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jeudi 27 octobre 2022

☾Ѻ℃ϴ


© Rodney Graham (image de son film :Vexation Island, de 9 minutes en boucle, 1997

J’aime jouer avec l’idée du paradoxe qu’illustre parfaitement la boucle (Loop). La blessure sur mon front est là avant la chute de la noix de coco. Elle donne implicitement l’idée du cycle perpétuel.”

L'artiste de Vancouver, Rodney Graham, de cette école photographique dans ces contrées où j'ai étudié durant 6 mois, et où j'ai pu le rencontrer, tout comme Jeff Wall, autre artiste photographe conceptuel, m'avait marqué, comme un personnage rocambolesque, et généreux, pas froid du tout, qui philosophait, sur tout.
En 1997, alors que j'étudie dans l'école d'art et de design dédiée à la photographie et le cinéma (Emily Carr University of Art + Design) sur l'île exactement, de Vancouver, je suis invitée à voir la présentation du dernier disque (film gravé) de Rodney Graham, en comité restreint. Je m'étais fait une bande d'amis, dont j'ai gardé longtemps des communications à travers des lettres anglophones, copines et copains artistes, et avec lesquels j'ai aussi lié une amitié toujours actuelle. L'un d'eux est venu me voir ici à Limoges, et par un périple assez cossasse en voiture, traversant 3 pays. C'est un peu le genre d'amis que j'ai eu là-bas. Dans mon pays, en France, les habitants rechignent à se déplacer dans une autre région, il y a toujours une excuse pour ne pas bouger, ni rencontrer de nouvelles personnes. Les distances ne sont pas les mêmes, donc la vision des pays situés, non plus. Face au Japon, à l'opposé du Québec, depuis Vancouver,mes camarades venaient d'Alaska ou de Seattle, de l'Ontario, d'origines des Premières Nations (First Nations)...l'histoire et la distance sur les mutations du monde, guerres et migrations, ont été transmises avec des évènements différents, du côté de l'Europe. Mes camarades de classe, à 16 ans avaient déjà tous le permis et une voiture, quittaient leurs parents, afin de circuler à travers les États-Unis, aller à Seattle, ou pêcher en pleine nature... Ce n'est pas la même envergure d'esprit. Ça décoiffe ! La France, pour les étudiants canadiens de la Colombie Britannique, était visuellement imbriquée avec L'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, ils ne faisaient pas de différence, ni même traçaient des frontières. C'étaient de toutes petites régions, seule la seconde guerre mondiale et les Nazis étaient symboliques de ce qui se tramait dans ces Pays. Du côté de mes camarades, avec une culture des Premières Nation, toutes les colonisations depuis le sud de l'Europe vers le continent des Amériques étaient étudiées. Lorsque je retournais en France, quasiment tous mes camarades, qui effectuaient des études supérieurs en art, pensaient encore que le Canada était entièrement Québécois. La Colombie britannique n'était pas visuellement traduite, et c'était étonnant, ni même la proximité avec le Japon, finalement. J'ai toujours été intéressée par la géopolitique. Enfant, mes camarades ne connaissaient rien du Sud de l'Europe, et il n'y avait aucun cours d'histoire sur les découvertes et les colonisations. Je prenais des cours de portugais à l'école primaire, et l'institutrice nous apportait un regard sur l'histoire de la Lusophonie, comme ont pu le faire nos parents, donc cela a très tôt éveillé mon rapport aux cartographies, et a certainement induit le développement de mes recherches artistiques sur les déplacements d'images et d'iconographies, les transports, les migrations, ce qui est importé et exporté dans nos mémoires culturelles.

En 1995, je suis à ce moment photographe et vidéaste, et déjà professionnelle, puis sélectionnée sur dossier artistique depuis l'école nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, par les artistes professeurs de cette école, intéressés par mes propositions artistiques et mes expositions. Une de mes vidéos est achetée par un collectionneur, suite à une exposition personnelle, dans la Galerie Area, dans le marais, qui fut nommée par le galeriste, selon mes différentes vidéos des années 90 "O.V.N.I". Oui on trouvait que ce que je réalisais était de l'ordre du supra-naturel, non identifié en tous cas... Je réaliserai d'ailleurs deux expositions de plus d'une centaine ou deux ou 400, photographies, des tirages en couleur, dans une galerie et un Run's space, que je nommerai "Vancouver Lover". Cela veut tout dire. C'est d'ailleurs au Canada que j'apprendrai tout des tirages couleur, en travaillant chaque jour dans des labos dédiés. J'avais l'habitude de le faire en argentique et en noir et blanc, ayant acheté un petit labo, dès mon premier salaire vers mes 18 ans. Je réalisais beaucoup de photographies, puis le numérique a révolutionné ma façon de concevoir l'image.

Né en 1949, à Abbotsford, au Canada, il vient de nous quitter à Vancouver.
Lorsqu'il nous montra son film étonnant et court, qui me restera gravé en mémoire, et dont j'aurai loisir d'en relater l'expérience à mes étudiants, devenus amis, c'était surtout l'épopée, d'un grand désastre. Je me trouvais, enfin, face à un artiste plein d'humour et d'auto-dérision, nous faisant part d'un fiasco et aussi d'une recherche de génie. Je rencontrais tout simplement un polymathe, comme moi, capable de passer d'une discipline à l'autre, ce qui, à Vancouver pouvait être un potentiel, en France, cela n'était pas très bien envisagé comme une démarche sérieuse et maîtrisée. On parie plutôt sur des artistes que l'on reconnait à travers un parcours linéaire, dont on reconnait le même tableau, les mêmes rayures, la même couleur, le noir, par exemple. Pourquoi pas. Pour des artistes ayant une curiosité touche-à-tout, d'inventeur, me trouver face à un artiste réflexif, à l'imaginaire développé, assez décomplexé de cette capacité, indisciplinée, c'était avoir un peu plus confiance en mon chemin.

Pour ce film, Vexation Island, il était somptueusement filmé, avec toute la netteté et la brillance, les couleurs d'une publicité pour une croisière exotique. Ce film est très séduisant. Il se déroule sur une île déserte, une plage de sable blanc. Rodney Graham nous racontait alors à quel point il s'était endetté, pour y aller, investissant 50 000 dollars et il a convaincu tous les techniciens de sauter dans un avion en direction des îles Vierges et de travailler gratuitement. Beaucoup de péripéties en découlent, mais comme dans tous ses projets. Je trouve que c'est un artiste intelligent, minutieux et très précis, zélé et cabotin. Réputé pour ses caissons lumineux, je retiens de petites vidéos assez spirituelles, voir occultes, avec une décontraction assez folle et géniale. J'étais sur une île, je travaillais sur l'insularité, cela n'a pas changé d'ailleurs et je voyais ce coco complètement rigoureux, plein de facéties envers le milieu artistique, et doué du troisième degré de l'humour, ce qui n'est pas accessible, dans un domaine plus administratif des choses, ni pour les algorithmes d'ailleurs, enfin, pas encore, ils faut qu'ils apprennent à bien recopier et recommencer.

Tout d'abord, le film nous plonge sur l'île à vol d'oiseau depuis un point de vue sous un grand palmier. Le panoramique depuis l'arbre s'arrête sur un homme en costume du XVIIe siècle évanoui sur la plage avec une blessure sanglante au front. C'est Rodney Graham très maquillé en pirate. À côté de lui se trouve un tonneau avec un grand perroquet perché dessus, un Ara Bleu. Le perroquet croasse, le pirate se réveille hébété, se lève, voit le palmier et le secoue jusqu'à ce qu'une noix de coco se détache, se décroche et le frappe à la tête, l'assommant. Le pirate retombe dans sa position d'origine alors que la noix de coco roule jusqu'au bord de la mer. Le film revient au début. C'est une boucle (Loop)

Rodney Graham suggère la duplicité. Il incarne lui-même le sujet et sa position, et l'œil de la caméra. Il y a donc, en tant qu'artiste aussi, une dimension autobiographique. Il a déjà joué dans d'autres réalisations filmique, avec cette même duplicité. Halcion Sleep, en 1994, le filme dans un sommeil induit par la drogue alors qu'il est transporté de la banlieue de Vancouver à la ville à l'arrière d'une limousine. C'est un doux rêve, une paisibilité filmée, l'artiste retourne en enfance. Étrangement ce petit film ressemble à mes songes bleus, qui furent envoyés à Vancouver pour ma sélection. David Rimmer, un cinéaste expérimental (que j'ai rencontré quelques années plus tard à Paris), et dont j'ai suivi les cours à Vancouver, avait trouvé cela très rare et exceptionnel. Je me retrouvais avec des étudiants très fortunés qui filmaient avec des équipes à travers le monde entier, plus jeunes que moi. Leurs films ressemblaient à des télé-réalités, cela n'était pas encore arrivé sur les chaines télévisées françaises. Vancouver est un paysage de tournages, entier, il y avait toujours des cinéastes en train de tourner un film. Je me souviens d'une jeune femme, qui réalisait des trajets en avion à travers le monde. À côté, mes vidéos étaient de petits bijoux ridicules, et étranges, elles faisaient renaître une certaine enfance de ce que ces artistes réputés et des modèles, avaient pu produire plus jeunes. La petite française devant eux balbutiait. Lors d'un tour de table j'ai dû expliquer mes intentions, ils n'en revenaient pas que cela puisse exister, comme s'il n'y avait pas eu encore d'impact du monde de l'art ou du cinéma sur ma vision. Robinson ou Vendredi ? Je bricolais à travers mon imaginaire, des sortes de rêves éveillés, assez subliminaux. Si je peux faire une petite actualisation, c'est toujours resté au stade de "la première fois", ce geste si juste, qu'il ne faut pas en ajouter d'autres. Des croquis elliptiques, des énigmes précoces.

Vexation Island, convoque la psychologie. Les deux présentations de soi dans un état inconscient amènent le spectateur à réfléchir sur la nature des états d'être conscients et inconscients. Rodney Graham s'inspire alors de la théorie freudienne de la répétition de la « défamiliarisation visuelle » ( Entfremdungsgefühl ) révélatrice du refoulement, ce qui affecte la réalité. Il y a dans ce film, des mythes revisités, comme celui de Sisyphe et de l'Oroboros, le serpent qui se mord la queue. Cela plairait à mes amis philosophes ! Lorsque j'étudiais aux arts appliqués à Dupérré, cette école prestigieuse parisienne, avant mes études aux beaux-arts de Paris, pour devenir designer, à priori, je travaillais principalement sur l'Oroboros. Je découvrais le travail aussi de l'artiste Jean-Luc Vilmouth et empruntait des photographies de ses pigments rouges autours d'un arbre, en les associant à des yeux de perroquets immenses. Bon, ce que je ne savais pas, c'est que lorsque je décidais de reprendre mes études après l'obtention d'un master à Duppéré, et avoir travaillé une année en tant que designer, dans la mode, devenue aussi, danseuse et scénographe, je me retrouvais au même moment où l'artiste Jean-Luc Vilmouth, que personne ne connaissait là-bas, débarquait dans l'école, le gros paquebot fantomatique. Sélectionnée par le concours d'entrée en cours d'année, j'ai choisi son atelier, en lui montrant un catalogue "vintage" de ses productions, dont il avait honte, avec les pages à l'envers, que j'avais trouvé soldé. Pour un artiste qui souhaitait envoyer un marteau dans la Lune, avec mes sculptures de nuages en plâtre, et la valise en carton empruntée de mon père qui avait fait le grand saut des Pyrénées, nous étions des extra-terrestres qui pouvaient commencer à communiquer avec une autre langue, celle des artistes dans la Lune. Une mise en abîme chère à Graham ! Plus tard, Vilmouth nous racontera sa réalisation "autours d'un palmier" et son escalier qui tourne autours du tronc pour voir en haut, avoir le même point de vue que celui du palmier.

J'ai beaucoup apprécié, devoir le revoir plusieurs fois, le film de Rodney Graham, il rend addictif. Le voir, ce pirate très cramé par le soleil, se redressant, secouant le tronc d'arbre, comme un abruti, et là on pense : Mais non, ne le fait pas ! Puis la noix de coco se fracasse sur son crâne, le pirate retombe, n'ayant pas écouté notre signal d'alerte, nous les spectateurs, transformés en lanceurs d'alerte. Je connais bien ce devoir, suivi de l'échec, lorsque l'on est ni compris, ni entendu, et que la catastrophe arrive. Et bien mieux lorsqu'elle se répète à l'infini, par de mauvais gestes, de mauvais comportements : les signaux, trop faibles, pour être perçus, non pris en compte, pour être corrigés à temps, pour éviter le pire, seuls les grands sensibles peuvent alerter.
Ce film réveille en nous, le devoir de changer la destinée, quand on connait la chute, mais elle frustre, car la chute se reproduit. Rien ne sert de savoir. Le pirate est seul sur son île, le perroquet ne lui dit rien, il répète, lui aussi, inlassablement. Tel un algorithme paramétré pour une intelligence artificielle taxée de perroquet stochastique.

Le format est un 35 mm en boucle destiné à être joué en continu. C'est une répétition compulsive, elle fonctionne à la fois comme une farce et une énigme, qui met à distance le sujet et l'artiste, au travail, en train de jouer. C'est à la fois ridicule et libérateur, on ne peut s'empêcher d'être vexé de ce dont on rit. Cette répétition, nous fait penser à Freud encore, dans son "principe de plaisir" des années 20, liée à la pulsion de mort. Le décor est burlesque et le pirate est complètement passif.

J'avais beaucoup aimé "Coruscating Cinnamon Granules" de 1996, une boucle de quatre minutes de 16 mm, sur une cuisinière était saupoudrée de la poudre de cannelle, cela produisait un effet animé scintillant comme une constellation d’étoiles qui apparaissait, telle une hallucination, une alchimie.

Bref, son œuvre est protéiforme et questionne souvent la frontière entre la fiction et le réel, que ce soit dans ses photographies, films, vidéos, maquettes, partitions musicales, l'écriture, les livres sont des objets très présents. Il interroge aussi la représentation de l’artiste, sa posture. Depuis les années 70, son travail est riche de références et de mises en abîme. Il aime aussi figer des narrations dans des scènes, passionné par l'écriture, il a rédigé des passages supplémentaires à des écrits d’Edgar Allan Pœ, réutilisé des sculptures de Donald Judd, emprunté des mesures de Wagner. Sa dernière grande exposition en France datait de 2009 au Jeu de Paume. En 2012, je présentais "Magic Ring" au Jeu de Paume, un projet lunaire et éphémère. Une conception insulaire sertie de mes recherches pédagogiques en école d'art (Angers et Limoges) et du collectif "Téléférique", post-"île de Seuqramainos", en passant par "Nissologie". Autant de marteaux envoyés dans la Lune. Il y en a d'autres, mais ce n'est pas des outils matérialisés pour construire ou détruire, j'envoie des poèmes, ainsi cela ne pollue pas l'atmosphère, et c'est bien reçu, cela marque les esprits. Je travaille sur la diffusion et l'infusion. On tente toujours d'être télépathes, sur terre, les lanceurs d'alertes c'est pas vraiment bien reçu.

Ces jours-ci j'écrivais sur ce film. J'ai donc complètement revu ma copie, ne sachant pas, que d'un coup, les médias anglophones lui rendaient hommage. Je reste avec mon petit souvenir atypique, sans autographe, perdu dans une île, avec mon perroquet, qui ne me répète pas, mais un autre, passant allègrement de la femelle à l'être humain masculin, sans aucune transition. Ainsi sont les artistes. RIP.

© Rodney Graham : Vue de l'installation Paddler, Mouth of the Seymour, 2012–13 (exposition à la Vancouver Art Gallery en 2017
Nicholas Logsdail, fondateur de la Lisson Gallery à Londres a déclaré ceci :

"We've lost our dear Rodney, a genius artist, dear friend, master of disguise, snappy dresser, supplier of dry humour, an amazing songwriter, always modest, an understated intellectual, gifted amateur, professional connoisseur, Sunday painter who seldom worked Sundays, ultimately a true professional in every sense of what it means to be an artist,"

"Un peintre du dimanche qui travaillait rarement les dimanches"

samedi 15 janvier 2022

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Photographies © Sonia Marques

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La Diva, film de Jean-Jacques Beineix (1981) que j'ai adoré, la voix de la soprano Wilhelmenia Wiggins Fernandez est éblouissante, comme un coucher de soleil. Elle chante La Wally, un opéra en quatre actes (elle se déroule au Tyrol Autrichien) d'Alfredo Catalaniqui... L’histoire du film, met en scène un jeune postier fasciné par une diva qu’il enregistre à son insu et à laquelle il vole une robe lors d’un concert au Théâtre des Bouffes-du-Nord. Une intrigue sentimentale, policière assez marquante lorsque l'on n'a pas vingt ans, une expérience de différents domaines artistiques, et déjà l'idée de la copie et de l'original, de l'art inaccessible, de l'accès à ses émotions... intérieures.

mercredi 21 août 2019

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Photographie © JD & Kiwa

Photographie © Sonia Marques

Image du film français  "Perdrix" réalisé par Erwan Le Duc - 2019

Nous sortions de visions du peintre américain Edward Hopper, pour naviguer dans des décors que nous retrouvions dans un film contemporain, magique, au nom d'un oiseau. Traverser des images, des décors, vivre dans des peintures et des films enveloppés dans le choix le plus doux, celui de la solitude de Purcell...