des hommes. Hesse propose un nouveau rapport à l'existence, une sorte de programme qu'il nomme "l'art de l'oisiveté" : un art du regard qui prône l'humour, le scepticisme, l'esprit critique, bref, la liberté de l'individu.

Extraits :

J’appris qu’être aimé n’est rien et qu’aimer est tout ; je compris également de plus en plus clairement que seule notre capacité à sentir les choses, à éprouver des sentiments rendait notre existence précieuse et gaie. Quel que fût l’endroit sur terre où j’apercevais ce qu’on nomme « le bonheur », je constatais que celui-ci naissait de la richesse de nos impressions. L’argent n’était rien, le pouvoir n’était rien ; on rencontrait beaucoup de personnes qui possédaient les deux et demeuraient pauvres. La beauté n’était rien ; certains hommes et certaines femmes demeuraient pauvres, eux aussi, malgré tout leur éclat. La santé, elle non plus, n’avait pas beaucoup de poids ; la forme de chaque personne dépendait de son état psychologique ; bien des malades heureux de vivre prospéraient jusqu’à la veille de leur mort, et bien des hommes en bonne santé dépérissaient avec angoisse dans la crainte de la douleur. En revanche, quand un homme éprouvait des sentiments intenses et les acceptait en tant que tels, quand il les cultivait et en jouissait au lieu de les rejeter et de les tyranniser, il connaissait toujours le bonheur. De même, la beauté ne rendait pas heureux celui qui la possédait, mais celui qui était capable de l’aimer, de la vénérer.

+

 Nous ne devons pas nous contenter de trouver la nature féconde et utile. Nous devons aussi voir qu’elle est belle et, plus encore, qu’elle est insondable, qu’elle est au-delà du beau et du laid.


+
 
Les périodes de grandes épreuves nous offrent l’occasion de constater que les hommes sont curieusement  plus nombreux à pouvoir mourir pour un bien idéal qu’à savoir vivre pour lui.


+

L’écrivain ne doit pas aimé le public, mais l’humanité.

+

[Les rêves] ont toujours retenu mon attention, et souvent, je me suis sentis étonné et triste de constater à quel point ils étaient fugaces, à quel point ils se dissipaient rapidement le matin et s’enfuyaient, effarouchés, au moindre contact avec la raison.


+

J’ai longtemps surestimé la réflexion, et lui ai consacré beaucoup de mes forces ; parfois cela m’a nuit, parfois cela s’est révélé bénéfique. Mais j’aurais tout aussi bien ne rien faire du tout, le résultat serait exactement le même aujourd’hui.


+

Cette position fait irrémédiablement de moi un ermite et vient de ce désir insondable  de pouvoir prendre l’existence au sérieux alors que tous les autres la considèrent comme un jeu de société amusant auquel il participe avec gaîté, obéissant en cela à des règles mystérieuses et inconnues.

+

J’ai aussi appris entre autres choses que si on n’attend rien de lui, si on se contente simplement de l’observer en silence et avec attention, le monde peut nous offrir bien des trésors dont les gens comblés par le succès et par l’existence, n’ont pas idée.


+

L’homme moyen d’aujourd’hui a trouvé la mode comme faible substitut à ces traditions perdues.

+

Combien de fois encore me retrouverai-je ainsi allongé dans une chambre d’hôtel joliment tapissé, attendant le sommeil, éprouvant l’absurdité de mon existence mais aussi sa puissante magie ?

+

Les nuits de veille sont précieuses. Elles seules en effet offrent l'occasion à l'âme de s'exprimer librement, sans que cela n'entraîne de bouleversements extérieurs violents. L'âme peut alors manifester son étonnement ou sa frayeur, sa désapprobation ou son affliction. Pendant la journée, notre vie émotive n'est jamais aussi clairement saisissable. Nos sens jouent un rôle très actif et notre raison cherche à s'imposer en mêlant aux sentiments qui nous agitent la voix de son jugement, le charme délicat de la comparaison, de l'esprit raffiné et subtil. L'âme à demi assoupie laisse les choses se faire. [...] Ainsi notre vie n'est-elle pas simplement superficielle. Notre être recèle un pouvoir que rien d'extérieur ne peut atteindre ni influencer. Au fond de nous-mêmes s'expriment des voix que nous ne maîtrisons pas, et il nous est salutaire d'en prendre conscience de temps à autre.
NUITS D'INSOMNIE ( 1905 )


+

Ce jour-là, je vis et je sentis dès le midi que la soirée serait propice à la peinture. Pendant quelque temps, le vent avait soufflé. Chaque soir, le ciel semblait d'une pureté cristalline, et chaque matin, il se couvrait à nouveau, mais à présent régnait une atmosphère douce, un peu brumeuse, formant un voile léger qui enveloppait les choses comme dans un rêve. Ah, ce voile léger, il m'était familier ; je savais que vers la fin de la journée, lorsque la lumière deviendrait oblique, le spectacle serait admirable.
AQUARELLE


+

Aucune école n'apprend mieux à maîtriser son propre corps et ses propres pensées que celle à laquelle sont formés les insomniaques. On n'est capable de traiter les choses avec douceur, de les ménager, que lorsque soi-même on a besoin d'être traité ainsi. Seul celui qui s'est maintes fois senti livré au flot déchaîné de ses pensées dans le silence implacable de ces heures solitaires peut observer ce qui l'entoure avec bienveillance, examiner les choses avec amour, prendre en compte les motivations psychologiques des autres et être assez bon pour comprendre toutes les faiblesses humaines

+

Par le terme d'artiste, j'entends tous ceux qui éprouvent le besoin et la nécessité de se sentir vivre et grandir, de savoir où ils puisent leurs forces et de se construire à partir de là suivant des lois qui leur sont propres.

+

Par kiwaïda at 15:29

15/06/2020

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blanc


Le silence était blanc. Un lac s'adressait à lui, puis il s'adressa à nous. Devant, derrière, passé, futur. Qui était-il ? Doux et si blanc, d'eau et d'argile. C'était une petite boîte, elle pouvait s'ouvrir. Un ours blanc orné de tous les dons. Il ne fallait pas l'ouvrir. La terre est remplie de maux, la mer aussi, les maladies tourmentent les mortels. Le silence la nuit est un cadeau. Il s'était posé au bord de l'eau sous les étoiles de la tempérance et de la prudence. Il regardait les chagrins sans bornes et les douleurs incurables, au loin, de sa rive chaste et sage. C'était un cadeau du ciel. Un ours blanc orné de tous les dons. Il ne fallait pas l'ouvrir.


Photographies © Sonia Marques

Par kiwaïda at 11:25

07/02/2020

ℳÉℝϴṲ








Photographies de © Michael Patrick O'Neill

Le photographe est partie retrouver le Mérou Goliath de l'Atlantique, ils sont énormes et inoffensifs.

Aussi grand et aimé soit-il, le goliath est une énigme - ce que les scientifiques considèrent comme une «espèce pauvre en données». Les autorités semblent convenir que la surpêche a poussé l'espèce à presque s'effondrer. Ils ont convenu d'un moratoire de pêche mis en place en Floride en 1990 ce qui a permis au goliath de réaliser un retour impressionnant - le poisson repeuple les estuaires, les récifs coralliens et les récifs artificiels dans le sud de la Floride, contrecarrant la tendance dans le reste de son aire de répartition dans les régions tropicales et Atlantique subtropical.

Les écologistes croient que le moratoire devrait être permanent pour aider les goliaths à surmonter les problèmes d'origine naturelle et humaine qui menacent toujours la population en rétablissement, comme les coups de froid qui tuent les jeunes poissons dans les eaux peu profondes, le développement côtier qui détruit les zones d'alevinage, la marée rouge (particulièrement dévastatrice cette année) , braconnage, problèmes de qualité de l'eau et pollution. L'écologiste marin de l'Université d'État de Floride, Christopher Koenig, suggère que le nombre de poissons pourrait même baisser à nouveau.

En revanche, certains pêcheurs considèrent le poisson comme une nuisance, affirmant que les goliaths aspirent les récifs avec leurs bouches de la taille d'une poubelle. Ils soulignent que certains goliaths - dont beaucoup sont habitués par les gens - attendent sous des bateaux pour voler des poissons accrochés ou suivent des plongeurs pour attraper leurs homards collés et autres prises. Les recherches de Koenig et de l'écologiste des poissons de récif Felicia Coleman offrent une perspective différente: comme tout grand prédateur, les goliaths peuvent attraper un repas opportuniste d'une ligne de pêche, mais les géants se nourrissent principalement de crabes et de crevettes. Et Koenig montre que les récifs du golfe du Mexique où les goliaths sont présents jouissent d'une plus grande biodiversité que ceux où ils sont absents. D'autres pêcheurs réclament une récolte limitée, peut-être pour avoir la chance de poser pour des photos de trophées avec leurs prises sur le quai. Ou pour voir des filets de goliath étalés sur leurs assiettes, bien que la viande des gros goliaths puisse contenir plus de mercure que ne le permet la malbouffe des États-Unis.


+


Les éditions de l'île de Seuqramainos sont des nouvelles que j'ai écrites entre 2002 et 2005 : "Elle même", "La nage", "Les grincheux", "Tout contre vous", "Les épaves", "Une lexicographe à Gianguja", "Les inséparables" (et en bonus : "Jusqu'au bout du monde") Elles ont eu une maison d'édition (oLo) toujours évidente et active, dans mon esprit, comme très présente. Ces nouvelles, ont été aussi publiées dans des revues de littératures, voici un extrait retrouvé sur LES ÉPAVES...







PAGE 2 (Sonia Marques)


Que fallait-il accepter ?

Leur présence égarée, leurs rebuts déplaisants ?

Nous ne savions d’où venaient-elles et pourquoi choisissaient- elles d’échouer ici dans ce lieu sans importance où nous prenions vacances de nos emplois respectifs, en bord de mer. Peut-être que cet espace maritime avait la taille d’une terre comme l’île d’Ouessant et qu’en quelques années il avait pris l’ampleur de l’Angleterre avec toutes ces arrivées intempestives. Nous évaluions mal l’expansion de leur nouvelle terre flottante sur la mer. J’ai commencé à écrire sur elles. Mes connaissances étaient assez réduites en la matière. Je me suis empressé de les qualifier d’épaves au sens péjoratif du terme, mais j’étais un peu grossier et irrévérencieux, jusqu’au jour où j’ai été touché les voyant arriver, de mes propres yeux. Personne ne m’avait prévenu. De tout ce que l’on m’avait appris, de l’expérience de tous mes fiers amis et mes lâches ennemis, tous ces hommes qui ont compté dans ma vie, je m’avérais être complètement inculte. Comment ces vaisseaux de connaissances nous avaient-ils échappé ? Tous les spécialistes, chacun concentrés dans leur domaine savant respectif aux allures futuristes avaient donc évincé de leurs recherches, ces perles évidentes devenues des mastodontes prêtes à nous engloutir avec elles dans leurs histoires séculaires ? ! Mes collègues de bureau tous informaticiens plaisantaient sur ces phénomènes car sur Internet, une épave est un ordinateur dont le système n’a pas été mis à jour depuis de longs mois, de sorte qu’il est presque assurément criblé de failles de sécurité et infecté par toutes sortes de virus et de vers. Hors dans ce cas précis, les épaves étaient plutôt bien rodées. Les multiples virus avaient fortifié leur système immunitaire, de sortes qu’elles étaient invincibles sur ce point...

Par kiwaïda at 23:02

27/03/2012

℘℮ṧṧøα

Antonio Tabucchi nous a quitté, un écrivain italien, quasi portugais...

Extraits :

Bureau de tabac, par Fernando Pessoa (Álvaro de Campos, 15-1-1928)

Je ne suis rien
Jamais je ne serai rien.
Je ne puis vouloir être rien.
Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde.

Fenêtres de ma chambre,
de ma chambre dans la fourmilière humaine unité ignorée
(et si l’on savait ce qu’elle est, que saurait-on de plus ?),
vous donnez sur le mystère d’une rue au va-et-vient continuel,
sur une rue inaccessible à toutes les pensées,
réelle, impossiblement réelle, précise, inconnaissablement précise,
avec le mystère des choses enfoui sous les pierres et les êtres,
avec la mort qui parsème les murs de moisissure et de cheveux blancs les humains,
avec le destin qui conduit la guimbarde de tout sur la route de rien.

Je suis aujourd’hui vaincu, comme si je connaissais la vérité;
lucide aujourd’hui, comme si j’étais à l’article de la mort,
n’ayant plus d’autre fraternité avec les choses
que celle d’un adieu, cette maison et ce côté de la rue
se muant en une file de wagons, avec un départ au sifflet venu du fond de ma tête,
un ébranlement de mes nerfs et un grincement de mes os qui démarrent.

Je suis aujourd’hui perplexe, comme qui a réfléchi, trouvé, puis oublié.
Je suis aujourd’hui partagé entre la loyauté que je dois
au Bureau de Tabac d’en face, en tant que chose extérieurement réelle
et la sensation que tout est songe, en tant que chose réelle vue du dedans.

J’ai tout raté.
Comme j’étais sans ambition, peut-être ce tout n’était-il rien.
Les bons principes qu’on m’a inculqués,
je les ai fuis par la fenêtre de la cour.
Je m’en fus aux champs avec de grands desseins,
mais là je n’ai trouvé qu’herbes et arbres,
et les gens, s’il y en avait, étaient pareils à tout le monde.
Je quitte la fenêtre, je m’assieds sur une chaise. À quoi penser ?

Que sais-je de ce que je serai, moi qui ne sais pas ce que je suis ?
Être ce que je pense ? Mais je crois être tant et tant !
Et il y en a tant qui se croient la même chose qu’il ne saurait y en avoir tant !
Un génie ? En ce moment
cent mille cerveaux se voient en songe génies comme moi-même
et l’histoire n’en retiendra, qui sait ?, même pas un ;
du fumier, voilà tout ce qui restera de tant de conquêtes futures.
Non, je ne crois pas en moi.
Dans tous les asiles il y a tant de fous possédés par tant de certitudes !
Moi, qui n’ai point de certitude , suis-je plus assuré, le suis-je moins ?
Non, même pas de ma personne…
En combien de mansardes et de non-mansardes du monde
n’y a-t-il à cette heure des génies-pour-soi-même rêvant ?
Combien d’aspirations hautes, lucides et nobles -
oui, authentiquement hautes, lucides et nobles -
et, qui sait peut-être réalisables…
qui ne verront jamais la lumière du soleil réel et qui
tomberont dans l’oreille des sourds ?
Le monde est à qui naît pour le conquérir,
et non pour qui rêve, fût-ce à bon droit, qu’il peut le conquérir.
J’ai rêvé plus que jamais Napoléon ne rêva.
Sur mon sein hypothétique j’ai pressé plus d’humanité que le Christ,
j’ai fait en secret des philosophies que nul Kant n’a rédigées,
mais je suis, peut-être à perpétuité, l’individu de la mansarde,
sans pour autant y avoir mon domicile :
je serai toujours celui qui n’était pas né pour ça ;
je serai toujours, sans plus, celui qui avait des dons ;
je serai toujours celui qui attendait qu’on lui ouvrît la porte
auprès d’un mur sans porte
et qui chanta la romance de l’Infini dans une basse-cour,
celui qui entendit la voix de Dieu dans un puits obstrué.
Croire en moi ? Pas plus qu’en rien…
Que la Nature déverse sur ma tête ardente
son soleil, sa pluie, le vent qui frôle mes cheveux ;
quant au reste, advienne que pourra, ou rien du tout…

Esclaves cardiaques des étoiles,
nous avons conquis l’univers avant de quitter nos draps,
mais nous nous éveillons et voilà qu’il est opaque,
nous nous éveillons et voici qu’il est étranger,
nous franchissons notre seuil et voici qu’il est la terre entière,
plus le système solaire et la Voie lactée et le Vague Illimité.

(...)

Sempre uma coisa defronte da outra,
Sempre uma coisa tão inútil como a outra,
Sempre o impossível tão estúpido como o real,
Sempre o mistério do fundo tão certo como o sono de mistério da superfície,
Sempre isto ou sempre outra coisa ou nem uma coisa nem outra.

VOYAGES [mailing list]est un grand dépliant, une grande carte imprimée sur un papier indéchirable, imperméable à l'eau. Un voyage d'étude a été effectué en Espagne puis au Portugal avec 44 étudiants de l'École Supérieure des Beaux-Arts d'Angers (avril-mai 2002) et 5 professeurs et un chauffeur de car. Sonia Marques, artiste et professeur en multimédia a collecté des photographies des étudiants et échangé avec eux. Elle a conçu cette cartographie du voyage entre 3 pays différents, frontaliers. Les textes sont bilingues franco-portugais. Ils s'inspirent du célèbre poète portugais Fernando Pessoa. La réalisation imprimée s'est faite en étroite collaboration avec une imprimerie angevine. Le dépliant sous l'édition de l'école angevine ("Allons voir si"), située dans les Pays de la Loire, a été envoyé à d'autres écoles d'art en 2002. Tous les professeurs voyageurs n'enseignent plus dans cette école depuis et sont partis vers d'autres monts.

Par kiwaïda at 00:57

13/12/2011

Иїñα ღ☺ґ℮ηα

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Tile Designs / Barcelona

António Lobo Antunes, écrivain portugais, confiait à Maria Luisa Blanco, dans leur livre "conversations avec António Lobo Antunes" (2004), que la poésie espagnole avait eu une grande inspiration dans sa vie, qu'elle avait quelque chose de solaire et ressemblait beaucoup à la portugaise, à son climat, le même soleil, la même façon de dire les choses. Il a compris qu'il ne pouvait pas faire mieux que ces poètes et s'est mis à écrire de la prose, lire ces poètes l'encourageait à travailler, le protégeant de la vanité. J'ai traversé une culture métissée de voyages, racontés ou vécus. Mes parents d'origine portugaises et espagnoles, des membres voyageurs, entre la France, la Suisse, l'Allemagne, Brésil, de ma grand-mère espagnole à Cuba, jusqu'à mes parents devenus français et nos voyages imaginaires en lusitanie, en passant par le Cap Vert, l'Angola, Guinée-Bissau, Macau. Ce qui m'a entrainé à reprendre, un temps, des études universitaires à la Sorbonne, études lusophones. Lorsque je rencontre des personnes qui n'ont pas de culture des voyages, je vois alors le repli, la peur de l'étranger, de montrer même sa curiosité, de révéler son amour pour l'étranger, ou le révéler à d'autres, on reste entre-soi. Je vis en France, et j'ai eu cette chance que les voyages et les voix, les langues différentes parcourent mon coeur. Je le dois à ma famille et à mon aventure à travers les mots et la rencontre avec des amis bien différents. Il m'a fallu parfois les emmener au-delà des frontières, avec confiance ils m'ont suivi. Dans des circonstances bien sombres, je les supplie de m'emmener voyager ;.) Échange de bons procédés, la tonalité, les couleurs, se baigner dans l'urbain de l'autre, dans la mer inconnue. Des milliers de poèmes depuis parcourent mes oreillers blancs, ces pages électriques de mots, de fièvres, que j'ai récitées, en chantant, au creux d'une oreille captivée, ou en public avec des sons ténèbres et pétillants.

 

marcheur au bâton de rêve

 j'adore le silence
les hommes te l'arrachent et te le rongent
comme l'os
comme l'ongle

je vis au pays des affamés
dans un désert de plumes
ils arrivent sur leurs chars bricolés
même la nuit
ils rodent

 les médiocres dévalisent ton temps
heure d'hiver
ils cambriolent tes menus espaces
heure d'été

une île sans accès les terrifie
ils sonnent à toutes les portes
clip clop

vivre pieds nus
sans capteurs aux chaussettes
dans un désert de plumes
les ongles si longs
les cheveux si doux

 déposer du sable sur ton lit
attendre la mer te recouvrir
fait de beaux rêves

Sonia Marques (02/11/2010/ extrait des poèmes)




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Tile Designs / Barcelona

Nous travaillons les anneaux avec plusieurs. Invisible,secret, union...réversibilité, cycle... Et ici je vais prendre l'avion et parler un peu une langue qui a traversé mon enfance. De ce désir de réunir des langues différentes, des cultures que j'ai côtoyées, métissées devant mes yeux et mes oreilles, dans l'enfance, de mer je suis, de la terre je quitte. À celles et ceux qui sont dans la confidence, je serai ce poisson qui repêche l'anneau jeté.

Poema XIX

Niña morena y ágil, el sol que hace las frutas,
el que cuaja los trigos, el que tuerce las algas,
hizo tu cuerpo alegre, tus luminosos ojos
y tu boca que tiene la sonrisa del agua.

Un sol negro y ansioso se te arrolla en las hebras
de la negra melena, cuando estiras los brazos.
Tú juegas con el sol como con un estero
y él te deja en los ojos dos oscuros remansos.

Niña morena y ágil, nada hacia ti me acerca.
Todo de ti me aleja, como del mediodía.
Eres la delirante juventud de la abeja,
la embriaguez de la ola, la fuerza de la espiga.

Mi corazón sombrío te busca, sin embargo,
y amo tu cuerpo alegre, tu voz suelta y delgada.
Mariposa morena dulce y definitiva
como el trigal y el sol, la amapola y el agua.

Pablo Neruda (Santiago de Chile) © 1924 Pablo Neruda

J'ai lu cet été "La solitude lumineuse" de Pablo Neruda, qui en 1928, part à Colombo, Ceylan, Singapour, Batavia, accompagné de Kiria, sa fidèle mangouste, poète chilien découvrant aussi le sourire paisible des Bouddhas. Chacun sa mangouste dans une solitude lumineuse.






planer

rentrer dans les nuages
comme une porte de sortie
sans aucune drogue
au passage des oiseaux
je t’oublie la terre
et vous aussi

rentrer dans les nuages
comme dans un hôtel
paradis bleu de coton blanc
ils ferment tous les yeux
je veux te voir
encore

rentrer dans les nuages
de peur de mal finir
la gorge sèche
aucun regret en soute
ils planent et je pleure
de joie sans toi
loin

tel un âne je plane
sans toi sans loi

Sonia Marques (15/04/2008/ extrait des poèmes)






Par kiwaïda at 15:52

10/10/2011

L'hirondelle de mer

Sonia Marques : L'hirondelle de mer

© Sonia Marques, L'Hirondelle de mer - 2011
"J'allai la voir le lendemain. Je la trouvai à son piano, la vieille tante brodant à la fenêtre, sa petite chambre remplie de fleurs, le plus beau soleil du monde dans ses jalousies, et une grande volière d'oiseaux à côté d'elle. 
Je m'attendais à voir en elle presque une religieuse, du moins une de ces femmes de province qui ne savent rien de ce qui se passe à deux lieues à la ronde, et qui vivent dans un certain cercle dont elles ne s'écartent jamais. J'avoue que ces existences à part, qui sont comme enfouies çà et là dans les villes sous des milliers de toits ignorés, m'ont toujours effrayé comme des espèces de citernes dormantes ; l'air ne m'y semble pas viable ; dans tout ce qui est oubli sur la terre, il y a un peu de la mort. 
Mme Pierson avait sur sa table les feuilles et les livres nouveaux ; il est bien vrai qu'elle n'y touchait guère. Malgré la simplicité de ce qui l'entourait, de ses meubles, de ses habits, on y reconnaissait la mode, c'est-à-dire la nouveauté, la vie ; elle n'y tenait ni ne s'en mêlait, mais tout cela allait sans dire. Ce qui me frappa dans ses goûts, c'est que rien n'y était bizarre, mais seulement jeune et agréable. Sa conversation montrait une éducation achevée ; il n'était rien dont elle ne parlât bien aisément ; en même temps qu'on l'y voyait naïve, on l'y sentait profonde et riche ; une intelligence vaste et libre y planait doucement sur un cœur simple et sur les habitudes d'une vie retirée. 
L'hirondelle de mer, qui tournoie dans l'azur des cieux, plane ainsi du haut de la nue sur le brin d'herbe où elle a fait son nid. 
Nous parlâmes littérature, musique, et presque politique. Elle était allée l'hiver à Paris ; de temps en temps elle effleurait le monde ; ce qu'elle en voyait servait de thème, et le reste était deviné. 
Mais ce qui la distinguait par-dessus tout, c'était une gaieté qui, sans aller jusqu'à la joie, était inaltérable ; on eût dit qu'elle était née fleur, et que son parfum était la gaieté. 
Avec sa pâleur et ses grands yeux noirs, je ne puis dire combien cela frappait, sans compter que de temps en temps, à certains mots, à certains regards, il était clair qu'elle avait souffert et que la vie avait passé par là. Je ne sais quoi vous disait en elle que la douce sérénité de son front n'était pas venue de ce monde, mais qu'elle l'avait reçue de Dieu et qu'elle la lui rapporterait fidèlement, malgré les hommes, sans en rien perdre ; et il y avait des moments où l'on se rappelait la ménagère, qui, lorsque le vent souffle, met la main devant son flambeau. 
Dès que j'eus passé une demi-heure dans sa chambre, je ne pus m'empêcher de lui dire tout ce que j'avais dans le cœur. Je pensais à ma vie passée, à mes chagrins, à mes ennuis ! J'allais et venais, me penchant sur les fleurs, respirant l'air, regardant le soleil. Je la priai de chanter ; elle le fit de bonne grâce. Pendant ce temps-là, j'étais appuyé à la fenêtre et je regardais sautiller ses oiseaux. Il me revint en tête un mot de Montaigne : « Je n'aime ni estime la tristesse, quoique le monde ait entrepris, comme à prix fait, de l'honorer de faveurs particulières. Ils en habillent la sagesse, la vertu, la conscience. Sot et vilain ornement. » 
- Quel bonheur ! m'écriai-je malgré moi ; quel repos ! quelle joie ! quel oubli ! "

(Alfred de Musset, dans La confession d'un enfant du siècle, 1836)

✴ 

Les Essais de Michel de Montaigne (1533-1592) Livre I, chapitre II, Sur la tristesse : 
"J'ignore tout de ce sentiment ; je ne l'aime ni ne l'estime, bien que les hommes aient pris l'habitude, comme si c'était un marché conclu d'avance, de lui faire une place particulière. Ils en habillent la sagesse, la vertu, la conscience. Sot et vilain ornement ! Les Italiens ont de façon plus judicieuse donné son nom à la malignité. Car c'est une façon d'être toujours nuisible, toujours folle. Et les Stoïciens, la considérant comme toujours lâche et vile, défendent à leurs disciples de l'éprouver."


Par kiwaïda at 22:43