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dimanche 12 novembre 2023

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Photographies © Sonia Marques

Journal d'une pie (extrait)

Ma tutrice était repartie un peu triste de ces comportements.
Le lendemain de jeunes garçons nigauds avaient décidé de jouer aux boules de pétanques sur une plaque, cela faisait un bruit très désagréable dès que les boules roulaient sur cette plaque. Nous les pies, on ne dormait pas bien. Je les nommais les balourds.
Ils n'avaient même pas trouvé de terrain plat, pourtant il y en avait d'autres bien plus loin.
De ces deux groupes, ma tutrice pensait que l'un d'eux avait abandonné ce chaton.
Puis, elle décida de l'emmener le sauver, et le soigner.
Je pensais qu'elle m'avait oubliée, le soir même je la retrouvais, revenue du vétérinaire, avec tout un programme qu'elle s'est fixé. Incroyable, elle resterait ma tutrice, son cœur était assez grand pour accueillir un autre abandonné, mais ici, l'enquête s'est poursuivie.
Ma tutrice étudie beaucoup, elle a trouvé des formes de pensées pour ce qui la questionnait, le harcèlement scolaire, plusieurs expériences de terrain, et avec nous les pies, son étude s'est étoffée.
La découverte de ce chaton, qui n'est pas arrivé de lui-même, pose ici une notion nouvelle, la cruauté. Le sauvetage, dans quelles conditions ? L'accompagnement ? Garder, donner, confier, adopter... Aimer.
Abandonner un animal, aussi démuni, un chaton, celui-ci était déjà habitué aux êtres humains, mais il était dénutri et plein de parasites.
Comme moi, je me souviens, petite pie parmi les êtres humains, personne ne portait attention à mes brindilles de pattes, je ne savais pas voler, j'étais aussi truffée de parasites, qui me suçaient le sang.
Successivement, mais un mois plus tard, un nombre grandissant de personnes, très différentes, s’extasiaient devant mon attitude gracile, et adoraient me filmer, me regarder et penser que je les aimais, car j'allais vers eux, vers elles. Comme si, ces personnes étaient intéressantes, exceptionnelles, hors, je ne voyais que des chaussures à piquer, des têtes à picorer, des sacs à explorer, et tout un ensemble, sur lequel je pouvais déféquer, à l’improviste. Ces êtres humains se re-narcissisaient auprès de ma présence joueuse et si attachante, car j'étais sympathique avec eux, une magie, quelque chose d’angélique, et pour d’autres, de nuisibles. Mais, ces mêmes personnes ne portaient aucune attention à moi, lorsque je suis tombée, je ne savais pas voler, petite noiraude sur pattes, tel le Caliméro, "Il pulcino nero", pour reprendre un des cours de ma tutrice, enseignante, lorsque j’appelais à l'aide. Pourtant je criais de toutes mes forces, de toutes mes ailes, personne ne me voyait ni ne faisait attention à moi. De même, pour ce chaton ! Une fois que je suis devenue si particulière, charmante, attachante, virevoltante, espiègle, sachant parler aux humains, aux oiseaux, aux chats et aux chiens, et aux lapins, tout le monde s'est arraché ma vedette et souhaitait parader avec moi et montrer des photos à leurs amis, de moi, la pie, la plus étonnante, atypique, mignonne, avec eux, comme si c'était eux qui me découvraient. Ils n'étaient pas là lors de mon sauvetage. Nous avons découvert un compte "instagram" d'un homme chilien qui fait son intéressant avec moi, et ses amis du monde entier pensent que je suis son amoureuse, ils l'ont écrit, alors qu'il m'a filmé, en train de prendre mon bain, toute nue ! À mon insu. Je ne savais pas que le monde entier allait commenter mon bain ! Ils sont voyeurs ces êtres humains. Ma tutrice a beaucoup ri lorsqu'elle a découvert des mois plus tard ce compte. Arrivé l'automne, l'amoureux éconduit est passé à autre chose, un cœur d’artichaut sans doute ! Ses amis restent persuadés que je suis celle qui fut son amie et sa protégée, et bien non ! Ma tutrice est discrète comme un esprit sain.

L'effort d'attention, de soin, d'accompagnement de guérison est très énergivore, chaque jour, elle ne m'a pas laissé tomber, lorsque je n'y parvenais pas, à monter pour la première fois sur une branche, à tenter de faire sortir une satanée mouche plate qui me laissait ses larves, et attendre 15 jours après qu'une autre m'embête sous mes ailes. Ma tutrice était là, elle m'a déparasitée, elle m'a appris à voler, elle ne m'a jamais touché, n'a jamais essayé de me prendre, sauf pour me sauver lorsque je criais face aux prédateurs au sol. Surtout, elle m'a laissé dormir, me reposer, avec de l'alimentation adaptée, de l'eau et de quoi prendre des bains. Il lui a fallu bien du courage pour en venir à bout de mes parasites, et cela m'a rendu la vie, la belle vie. Et puis, elle a tenu à m'intégrer dans un groupe de pies, ce n'était pas facile du tout. Il fallait agrandir son espace. De mon côté je lui ai donné accès à un autre monde, celui des ailés, des esprits, un monde imperceptible à l’œil humain. Même séparées, nous sommes liées.

Elle m'a offert son temps et sa patience, et avec ses autres amis, d'autres bêtes étranges, j'ai découvert une vraie sociabilité, qui m'a beaucoup appris. Son conjoint disait que j'avais appris plus vite que les autres pies.

J'étais bien installée, je grignotais avec mes êtres humains, si inquiets après cette nuit d'orage, et après ces jours si chauds et éprouvants. Nous ressentions un peu d'air, des branches d'arbres étaient tombées dans la nuit, le nid des pigeons avait tenu, un miracle. Contrairement à nous les pies, les pigeons, dès l'âge de 5 mois sont en âge de se reproduire. C'est comme si j'étais en âge de faire la bringue, je dois patienter encore deux ans. Pourtant je fais la bringue.
Le couple se relaye pour couver les œufs. J'ai eu le malheur d'aller voir, et ma tutrice a vu mon escapade, et m'a ordonné de redescendre. J'ai reçu des réprimandes, car elle m'expliqua que je ne devais pas toucher aux œufs, et de me rappeler que j'étais tombée d'un nid, il fallait que je me souvienne de cela.
Opportuniste, je ne suis pas venue la voir un matin. Le lendemain, tandis que je la voyais arriver, j'étais en train de me planquer, je montais sur les branches d'un conifère, puis j'ai atterri sur sa tête fièrement et je me suis posée sur le bout d'un gros arbre touffu, lui montrant un œuf blanc parfait mais bien découpé au-dessus. Elle se posait des questions, d'où venait-il ?

Successivement à de longues nuits d'été chaudes, cet orage a éclaté, nous nous en souviendrons. Ma tutrice pensait à moi, hors je suis à présent très bien adaptée à ces orages, elle n'a pas bien dormi. Le lendemain matin, la voici avec des petites choses à grailler.

Quelques branches sont tombées, le nid des pigeons est toujours là, la femelle va laisser place au mâle, et va pouvoir se dégourdir les pattes. Le rouge-gorge est très curieux se plante et fait voler les feuilles alourdies par l'eau de pluie, il ressemble à une feuille d'un orange très vif qui virevolte, ses gros yeux noirs dominent et il prend un doux plaisir à venir voir ce qu'il se passe de temps en temps, au sol. Il vole très vite, il faut une bonne acuité pour le voir, mobile, ainsi que tous les autres, il y a un verdier, des mésanges, c'est un ballet merveilleux.

J'entends une pie qui fait un boucan d'enfer, mais qu'a-t-elle vu pour être aussi alerte, je ne bouge pas, je reste avec mes amis, tuteurs les êtres humains.

Puis, ma tutrice entend un miaulement si petit, qu'elle pense que c'est un petit chat, et demande à son compagnon d'aller voir, elle écoute précisément le lieu où cela pourrait se produire. Son compagnon ne trouve rien et revient bredouille. Nous continuons nos conversations, et bien plus tard, le petit cri recommence de façon plus intense.
"On dirait un chaton coincé quelque part" dit-elle.
Son compagnon va, de nouveau voir, elle lui indique ce que son oreille lui donne comme territoire, "C'est là-bas".
Il s'écrie : "C'est un petit chat minuscule, un chaton !"
Ma tutrice était avec moi, pas question qu'elle s'en aille, je monopolisais son attention.
Puis il lui dit : "Il est seul et a très peur..."

Je savais bien que ma tutrice allait se mobiliser de nouveau pour sauver une autre bête.

Elle va voir et trouve un minuscule chaton gris caché sous un conifère.
Les épines piquent, sa mère ne doit pas être bien loin, mais elle a entendu ses cris depuis plusieurs heures ce matin.

J'arrive, je vole vers elle, et je vois cette petite crotte, mais c'est une souris ?
Tout gris, elle le prend dans sa main, mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? Je ne suis pas contente du tout, voilà que ce rien du tout retient l'attention de ma tutrice, je vole dans ses cheveux, sur elle, partout, je fais un tintamarre pas possible.
Elle me repousse en plus, jamais elle n'a fait cela, et me dit : Arrête, laisse le tranquille !
Alors je décide de lui piquer les fesses, il était encore plus apeuré. Si expressifs, ses yeux verts gorgės de larmes.
J'ai vu quelques puces, je m'amusais à les picorer.
Un homme noir regardait la scène avec admiration, il était apparu comme venant de nulle part.
Elle lui dit : "Vous connaissez sa mère ? Il a été abandonné ?"
L'homme était contemplatif de mon attitude, il était captivé par moi.
Il dit : "Je pense qu'elle est apprivoisée" en parlant de moi la pie.
Il faut dire que la scène était surnaturelle, un paradis perdu, le jardin des délices, "À mon seul désir" écrivait la tenture d'Aubusson", aurait dit la dame à la licorne...
Une pie sur ses cheveux blonds, un chaton gris les yeux comme des perles précieuses émeraudes, des grenouilles comme témoins, l'homme noir comme un fantôme avec un sourire béat. Ma tutrice n'avait pas le temps de raconter mon histoire et allait au plus rapide.
"Vous avez vu la mère du chaton ?"
Il dit : "Non"
Elle recherchait partout s'il y avait d'autres chaton, sous les arbres, et regardait partout.
Moi j'en faisais des tonnes, j'étais un peu jalouse, ce sac à puces, non, mais non !
Puis ils se sont souvenus d'un couple de jeunes avec une boîte en carton, avant l'orage la nuit, effrontés, ils avaient déposé des victuailles pour pique-niquer, il était très tard, la nuit était tombée, ma tutrice était venue me voir, j'observais la scène dans mon arbre.
Je devinais bien ce qu'ils fabriquaient.
Ils étaient deux, le jeune homme torse nu, pourquoi à cet endroit si mal agencé pour dîner, et en pleine nuit, sans éclairage, sauf un lampadaire qui les éclairaient comme des allumés eux-mêmes.

Qui sait ? Ils ont abandonné ce chaton ? Ou bien ce sont ces personnes chics du matin, en chemise bleue, ils savaient que ma tutrice était là, et paf ! Ils larguent le petit ?

Mais c'est une CROTTE ! Une véritable CROTTE !

Ma tutrice a de suite vu autre chose, elle ne voit pas comme tous.
Le chaton lui parle.

Au travail les amis, et donnez-moi de ses nouvelles, je serai son messager, la pie.

Un mois plus tard, il a tellement grandi ! Monsieur vous n'êtes plus une crotte, vous êtes un chat bleu, c'est merveilleux !



En route !

Hé, hé, je suis arrivé !


lundi 30 mars 2020

ℓ@ρ1

Photographies © Sonia Marques