Photographies © Sonia Marques

Bell Hooks n'est plus, il y a quelques années, son ouvrage m'avait marqué, par son intelligence et sa pertinence, il m'a beaucoup apporté dans l'étude féministe des noires américaines, je remarquais alors qu'il n'y avait rien, en France, dans les bibliothèques des écoles d'art à ce sujet, et pour cause. Elle avait utilisé son nom de plume (en minuscules) en hommage à son arrière-grand-mère, Bell Blair Hooks, née Gloria Jean Watkins le 25 septembre 1952 à Hopkinsville dans le Kentucky, elle a publié plus de 40 ouvrages au cours de sa vie, dont le recueil de poésie And There Wept (1978) et ainsi que Ain't I A Woman (1981) : Black Women and Feminism. Ses dernières réflexions portaient sur l'amour. En octobre dernier paraissait, traduit en français, son ouvrage : La volonté de changer - les hommes, la masculinité et l'amour, résumé ainsi :

Si pour beaucoup d’hommes, le féminisme est une affaire de femmes, bell hooks s’attelle ici à démontrer le contraire. La culture patriarcale, pour fabriquer de « vrais hommes », exige d’eux un sacrifice. Malgré les avantages et le rôle de premier choix dont ils bénéficient, ces derniers doivent se faire violence et violenter leurs proches pour devenir des dominants, mutilant par là-même leur vie affective. La volonté de changer est un des premiers ouvrages féministes à poser clairement la question de la masculinité. En abordant les préoccupations les plus courantes des hommes, de la peur de l’intimité au malheur amoureux, en passant par l’injonction au travail, à la virilité et à la performance sexuelle, bell hooks donne un aperçu saisissant de ce que pourrait être une masculinité libérée, donc féministe.

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Conception et réalisation de l’œuvre en céramique Cendrillon à Limoges (Photographie © Sonia Marques - 2010)

Ainsi, j'ai pensé à l’œuvre d'art que j'ai réalisé en mai 2010, il y a 11 ans. Elle s'intitulait Cendrillon. Toute réalisée à la main, par mes soins, en céramique (4Mx4M), une prouesse technique qui matérialisait le transfert d'une icône informatisée et numérisée des arts du codage des années 80 à un véritable tapis carrelé, de 1600 biscuits peints à la main. Mon projet de recherche réalisé en un temps record, faisait participer les étudiants de l'école d'art nationale de Limoges-Aubusson, où je venais d'être professeure en infographie et création multimédia, sélectionnée sur concours national en 2009... J'ai travaillé quasiment tous les jours et mes nuits sur ce projet avec passion et avec une énergie canalisée très saine et vitale pour une collectivité. J'avais une grande confiance dans mes acquis artistiques et techniques, que je souhaitais, avec générosité, partager. J'ai aussi ouvert mes esprits aux différentes façons d'aborder les techniques de la céramique, et j'ai appris, autant que je formais d'autres personnes (techniciens, étudiants) Ma capacité à trouver des solutions, malgré mon nouvel habitat sommaire et l'inconnu de la nouvelle ville et mon déménagement rapide pour le poste, a été un superbe relancement pour les étudiants, les nouveaux collègues, et la direction, et celles et ceux qui étaient en place depuis longtemps. J'ai donné beaucoup de mon art et mon affection, ce qui forment la patience inouïe des artistes ingénieux, ici, ingénieuse, en dépit de la dégradation de la valeur de l'enseignement, de l'art et de l'ouvrage, de la culture, au fil des années.

© Sonia Marques

Un mois après mon arrivée, l'école limougeaude, suite à ma conférence publique, le directeur me proposait d’exposer dans l’école, une œuvre multimédia de mon choix, lors du WIF (Festival International du Webdesign) programmé pour le mois de mai 2010. J’ai ainsi imaginé un projet de production artistique, d’une œuvre de grande envergure (mais étapes par étapes, de façon très modeste et discrète), au sein de l’atelier céramique en transversal avec l’atelier d’infographie et d’arts graphiques dans lequel je donnais des cours régulier à tous les niveaux depuis quelques mois. Ce projet était une réflexion sur la céramique mais aussi sur mon histoire culturelle. Cette œuvre réalisée (Cendrillon) de 16 m2, composée de 1600 carreaux de céramique peints, a fait participer les étudiants, par la pratique plastique (couleurs, vibrations, nuances, motifs) et les techniques (céramique, cuisson, peinture) et, de façon théorique, questionner des processus innovants dans des ateliers techniques croisés, qui ne se côtoyaient pas dans leur conception pédagogique. L’aspect culturel et le métissage opéré résultaient d’une recherche iconographique sur les interfaces graphiques des années 80 et s’inspirait de l’art traditionnel de l’azulejaria portugaise, dans sa technique en mosaïque. Je revisitais l’artisanat du côté du sociologue américain Richard Sennet, de son livre, Ce que sait la main, La culture de l'artisanat, (The Craftsman) de 2008, et je posais des questions sur les métiers d'art et le numérique, bien que ces disciplines n'étaient pas, alors valorisées par les écoles d'art. Le laboratoire des couleurs et pigments de l’école limougeaude, historiquement abandonné mais en l’état, a ainsi été fonctionnel et l’assistant technicien sur le décor, a pu depuis, par cette recherche, investir ce lieu et en faire l’atelier du petit décor pour la céramique et les étudiants. Cette œuvre fut exposée à l’école, puis les mois d’été suivant, au Centre Culturel Jean-Pierre Fabrègue à Saint-Yrieix-la-Perche, invitée par la directrice de l’espace, qui avait beaucoup apprécié mes recherches, pour prendre place dans une exposition programmée avec de jeunes designers de la région, sur des questions d'éco-responsabilité, ce qui était manifeste dans ma proposition artistique. Le matériau principal utilisé provenait des déchets et des chutes de terre, destinés aux poubelles, que l'école produisait chaque jour. Ces rébus de terre, amalgamés sous formes de boudins et mis de côté, pour mon projet, devenaient ma matière première, une œuvre d'art qui posait, pour la première fois, le recyclage, au centre de ses intérêts, dans une école où le luxe et les excédents n'étaient pas envisagés, ni considérés. L’année suivante, en 2010-2011, l’équipe enseignante et la direction m’ont donné la mission de coordonner la première année, avec une quinzaine de professeurs et assistants des ateliers techniques et de remettre en fonction les fondamentaux (couleurs, volume, dessin) J’y ai ajouté les fondamentaux des « médias », pour lesquels j’ai valorisé les enseignements des modes d’impressions afin d’élever le niveau des étudiants dès cette année, jusqu’à l’initiation à l’infographie, d’un point de vue artistique, avec une émulation créative au sein de l’atelier.

Photographies © Sonia Marques (2010)
L’œuvre Cendrillon est née dans les cendres de cette école, telle que le conte se raconte encore, même en Afrique, et pourtant c’est devenue une princesse sur un trône avec une myriade de couleurs. La recherche de la couleur de sa peau (le brun) de la figurine de pixels, représentaient 2 mois consacrés de recherche afin d’obtenir un marron chaud très particulier. Ce qui m’a permis de classifier les pigments de l’école, et de vérifier, après cuisson, la tenue de la couleur. Quelques années plus tard, en 2016, je fis la rencontre d’une écrivaine, Élisabeth Lemirre, venue présenter son ouvrage à la médiathèque de Limoges, une anthologie « Sous la cendre, figures de Cendrillon », en partenariat avec l'Opéra-théâtre de Limoges, dans le cadre de la programmation autour de Cendrillon, quelle coïncidence, un spectacle lyrique chorégraphié par Ambra Senatore (qui a écrit le rôle du Prince pour un travesti, pour une voix de mezzo et non de ténor) auquel j’ai assisté. J’ai apprécié nos échanges entre son ouvrage très documenté, notamment dans les pays africains, et l’œuvre que j’avais réalisée en céramique.

Argentina & Alvaro © Sonia Marques (2010)

C'est un merveilleux souvenir et une étape formatrice, dans ma vie artistique. Il y a eu un point convergent entre ma vie privée, publique, enfantine, adulte, de femme, de conjointe, d'ex-conjointe, de partenaires professionnels très différents, entre périphérie et capitale, banlieue et insularité, individu et collectif, enseignante-enseigné.es, théorie et pratiques, faire et savoir, art et artisanat, médias numériques et couleurs écraniques et un incroyable passage entre les couleurs lumineuses de l'écran et les couleurs de la terre, dont je devais trouver, également la correspondance lumineuse (ce qui est un vrai défi technique, lorsque l'on maîtrise le décor) Une œuvre qui a dépassé toutes les frontières. Ma composition faisait appel à la lusophone. Raconter l'histoire de sa fabrication est un véritable conte de fée. Je suis aussi très heureuse, que les parties masculines aient transférées toute leur affection à ce projet et que mes parents aient pu voir le puzzle assemblé, que l'on peut désassembler à souhait. Une œuvre d'une mobilité déconcertante, manipulable, d'un poids certain, et en même temps, légère, volubile. Mouvante. Très chaude, vibrante, saturée, mathématique, digne d'une maçonne fantaisiste et appliquée à l'art.