Noli me tangere
Giotto (1304-06)
Fresque, 200 × 185 cm
Chapelle Scrovegni, Padoue
J'ai découvert Giotto lorsque j'avais une quinzaine d'années, notre enseignante d'histoire de l'art, nous projetait de grandes diapositives, sur un écran blanc qui se tirait, et parfois elle prenait le projecteur dans ses mains, sautait sur une estrade, avec ses bottes à talons, et projetait les tableaux sur le mur à notre gauche, afin que nous puissions voir de plus près les détails. Elle s'exclamait, heureuse, d'avoir trouvé une forme nouvelle de monstration. Nous étions loin encore de Nan Goldin et son procédé photographique avec ses diapositives exposées dans des galeries ("d'art contemporain"), et pourtant, l'enseignante alliait la pratique à l'esthétique, dans le même saut, passionnée de peinture italienne (je pense qu'elle était d'origine italienne) Et bien mieux encore, il y avait l'histoire et aucune récupération.
Nous étions dans un petit amphithéâtre, en bois, une salle très belle. Nous avions le devoir, avec ses photocopies en noir et blanc, chez nous, de peaufiner la construction des différents tableaux étudiés, et, avec un calque par-dessus, de tirer des lignes, selon des questions précises, pour mesurer les directions des regards ou les perspectives. Je préparais, avec mes camarades un brevet de technicien, dessinateur maquettiste, l'ancêtre du graphisme (ou du design graphique). Nous étions destinés à réaliser des documents d’exécution d'une précision au compte-fil (loupe à fort grossissement munie d'un support, qui en assure la distance optimale à ce qui est examiné, et d'une échelle de mesure) et au scalpel (bistouri, un instrument utilisé en chirurgie pour faire des incisions, mais aussi dans le graphisme pour couper et gratter de façon très précise), avec des encres de Chine, ou des calques superposés, afin de les envoyer à l'imprimerie. Le numérique et la dématérialisation, ont complètement rendu caduques ces procédés, par contre mon acuité visuelle, et celle de mes camarades, s'est affinée, et nous avions développé une maniaquerie dans l'analyse des images et des graphismes. Nous étions évalués sur l’exécution et la précision de nos tracés, puis, dans ma vie professionnelle, j'ai pu préparer des documents pour les imprimeurs, soit en tant que graphiste, soit en tant que directrice artistique, cheffe de projet, ou artiste, puis en documentaliste... ou en soigneuse d'animaux, ou d'humains, ou... de meubles ! J'ai gardé cette expérience, dans tous les domaines de création, mais aussi dans ma vie quotidienne, et j'ai aidé beaucoup de jeunes gens et d'adultes afin de préparer des documents, des images, des fichiers, de grands tracés. Notre pays ne sait plus recruter des compétences, tout simplement car il n’en cherche plus, il est à l’arrêt et ne se consacre qu’à la politique et l’enseignement des modes de gouvernance. Tout individu pense gouverner l’autre, à titre individuel et lunatique, le plus court chemin se trouve pavé de malédictions, les bonnes consciences s’achètent et le bon sens se perd en route. Déroutes, les Magdas et Maries Madeleines veillent, disciplinées, sur les chemins plus longs, de traverses.
L’intérêt, en histoire de l'art, n'était pas de simuler des lignes, inventer des constructions, mais de mieux observer une image, étudier l'histoire, les évènements, ici, l'histoire aussi sacrée, trois jours après la crucifixion, Marie-Madeleine (Marie de Magdala), disciple de Jésus, se rendait à son tombeau afin de se recueillir, et constatait, que le corps de Jésus avait disparu, le tombeau était vide. C'est juste avant le moment de cette peinture. L'épisode biblique, qui se nomme "Noli me tangere", ce qui veut dire "ne me retient pas".
Dans la tradition chrétienne  : Le dimanche de Pâques, trois jours après la crucifixion, Marie de Magdala se penche sur le tombeau du Christ et s’aperçoit que le corps de Jésus a disparu, le tombeau est vide. A sa place, se trouvent deux anges vêtus de blanc qui lui demandent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? ». Marie-Madeleine répond : « Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis. » A ce moment, Marie-Madeleine se retourne et voit un homme qu’elle prend pour un jardinier car il a une bêche sur l’épaule. L’homme dit : « Marie ! » et elle répond : « Maître ! ». Alors Jésus lui dit : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leurs : "Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu". » (Évangile selon saint Jean, chapitre 20, versets 11 à 18)
Sur la fresque peinte par Giotto, deux anges sont assis sur le tombeau du Christ ouvert. Il vient de ressusciter. A droite, Marie-Madeleine à genoux implore le Christ, mais celui-ci l’arrête d’un geste de la main en prononçant les paroles : « Noli me tangere ». Un paysage rocheux avec quelques éléments de végétation constitue l’arrière-plan. Le ciel d’un bleu profond représente la moitié de la surface sur la fresque de Padoue (1304). La tête des personnages sacrés est entourée d’un nimbe, disque de lumière permettant de les distinguer des humains. Les soldats qui dorment au premier plan, n'ont rien vus, ce sont des ignorants, ils  contrastent avec Marie de Magdala.

Bien plus tard, lorsque j'ai étudié à l'école supérieure des arts de École Duperré, rue Dupetit-Thouars à Paris, un enseignant et peintre, revenait à Giotto, lorsque nous étions au niveau du diplôme supérieure (niveau Master) Car je travaillais sur les gestes et les mains. Il nous montrait des reproductions de ce peintre, et, nous avait ramené des catalogues, de gros plans, et nous demandait d'être plus attentif à tous les gestes des mains, que ce peintre avait représentés, dans ses peintures ou fresques, la douceur et la présence de ceux-ci. Autre regard, autre manière de voir. Giotto fut l'un des premiers à traiter la scène "Noli me tangere".
Giotto di Bondone ou Ambrogiotto di Bondone, dit Giotto, né en 1266 ou 1267 à Vespignano ou Romignano et mort le 8 janvier 1337 à Florence. Peintre, sculpteur et architecte florentin du Trecento, dont les œuvres sont à l'origine du renouveau de la peinture occidentale. L'influence de sa peinture va provoquer le vaste mouvement général de la Renaissance à partir du siècle suivant.

Il est évident que nos enseignants nous influencent, pour peu que l'on se souvienne de leurs cours. Cette femme et cet homme, ne se connaissaient pas, plusieurs années séparent mes études, du lycée, jusqu'aux études supérieures, pourtant, qu'il s'agisse d'études classiques en histoire de l'art, ou plus tard, dans la mode et le design, nous revenions à quelques éléments de lecture, sensibles et picturaux. Plusieurs œuvres représentent la passion du Christ dans l'histoire de l'art, la célébration la plus importante pour les chrétiens catholiques. Pour cette raison, au cours des siècles, elle a été immortalisée par les artistes sous toutes les formes. Suivre les traces laissées par les peintres à travers Pâques dans l’art, provoquent des surprises. De mon côté je revisite, ce que j'ai appris, plus jeune, et "la passion", puisqu'il en est une, de ces enseignants, n'hésitant pas à créer des fresques avec un lecteur de diapositive, ou remplir sa sacoche de catalogues, pour feuilleter des images et nous suggérer de les commenter, de s'en imprégner, les observer aussi, dans notre quotidien, tous les gestes de nos proches. Dans le milieu hospitalier, lorsque je me suis trouvée rejoindre des proches, lorsqu'ils dormaient, j'étais devant des peintures de la renaissance, la guérison, la paix, le chemin parcouru vers le soin de soi, le recueillement, toutes ces formes intérieures à travers les gestes posés, me faisait être témoin de peintures italiennes, de similitudes, avec ces attentions, au bord des doutes, des bruits électroniques, des battement du cœur, et des auras d'espoirs dans des chambres sommaires, dans un dénuement salutaire.

Sous chaque jardinier, chaque jardinière... se cache un Jésus ressuscité...