Distanciel



Présentiel


. Le temps passe vite.


Mes échecs personnels ne me privent pas du bonheur de participer à la réussite d'autrui. Je ne me soucie pas d'être sans emploi, mais d'être digne d'un emploi. Un brin de sollicitude peut vaincre de bien des solitudes. C'est ce qui anime ma conception d'une architecture humaine, complexe, où les interrelations sensibles sont révélatrices, de notre dépendance à l'autre, à sa santé. La solidarité est un art à cultiver. Je suis artiste et professeure, je peux savoir et ignorer dans le même temps, mais avec mes connaissances et mes recherches, j'admire en l'autre, voir grandir le meilleur et l'accompagner, le valoriser. Seuls et sans réponses sur notre avenir devenu incertain plus qu'hier, l'année passée nous a rapprochée dans ces sentiments d'incertitude et de solitude. Les années passées, j'ai perçu que l'attente était un obstacle, car elle me faisait négliger mon présent. Le temps passe vite, je ne souhaite plus espérer le lendemain, mais agir chaque jour. Les occasions m'ont déjà été données, en partageant mes recherches, en étant présente, dans chacun des moments si fragiles, ce qui fortifie considérablement mes liens d'amitiés, familiaux et professionnels, même s'ils se réduisent, même s'ils disparaissent, restent mes souvenirs si intenses. Si être patiente m'a fait avancer quoiqu'il arrive, c'était pour mieux descendre du pont de l'orgueil pour toucher la limpidité du bonheur. Les années passent si vite, elles s'écoulent en retardant parfois les grains des festivités et des retrouvailles. La meurtrissure des maladies, de celles dont on ne connait l'alchimie et les conséquences, nous a ouvert sur une dimension futuriste avec beaucoup d'inconnus. Je ne souhaitais plus revivre ce qui m'avait meurtris, je ne me doutais pas que tant de peuples vivraient également des évènements qu'ils ne souhaitaient plus revivre, des confinements et des isolements imposés, des désolations d'amour et d'amitié ; ce que j'avais éprouvé d'un point de vue individuel, avec une isolation de mon milieu professionnel et mes activités intellectuelles, dont il m'importait qu'elles soient partagées, motrices et altruistes, se généralisait, dans le monde entier. Mais au plus profond de moi, ce sont les espoirs et les rêves qui me motivent et me guident, ils s’imposent en même temps que grandit à cet instant l’envie ardente de les réaliser. Je suis créatrice et l’art conduit à bien des mouvements de bonne santé, d’exceptionnels élans de vitalité et d’optimisme, et, dans notre pays, nous avons bien besoin, de ces forces vives d’esprits innovants et joyeux. S'il pointe un sentiment de confiance moi, c'est qu'il remet en perspective les difficultés à surmonter avec celles des années passées, inscrites dans notre histoire collective. Je peux les relativiser et me savoir capable de mieux y faire face dorénavant. Le temps passe vite, suis-je vaccinée ? Ai-je l'âge d'être vaccinée contre la lâcheté, la cruauté, la perversité ? Non, pas plus ni moins qu'une autre personne, aucun vaccin, sauf une bonne immunisation et un moral fort de bienfaits accomplis, d'esprit curieux et généreux, de rigueur dans la connaissance dans le sens où nous ne sommes ni seuls, ni puissants, mais parmi tant d'inconnus, qu'il nous faudrait devenir des chercheurs de nectar de joie. Lâcher les ballons des prises sur les points négatifs et laisser les ficelles se détacher des prévisions météorologiques. S'il fera très chaud ou s'il fera très froid, nous nous adapterons. Ainsi, comme tous, serons-nous différents de ce que nous connaissons de nous-mêmes. Si aujourd'hui je mesure un peu le temps parcouru, il n'est pas de mesures pour le parcourir de nouveau, et il n'existe aucun instrument de mesure pour assurer de beaux lendemains, ni métronome, ni système mondial de géo-positionnement par satellite. Alors, le temps passe vite mes amis, aimons-le comme il se présente ! Il défie nos représentations et nos images et parfois, recevons-nous l'honneur de ressentir en nos cœurs, qu'il nous apporte une sagesse intérieure, sonnant un coup de grâce, celui de la sérénité retrouvée.







Photographies © Sonia Marques

.Ciel.


Ces temps ont aboli les photographies en pied, et privilégié des images de caméras d'ordinateurs ou de téléphones ou de tablettes, sorties des visioconférences avec des portraits très petits de têtes. Nous sommes devenus de petites têtes déformées dans de petits carrés, des vignettes, des timbres-poste, de petites fenêtres à travers lesquelles faire un signe, devient un signe de présence. Les petits timbres-poste de nos proches si loin, avec leur timbre de voix, lorsque leurs présences physiques et leurs images avaient longtemps disparu par les confinements successifs, retiennent notre souffle, comme redécouvrir, la quintessence du manque, là où chacun de leur récit chantonne une musique affective, celle des charmes de la vie familiale, en société, tout s'illumine lorsque l'empathie renaît de ses cendres. - Comment vas-tu ? Une question éludée, si souvent, pourtant essentielle, bien plus que des gestes avec des barrières. Si bien, que le petit timbre renoue avec sa voix, à la tentative émue de faire sa place dans un dialogue inespéré et si estimable.
Présentiel et distanciel de nouveaux mots dont on ne sait pourquoi la présence première a supprimé le ciel et la distance a intégré le ciel, dans la langue française ? Si les distanciels se font sans couvre-chef le plus souvent, c'est à cause d'un couvre-feu... Bientôt les présidentielles, là aussi le ciel a disparu, oui le ciel prendra sa pause, son couvre-feu, laissant les couvre-chefs se chamailler, tirer la couverture à soi. Pourtant les présidentielles ont intégré les pronoms féminin au pluriel, toutes ces -elles-, pour élire des hommes. Est-ce que les ailes sont restées et le ciel a disparu ? Et si nous avions le pouvoir de couvrir et poser une couverture sur l'autre afin de le protéger, sans se voiler la face ni masquer son pouvoir ?

Jamais sont nues nos présidentielles, toujours masquées de bien de langues de bois. Pourquoi les programmes politiques dans mon pays ne convainquent plus ? Bien des voix sont exclues, ne se sentent représentées. Les artistes n'ont plus de voix. Les élections sont toujours des moments, où, les artistes doivent faire des choix, pour voter, contraires à leurs voix, puisque personne ne les représente ni ne les protège. Se sentir étrangers et pourtant si impliqués dans ses idées, ses créations, le partage de ses connaissances et demeurer exclus des orientations, des programmations mêmes des enseignements artistiques. Quelle étrange sensation de n'être ni reconnus, ni entendus, et pourtant nus, depuis toujours, exposés et copiés. Il y a quelques exceptions, mais je ne peux les comprendre. Elles ne nous représentent pas et pourtant figurent à la tête des orientations, elles ne créent pas de paysages où habiter et faire vivre les prochains artistes, elles tirent la couverture, mais ne se posent pas la question de nos points communs, seulement des divisions. Ce sont des maillons de pouvoir mais pas des maillons de forces communes et de valeurs culturelles. Il y a tant à faire, ce pays manque tellement de valeurs communes qui puissent nous rassembler. La paix me semble la plus importante.

Le temps passe vite et avec nous, les artistes, le temps s'allonge pour pouvoir guérir les dissensions.

Nous sommes retranchés depuis si longtemps, sans jamais avoir abandonné de lutter et montrer nos savoir-faire, il est indéniable, je vois l'amenuisement, de tous les artistes que j'ai connus. La création n'est plus essentielle, mais elle se joue ailleurs, c'est un début, dans tous ces liens que nous parvenons à créer et qui ne sont ni spectaculaires ni spéculateurs. C'est infiniment plus modeste, mais paradoxalement, bien plus grand.