bmk

blog m kiwaïda

Tag - goût

Fil des billets

mardi 26 octobre 2021

ℝϴϟ∃ϟ ℙѺℳℳ€ϟ

Mes petites roses pommes (Photographies © Sonia Marques)

Un dessert économique, sain et délicieux, comme de petits souvenirs chaleureux, mes petites pommes roses, sur une assiette de porcelaine fabriquée au Portugal... Elles sont entre le cinnamon bun  de Vancouver et le pastel de nata de Lisbonne. L'un et l'autre, ils viennent de mes souvenirs gustatifs, et se retrouvent, dans un présent Limousin automnal, puisque les pommes sont d'ici, et la cuisinière aussi. Bien que le cinnamon serait venu d'une recette scandinave, suédoise, c'est en Amérique du Nord, que je l'ai découvert, à Vancouver.

Dans l'espoir de trouver un logement, après un mois infructueux, je me désespérais. Puis j'ai entendu parler français, dans une cafétéria, où nous avions pris l'habitude de griller nos derniers deniers avec un grand café et un cinnamon bun, mon ami et moi, en étude en art, amoureux, dans cette ville inconnue. Je me suis retournée, osant saluer un couple qui parlait la même langue que nous, le français. Cela faisait un mois que nous n'avions pas entendu notre langue natale dans cette grande ville de Colombie Britannique. Une aventure féconde est partie de cette rencontre, puisque nous rencontrions des chercheurs scientifiques en études, aussi amoureux, mais presque sur la fin de leur histoire, et plus tard, nous héritions de leur logement, en location, durant plusieurs mois, et d'échanges sur de nouveaux mondes. La jeune femme menait des études sur les fonds sous-marins, son ami, sur un moratoire qui lui permettait d'étudier le comportement des mouches pour ou contre les organismes génétiquement modifiés. Il y avait une lutte souterraine dans le couple, nous étions encore au milieu des années 90, pourtant, dans mes relations, nombre de couples traversaient une transformation, des rapports entre les hommes et les femmes. J'admirais cette jeune femme, qui attendait de vivre sa vie. Son compagnon était tout puissant, pourtant, ils avaient le même niveau d'études, si ce n'est qu'elle avait réalisé un sujet atypique, tandis qu'il réalisait ce que l'on attendait de lui. Elle était bien plus petite, et très discrète et avait peu de latitude pour échanger avec moi, tant les hommes prenaient toute la place. Ainsi les F faisaient les M. Artiste, mes actions ont été une ouverture, mes photographies que je prenais sous l'eau, nageuse, et ma façon plus adoucie d'entrevoir le bleu du ciel. Ce que j'aimais, c'était explorer plusieurs milieux différents, plusieurs dimensions qui semblent ne pas pouvoir se côtoyer et pourtant, je les ressentais simultanément dialoguer ensemble. Parfois elle fut piquée d'envie d'entrer dans l'eau sans complexe, se délestant de la femme en prise avec la destinée toute tracée de ce que devait être un scientifique. En réalisant deux expositions de mes photographies, ces entrées aquatiques apportaient, lors de l'élaboration des mois auparavant de mes visions tirées en couleur, sur papier, des fenêtres d'ouverture à cette scientifique, qui faisait un pas de côté, discret pour observer ce que je fabriquais. Lorsqu'ils nous ont quittés, rejoignant la France, ils ont quitté aussi un peu de leurs certitudes et se sont ouverts, chacun, chacune, s'émancipant.
Le pastel de nata était déjà un dessert familier, puisqu'il était en vente sous le comptoir de ma tante, au Portugal, de son café-épicerie, qu'elle tenait comme les hommes pouvaient le faire de leur territoire, d'une main de fer, sans gants de velours. Nous attendions, enfants, le moment où elle se faisait livrer, les pasteis, bien plus frais que ceux qui restaient en exposition derrière la vitre de verre. Ils étaient à la portée de notre vue, seule. Les hommes prenaient des cafés très serrés chaque matin, midi, soir. Nous pensions donc que les adultes ne se nourrissaient que de cafés. Devenue adulte et professeure, bien des années plus tard, saupoudrés ou non de cannelle, ou de sucre glace, comme les cinnamon bun, je les ai dégustés à différentes reprises, dans la célèbre pasteleria de Lisbonne au bord du Tage, en emmenant des étudiants angevins en art, dont j'avais la responsabilité partagée de l'encadrement, avec mes collègues d'histoire de l'art et un sculpteur de bronze, entre autre, aujourd'hui, à la tête d'un centre d'art, c'était son rêve, nous en parlions ensemble lors de ce voyage, ses vœux ont été exhaussés. C'est une carte bleue, imperméable, aux nuances douces, d'un papier spécifique pour cartographies, trouvé par mes recherches assidues en imprimerie et avec l'imprimeur angevin, dépliée, qui se trouva devenir une porte d'accès magique, en favorisant l'entrée en études de jeunes lycéens, pour les forums dédiés. Il n'y avait pas, à l'époque, de site Internet. Cette carte a fait le tour des écoles d'art, en 2001, elle préfigurait d'un réseau social, avec les centaines de photographies des étudiants collectées et nos échanges par mail, en portugais et en français et avec leurs dessins, d'ailleurs, elle se nommait : "Mailing list".  J'avais créé un contact bilatéral, par la suite, quelques années plus tard, en faveur de tous les étudiants et les professeurs, pérennisé, pour tous. L'enseignement est lent dans ses paroles et diligent dans ses actes, quand il est sage, nous rapportait le premier d'entre eux.

Les énergies vont augmenter, les logements dont l'isolation n'est pas réalisée, le chauffage qui date de Mathusalem, les loyers coûteux, pour des habitants qui font, depuis si longtemps des économies et ne participent pas de polluer la planète, ni véhiculer, ni véhiculants de nuisances... C'est en cuisant ces fleurs, avec mon petit four acheté à mon arrivée à Limoges, parce qu'il était le dernier, en démonstration, avec une bosse sur le capot : personne ne le voulait, il était donc pour moi, et il est toujours là, que je pensais à tout cela, et à cette expression regardant ces feuilletés caramélisés du sucre de leurs pommes: des beautés fanées. Est-ce que ces petites roses pommes évoquent les fleurs fanées ? Peut-être. Mathusalem était le plus âgé de tous... Je ne savais pas que l'on pouvait dire d'une femme, que c'était une beauté fanée. Je ne savais pas ce que cela voulait dire, c'est un homme qui me l'a raconté :

Mon amoureux dans ma vingtaine d'années me proposa de retrouver sa collègue, pour se balader, une allemande, une artiste peintre. C'était à Paris, je ne l'avais jamais vue, il faut dire qu'à cette époque, il n'y avait pas Internet, enfin très certainement ce réseau était-il encore entre les mains des militaires. Donc, je posais cette question, afin de la reconnaître, car la place de la République était si grande que je ne pouvais pas savoir où était-elle située : À quoi ressemble-t-elle ? Oui à cette époque, il n'y avait pas, non plus de téléphone portable. Mon ami me dit, elle ressemble à une beauté fanée. Je suis restée très perplexe, il ajouta, parce qu'elle était plus âgée, peut-être la quarantaine, alors je ne comprenais pas trop. Serions-nous fanées, les femmes à l'approche de la quarantaine ? C'était un point de vue d'un jeune homme d'à peine trente années. Puis, en sortant du métro, en montant les marches, je vois une femme très belle, d'une allure et d'une grâce, elle était différente de tous les badauds, certainement car elle venait d'ailleurs, semblait étrangère. Je recherchais vainement une beauté fanée, que je ne trouvais point. Puis mon ami lui dit bonjour et me présente. C'était elle ? Une blonde élancée, moderne, d'une forte personnalité, à la fois élégante et sexy, une femme puissante. Oui, à cette époque, les acronymes LGBT... X Y Z, n'existaient pas, pour évoquer tant de petites cases, et les non binaires... Nous étions tous, sans à priori. Puis, nous sommes parties devant ensemble, laissant mon ami, étonné de voir que nous nous entendions déjà, et nous avions commencé par entrer dans toutes les boutiques de chaussures, à sa demande. Elle était quasi fétichiste d'un style très précis de bottines à talons, des années 70, elle a adoré mon regard détaché de tout et pas très sérieux. J'ai passé une après-midi inoubliable. Je ne me sentais pas femme, ni fleur, ni fanée, ni facile et je venais de voir qu'aucune femme ne pouvait être fanée. Les jeunes hommes se posent des questions sur leurs propres féminités. Certains pensent qu'elle est fanée en eux, ils trainent un tombeau. Peut-être que l'exploration de leur vie, leur donne une chance de faire revivre la femme perdue ? Un peu plus tard, pour un magazine d'art à la mode, on m'a posé quelques questions, la première : Quel est votre sexe ? C'était en 1999, mes premières lignes : "Entre M ou F, on m'a dit que j'étais F / Femme, Feu, Fourmi, Fraise, j'aurai même pu être Fête."

Bien plus tard, j'ai rencontré son œuvre, sa façon d'affirmer sa chambre à elle, son atelier de peintre, dans le Sud, d'imposer ses limites, afin que personne ne franchisse son atelier, sans porte avec sa pièce à vivre, mais que chacun, chacune puisse comprendre, que peindre c'était sa vie, et que déjeuner ou dîner avec elle, c'était avant tout partager le repas d'une peintre au travail, qu'elle accordait un moment aux invités, mais ce n'était pas "open bar", ni "buffet à volonté", ni "exposition gratuite" aux collègues enseignants, journalistes et commissaires d'exposition". Non, il y avait une limite, son espace privé était aussi son lieu de travail, à nous de le respecter. Sinon elle mordait. Le mordant n'arborait rien d'une beauté fanée.

J'ai acheté des tulipes, et non pas les chrysanthèmes de la Toussaint. Ces fleurs ne fanent pas, me disais-je, en pensant à elle, qui se faisait appelée IL, une autre beauté. Les pivoines sont mes préférées et lorsqu'elles fanent, elles sont encore plus belles.

À présent, je suis bien plus âgée que cette femme, à cette époque. Elle m'avait fait part de son vœux le plus cher, il a été exhaussé depuis. Nous avons largement dépassé les années 2000, elle continue de peindre, et moi je m'occupe des fanes de carottes pour mes lapins. Tout a changé, je pense même que tout a été dépassé depuis, pour un tas de raisons, de situations, de phénomènes terrestres et extra. Je ne fais plus les boutiques avec autant de légèreté, bien que les bottines des années 70, dans ce pays, sont revenues à la mode, en 2021. Je l'explique simplement car mon amie était certainement en avance, quand tout semble en retard. Je ne visite plus d'atelier de femme peintre, et je n'apprécie plus trop la place de la République à Paris. Il y a eu les attentats, j'ai eu beaucoup de peine à passer dans ces lieux, où j'ai vécu 5 années, arpentant le moindre recoin, naguère, avec frugalité et insouciance. D'ailleurs, j'ai eu le dos bloqué une semaine, dès le lendemain du grand drame parisien, son annonce médiatique, m'a empêchée de bouger, comme figée sur place. Je n'ai pas pu me rendre à mes cours, en province, ni à Paris. Un étudiant a profité de mes 3 jours d'absence pour me remplacer, en écrivant une lettre à la supérieure, pour la flatter. Elle avait perdu le caractère F, il allait combler la disparition. Personne ne m'avait prévenu, aucun collègue. Il était tout à fait normal d'être remplacée par un étudiant au caractère M sans expérience et sans qu'il n'ait eu à préparer et passer des concours, ni d'attendre des années d'être sélectionné pour enseigner à tant de caractères F. Depuis, j'ai perdu cette place, pas la mienne, ni le M ni le F, ni aucune autre lettre, j'adore le Scrabble. Nous n'avons pas tous les mêmes souvenirs, ni la même sensibilité. Je n'avais pas à me plaindre, d'autres étaient morts. Ce fut le début du remplacement des F par des M, des déplacements, jusqu'à ce que je lise ce qu'un policier avait retranscrit de la supérieure : Quand elle n'était plus là, nous étions tranquilles.

J'ai pensé ces jours-ci à une collègue, artiste et professeure, IL, qui a mis fin à ses jours, il y a un an. Elle avait vécu cinquante années, elle était très belle. Nous avions essuyé les mêmes échecs aux concours avec les mêmes jurys, espérant être titularisées après plusieurs années d'enseignement, comme tous nos collègues M. Plusieurs arrivaient nouveaux et se trouvaient titularisés, tandis que notre expérience n'avait aucune valeur, sauf celle d'un F. Chaque année, nous subissions le risque que notre contrat soit le dernier, et d'années en années, notre salaire n'évoluait pas, nous ne bénéficions d'aucune échelle pour atteindre la retraite des fonctionnaires. Était-ce vraiment le paradis ? Elle vivait dans l'intranquilité. J'aurai aimé lui donner mon livre, celui do Desassossego de Bernardo Soares.

Quand personne ne manque, il manque toujours quelqu'un. Pessoa, comme personne, a multiplié les places et les possibilités d'habiter où personne ne nous nuit.
Puis je l'ai entendue, IL m'a glissé : Il n'y a pas de honte à vivre.

Quand la nuit nous cape, toutes les étoiles brillent.

C'est la fête de tous les saints.

Les petites roses pommades.


mardi 14 juillet 2020

Ṽℰℛ✞ℐℭÅℒЇ†É

Photographies © Sonia Marques

En préparant ma tarte aux courgettes jaunes, au curcuma et poivre et comté, parsemé de persil, je pensais à ce besoin de verticalité, que je ressentais. Nous étions encore le 13 juillet, et lorsque je publie ma courgette, au 14 juillet, jour de la fête nationale française, ma courgette est encore horizontale... On dirait une banane, un panneau de signalisation, écologique. Il nous manque un nouveau système immunitaire, une sorte d'ascèse non plus dans son coin, mais coopérative. Il nous manque une figure d'autorité et non pas autoritaire, qui incarne le chemin le plus difficile que nous avons à réaliser les prochains mois. Ma courgette aimerait se lever et évoquer ce besoin de verticalité. La traction vers le haut. Car nous sommes las et pourtant bien là à attendre. Consommer comme des hébétés ne nous convient plus. Demeurés englués dans cette horizontalité chaotique non plus. Ma courgette va-t-elle réussir à incarner ce besoin d'autorité ?

*

Elle est bien bonne. J'aime cuisiner et les idées politiques ne manquent pas. Dommage que l'on a réduit à ne rien faire, tous les citoyens et citoyennes, de notre pays, qui avaient encore, un peu de vigueur. Ne nous reste que la cuisine pour rectifier le tir et apprécier récompenses de nos efforts, chacun, chacune, dans notre coin. Il est des goûts, des couleurs et des cultures, maintenues à l'écart des corporatismes. Le choix des ingrédients est plutôt bon, la méthode rapide et efficace, néanmoins fine, la cuisson parfaite, la mise en bouche délicate, quoique un peu trop chaude. L'impatience a brûlé l'étape du "laisser reposer", et l'hydratation glacée à fait exploser l'émail. Encore du chômage pour longtemps, de nouvelles recettes de cuisine en prévision. Ainsi va notre pays.

Mon besoin de verticalité arrive au moment même, où je perçois que l'on m'impose de demeurer inactive, comme tant d'autres. Je peux avoir des idées, mais pas les mettre en action. Car, il n'appartiendrait plus qu'aux corporations, d'agir. Pour ou contre notre bien.

Un peu de hauteur face à la densité.

Si c'est dans l'action que nait la pensée, le petit être humain, pour s'élever, se hisser sur ses jambes, doit trouver des appuis pour s'agripper. Mais comment s'élever lorsque tous les appuis, de notre société, ont été détruis ? Une marche réduite, des réflexes psychomoteurs réduits, un développement réduit. Nos éprouvés de l'instant à vivre ont conduit à de toniques actions, de survie, une pandémie nous condense dans un état d'impuissance et d'inaction collectifs. L'infiniment lointain, la vision à long terme, cette vue d'ensemble, n'est pas l'infini hautain. La liberté d'initiative, sans crainte, nous a été enlevée, par tant de blocages. Pourtant, les acquisitions de connaissances de plus en plus élaborées et "prothésées" par les machines, n'ont pas encore relié l'intelligence à l'habilité des actions. Ma liberté d'action s'est réduite, tandis que ma liberté de penser s'est élevée. C'est un ratio tout à fait plausible, car il s'inscrit dans une société assistée, qui se construit sur l'idée que nous serions de plus en plus assistés par des machines, que nos emplois seraient supprimés. Dans cette espèce de "fatum", tout blocage le rempli assez bien, les manifestations s'impriment comme seules activités entendues. La politique des platrâges a effacé toutes les aspérités des niveaux et marches à gravir. On oublie les exercices, par facilité. L'ascèse n'est plus le chemin envisagé. Alors, pour celles et ceux qui demeurent dans leur cuisine, dont on a confisqué tout outil de travail, il ne reste qu'à retrouver le manche. Un simple outil, par lequel on le tient, afin de trouver de nouveaux appuis, pour s'élever et viser des hauteurs... de la courgette, viser de meilleurs cieux.

*

Bon appétit !

(un brin de fatuité mais point de connotation sexuelle, il faut bien crâner un peu, tout en cuisinant sa pensée)