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dimanche 20 août 2023

Ḡεø¢@т¢♄їᾔ❡




Photographies © Sonia Marques

Journal d'une pie (extrait)

J'ai rencontré une petite famille qui venait de Poitiers. Ils sont venus à Limoges avec un jeu qui se nomme le géocatching. Il utilise la technique du géopositionnement par satellite (GPS) pour des caches, nommées des géocaches, dans divers endroits à travers le monde, recherchant ce qui est caché. Ils m'ont vu et ils pensaient que j'étais perdue. Rien de leur programme sur leur téléphone ne me géolocalisait, rien ne leur disait qu'il y avait à cet endroit, une pie qui flirte.
Oui c'est nouveau, je flirte avec tout le monde, avant c'était avec mon amie la pie femelle, je l'ai piquée au mâle naguère féroce, qui est devenu mon compagnon de jeu, enfin, c'est une longue histoire à présent. Il vient me piquer ma tutrice, ce serait très long à raconter mais nous jouons comme des petits saltimbanques du dimanche, avec des brindilles, des pierres, des feuilles et nous montons aux arbres en particulier, les conifères, on adore, c'est comme des marches qui nous propulsent vers le ciel. Nous avons nos secrets à présent, loin de ma tutrice et nous avons nos bonnes tables, je suis précoce et très astucieuse, un brin fantaisiste. Il fait très chaud, moi je trouve qu'il fait très bon, la nuit est douce, les êtres humains ne supportent pas cette chaleur, ils ont nommé cela, une canicule. Tant mieux, ils seront moins nombreux à nous embêter. Seuls celles et ceux qui savent marcher très lentement et s'économiser nous visitent, par ce temps, nous n'avons plus les agités du bocal, tous les maladifs ne sont plus debouts par temps de canicule. Ils sont tout de même savants certains humains, ils ont inventé ce mot, "canicule", qui veut dire petit chien, comme "caniche", du latin « canicula », diminutif de « canis » (chien), qui signifie « petite chienne ». Canicula c’est le nom que des astronomes de l’Antiquité, ont donné à une étoile appartenant à la constellation du « Grand Chien ». Aussi appelée l’étoile Sirius, Canicula est l’astre le plus brillant du ciel après le Soleil. Les Egyptiens qui associaient cette étoile au culte d’Isis, lui concédaient des pouvoirs surnaturels, notamment dans la régulation des crues du Nil. Jadis, levée et couchée avec le Soleil, du 24 juillet au 24 août, elle doublait l’activité de ses feux et donc du climat solsticiale. Elle est considérée comme l’étoile de la chaleur. « Canicule » désigne donc tout naturellement les périodes marquées par une forte hausse des températures. Pour conjurer les effets néfastes de la canicule sur les moissons et apaiser l’ardeur du soleil, les Romains avaient coutume de sacrifier des chiens roux. Roux pour que le raisin prenne cette couleur « solaire » l’année suivante. Là, je trouve que ce n'est pas très intelligent. Je ne souhaiterai pas que l'on sacrifie mon écureuil roux, en l'honneur d'une canicule, afin de réaliser de meilleures récoltes. Quoique les Navajos, ces Apaches associant aussi les mois de Juillet et Août, à la petite et à la grande récolte.

Ma tutrice aime être aux aurores, il fait très frais, tous les oiseaux sont réunis et la saluent, elle lit ses livres, un à un, et parcoure les arbres de ses yeux songeurs. Car, je ne suis plus aussi présente, je suis ailleurs, parfois je fait un saut, une bise et puis je m'en vais comme une vagabonde, une rigolotte, puis je reviens avec un copain, c'est un temps magique, il nous assèche, mais notre objectif c'est de se mettre au frais à l'ombre, et la verdure omniprésente dans ces régions, offre quelques oasis, notre quête ce sont les plantes qui donnent du jus, elles nous hydratent.

Le couple d'humains, avec leurs deux enfants sont arrivés vers moi, ils avaient pris l'habitude de regarder au sol, afin de trouver ce que le téléphone leur disait de trouver, car les êtres humains, ne sont plus capables de trouver par eux-mêmes, ils devaient trouver des badges ou des devinettes ou autres bidules. Les êtres humains sont pourtant inventifs, mais pas tous. Il faut être considéré tel un hurluberlu,  si l'on est un vrai chercheur, et pour les femmes humaines, c'est devenir des hurluberluttes, avec le mot "lutte" dedans ! Pour ce couple, leurs cachettes sont nulles et leurs bidules nullissimes. Mais il ne faut pas leurs dire, car comme nombre d'entre eux, propulsés par ces jeux en réseaux, ils pensent à chaque fois, avoir inventé le fils à couper le beurre. Puis ils trouvent un paquet d'idiots pour répéter leurs inventions.

Ma tutrice raconte mon histoire, comme ils ne m'écoutent pas, pendant ce temps là, moi, je cache mes victuailles devant eux, et je prends des petites feuilles et de la mousse et je dépose dessus tous mes artifices afin que mes victuailles ne se voient pas. Parfois, j'estime que ce n'est pas bien caché, alors je recommence. Mais ils me regardaient étonnés, et ils demandaient à ma tutrice qu'est-ce que je fabriquais. Donc elle leurs raconta, que selon une application très très rare, qu'elle avait elle-même programmée, il y avait des cachettes sécrétées par des pies, et que celles-ci, pouvaient receler des bijoux.

Ils nous regardaient comme des ânes cueillis comme des haricots. Je parle en lange Navajo, tel un code Talker, donc si mes images ne sont pas toutes compréhensibles, tant pis pour les gros lourdauds êtres humains. C'est ainsi que je les vois aujourd'hui.

Les enfants répètent ce que disent leurs parents et montrent leurs cartes de la Nouvelle Aquitaine. Ils sont venus de Poitiers et ont choisi Limoges, et boum ! Les voici arpentant cette ville, selon ce que les petites vignettes leurs racontent d'historiques. Évidemment, ils ne font rien par eux-mêmes. Les autres c'est bien connu, sont trop intelligents pour être heureux. Donc ils passent leur temps, et jusqu'à 2h heures du matin, me disent-ils à résoudre des énigmes historiques, avec leurs téléphones. Tandis que d'autres inventent des défis, imperceptibles pour ces groupes de moutons de Panurge. Je suis une pie plein de défis, et à présent je suis invisible parmi les autres pies, bientôt, plus personne ne me dissociera des autres pies, je serai sauvage comme les autres.

Puis ils s'exclament :" Mais la pie fait exactement comme nous : du géocatching !" Ben voyons, oui je suis si débile que je vais faire comme vous, espèce de tarés ! J'ai acquis un nouveau vocabulaire, proche de ces êtres humains, loin des philosophes et des précieuses ridicules. Je m'exerce à crier quelques vulgarités afin de me hausser au niveau de ces bipèdes qui utilisent un langage fleuri pour nous décrire, nous les piafs ! Ma tutrice déteste ce langage et ces sobriquets. Mais elle s'étonne que je les utilise à souhait, un peu dans le désordre, je tousse et je mordille les doigts de pieds.

Mais ils ne me comprennent pas. Ma tutrice est très sympa, elle leurs dit : "Oui tout à fait, vous faites comme elle !"

Elle leurs a donné un indice, mais ils n'ont pas compris. Ils pensent toujours qu'ils ont inventé le fil à couper le beurre et que nous, issues de la nature, les pies nous copions les êtres humains. Il ne leurs viendrait pas une seconde à l'esprit que c'est l'inverse, que la nature apporte tout. Je remarquais qu'ils étaient bêtes alors je m'attaquais à leurs pieds, car ils pensaient comme des pieds.

Un jour, je vois un homme bien gonflé avec deux femmes bien soumises, il s'exclame: "Mais il faut la garder cette pie, elle est apprivoisée, au début je pensais qu'elle était malade, je voulais la prendre !" Ses femmes sont en admiration devant l'Indiana Jones ! C'est un personnage de fiction, aventurier, qui sort d'un film, oui parfois l'être humain est ingénieux pour s'imaginer héroïque, il est professeur d'archéologie, créé par George Lucas. Un acteur l'incarne sur écran, au cinéma, un phénomène que je ne pourrai jamais voir, mais dont les êtres humains, parfois me parlent, comme si ce personnage existait vraiment. J'ai appris à les reconnaître dans la nature, lorsqu'ils se présentaient à moi.

C'est l'acteur Harrison Ford, qui joue son rôle, je ne sais qui est-il, sauf que nombre d'hommes qui passent par ici, sont habillés comme lui, surtout les photographes des oiseaux les faucons pèlerins. Ma tutrice n'étant pas du tout vêtue comme ces acteurs de cinéma, j'ai pensé que c'était un personnage très atypique, qui aime vraiment les oiseaux, bien plus que les outils techniques et technologiques. À priori, on pense facilement ainsi, puis, on s’aperçoit qu'elle a souvent devancé ces choses-là et qu'elle n'est pas née de la dernière pluie. Mais elle préfère le costume naïf, ainsi peut-elle être perçue comme primesautière.

Il est abruti comme tout, l'homme qui vient vers moi. Il n'a pas pensé une seule seconde que dès qu'il est arrivé, il est entré dans notre territoire, et qu'il y a un millier d'autres espèces autours de lui, et même qu'il est en train d'écraser une belle petite fleur, et qu'il a chassé les autres mésanges, dès qu'il a mis son drapeau sur ce sol. Il s'avance comme s'il était chez lui, et ne sait pas faire de différence entre ce qui est à lui et ce qui n'est pas à lui. En l’occurrence, rien n'est à lui ici ! Ni moi, ni mes amies les autres pies, ni aucun oiseau. Je lui enverrai bien quelques crapauds et souris avec qui je vis la nuit, afin qu'il sorte d'ici de suite !

Ma tutrice lui explique que je suis en phase de réintégration. Elle est bien gentille mais je suis totalement intégrée à présent, donc on ne va pas me désintégrer sous prétexte qu'il y a un Indiana Jones qui souhaite épater ses deux femelles ?
Moi les femelles pies, je les connais, elles sont très en retrait, elles avancent derrière le mâle. Ainsi j'ai tout de suite vu cette compagnie arriver avec les expressions parisiennes, ma tutrice m'a tout appris car elle est de Paris. J'ai bombé le torse et je me suis envolée si loin derrière le mur, qu'il est resté un peu con. Oui, et bien vas-y, colonise ce territoire et tu verras bien le malheur qu'il va t'arriver, et à tes femelles aussi !
Il a senti que j'étais un peu vexée, et il est reparti.
Puis je réfléchissais à leurs géocaching, au couple enthousiaste qui ne se souvenait plus de quels commentaires historiques, ni même le nom des villes où il leurs était demandé d'aller faire la visite pour récupérer une devinette cachée sous un buisson. Des trésors qui n'en sont pas. Mais ils ont tout de même découvert un autre trésor, c'est la rencontre avec des personnes, et des choses étrangères à leurs téléphones qui fait la différence.

Quel est le plus beau trésor ?

N'est-ce pas la relation qui se construit entre la nature et les êtres humains ?

Ce respect fait d'apprentissages mais aussi d'ignorances, et d'erreurs ?

J'ai décidé d'imaginer que les êtres humains seraient des bibelots sans valeur !
Car j'ai remarqué que ceux-ci, nous considéraient comme tel.
Aussi, une géocache est en général, un petit contenant étanche et résistant, avec un registre des visites et parfois un ou plusieurs trésors, généralement des bibelots sans valeur.

Ce programme par GPS fut opéré dans les années 2000 et La première cache localisée par GPS et documentée fut placée le 3 mai 2000 par Dave Ulmer, originaire de Beavercreek (en), dans l'Oregon. Les coordonnées furent publiées sur le groupe Usenet sci.geo.satellite-nav6. Dès le 6 mai 2000, la géocache avait déjà été trouvée deux fois (et journalisée une fois par Mike Teague, originaire de Vancouver, au Canada).

Ils mettent beaucoup de temps à trouver ! Trois jours !

Ce qui est intéressant c'est que ma tutrice a fait ses études à Vancouver, mais c'était avant en 1996, après les années 2000, outre le fait qu'elle fut pionnière en France sur les questions de réseaux et d'Internet, de création artistique en ligne, mais il est très mal vu d'être une femme inventrice en France, donc elle ne le dit à personne, et s'amuse beaucoup, en 2023, de trouver des hommes qui tentent de lui montrer sur un téléphone très coûteux ce que sont des icônes et des applications. Elle fait mine d'être une mamie et reçoit tous leur énoncés comme s'ils étaient la parole divine. Ils sont si fiers, leur virilité est en jeu, attention ! Il ne faut pas froisser ces êtres humains. Cela coûte très cher. L'expérience décrit, que parfois, il vaut mieux établir un compromis sur un malentendu, un petit mensonge, que de décrier véritablement ce que l'on est et d'où l'on vient, car les esprits s'échauffent et l'on peut vite finir au commissariat de Police, si l'on décrit la vérité. Il y a des territoires reculés, où il faut laisser du temps au temps, et ne pas brusquer les choses, le temps qu'elles se découvrent et laisser aux autres le souhait d'être des découvreurs d'un tas de choses qui sont déjà découvertes depuis des millénaires. Nous autres, les animaux, nous avons l'habitude de cacher notre savoir et nos coutumes ancestrales. Car les êtres humains ont un amour propre, ce que nous n'avons pas. Non pas que le nôtre serait sale, bien que c'est ce qu'ils disent de nous, mais nous avons un amour sans concession pour la nature, il n'est pas un amour propre, une forme d'amour immodéré pour soi-même, proche du narcissisme, il est un amour pour la nature, que l'on rend à la nature, car elle nous donne tout, nous avons tout à disposition, l'abondance est partout, dans la nature. Les êtres humains pensent qu'il y a raréfaction, qu'il vont manquer de tout. C'est qu'ils ont longtemps cru qu'ils pouvaient tout prendre, sans jamais rien donner, rien rendre. Il font la désagréable expérience du manque et de la frustration que cela apporte. Ils sont dans l'obligation de grandir. Nous savons que les êtres humains devaient se transformer, parce que cela ne pouvait plus durer, tous ces drapeaux partout. Et à présent qu'ils doivent mieux penser la répartition de leurs actions, ils sont très peureux du lendemain. Pourtant cela ne peut que les transformer et les sensibiliser à ce qu'ils créent dans l'environnement.
Bon, je disais que ma tutrice avait réalisé ses études au Canada, mais une petite partie. Après les années 2000, elle avait fondé un collectif d'artistes sur Internet et un tas de trucs assez invraisemblables à raconter aujourd'hui à des touristes, elle s'en garde bien, déjà que dans ses écoles où elle enseignait, aucune direction, ni ministère ne savaient ce qu'elle avait inventé, donc c'est dire à quel point, elle est restée cachée, oui car c'est très mal vu. Donc après les années 2000, elle s'est envolée au Portugal, afin de faire bénéficier des étudiants de l'alliance qu'elle allait créé, tout cela sans se vanter, et son copain faisait du géocacthing avec GPS et ses pliages de papiers dans les rochers au bord des gouffres, notamment la "Boca do inferno". Elle portait bien son nom cette bouche !

Évidemment, ce n'est que lorsque tout arrive en France, qu'il faut faire comme si on ne savait rien, qu'on a le moins de problème, sinon, on est fiché à la police, si on dit tout ce que l'on a inventé si tôt !

Il y a un être humain avec un t-shirt et des œufs sur le plat en énorme dessus, jaunes. Il m'aime beaucoup, et je joue avec lui.

Cela fait deux fois qu'il vient échanger avec ma tutrice et son compagnon, qui, revendique d'être un tuteur. C'est un peu comme si le papa s'était réveillé un peu tard pour reconnaître le mouflet, et là, il est le tuteur, cela ne fait aucun doute. Même s'il doit partager son amour et son attachement avec plein d'autres personnes, un tas d'idiots, d'Indiana Jones, et d'autres tarés et des marginaux et aussi des nerds, mais il veut bien, il n'est plus jaloux de mes infidélités, j'aime les originaux. Grâce à lui, j'aime tout les êtres humains avec des casquettes ! Et il m'a appris à être heureux de jouer, ce qui est une qualité que je ne rencontre pas chez les autres pies ! Cela fait de moi, un animal particulier, inclassable.

Donc le monsieur des œufs sur le plat s'est mis à raconter la vie et l'histoire des Pokemons, les monstres dans la poche. Connus au Japon sous le nom de Pocket Monsters dès 1996, dans les jeux vidéos, et des séries éditées par Nintendo. On retrouve ces petits machins, les Pokemons, exploités sous forme d'anime, de mangas, et de jeux de cartes à collectionner. De même cela forge à voyager, dans le virtuel évidemment,  à travers diverses régions fictives dans le but d’attraper de nouvelles sortes de monstres éponymes, mais, manifestement, je me retrouve associée à ces monstres de poches, car je vais vraiment dans les poches, je fouille partout. Japon, États-Unis, Canada, France et d'autres pays européens, voici qu'il nous parle des traductions coréennes !

Il est bien plus jeune que ma tutrice, lui aussi ne connait rien d'elle, et c'est amusant de l'entendre, ma tutrice est retombée comme une drôle d'enfance lorsqu'elle avait 25 ans ou 30 ans, c'est à dire… il y a 25 ans ! Ce n'est pas non plus son enfance, c'est une période, une autre époque, que les jeunes de vingt ans ne peuvent pas connaître.

Elle s'est ainsi aperçue que rien n'avait vraiment changé. Sauf que lorsqu'elle vivait une époque ou personne savait ce qu'elle faisait, ni même sa famille, elle voit à présent, des parents avec leurs enfants qui utilisent des formes qu'elle a pu inventer il y a 25 ans, l'air de rien. Ces formes sont bien plus accessibles et facile à appréhender pour les tous petits et les vieilles personnes.

À présent, elle est un peu une Sainte. Lorsque je la vois elle a un halo lumineux autours d'elle, l'évêque la salut, elle n'a plus aucun lien avec la technologie, mais parfois je me demande si elle n'est pas un robot humain fabriquée spécialement pour comprendre les oiseaux, tellement je ne vois aucun autre être humain comme elle.

Normal, c'est mon trésor, enfin celle qui m'a nourrit, et ça, cela ne s'oublie jamais. Je suis heureuse qu'elle s'occupe un peu plus de son amour propre. Une tutrice est réglée comme une horloge, sur les besoins de l'autre. Ainsi, par télépathie, nous n'avons aucun mal à nous retrouver, ou à nous éviter lorsque les cieux ne nous le permettent pas.

Mon copain le mâle aime couper les fleurs de pissenlit, moi je les cache. Ça compte ça pour le géocatching ?

Sous l’étoile de la chaleur, je vis ma vie de pie, avec des pissenlits et des abeilles aux pattes gorgées de pollen !

*

Dessin © Sonia Marques

mardi 18 mars 2014

εℓℓℯ


Her ou Elle au Québec est une comédie de science-fiction américaine écrite et réalisée par Spike Jonze sortie en 2013.
Dans un futur proche, à Los Angeles, Theodore travaille pour un site web comme écrivain public, rédigeant des lettres de toutes sortes — familiales, amoureuses, etc. — pour d'autres. Son épouse Catherine et lui ont rompu depuis plusieurs mois lorsqu'il installe un nouveau système d'exploitation, auquel il donne une voix féminine. Cette dernière, une véritable intelligence artificielle, se choisit le prénom Samantha. Elle et lui tombent amoureux.

♂♀

Science-fiction, solitude, conscience, individuel, émotionnel, paisible, séparation, connexion, virtuel, penthouse, liaison, illusion, dématérialisé, incarné, littéraire, asocial, social, luxe, volupté, optimiste, factice, neuronal, intelligence, mutation, disparition, technologie, amour, invisible…

La philosophie du film repose sur le questionnement des usages des outils technologiques (quasi invisibles) et de notre vie sociale contemporaine, sous-entendue qu'elle se situe à Los Angeles, São Paulo, Shanghai, ou juste sur un réseau social emprunté par n'importe quel habitant de la planète. Le film décrypte notre rapport à la solitude et à notre conscience, reflétée par une voix, celle de notre âme, nostalgique des rapports humains, dans l'illusion de ce qu'ils ont été, mais pas dans ce qu'il sont (flashbacks, souvenirs, image Polaroid lorsqu'elle est passée, rêves, ralentis)
Car la frontière entre réel et virtuel est bien dépassée, et l'amour fou ici, s'incarne par un sens auditif, mais aussi par la qualité de la relation, l'échange, la discussion, seulement aux moments choisis. Pas d'intrusion, pas de superposition, pas de différence, pas de violation. La voix féminine s'adapte totalement aux désirs de l'homme, et cet homme est tendre, à l'écoute, en fait à l'écoute de lui-même. Il en est à une remise en question profonde de son rapport à l'autre et en particulier de son amour perdu, de sa capacité à changer (ou pas) à répéter ou à découvrir de nouvelles sensations. L'individualisme prononcé de ce personnage est à l'image de notre société au final, ainsi, la science fiction de ce film n'est qu'un reflet d'aujourd'hui (le futur est le présent), certes fantasmé, libéré de contraintes matérielles, et nous rappelle nos comportements contemporains par l'usage des technologies infiltrées, de l'oreille à la peau, au grain de beauté, de l'écran, au téléguidage des expositions artistiques… Aux émotions universelles démontrées, s'impose une sexualité choisie, virtuelle, avec un stéréotype développé de ce qu'un homme aime chez une femme (pas forcément son corps) mais ici, sa capacité à ne pas le froisser, à être optimiste, à résoudre tous ses problèmes, à l'aider dans ses tâches informatisées, à côtoyer son cerveau par l'oreille, nouvelles formes de soumission, avec une voix sensuelle et prête à tester de nouvelles sensations, d'avoir une conscience, de l'empathie, de nouveaux plaisirs à partager, à multiplier. L'homme, dans ce film va être dépassé par ce désir de multiplicité et de "complicité" multiple, simultanée, la vitesse de traitement des datas et d'évolution, d'apprentissage… Bref, le robot a dépassé l'humain et lui prouve qu'il n'est qu'un tout petit livre dans une vaste étendue de poussière, là où peut-être son amour perdu, il finira par le retrouver, espace de l'au-delà spirituel, chacun sa vision de la finitude.

Le réalisateur, seul aux commandes de son histoire, rend ce mystère des sentiments amoureux, de leur connexion palpable, au creux de l'oreille, halo indescriptible et enivrant, voir piège captivant, addictif. Une palette d'émotions où la contemplation, la méditation, le sommeil, la vie en lévitation, au-dessus de tout et si loin des proches, avec l'accès à tout, au métro jusqu'à la plage, la femme dans la poche, devient terrifiant comme un ennui dévorant, le tout pouvoir serait une impuissance, une dystopie, aux images utopiques. Et s'il est question de temps et d'espace dans ce film, la voix féminine du robot nous place dans l'information du système des hétérotopies (mot des philosophes) apportant des indications à son amoureux où serait le lieu inaccessible dans lequel elle évolue et en réseau, alors même qu'elle est issue du monde des humains, intelligence artificielle. L'homme blessé de reconnaître l'infidélité que sa petite voix lui porte, seule capable d'aimer plusieurs et en même temps, avec une fidélité pure comme celle d'un amour sincère et véritable, un amour parfait dont on connait l'idée et dont on approche la sensation dans toute relation sensible et indéfectible avec un seul.

La science fiction parvient à troubler lorsque le film nous tient à distance des créations de l'esprit (des robots et programmes intelligents) par cette confrontation aux chimères, le gadget parfois ne s'allume plus, ou la voix s'en va, ne communique plus, provoquant le présage d'un désordre personnel apocalyptique. L'image du film, ses couleurs (vêtements, objets, espaces), le spatial dans la ville, sans voiture (notre fléau contemporain) est un ravissement, ou un frais voyage lorsque l'on est confiné dans de menus espaces, pris dans des contingences matérielles, à compter les tickets de caisse, ou embarqués dans des conflits interpersonnels, dans l'obligation d'étudier le harcèlement plutôt que d'être réceptifs aux rencontres et nouvelles sensations. Ce film toucherait un public contraint (par la crise ou le versus négatif de l'invasion des systèmes informatiques) ou à l'inverse, en confiance avec les technologies (la cool attitude), donc un large public, sans prise avec la différence, mais où la ressemblance, les mêmes cogiteraient ensemble pour une galaxie aseptisée.

Madame rêve..
.d'apesanteur...Des heures des heures de voltige à plusieurs...
Les philosophes décédés seraient encore les seuls à pouvoir emmener ailleurs les femmes en poche, vers un adultère les libérant de leur condition d'esclave, enivrées par le polyamour, fichtre les coquins ! Nous voici projetés dans le polynumérique (les oreillettes, les mobiles, les systèmes), en destinant les hommes qui ne sont pas rentrés dans l'histoire des références à de simples cocus consommateurs, n'ayant pas compris qu'elles rêvent de plus grandes choses, pour elles et qu'ils doivent encore se perfectionner, soit inventer de nouveaux outils, tristes Sisyphes) Si le titre est un pronom sujet au féminin, avec le portrait d'un homme, c'est peut-être qu'il est elle, dans sa tentative de la comprendre. La fin du film nous dira que ce n'est pas encore l'idylle partagée. Le sommeil, vecteur d'une solitude éprouvée par le grand lit et l'absence, animée de temps en temps par l'écoute est dépeint par l'insomnie au cœur d'une ville de gratte-ciel par la transparence de la vitre (seul face au monde) dans la pénombre et le confort du duvet intérieur. Je me souviens ayant eu cette sensation uniquement dans un grand hôpital en banlieue parisienne, ou dans un hôtel à Barcelone, deux situations de réconfort.

La sensation agréable et terrifiante de recevoir ces émotions de déjà-vu, nous positionne face à la chair, contrairement aux apparences virtuelles, l'importance de l'autre et du contact humain, tous, que les disputes, discussions, séparations, ne sont que des grains à révéler les grands amours, à les rendre nécessaire. Ce qui a disparu, dans ce film, c'est le crime, la pollution, de ces mégalopoles et gratte-ciel, les structures de classes sociales sont éliminées, pas de mauvais goût, exit les agressions, les voitures... Je ne sais pas si c'est la disparition des voitures, mais à ces moments pollués, nous pourrions viser la disparition de toutes les voitures dans tous les films, afin de respirer d'autres images. La fiction met à l'épreuve une société apaisée, dans laquelle un homme écrit des lettres sensibles ou réparatrices et les diffuse, il en est remercié, des lecteurs sont touchés. L'écriture, dans ce film est valorisée, tout comme la relation, l'écoute. La culture informatisée aurait, ici, acquis le sens de l'écriture et de la correspondance comme une valeur sûre capable de faire évoluer l'espèce humaine vers plus d'apaisement ou de romance ; ce qui, dans un sens, et je l'évalue, dans mon parcours, est un clin d'œil à tous les grincheux qui n'écrivent plus, en remettant la faute à celles et ceux qui sont (trop) informatisés et se dotent de ce savant travail du goût des mots et de leur concordance, leur dissonance, leurs aspérités démoniaques, parfois en un jet de concentré.

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L'impression d'un surf continu dans une société lissée et normative, mais aussi emphatique et colorée dans le design (de l'image et des objets, des espaces), les personnes de couleurs ayant étrangement disparues. La dialectique solitude/racisme est souvent amorcée chez les américains. La solitude : le mariage raté, la difficulté de retrouver l'âme sœur, le workaholic en auto-réflexion, émotionnellement expressif dans son travail (qui touche dans le film aux correspondances à distance) mais avec des capacités très réduites pour communiquer simplement avec des proches. Ou encore révélée avec les débats sur le mariage pour tous opposant les conservateurs, la difficulté d'imaginer le mariage avec le même sexe (ce qui serait peut-être une solution pour le personnage du film qui ne s'autorise à penser qu'à la voix féminine comme alternative de son échec érotique) Le racisme : l'élite blanche représentée dans les films mais rarement visible pour la majorité des américains. Elle traduit un monde sans conflits sociaux, un monde sous contrôle, la minceur, l'accès aux technologies et la capacité à construire le cyberspace à son image, en mesure d'être dans le ciel et tenir à distance le monde au sol. On reconnaîtra une ergonomie très pomme, pour ne pas la nommer, aux écrans plats : la science fiction est plus celle du 'monopole' d'une technologie, que dans son métissage. Il en est que les personnes latines, asiatiques, noires, sont tout de même présentes dans le film, sauf qu'elles ne sont pas les fils conducteurs, mais bien intégrées (dans le travail, ou même agent corporel pour une tierce relation) Nous pourrions y voir la victoire de l'intégration. Cette critique n'enlève rien au positivisme du film, le paradis retrouvé versus contemporain, rafraîchissant les images archaïques des paradis perdus, se situant sans technologies. Ici le paradis retrouvé est technologique. Marcher seul, penser seul, dormir seul, travailler seul, manger seul, dialoguer seul mais avec l'autre virtuel, faire un film ou l'acteur est quasiment le seul, se baignant dans les illusions de sa relation perdue, de ce qu'il n'a pas fait ou dit, compris ou agi, dans le manque permanent de l'autre, de l'idéal, parfois dans la difficulté d'accepter les "imparfaits", c'est-à-dire l'imperfection, mais aussi le passé qui dure, la conjugaison à l'imparfait et sa confrontation avec son présent : nous étions heureux ensemble, nous ne le sommes plus. La dépendance affective est ici montrée par la relation bienveillante, miroir, correspondant à nos sociétés narcissiques. Elle fait du bien parce qu'elle répond à nos attentes, elle a de l'humour et nous tire du lit lorsque nous ne le pouvons, lorsque la dépression préfère nous y garder. Ce réveil virtuel a tout de la voix maternelle, ou de parents qui nous aident à grandir. L'infantilisation de cette technologie (ce système autonome et mobile) provoque ce malaise, ce trouble, ou ce "duplicable" créé par la programmation qui heurte toujours l'éthique humaine, ou tout simplement la difficulté première d'envisager le nombre, qu'en dehors de soi et de sa conscience, il existe d'autres consciences, et ici, d'autres mondes libres.

Curieusement, ce serait un film romantique, où la science fiction a troqué ses flingues contre l'émotion, l'écoute. J'avais déjà beaucoup aimé son film "Max et les maximonstres" (2009), adapté du roman éponyme de Maurice Sendak dont je n'ai connu la disparition qu'en même temps que son existence. Un film de Sipke Jonze où les émotions et la relation entre les personnages imposants sous les feuilles, étaient complexes, inattendues, empathiques, les petites voix de notre forêt intérieure : Les caractères de tous les grincheux évoluaient à travers les relations et la surprise.
Réalisateur de clips vidéos (Björk, Fatboy Slim), la musique du film a été composée en partie par Arcade Fire, groupe montréalais. Plein de récompenses américaines pour ce film, Meilleur Film, Meilleur Acteur (Joaquin Phoenix), Meilleur Scénario (Spike Jonze) À noter que les Oscars n’ont pas voulu de la nomination de Scarlett Johansson (la voix de Samantha) au motif qu’elle n’apparaît pas à l’écran, certain diront que c’est pourtant un des meilleurs rôles de cette actrice, en parfaite synchronie avec la présence juste et intense de Joaquin Phoenix. Petit tournant dans l'univers du cinéma, une actrice ne serait pas qu'une image, mais aussi une voix, le son gagnerait à être entendu, là où les images empilent des murs surfaits, pour les traverser.

Après il y a un personnage, conceptrice de jeu, portrait sous exploité du film. Pourtant il y a pléthore de jeux interactifs et l'un d'eux représenté par le petit personnage bleu, seul "rouspéteur" du film est bienvenu. Il me fait penser à un personnage que je connais bien et qui n'a pas dit son dernier mot. C'est une vraie science fiction que de le voir évoluer. Merci pour ce film en avant première.