© Sonia Marques (peinture - 2019)
Dans l’ombre de la nuit
Le Soleil s’est
définitivement couché. L’obscurité réduisait notre pouvoir, nous attendions le
lever du jour comme promesse d’une lumière de l’action et de l’espoir. Mais le
jour ne se lèvera plus. Il ne nous regardera plus de haut. Il ne désignera plus
le compte du temps humain. La Lune a pris l’avantage, elle ne sera plus la
soustraction de nos nuitées sur nos journées. Elle est notre seul espoir. Tu le
sais, mon amour, la Lune a éclairé nos rapprochements, dans l’intimité cachée du
jour après jour. Nous nous sommes abrités, lapins lunaires, désignés par la
Lune, lorsqu’elle tombait sur les préjugés du jour. Nous avons inventé une
ombre dans le nocturne, afin que la Lune devienne notre lumière. Le
scintillement des étoiles parsemait nos draps insomniaques puis, notre
imaginaire impétueux courrait dans les champs noctambules des délices
chavirés à chaque métamorphose. Entrer dans la nuit et ne plus en voir la fin,
s’éterniser en elle et tâter le paysage à l’aveugle. Sombrer sans pouvoir plus
rien retenir et être transpercé par la Lune sans pouvoir percer le jour, sans
plus aucun pouvoir. Consacrer notre amour au voyage des astres, dessiner des
liens d’étoiles en planète, d’une galaxie à l’autre, sans plus aucun point
d’émission, ni de limite entre l’être et le paraître. L’amour a confondu les
hiérarchies, nous a fondu, nos sens crépusculaires interpénétrés. Tu le sais,
l’extinction du Soleil a troublé nos représentations. Les rêves ont envahi
notre réalité, anéantissant tous les calculs visibles à l’œil nu. Encore plus
nus et invisibles aux autres, dénudés et sans arrêt frôlés par les rêves
débordés par le divin, il y a toujours plus à voir que d’ordinaire. Nous avons
trouvé, dans l’ombre de la nuit, de quoi toucher l’essentiel, un amour dont la
clarté des horizons s’est évanoui et respire profondément dans le sublime, ce
drap nocturne éternel, propice aux enlacements et caresses. Fermer les yeux en
pleine nuit, se retrouver à l’ombre, en phase avec sa seule conscience. Nos
paupières ainsi fermées rejoignaient toutes celles des autres. Les solitaires,
les pouvoirs de faire disparaître, ils se dérobent à la possession. Les
couleurs apparaissent dans la nuit avec un effort discret de variation.
L’obscurité impose le contraste et les demi-teintes et les fantaisies espèrent
naître avec exubérance de cette opacité silencieuse. Nous n’avions rien vu
venir, nous sommes devenus cette pénombre, après une inertie et une fatigue
lente, le jour avait pris nos forces, sans écouter nos sensibilités. Le rideau
est tombé, la nuit nous a emporté, et nos angoisses avec, bercées, et
chaleureusement bénies, le sommeil n’est pas notre ennemi. Pour récupérer des
forces, il est même notre fidèle ami. L’amitié du sommeil a trompé les
dépressions du jour, afin d’échapper à ses devoirs de paraître, le seul
calendrier de l’être humain, basé sur les jours et non, les nuits. En fermant
les yeux sur tous les mots d’ordre, solidaires, nous nous en sommes sortis,
nous sommes nés de l’obscur, en accompagnant le vertige du monde. Désespérément
improductifs pour les traces diurnes et les rois de la distinction, notre
destinée s’abîmait, pour eux, dans l’indistinct et l’inquiétude. Notre décalage
avec la norme, nous rapprochait des solitudes trop en mouvement, incontrôlables,
sans obligation de reproduire le visible. Artistes amoureux, dans nos théâtres
d’apparitions, dans l’ombre de la nuit, nous avions mis à distance le réel,
pour mieux nous en souvenir et tracer dans notre mémoire sensible, les dessins
rédempteurs, des phénomènes de l’amour. C’est dans cette promiscuité profonde
et lunaire que la surface s’était engloutie et nous avait enveloppé ensuite,
pour nous habiller de son invisibilité.
Tu ne me vois plus. Je ne te vois plus. Nous nous sommes perdus de vue.
Là, dans l’indicible, une seule certitude : je t’aime.