The knife : Pass is on

Images extraites du clip "Pass is on" réalisé par Johan Renck en 2003 pour le groupe The knife
Parfois on doit travailler sérieusement sur un sujet et malgré tout en tâche de fond, un autre vous fait retarder considérablement, tant il accapare l’esprit. Mais parfois, si l’on ne regarde pas de plus près ce qu'il se trame en tâche de fond, on passe à côté de 'notre' sujet, car les liens se taquinent.

Le clip « Pass is on » du groupe électro The Knife (suédois), réalisé par Johan Renck en 2003, met en scène l’artiste suédois Rickard Engfors travesti. J’ai lu récemment un article qui rejoignait mon point de vue (Pass This On, travestissement et séduction, d’Alix Cabaret) sur l’état de grâce capté par le réalisateur. Lorsque j’ai découvert ce clip en 2003, peu après la découverte de l’album « Deep cut » du groupe The knife (le frère et la sœur), il y avait tout un mouvement, qui ne date pas d'hier, sur l’invention du masque comme seule visibilité des artistes (les robots Daft Punk, le masque de Venum des Bloody Beetroots, le casque de moto, le masque de catcheur mexicain, le masque africain de SBTRKT en dubstep...) jusqu'à l'invisible, l'hologramme 3D sur scène avec l'idole des japonais Hatsune Miku.
Olof Dreijer et karine Dreijer Andersen (The Knife), ont contrôlé leur image en la refusant dans la médiatisation « standardisée » du star-système, quitte à s’isoler un peu du grand public, de la scène et des attendus. Leur consensus fut dans la création de masques et leurs rares apparitions (costume de corps peints, maquillages, performances, vidéos, laser théâtre…) ou dans leur musique et ses transformations (électro, opéra) car ils apparaissent tout de même et ne masquent pas pour autant leurs paroles subversives et féministes, bien qu'assumant la pop commerciale. Ce mélange entre sonorités expérimentales et images associées donnent des créations narratives qui survivent dans les profondeurs, des choses un peu sombres, à déchiffrer, comme conduire la nuit ou entendre le cri d'un monstre, mi-technoïde, mi-chaman, jonglant avec les forces naturelles et urbaines. 
Dans le clip fascinant, « Pass is on », tous ces personnages dans le film, que je nomme des banlieusards ou des personnes au ban de la société, dans un espace modeste, réunis mais éparses, jeunes et moins jeunes, presque résignés, éclopés, vont s’allumer littéralement et sortir de leurs propres masques. Les stéréotypes selon lesquels aucun banlieusard ne peut sortir de sa coquille, de son vêtement, le plus souvent armure camouflage de formes, vêtements trop grands, et de leurs attitudes de défiance (le défiant craint d'être trompé) et plutôt machistes (qui vient de l’espagnol macho, qui signifie « mâle », au sens propre, est utilisé pour parler des animaux, manière exacerbée et exclusive de mettre en avant la virilité des hommes et de croire que les femmes leurs seraient inférieures dans tous les domaines), se retrouvent ici renversés, jusqu’à ce que chaque individu adopte un mouvement de danse le singularisant à sa sortie de coquille. La chanteuse masculine est dans la confidence, à l'opposé même de la défiance, cette crainte, ce doute qui fait qu'on ne se confie qu'après examen et réflexion. Elle n'a aucune crainte et a l'assurance de son show exotique, vêtement près du corps, tissus léger, fausse blonde. Chaque banlieusard sorti de sa défiance, dessine une chorégraphie touchante et assumée qui dépasse les frontières, de l’attendu, du visible. Ce charme s’opère le temps d’une chanson, le temps d’observer ce travestissement des apparences. Passant de l’anonymat et de l’invisible au visible et retournant du visible à l’invisible. Le superbe magicien qui anime ce public introverti (réservé, renfermé) qui meut la scène en toute lenteur et attirance vers l’extraverti (ouvert, qui manifeste ses émotions) est un travesti, lui-même ayant cette connaissance de la métamorphose (il ose le déguisement, il joue)
- Qui n’a pas rêvé, habitant ces banlieues, une scène similaire où chacun sort de son costume rigide pour en déployer une force émouvante au-delà des apparences ?
- Et qui ne l’a pas déjà observé ?
- Qui ne l’a pas provoqué ?
Cette magie.

La confession du chanteur qui incarne la féminité, la sensualité mêlée à la masculinité faite à la sœur qui reste observatrice de la scène de danse, « I'm in love with your brother », est une confession hors frontières, plus âgée, du même sexe, se posant juste la question de la compréhension d’un sentiment et de l’acceptation de la différence, (s’il ne préfère pas les jeunes filles de son âge), « Can he play » ?  C’est au moment où celui-ci quitte ses repères, en l’occurrence son ami (avec un air aussi antipathique que les autres), loin de l’engager à le faire, qu’il va aller au devant des à-prioris, des peurs, des carcans, dans son seul déplacement, ce bond en avant, ralenti par le réalisateur, que la transformation va s’opérer aux yeux de tous, la révélation. La vulgarité n’existe plus, ni les observateurs car ils sont unis par ce lien invisible qui les transforment, ici à l’appel d’un regard. Il répond en dansant et en faisant abstraction des autres. La force est celle de renverser la peur pour une union éphémère, une hypothèse qui détend l’atmosphère. Et la magie se diffuse au-delà de cette seule union, proposition, puisque tous engendrent le pas, répètent ce bond en avant, hors de soi, vers l’inconnu. Témoin de l’observation, la sœur, aussi ambigüe dans la définition frère-sœur, restera à sa place comme si elle avait rêvé la scène, juste d'un clignement d’œil.
Le temps d'un clin d’œil.