Extase est un diaporama de photographies de vues de montagnes sur une plage sonore longue d'une composition musicale que j'ai nommée Island. Projeté sur grand écran et exécuté par un programme informatique, il était programmé lors des démos de Téléférique, un groupe d'artistes que j'ai co-fondé en 1999, dans plusieurs lieux à travers la France, sur une durée de quelques années. Une période de transition, fin des années 90 et début des années 2000. Une année charnière où pas mal d'expériences étaient tentées, un peu comme un feu d'artifice d'un siècle à une autre. Les photographies, que j'ai travaillées, s'organisaient, dans mon esprit, comme des espaces inventés, des paysages d'altitudes, bien que certaines vues se posent au sol. La couleur est la dimension picturale la plus remarquable de ces sites, qui, in fine, n'existent pas, sauf dans mon esprit. Si cet extrait représente ici des vignettes comme des timbres-postes, dans la programmation exposée, la projection était très grande, et nous étions en immersion dans ces paysages. La musique répétitive que j'ai créé, venait vraiment de mon esprit et je ne connaissais pas, à cette période Terrence Mitchell le compositeur contemporain américain, de la musique minimaliste californien, et pourtant, je pense que cette composition aurait pu en être issue. Étrange, non ?
Je n'écoutais pas alors, de musique minimaliste, mais plutôt technoïde. Plusieurs compositions sonores ont été réalisées ainsi, sans référence, et pourtant, c'est bien moi qui les ai composées. Il y a eu des journalistes qui venaient interroger mes amis, membres du collectif, pour leurs demander sans arrêt si c'était eux, les compositeurs, et ils souhaitaient vraiment rencontrer l'auteur, en pensant que cela devait être un homme. Mais leurs réponses les décevaient lorsqu'ils me montraient du doigt : c'est elle. Ils rebroussaient chemin, sans m'interroger, mais continuaient après à contacter chaque homme de mon collectif et finissaient par en inviter quelques uns dans leur programmation musicale, d'autres festivals. Cela ne me gênait pas, dans le sens où je n'aurai pas pu travailler avec des personnes obnubilées par le genre et ainsi, rien n'était dénaturé de ce qui sortait de mon esprit.
La période de décembre me fait penser à cette démo enneigée, que j'avais organisée, pour un festival, un symposium des arts électroniques international, avec mes amis. Le flyer, que j'avais dessiné, était à l'image d'une cartographie en montagne avec des téléphériques, icônes de notre groupe, qui préfigurait le mode de téléchargement d’œuvres d'art, dans un protocole de transfert, en FTP. C'était très ingénieux ! Un 8, 9, 10 décembre de l'année 2000, il faisait aussi froid que ces jours-ci, et nous étions très précaires, et pourtant avec des rêves immatérialistes, que nous avions réussi à matérialiser, avec une solidarité assez extraordinaire, mais aussi un enthousiasme plus fort que tout, une foi dans nos avancées, que je trouve toujours magique. Et pourtant si modestes. Il fallait avoir l'amour et la capacité de réunir des jeunes personnes si différentes, de culture et de genre, et aussi techniquement aux prémices du numérique, j'étais formatrice autant que je me formais. Mon appartement ressemblait à une table aux multiples entrées. Ma capacité d’accueil était naturelle. Puis le contexte à changé et en changeant de ville et de région, mes méthodes d'apprentissages, de formations, d’accueil, ont aussi changé. L'altitude se mesurait, plus j'explorais, moins j'étais suivie. Et mes traces s’effaçaient. Si j'étais un guide, celui-ci, la guide, celle-ci, est partie très loin devant. La cordée était si lourde, et tirait si fort que j'ai dû, à un moment, prendre appui sur de nouveaux repères, en laissant mes amis prospèrent sur les bases. Quand on voit loin, on doit se fier à sa ligne de crête, solitaire.

Là je regardais les années 2000. C'est loin et c'est aussi proche pour d'autres qui découvrent ces reliefs, bien plus tard.

Ce qui reste très vivant, c'est cette joie, je pense qu'elle est très vivante, et se manifeste au souvenir, mais aussi, dans ces moments de repos où j'estime qu'il faut se reposer. Pas beaucoup de cabanes dans la montagne, et un petit hélicoptère sauverait bien de difficultés inutiles, mais il est agréable aussi de grimper avec peu, d'être léger et croiser une chouette effraie. Blanche, et son bébé.
Souvent ces oiseaux, comme tant de perroquets, ou de toucans, dans les pays où il fait chaud, se posent des questions lorsqu'ils regardent la caméra de surveillance. On peut ainsi les voir, être filmés, à leur insu, regardant à travers l'objectif à plusieurs reprises, détournant ainsi la visée, s'imposant comme être vivant dans la majeure partie de l'image, de l'écran, de la vignette donc. Ces animaux nous regardent les regarder, sans savoir qu'ils occupent un espace non prévu pour eux. Ce comique de situation est exactement ma situation. Je regarde un appareil quelconque destiné à surveiller, de façon étrange, comme si cet objet n'avait pas d’intérêt pour moi, si ce n'est que parfois me gêner, parfois m'amuser, et en le titillant, j'agace les observateurs et les observatrices, qui ont conçu cet appareil, pour surveiller les routes, ou les voleurs, ou parfois je les amuse. Mais je suis vue comme un animal surprenant et idiot.

Le problème est que "le quelconque" a demandé beaucoup de techniques et de crédits, souvent à des fins politiques, qu'il y a des armées derrière (ou parfois justement plus personne, les caméras de surveillance ne sont pas surveillées et souvent abandonnées) et qu'agir ainsi peut sembler, se moquer de la politique. Hors, c'est une méprise, je ne parle pas le même langage et ne me meus pas dans la visée d'un tel appareil de surveillance. Avec mes patauds essais, parfois de virer l'engin et le mettre hors service, ma vie ne s'en trouve pas modifiée. Tandis que c'est un drame de ne plus voir ni pourvoir surveiller, ni d'être bien vus pour d'autres.

Les incognitos

L'autre visuel, est celui d'une double page, de mon édition, nommée Les incognitos, réalisée plus tard, en 2011, le collectif Téléférique était dissout, j'avais déménagé dans une ville que je ne connaissais pas, mais j'avais embarqué mes dessins commencés déjà en banlieue parisienne, dessinés à l'encre de Chine noire sur de grands formats. La réalisation de cette édition, permettait de passer à la couleur et de travailler les superpositions. Les 2 monstres choisis, en vert et rouge, me faisaient penser à Noël, et je ne les avais jamais évoqués avec Extase. Pourtant, ces dessins et ces inventions d'icônes, étaient déjà présentes dans d'autres projets présentés, collectif, je pense à Phosphène, un format très hallucinogène, que j'avais co-réalisé, et jouait en direct avec Robin Fercoq, devant un public très surpris, en pianotant nos claviers d'ordinateur. Je me souviens de toutes les phases de réalisations, dans mon appartement ou dans le sien, souvent le soir, car je travaillais le jour pour payer mon loyer, dans d'autres entreprises privées, pas facile de jongler, mais, c'était exceptionnel, quand on est jeune, on est capable de faire tellement de choses diverses, que l'on ne se rend pas compte, qu'elles seront un réservoir inépuisables d'acquis et de beaux souvenirs.

Cette édition s'inscrivait dans des éditions que je nommais Isolarii, et secondaient la création d'un site Internet sur les Îles : Nissologie. Toutes ces idées, riches, renvoyaient à d'autres idées, puis ces autres idées renvoyaient à d'autres idées. Autant dire que je m'amusais à penser à une université pour une seule personne, la plus isolée, n'était-ce pas là, la perception de l'exclusion que  j'abordais avec humour, ou de l'exclusif. Au plus loin, au plus haut, toujours pour prendre de l'altitude, n'y avait-il pas là de quoi se retrancher dans un espace difficile d'accès. Surtout si l'on doit affronter ces monstres rouge et vert ?

C'était ainsi sonné :

Isolarii : Nom des éditions nissologiques.
* Auteur : Sonia Marques, artiste, professeur
* Recherche : oLo (Observatoire du Langage des Oasis)

"Ces isolarii (insulaires) sont mes poussières de continents, des recueils, catalogues, cartographies, histoires, illustrations, poésies, curriculums, manifestes, essais, collaborations, toutes sortes de textes, images, enrichis par l'expérience personnelle de leurs auteurs. Comme les recueils d'îles du XVe siècle, dont est inspiré le nom de cette édition, ils concernent des unités "étroitement circonscrites et aisément descriptibles", ils s'adressent aux poètes, navigateurs, artistes, chercheurs et s'inscrivent dans l'Observatoire du Langage des Oasis, (oLo)"

* Isolarii : Name of the nissology's editions
* Author : Sonia Marques, artist, professor
* Research : oLo (Observatory of the Language of Oases)



Mon observatoire du langage des oasis n'a pas cessé, depuis, de s'agrandir.