echo.jpg
Echo et Narcisse
du peintre John William Waterhouse (1903) Huile sur Toile > 109.2 x 189.2 cm

Ce tableau de 1903 de John William Waterhouse (1849- 1917) s'appuie sur le poème « Echo et Narcisse » d’Ovide que l’on retrouve dans ses célèbres Métamorphoses.

Je pensais à Écho, ce soir, et la nymphe Écho... En fait je pensais au syndrome d'Echo, tout s’échafaude et je me dis à l'instant que je vais faire l'effort de cristalliser ma pensée. Elle est mouvante donc elle ne sera plus qu'un écho demain. Et là, elle est émouvante. Je voyais mon pays comme pris dans un syndrome d'Écho... Plusieurs éléments, je ne saurai les décrire, des faits divers, des lois votées, des ratés, des voix oubliées, inaudibles, des échos sur l'eau, qui disparaissent. Demain le consentement de la sexualité a été voté au Sénat à 13 ans, sans même la voix des enfants, mais cela a été voté, et on leurs dit surtout : taisez-vous, ne dites rien. Un enfant, qui ne dit rien consent aux lois des adultes, c'est le vote d'une permission au viol, autant le dire, car que sait un enfant de la sexualité à 13 ans ? Ni même après. Rien. Aimer oui, mais aimer tout entier. Et ne reste que l'écho, cela se répète à l'infini. L'âge est répété comme une limite, à partir de laquelle, l'enfant ne serait plus protégé par la loi des hommes. Pourquoi la sexualité entre en jeu à cet âge, et qui a décidé de cette limite ? Les adultes, seulement les adultes, selon leur fantasme. Un enfant de 12 ans, peut ignorer la sexualité, ne pas la côtoyer, mais dès qu'il a 13 ans, la loi, dans mon pays lui impose la pression des adultes, l'enfant doit y consentir, sans que jamais, ces adultes ne l'entende, ni ne puisse le croire, à 13 ans, il ne sera plus cru, et d'ailleurs, il sera voué au silence.

Alors comme un enfant, je lisais l'histoire de la nymphe Écho, un récit dédié pour les enfants, dans une encyclopédie plus simplifiée, qui résume l'histoire :

Dans la mythologie grecque, Écho est le nom d’une nymphe. Elle est l'héroïne de plusieurs mythes différents.Zeus lui demande de détourner l'attention de sa femme Héra, en lui parlant sans cesse. Pendant ce temps Zeus peut se livrer à des « aventures amoureuses ». Héra, jalouse, comprend la tromperie et lance une malédiction sur Écho. Désormais, celle-ci ne peut plus parler la première, mais doit se contenter de répéter ce que les autres ont dit avant elle. Dans un autre mythe, Écho rencontre Narcisse et en tombe amoureuse ; mais Narcisse, qui n’aime que son reflet, ne répond pas à son amour. De chagrin, la nymphe se retire dans une grotte. Comme elle ne se nourrit plus, elle finit par s’évaporer ; il ne reste d’elle que sa voix qui, toujours soumise à la malédiction d'Héra, répète sans cesse les dernières syllabes que l'on prononce. Dans un autre mythe, Écho, reste indifférente à l'amour que lui porte le dieu Pan. Celui-ci furieux la fait mettre en pièces par des bergers. Il ne reste d'Écho que sa voix.


Dans le tableau du peintre britannique, John WIiliam Waterhouse, (un Préraphaélite) il représente la nymphe Echo regardant amoureusement Narcisse. Cette dernière se laisse dépérir suite au refus de Narcisse de s’abandonner à ses désirs. Elle est assise dans un tronc d’arbre et tourne la tête pour regarder le jeune homme. Narcisse est plongé dans l’observation de son propre reflet, passionné et incapable de détourner les yeux tellement il est épris de son image. Ce dernier désespéré de ne pas pouvoir s’embrasser et se toucher se laissera mourir. Et sur les bords de l’eau où il est décédé, poussa une Narcisse (la fleur).

Cette thématique est souvent représentée dans l'histoire de l'art. Ce que je trouve représentatif de notre moment, et les rois mages nous ont apporté beaucoup de cadeaux, il faut les développer tous, et j'avoue que ce n'est pas évident, il y a des indésirables, mais il faut mieux les considérer, c'est pour notre évolution. Nous avons reçu des images de croque-mitaines, et puis notre pays s'est empressé de voter une loi, pour sauver ses ogres et ogresses, en défaveur des victimes, dont, notre pays, pensait, qu'elles n'avaient pas droit à la parole, parce qu'elles ne pensaient pas, ou qu'elle n'avaient aucun ressenti. Alors il fallait écrire par-dessus, les mots qui décrivaient l'insoutenable tabou, de l'inceste aux viols sur enfants et adolescents. Dans ce tableau, je vois  deux générations qui ne se rencontrent pas. Il y a celles et ceux qui ont un miroir en face et tout le monde peut le voir aussi, c'est une sorte de presse quotidienne, de micro tendu... aux Narcisses. De l'autre il y a la génération vouée à répéter, et à n'entendre que son écho. Elle souhaiterait s'adresser à la première génération, mais celle-ci a voué son empire sur l'image qu'elle projette, et elle doit être belle, magnifiée. Ce qu'elle est. L'image est fascinante. Écho est une sorte de sœur, de frère, de voisin, de collègue, d'un parent éloigné, il ou elle est dans la confidence, de celui ou celle qui agit, qui peut agir et qui a le pouvoir. C'est une sorte de témoin, il voit tout, mais ne dit rien, pire, il ne peut rien dire. Pendant que celles et ceux qui ont le pouvoir, les grands Zeus, font leurs affaires, en cachette, Echo devient un ustensile afin de détourner le regard d'autrui des manigances des grands Zeus, des gens de pouvoir. Pour cela, elle a reçu l'ordre de faire du "buzzz", de générer des rumeurs, de détourner l'attention, en monopolisant l'audience, toute personne qui pourrait voir ce qui dérange. Les grands Zeus sont tranquilles quand Echo répète, et brouille les esprits. Puis elle tombe amoureuse de ces Narcisses qui se mirent sans cesse, ils ne la voient pas, et ne voient que leur image, autant dire : ils en font des caisses. Si Écho disparaît, sa voix reste, son écho, elle répète, et cela gène énormément. Entendre toujours la même rengaine, c'est comme si une génération répétait sans cesse les viols qu'elle subissait et que l'autre génération ne pouvait comprendre le sens, trop occupée à se regarder sans cesse, et même très agacée par cette génération et ses voix sans cesse qui répètent la même chose.

Et je reliais ceci au syndrome d'Écho, cette disproportion parfois pathologique où la confiance en soi est brisée, à tel point, que des personnes atteintes de ce syndrome sont influencées par une figure narcissique dans leur entourage et elles ne prennent plus soin d'elles. Elles utilisent leur énergie pour nourrir émotionnellement les autres. Ce syndrome arrive à point pour le moment que j'observe, dans lequel, notre pays s'embrouille, c'est une fracture de l'estime de soi. Echo répète tout ce qu'elle entend, toutes les conversations, tous les faits divers, elle connaît l'actualité par cœur. Elle est connectée sur ce que racontent, comme récits, les médias. Echo symbolise cette lutte et cet épuisement, quotidien, pour résister et faire entendre sa voix, dans un monde qui ne l'entend pas. Elle lutte pour être visibilisée, mais dans son entourage, une personne, un groupe, ont une présence narcissique, on parle aussi d'échoïsme... Une partie de la population se sent oppressée, et conditionnée par une figure narcissique. On retrouve chez ces personnes un caractère sensible et affectueux, des émotions fortes si elles se trouvent au centre de l'attention, un grand malaise, car elles craignent d’exprimer leurs besoins et font passer en priorité ceux des autres. Je pense à une génération qui s'est sans arrêt soumise à une autre à son pouvoir (pouvoir économique, emploi, vie amoureuse, affective, partenaires multiples et excès, addictions...) Cette génération passive, en raison des pressions de l'autre, habitée par le narcissisme, pourrait se résumer au désir de parler d'elle, de soi, à des personnes égoïstes habituées, voir conditionnées à ne parler que d'elles. Une société entière a fabriqué des outils de médiations pour des narcisses, alors que cette société a enfanté des Échos qui ne parviennent à exprimer leur besoin, et aussi leur limite.

Ainsi, leur impose-t-on des limites d'âges, sans même leur demander leur avis, ce qu'ils et elles ressentent. Et puis, ils et elles n'ont de voix que leur échos.

Dans le mythe de la nymphe Écho, celle-ci s'enfonce dans une profonde tristesse. Elle est rejetée, et c'est d'autant plus douloureux, qu'elle perd sa voix. Dans le syndrome d'Écho, rencontrer une personne narcissique, un temps, annule sa propre voix, l'écrase totalement, et on peut se trouver retourner dans une caverne, se réfugier quelque part, ce peut être sur un Mont, en hauteur, où dans un terrier, sous terre, ou, tout simplement, entre quatre murs, confinés. C'est un peu comme devenir un animal, se nourrir comme un animal, se vêtir à peine et toujours de même et dormir avec ses peaux de bêtes. Sentir comme un animal qui bouge sans cesse sa truffe, incapable de parole, mais qui sent tout. Une pure sensibilité, à fleur de peau. Ce moment est paradoxalement un moment où l'écoute et l'empathie sont à leur paroxysme. Mais il est impossible de pouvoir exprimer ses propres besoins aux autres. Dans ces moments, le manque d'initiative est très flagrant, afin de ne pas gêner celles et ceux, au devant de la scène. Ce qui encoure, c'est de décliner tout projet, et d'être laissé de côté, voir d'être nié. C'est aussi, comme Écho, une forme de disparition, mais en toute conscience. L'effet conflictuel le plus saisissant est l'abdication face à cette pression égocentrique, surdimensionnée :
Si ces Échos, veulent être sûr d'elles et recevoir un minimum d'affection, elle s'imposent de demander le moins possible d'attention, et, de donner tout ce qu'elles peuvent. L'apprentissage d'Écho, de ces personnes, que j'imagine être une génération entière, c'est l'habilité à vivre dans le silence, elles apprennent à ne plus avoir de voix, d'ailleurs elles ne votent plus, elles apprennent à ne pas gêner dès leurs plus jeune âge. Et on peut observer qu'on leur donne des limites pour la sexualité, on légifère sur leurs corps même, et elles doivent obtempérer, autant dire : elles n'ont pas le choix. Les narcisses, avec l'autre génération, au pouvoir, ont alors, tous les moyens pour déployer des ruses à l'infini, contourner même les lois qu'ils définissent, et travestir la vérité, s'il y en a une. Il n'y en a plus. Disons que la véracité des propos d'une génération entière vouée à répondre aux besoins d'une autre au pouvoir, est, elle-même, décrite comme une affabulation, ou un écho, qui ne fait pas autorité.

Est-ce qu'il y a une fenêtre ou que des miroirs ? Oui. La fenêtre entre-ouverte de cette tension entre deux générations qui ne s'écoutent plus, est l'apprentissage que l'échoïsme voué à répétition, ne doit pas répéter tout ce qu'on lui dit, ni les comportements mirés dans l'eau, le miroir. Il est question là, de dignité, d'arriver à exprimer ses besoins, regagner une confiance en soi, sans copier ces grands verbeux ni avoir besoin de son reflet pour comprendre sa propre valeur. Il ne faut pas oublier que les narcisses ont une sanction inéluctable : ils et elles se noient dans leur reflet.

Quand je regarde un peu le bruit (parce qu'un bruit peut aussi se voir, mais pas s'entendre), et que je me retrouve anéantie par celui-ci, en reprenant mes rituels matériels et sans reflet aucun, je vois de loin que ce bruit se noie. Et j'oublie, j'oublie le bruit d'hier, même s'il était bien plus fort que celui de la semaine passée, et qu'il fallait rentrer dans son petit ermitage, dépoussiérer sa propre grotte, afin de voyager plus léger, comme dans Le Loup des steppes du roman de Hermann Hesse. De toutes façons, rien ne sert de courir, il faut partir à point, de cette morale ouvrant la fable, Le lièvre et la tortue, de La Fontaine.
Bref, partagés entre se couper de tout et restés connectés, lire qu'aucune guerre n'est déclarée, et qu'un virus a pris le pouvoir, sans qu'on puisse rien y faire, et pourtant le voir faire reste un supplice, reléguant tout accessoire au placard et introspectant l'essentiel en priorité, dans une inertie nouvelle, et des empilements procrastinés. Faire bonne figure ne dure qu'un temps, même si les narcisses, on les aime sur l'eau, flottant comme des bouddhas silencieux qui cachent une profondeur crasseuse et peut-être dégoutante.

Nous vivons ceci : hâtez-vous lentement. Et c'est très fatiguant de ne rien faire. Et quelle torture de ne pouvoir gagner en vitesse, mais quel bonheur retrouvé de savoir n'avoir rien précipité, pour rien. Je fais partie de cette génération, dont on a confiné la parole, et dont on pense qu'elle a disparu dans une grotte.

Les parois de la grotte sont tapissées de dessins et de mots, indéchiffrables pour les Narcisses. Point de miroirs sur les murs, c'est à la bougie que l'on dîne et au rayon de soleil que l'on hume. L'humeur est changeante, et c'est la fuite des idées que l'on voit défiler, sans pouvoir, jamais en attraper une. Parfois un éclat, celui du miroir brisé, dont on a oublié les effets.