© Dessin de Jean-Jacques Sempé, dit Sempé, né le 17 août 1932 à Pessac, près de Bordeaux et mort le 11 août 2022

Lorsque j'ai été sélectionnée pour enseigner à l'école supérieure des beaux-arts d'Angers, en 2001, l'école commençait à ouvrir ses équipes pédagogiques aux femmes professeures, artistes et designers. Il y avait alors 3 options dans cette école, et c'était Monsieur Pierre Vélon qui la dirigeait.
L'option art avait présélectionné, Madame Isabelle Levenez, l'option design avait présélectionné Madame Inga Sempé, l'option communication avait présélectionné Madame Sonia Marques. C'était très rare, un geste fort et engagé, pour une petite école de province avec une belle histoire derrière elle. Nous avions presque le même âge, diplômées d'écoles artistiques différentes et déjà des expériences professionnelles et artistiques reconnues.
Je travaillais alors dans une société pour la santé des fonctionnaires, les mois d'été, souvent, je ne partais pas en vacances l'été, mais je travaillais, pour pouvoir payer mon loyer, là c'était en tant que graphiste, et nous passions à l'Euros, j'avais un tas de fascicules à réaliser, en imprimerie. Et je suis partie passer le concours ardu un vendredi 13 juillet à Angers (profitant même du cinéma "les 400 coups" pour voir le film de Claire Denis "Trouble every Day") cela a changé ma vie, ce concours. Je ne savais pas d'ailleurs, en découvrant la bande son du groupe anglais Tindersticks, que je le retrouvais bien plus tard Stuart Staples, dans ma ville où j'enseignais ensuite à Limoges, choisissant des fruits et légumes, dans mon marché même (joie !)
Le directeur, avec l'un des enseignants de l'option communication, son coordinateur, Monsieur Alain Manceau, également musicien et vidéaste, ont vu débouler une jeune artiste qui avait quelques cordes à son arc, et un collectif, avec lequel, elle avait sillonné la France, dans les arts numériques, et pas mal d’expériences professionnelles réussies avec des designers et artistes, et j'enseignais, depuis une dizaine d'années pour les tous petits, puis les adolescents, puis les lycéens, à Paris. Je réalisais des livres avec les plus jeunes, des scénarios de films, des diaporamas et des peintures de paysages et de portraits.
Juste, je pensais ne jamais être sélectionnée, car je pensais faire très jeune physiquement à 28 ans, c'était sans compter mes études et mon expérience, dont je ne me retournais pas encore, pour en valoriser les acquis. Pourtant j'avais déjà un curriculum bien rempli, et 3 diplômes supérieurs parisiens, et 6 mois d'études au Canada Britannique, mais je faisais jeune. J'avais pourtant déjà réalisé une scénographie pour la chorégraphe de dans contemporaine, avec laquelle je dansais également, ce qui corrélait certainement avec le développement à venir du centre de danse angevin. Une enseignante m'a dit plus tard qu'il y avait 10 candidats hommes et déjà, seul mon CV et mon parcours et portfolio, avait intéressé toute l'équipe et ils avaient hâte de me rencontrer, il n'y avait alors, ni photo, ni site Internet, celui de mon collectif n'était pas bavard sur les individus, ni bouche-à-oreille, dans ces domaines là, en multimédia, par contre j'aimais confectionner des formes d'édition déjà qui permettaient de comprendre l'ensemble d'un parcours, de faire des liens et surtout : partager mes connaissances. Je réalisais toutes les communications graphiques de mon collectif et fédérait le groupe autours de démos gigantesques publiques (vidéoprojetées et sonores) J'étais passionnée de musiques électronique et folkloriques et je composais des albums musicaux. J'avais réalisé quelques expositions en galerie de mes vidéos-Songes et j'avais travaillé un peu pour la designer Matali Crasset qui m'avait repérée et son mari galeriste. Ce que je ne savais pas, tellement persuadée qu'enseigner en école supérieure d'art, c'était pour les très très très grands artistes, très très très renommés. Cependant, j'avais des prétentions sur la recherche pédagogique et de nouvelles façons d'aborder l'enseignement, avec mes savoirs faire, donc, sur cette motivation et cette énergie premières, j'ai tenté, puisque j'aimais beaucoup enseigner et voir évoluer des plus jeunes, les élever, tout simplement "aimer apprendre", apprendre aux autres, tout en continuent d'apprendre. Les années 90 étaient fécondes, dans mon parcours, simplement car je courrai contre la montre, survivre plus que vivre... C'était notre lot quotidien. Nous allions tous changer de siècle, et je pense que nous avions tous ressenti cette frénésie du passage. Un rite que mon employeur avait aussi consacré au changement de tous les francs en euros, dans tous les papiers... Les graphistes s'en souviennent encore...

Lorsque j'étudiais à l'école des beaux-arts de Paris, sous le chef d'atelier de l'artiste Jean Luc Vilmouth, mes échanges avec lui l'aidaient beaucoup, pour fédérer et bénéficier de nouveaux étudiants. Car il était très seul au début, dans cette école. Il n'a d'ailleurs jamais su, que je postulais dans cette école, mais ne fut pas étonné de l'apprendre, lorsque je l'ai rencontré plusieurs années après par hasard dans le métro, en allant, justement à la gare Montparnasse courir pour aller à Angers un matin, si tôt, parmi les technocrates les plus chics, lui il passait des examens à jeun de santé et moi, en professeure azimutée, comme "Zazi dans le métro" (De Raymond Queneau) Comme il y avait une grève, nous nous sommes retrouvés dans ce café immense, prendre le petit déjeuner et je lui racontais que j'enseignais depuis un bout temps. Pour ne pas l'embêter, je ne lui ai jamais raconté à quel point, nous rations tous les concours pour être titularisées, nous les jeunes professeures, et demeurions sous le revenu mensuelle garanti minimum. Il avait un éléphant sur son t-shirt, je me souvenais de son empreinte d'éléphant en céramique. Il avait été invité par la manufacture de sèvre à réaliser une porcelaine, et invité des techniciens à le rejoindre au Zoo de Vincennes pour retrouver Siam l’éléphant et faire l’empreinte d’une de ses pattes. C'était dans les années 90, moi j'avais cofondé mon collectif chez moi, en face du Zoo de Vincennes. Il n'était pas étonné du tout de ce que je réalisais, professeure, même s'il n'était pas enclin encore, à imaginer l'essor des arts visuels dans la dématérialisation. Il s'y est mis, dès que j'étudiais la vidéo, à s'intéresser à la vidéo comme forme plastique, non comme cinéma, puis s'est consacré à la nature, ce qui le touchait le plus : les arbres. Je ne pourrai jamais lui dire, que, plus tard, je retrouverai la porcelaine, j'aurai bien apprécié avoir son point de vue. Je pense que parfois, je le capte.

Tout en m'excusant, à la fin de mon entretien, d'avoir 28 ans, le directeur et l'enseignant, assez austères, ne montrant aucune connivence, mais avec des connaissances avérées dans le design et le graphisme et tout ce que j'apportais comme nouveautés, me dire chacun leur tour : J'ai commencé en tant que directeur et j'avais 28 ans, et me voici encore là, et l'autre enseignant de me dire : j'ai commencé enseignant à 28 ans et me voici encore là.
 J'avais du mal à y croire, c'était étonnant. Plus tard, j'ai appris que j'avais été sélectionnée. Malgré les difficultés liées aux conditions de nos enseignements, pour nous les jeunes femmes, je leurs en suis infiniment reconnaissante, de m'avoir fait confiance. Durant une dizaine d'années, cette confiance s'est confirmée, et avec toute l'équipe. Nous avions développé tant de belles choses. Je n'écrirai pas sur la différence de traitements entre les femmes et les hommes enseignants en école d'art, car elles nous ont usé, mais seulement sur tout ce que j'ai pu développer et qui a fait de moi, une référente et une très bonne enseignante en école d'art ensuite. J'ai eu le temps de remercier mes pairs et de leurs donner de mes nouvelles. Nous avons le souvenir d'un catalogue ("Iconorama") très singulier, que j'ai confectionné, avec plusieurs étudiants. Le directeur avait la vue qui baissait, malgré cela, il a tenu à préfacer celui-ci, car mon sujet le passionnait : les icônes précieuses.
Inga Sempé a refusé le poste de suite à la rentrée, ce qui a mis en colère les équipes en design et le directeur, Isabelle et moi avions commencé, en sachant qu'une des femmes n’acceptait pas le poste. En effet, lors de notre entretien, on nous avait spécifié, aux ressources humaines, un petit contrat avec un salaire de base, acceptable, étant donné que nos trajets n'étaient pas défrayés, nous étions toutes de Paris. Mais, lors de la rentrée, de la signature du contrat, il fut de 1000 francs en moins de ce qu'il nous avait été annoncé (ce qui à l'époque était énorme) J'ai accepté tout de même, et je trouve que c'était très courageux, de la part de Inga Sempé de refuser. J'ai réalisé, ainsi, la majeure partie de cette première expérience réussie en enseignement avec ma collègue Isabelle Levenez, qui s'est éteinte il y a quelques temps, prématurément, elle y enseignait toujours, j'appréciais être collègue, et nous avions du respect pour nos parcours respectifs, si courageuse, Isabelle. J'avais déjà été amenée à changer d'école, en passant d'autres concours, puisqu'enseigner ne me permettait plus de vivre, ni manger, ni me loger. Ces jours-ci j'apprends que le dessinateur Sempé n'est plus. Je n'avais jamais fait le rapprochement, mais Inga Sempé est sa fille. J'apprécie beaucoup ce qu'elle fait en tant que designer, ses objets sont élégants et je les avais de suite bien suivis, lorsque je pensais que ce serai une de mes collègues. Elle a trouvé de suite à enseigner en école d'art à Paris. Les dessins de son père, formaient aussi une référence, pour mes amis aussi, et le père de mon premier conjoint. Sa vie décrite, pas facile, ses relations avec sa mère, montrent bien, comment, les artistes, sans mots, apprennent et nous donnent des expressions, qui sont, pour toute une génération "nos expressions", elles expriment nos sensibilités.
La vie continue.

En écrivant cet article, je m'aperçois qu'aucune des 3 professeures engagées en 2001, ne sont plus dans cette école. Toutes les 3 avions déjà résolus, tout ce qu'une école d'art peut faire pour améliorer les études, par le courage de nos décisions, certes, qui bousculèrent nos vie. Le dessin est une habilité à se passer de mots. Nous n'avons plus les mots pour décrire nos affections et désaffections, artistes, nous dessinons l'amour autrement. Pourtant, de mon côté, la forme poétique a donné une tonalité expressive, tout aussi artistique, j'aime beaucoup les mots, agencer ma pensée, l'adapter, jouer avec et construire, ou déconstruire pour inventer de plus bel. Moralité : il n'y pas d'âge pour enseigner, et il faut aider les plus jeunes le long de leur parcours d'enseignant... Et les plus anciens, évidemment !

Donc, ma culture cinématographique s'est enrichie, localement, j'ai vu depuis tous les films de Claire Denis, écouté tous les albums de Tinderstick, et j'ai écris mes plus beaux poèmes lors de mes nombreux et coûteux trajet en TGV, chaque semaine, pendant des années... Dont "Permis d'aimer", dans les 400 poèmes... les 400 coops !

À nous tous, petit Nicolas ! À nos belles années !