© Dorothy Iannone

Dorothy Iannone

L'artiste Dorothy Iannone, qui célébrait sans vergogne l'expérience sexuelle féminine et combattait la censure, est décédée à l'âge de 89 ans ; sa mort a été confirmée dans un post sur Instagram par sa galerie parisienne Air de Paris. "L'amour et la liberté sont au cœur du travail de Dorothy Iannone depuis six décennies, avec toute leur force jusqu'à sa mort inattendue hier", a déclaré la galerie dans un communiqué. "Elle nous manquera profondément en tant qu'artiste originale, un être humain intellectuel et engagé, une amie très aimante, amusante et compatissante."
Iannone est né à Boston, Massachusetts, en 1933 et s'est spécialisé en littérature américaine à l'Université Brandeis. Selon un CV publié par Air de Paris, Iannone a commencé à travailler "en tant que peintre autodidacte" en 1959. Elle a ensuite commencé à expérimenter divers médias, à cheval entre le dessin graphique, le collage, la vidéo et la sculpture qui s'est ensuite inspirée des fresques égyptiennes et des mosaïques byzantines. Une série d'œuvres réalisées en 1968, telles que Ease at the Helm, mêle croquis au feutre et imagerie Polaroid. Entre 1961 et 1967, Iannone et son mari James Upham ont voyagé à travers l'Europe et l'Asie, ajoute la galerie. Ils ont vécu et travaillé plusieurs mois d'affilée dans divers endroits, dont Kyoto au Japon. A Kyoto, elle commence une série de collages. Dans ses œuvres influencées par l'art du papier traditionnel japonais, les éléments orientaux et les peintures de l'école de New York, différentes formes et cultures sont liées entre elles.

Voir un choix de ses oeuvres sur le site de sa galerie

Après des études de droit puis de littérature, Dorothy Iannone commence à peindre. Son premier éclat date de 1961 : elle engage un procès contre le gouvernement américain qui interdit encore le roman de Henry Miller Tropique du Cancer, paru en France en 1934. Influencés par l’expressionnisme abstrait, ses débuts artistiques témoignent d’une grande maîtrise plastique, mais c’est en s’écartant de l’abstraction qu’elle ouvre sa voie personnelle, liquidant la matière picturale au profit du récit et de son expression graphique. Textes, figures et ornementation exubérante se bousculent jusqu’à la saturation, comme chez beaucoup de singuliers de l’art.Dorothy Iannone prône implicitement l’égalité des sexes et explicitement la roborative vertu de l’activité sexuelle, entre expérience vécue et célébration mystique. Au début des années 1960, elle cofonde et anime une galerie à New York. En 1966 elle rencontre Robert Filliou sur la côte d'Azur, puis Emmett Williams à New York à la fin de la même année. Le dessin de Dorothy Iannone prend vite la forme illustrative dont elle ne se départira jamais. Caractéristique notable, à partir de 1966, qu’ils soient conviés nus ou habillés, l’artiste dévoile délibérément les organes génitaux de ses personnages. Cette excentricité prend un tour irrévérencieux quand, dans sa série de figurines intitulée People, elle campe le portrait du président Johnson, de Robert et Jackie Kennedy en pleine guerre du Viêt Nam. Ses propres démêlés avec la censure surviennent justement en 1967 lors d’une exposition personnelle à Stuttgart, intégralement confisquée par la police qui réunit un tribunal de critiques et d’historiens d’art. Ces derniers réfutent finalement le caractère pornographique imputé aux œuvres en alléguant divers exemples artistiques extra-européens, références corroborées par les nombreux voyages que fait Iannone à cette époque, notamment en Inde. Invitée par l’artiste Dieter Roth à participer à une exposition de groupe à la Kunsthalle de Berne en 1969, elle sera encore confrontée aux mêmes problèmes, cette fois à cause des autres participants et du maître des lieux, Harald Szeemann qui lui demandèrent de couvrir ces sexes omniprésents dont la vue les incommodait. Le travail de Dorothy Iannone est autobiographique, sa rencontre avec Roth, à la fois muse et amant, constitue un repère décisif dans sa vie personnelle et un motif inlassablement repris dans son œuvre, qui prône implicitement l’égalité des sexes et explicitement la roborative vertu de l’activité sexuelle, entre expérience vécue et célébration mystique.

(Texte du conservateur Frédéric Paul)