La pauvreté a-t-elle toujours le visage de la misère ?


Lorsque des virus touchent la population, le monde, le virus le plus invisible, ne serait pas celui d'une seule pauvreté, mais des pauvretés. Différentes maladies, différents vaccins : différentes pauvretés.

Quel rapport avec des cucurbitacées et leurs fruits comestibles que j'admirais dans ce jardin de la mairie de ma ville ?
Il y a une manifestation réunissant des cuisiniers sur la thématique des arts de la table, à Limoges. Je pensais donc dans cette déambulation et mon plaisir à toucher les herbes de basilic et le nommé "Basilic opal" au parfum étonnant et au feuillage pourpre, à la culture, mais aussi à l'accès aux parfums, à la cuisine, et aux fruits dérobés de mes souvenirs sur les routes portugaises : la figue. Nous avions dégusté des bouchées délicieuses avec une demi-figue en dessert et une brandade de morue façon limousine, c'était trois fois rien, mais trois fois de souvenirs en plus.

Plus graves étaient mes pensées, dans ces moments de convivialité. Comment naissent les isolements, quand tout semble réussir partout. Où se cachent les isolés pour ne pas déranger et devenir les dérangés.

Les carences alimentaires impactent la santé, l'accès aux soins et aux vaccins sont déniés, même dans des sphères où elles devraient être pour tous. On évite de se faire soigner, on évite de se rendre aux urgences, on évite d'être fiché, non pas que la préférence de mourir serait la priorité, mais la préférence de ne pas être montré, ne pas être vu, ne pas rendre visible cette partie abjecte que montrent du doigt les ignorants, ce qui serait vu comme l'immonde, l'impropre, le sale.

Il est très rassurant pour des personnes qui possèdent de ficher celles qui ne possèdent pas, et il est très facile de le faire. Il est très facile de les empêcher de bénéficier d'un accompagnement de santé, pourtant, dans notre pays, c'est une priorité, l'accès aux soins, aux vaccins.
Il demeure une maltraitance, l'affaire de quelques-uns, quelques unes, imaginant déroger aux droits communs. Pourquoi ?
Peut-être que cela vient d'une culpabilité qui ronge la vie, celle d'avoir pris le bien d'autrui, ce qu'il ou elle a produit, de ses mains, avec sa pensée, ce qu'il ou elle a transmis. Afin de ne pas être démasqué, il faut trouver un ou une coupable et ce sera toujours la vie précaire. Car celles et ceux qui ont un mode de penser et vivre différent, n'ont pas le droit de continuer à exister, cela gène, pour une poignée d'ignorants. Sinon pourquoi, en pleine pandémie s'attaquer aux plus démunis ? Les circonscrire dans une case, afin qu'ils et elles ne puissent plus retrouver un travail ? Afin qu'ils et elles ne puissent plus dire leur vérité.

Les discours sur la pauvreté, permettent aussi de la tenir à l'écart, qu'elle ne fasse même pas partie de la société. Aucun enfant, aucun adolescent, aucun adulte, parmi ses semblables, alors on imagine qu'ils et elles pensent ainsi : ni mes enfants, ni mes cousins, cousines, ni mes grands-parents, ni mes collègues, ni les voisins et voisines, personne, ni ma femme, ni mon amoureux, ni la belle-famille, personne, ni même ces voisins qui crient sans cesse, certainement des ivrognes. Si les féminicides sont à présent plus médiatiques, il en est que les conditions de vie, bien avant les drames, ne sont pas assez visibles : la restriction, la coupure avec l'entourage, la famille, l'accès aux soins, l'éloignement, l'impasse sur les vacances, les loisirs, les repas en groupe, ne parlons même pas des réseaux sociaux, aucune femme ne crie son désespoir sur ces réseaux, avant le drame. Et quand elles écrivent, bien maladroitement, et sans aucune forme de courtoisie, il est bien trop tard, et la réception est si silencieuse qu'elle finie de sceller le musellement vers une inhumation ou une incinération, sans mot dire, sans maudire quiconque, sans aucune cérémonie, aux employeurs et collègues ignorants. Les discours sur la pauvreté permettent d'imaginer que la pauvreté est toujours tenue à distance, comme dans un camp imaginaire, où il y aurait des gens que l'on ne connait pas, sous la torture quotidienne, mais on ne sait où ils et elles vivent, ni qui les a enfermés, ignorés, déniés, tués. Et le deuil de la pauvreté, il n'est jamais fait.

Je ne puis faire le deuil de la pauvreté, même en vivant mieux qu'avant. L'expérience nous apprend que la pauvreté touche tout individu, parfois par surprise, mais elle ne devient vraiment pauvre, dans son esprit, si l'humanité que l'on a connue, nous a quittée. Les monstres qui se retrouvent aux tribunaux, malgré eux, à la places d'autres, ou à cause de leurs mauvais comportements et leurs crimes, s'ils ont tous une histoire, bien peu peuvent la raconter. Il est impossible pour un individu, qui s'est longtemps soumis au silence, car dominé, ou maltraité, de se révéler devant la justice des hommes, de s'exprimer. Il est impossible de parler lorsque les accusations proviennent du processus de la maltraitance. Le bout de la chaîne est un bout de malheur, qu'aucun autre bout de réussite ne veut croire : cela ne doit pas exister, sinon cela voudrait dire que celui celle qui juge n'a pas le droit de juger.

Nous avons toujours cette possibilité : celle de ne pas juger.

Se sauver de la pauvreté, c'est masquer même la sienne lorsque l'on a un emploi, lorsque l'on mange avec ses collègues, lorsque l'on s'efface si tout va mal et si la santé brise le continuum de la vie. À ce moment là, aucune solidarité, les collègues sont les premiers à ignorer la maladie de leurs comparses et leur isolement.

Si la moitié des français ne se cache plus pour savoir qu'une personne de leur entourage est confrontée à la pauvreté, selon un très récent sondage du Secours populaire, il y a dans l'autre moitié, toutes les personnes qui cachent leur pauvreté, leur situation. Ou bien, dans la première moitié qui sait, qu'un autre est pauvre, beaucoup ignorent ou dénient qu'ils sont aussi, pauvres. On peut montrer qui sont les pauvres, mais qui sont les pauvres d'esprit ? Celles et ceux qui font le malheur d'autrui et sans aucun problème de logement, ne seraient-ils, ou elles, pas les moins bien lotis ?  Les statistiques font l'impasse sur l'impacte psychologique de la pauvreté, lorsqu'un individu ne se trouve plus dans la détresse, et lorsqu'il l'était, il pouvait encore y échapper, tant les aides sociales, il peut les fuir, l'individu, qui veut échapper à la pauvreté. Et qui ose exprimer sa détresse ? Au bout de combien d'années ? Et est-ce qu'une détresse est écoutée, lue, vue, est-elle entendue ? C'est bien là toute la question, ne pas souhaiter tomber dans la pauvreté et y être totalement, ou y être familièrement habitué, échappe à toutes les statistiques sur la pauvreté. Survivre c'est encore échapper à la captation, à la domination, et afficher une joie de vivre, n'est pas forcément un gage de ne pas vivre dans une pauvreté. Peut-on mesurer l'indigence avec l'immatérialité devenue de nos manières de communiquer, d'échanger, de se nourrir, ou le refus d'un héritage empoisonnant, ou tant de situations, comme l'impression de vivre pleinement et bénéficier d'appuis de réseaux virtuels, peut aussi devenir la meilleure façade, celle admise pour une intégration réussie, afin de cacher une vie pauvre, ou, qui s'est appauvrie, d'une grande pauvreté. Les publicitaires ont toujours su utiliser la beauté de la jeunesse extrêmement pauvre, dans les modèles féminins dans le besoin, pour s'enrichir et produire en excès. Rien n'a changé. Si tout se contient à présent dans un téléphone, que penser de celles et ceux qui n'ont plus, n'ont jamais eu, n'auront jamais de téléphone, ou de celles et ceux qui ne savent pas les utiliser, n'ont jamais bénéficié de formation, changent de toit, d'adresse... Doit-on les classer dans les pauvres, si un pass sanitaire leur est difficilement accessible, alors même qu'ils sont vaccinés ? Le logement a toujours été le point culminant des discriminations sociales. Si un tiers des français a des difficultés à payer le loyer, toujours dans les statistiques récentes, posons-nous la question des deux tiers. Le logement est le dernier rempart contre la précarité. Posons-nous la question de pourquoi des personnes n'ont pas, ou n'ont jamais eu de mutuelle pour se soigner en France. Pourquoi son enfant ne trouve pas de travail, avec tant de qualité, pourquoi son parent n'a pas été soigné, pourquoi son amie ne parle plus, pourquoi en tant d'années, il n'y a plus jamais eu de retrouvailles, pourquoi une collègue s'est suicidée. Pourquoi personne ne dit rien à personne.

Il y a des choix de vie, qui s'effectuent en cachette. Vivre c'est pouvoir se nourrir, mais l'accès à une nourriture saine et des trois repas par jours devient un calcul mental pour beaucoup. Se cacher pour éviter les repas dans son travail, dans son école, se cacher pour éviter les voyages collectifs, se cacher pour éviter tout ce qui mettrait en péril, le peu, déjà calculé. Se cacher quand son toit tombe, se cacher quand son mari a pris tous les meubles, se cacher quand on sait que plus jamais une terrasse de café ne sera accessible, une fête, un saut dans une halle de marché. Sauter des repas, pour calculer comment terminer ses journées, se priver pour nourrir ses enfants, ses animaux de compagnie, les loger tant que l'on peut et longtemps, ainsi que les grand-parents, mais aussi, on l'oublie très vite, ne plus manger pour aider son parent, se priver pour qu'il évite de sombrer, ne pas prendre de place, penser sa vie dans une boîte à chaussure, où seuls se rassemblent des souvenirs heureux. Ces restrictions fondent un rythme de vie bien différent de celui proposé par notre société. Les injonctions de manger sain, de faire du sport, d'avoir des énergies pour se chauffer et savoir faire des économies d'énergie, étudier ou travailler, deviennent alors des discours très peu réalistes et si loin d'une vie précaire.

La vie psychique est touchée dans sa longévité, une vie de privation est aussi une vie qui pense et formule sa pensée, sa créativité très différemment. Les moyens de survie, dans un pays riche, deviennent des tactiques invisibles, à jamais tues. Les employeurs ont cette habitude, de penser avoir le pouvoir sur la production des personnes vivantes, des vies qu'ils et elles précarisent. Le salaire est impacté, les jugements sur les apparences et les modes de vie sont légion. Si la manière et la façon de penser des plus pauvres gêne, c'est qu'ils n'optent pas pour le même chemin. Dans la vie psychique, on sait qu'un être humain ne peut surmonter longtemps des privations et qu'il ne peut pas vivre s'il est tous les jours, des années, privé de plaisir, de désir, de sentiment de sécurité et donc d'espérance, pouvoir juste espérer, n'est pas possible, c'est ainsi que les statistiques s'analysent. Lorsque l'on ne sait pas si notre faim pourra être calmée, on ne sait même pas ce qu'est le plaisir à manger. Et pourtant, on se trompe encore sur ce qu'est la pauvreté, où sont les pauvres. Car savoir quels sont les mets et les herbes qui guérissent ou ceux qui calment la faim, pour nourrir une famille entière à peu de frais, c'est un savoir, c'est aussi une culture. Il est toujours très dangereux de croire qu'une vie sans accès à l'excès, est une vie pauvre et surtout liée à l'inculture. Ces inventions d'analyses peuvent nourrir des cabinets de psychologues, toujours pour celles et ceux qui ne sont pas pauvres, mais elles sont si éloignées des cultures et des savoirs transmis dans les familles modestes. Comme il existe une variété de basilic et des variétés d'usages, de goûts, selon les terres et les saisons et les coutumes, il existe des façons de se nourrir, dans la pénurie même. La culture se situe dans cette recherche, comme celle de cultiver son esprit, de miettes en cailloux, d'herbes en lettres, en livres trouvés, en textiles chinés. Se trouver face à des personnes très riches qui vous privent du sel de la vie, est la source de l'inculture.

Si l'idée de famille disparaît, qu'elle ne germe pas, si l'on ne peut se loger, ni se nourrir, fonder une famille devient une abstraction véhiculée par une norme sociale, où la charge des désorganisations revient à la mère. Et bien avant, la vie sexuelle n'a pas du tout celle que l'on peut lire ou voir pour faire acheter un produit devenu désirable, une vie culturelle vernie, ou entendue dans des milieux professionnels, que le commun des mortels ne connait pas. Ces modèles de vies sexuelles gâchées de gâchis permanent d'épuisement, d'insatiabilité, de dépenses ou de déchéances, ne sont même pas dans l'imaginaire de celui ou celle qui recherche sa nourriture, de façon plus ingénieuse, créative et riche de sens. Ce monde de la publicité a fait naître des monstres de parade, tristes à souhait, goulus et très mal en point. C'est à la jeunesse, éperdue de sens, de ne point désirer ce monde affiché comme réussite.
La question du plaisir et du désir est du même ordre. Les être désirants, les êtres désirés, les êtres exploités par le désir des autres, on retrouve ces mêmes clichés lorsqu'il est demandé de répondre sans cesse à une culture du désir des ignorants (dit aussi des dominants), et de leur désidératas.
Mais cette culture d'injonction n'est plus possible aujourd'hui. On ne peut pas adhérer à une culture qui exploite sans arrêt les plus démunis et se gausse de ses non-réussites.

Il y a des transformations car les peuples et habitants se sont déplacés, et sont amenés à se déplacer, déménager, changer de pays, travailler autrement, s'adapter (le verbe d'une intelligence de l'expérience) et donc des transformations de la pauvreté. Elle n'a plus le même visage. Sortir du déni d'être pauvre, serait, dans notre pays, le début de réflexions collectives sur le travail et l'économie.

Se sauver de la pauvreté, c'est masquer même la sienne lorsque l'on a un emploi, lorsque l'on mange avec ses collègues, lorsque l'on s'efface si tout va mal et si la santé brise le continuum de la vie. À ce moment là, aucune solidarité, les collègues sont les premiers à ignorer la maladie de leurs comparses et leur isolement, c'est le déni. En continuant à travailler lorsque l'on perd ses partenaires, on continue à concevoir le travail comme un mal, prisonniers du déni.

Se retirer de son métier, se retirer de ce que l'on sait encore faire, avec ses mains et sa pensée, se retirer du monde de celles et ceux qui dirigent et les mets à plat sans arrêt, est la meilleure manière de s'en sortir, encore. Le sentiment de sécurité, la bienveillance inconnue, quand elle n'existe pas, provoque des carences psychologiques, elles hypothèquent la santé, et bloquent tout avenir, toute participation à la vie d'une société.

Voir ses enfants malgré tout réussir des études est un bonheur inouï, lorsqu'une famille s'est privé toute une vie, et aussi malheureux, quand notre société ne reconnait pas celles et ceux qui persévèrent dans la difficulté et parfois les punis. Oui car la pauvreté n'a pas toujours le visage que la société souhaite qu'elle ait.

Les pauvres devaient être toujours serviles, aux tâches les plus ingrates, soumis au plafond de verre, ne jamais être vus, ne jamais être accompagnés, ne jamais fédérer, ne jamais prodiguer des méthodes, celles expérimentées pour survivre, ne jamais transmettre, et surtout, ne jamais être aimés. Mais aussi, toujours moches, incultes et ne pas savoir ni écrire, ni s'exprimer, ni se défendre, et dans les plus cruelles sphères, les pauvres puent. La cruauté n'a pas de frontière. De voir des ralliements aux plus cruels, c'est parcourir des années silencieuses mais riches, sur le discernement, sur l'attractivité, l'illusion, le pouvoir, les influences et l'aveuglement.

Hors, sur l'image que l'on se fait de la pauvreté, elle s'est faussée, et le fossé n'est point exagéré. Il se passe une transformation, celle de comprendre la privation comme un chemin qui attire la richesse spirituelle, une philosophie de vie qui mène à une capacité morale et psychique incroyablement forte. La solidarité est une notion qui disparait dans les sphères les plus égotistes et imbues d'elles-mêmes, mais qui trouve d'infinies ressources, dans nos sphères le plus communes.

La capacité de se mentir à soi-même, est celle la plus intégrée dans des milieux où l'on communique sur la richesse, la culture, les propriétés, le patrimoine. Il faut savoir faire ce pont incroyable entre vivre dans une précarité, et une pauvreté psychique et exercer un métier qui valorise la réussite, la richesse, la culture, les propriétés, le patrimoine.

Cet état de vie, de mensonges en permanence, crée une sorte de décalage cosmique. Il est impossible, pour un être humain, bien constitué de ne pas se trouver mal, dans son emploi qui lui demande de mentir sans cesse.

Se sentir mal, dans une insécurité permanente, la bonne santé donc, déniée, la maladie mise à distance, dans un camp, très loin, change le milieu, par force. Un milieu qui agit en groupe ainsi, est un milieu qui est voué à mal se comporter, mal vivre et à faire du mal, à tuer des vies, à participer d'une mort à petit feu, invisible, car les morts sont cachés et l'on cache les morts.

Alors ? Il faudra un jour ouvrir les yeux sur le visage de la pauvreté, non seulement le regard doit changer, mais la pensée aussi, car si les apparences sont trompeuses, les discours aussi.
Il y a des volontés, et des façons de vivre, qui n'intègrent pas ce que l'on doit absolument avoir pour en être.
Être en accord, c'est déjà ne plus avoir et savoir perdre.

La pauvreté, elle, elle n'aurait ainsi plus de honte à cacher son visage, car il n'y aurait là point de misère à montrer, même aux policiers, le vocable de sa vie précaire, est si riche, à la mesure de sa discrétion.

Il est chou d'être en vie pour l'écrire.

Être envie.

Sentir du bout des doigts, lorsque l'odorat est encore là, le basilic de différentes origines. Et le mangerico de Saint Antoine...

Le bonheur des fiancés, pauvres, d'un amour si riche, qu'il est resté à l'abri des publicités, un invendu.



Cette heureuse bénédiction, du savoir, devrait nous sortir des plaintes.


Ce regard offert est celui de la mise en confiance du regardant.


Ce regard offert est la confiance du regardant.

Et cette publication est l'engagement d'un soutien à toutes épreuves.

Cheminons sans manger de trop, sans grands espoirs non plus, chaque fin de journée est une réussite.
Une frugalité.


Photographies © SM & JD