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Puits à traction animale à Djanet. Montants en tronc de palmier (Photo G. Camps)

L'encyclopédie berbère

« Le palmier est un arbre monumental, puissant, royal ; il a en partage la force, la majesté et l’élégance parfaite ; sa tige isolée remplit un cadre de plusieurs lieues et peuple une solitude. » Ainsi s’exprimait L. Lehureaux dans les premières lignes d’un ouvrage consacré au palmier-dattier du Sahara algérien. Cette phrase, peut-être trop enthousiaste, révèle combien le palmier-dattier, l’arbre de l’oasis, a exercé tant auprès des autochtones que des touristes ou fonctionnaires des temps coloniaux une attirance quasi idolâtre. Dans l’imaginaire du voyageur ou de l’émigré, le dattier est inséparable du mystère bruissant de l’oasis qui n’existe que par lui... On surprendrait bien des Européens et bien des Maghrébins du Tell en leur affirmant qu’il peut exister des oasis sans palmier (il est vrai qu’on parle alors plutôt de jardins ou de centre de culture) et que cet arbre dactylifère n’est pas pansaharien. Il n’est vraiment prospère et productif que dans une large bande de territoires du Sahara septentrional, le Blad ed-djerid (le pays des palmes) ; ailleurs, dans le désert, il ne donne pas des produits de même qualité ni en quantité comparable ; au sud, domine et fructifie un autre palmier d’un genre différent, le palmier doum* qui est un Chamerops et non un Phœnix. Mais le palmier-dattier n’en est pas moins l’arbre roi du Désert et l’homme, dans sa reconnaissance, admet qu’il a une origine divine particulière puisqu’Allah le tira des débris d’argile dont il venait de modeler Adam, donnant ainsi au dattier une place prééminente dans la Création.

L’oued Rhir

Plus à l’ouest, l’oued Rhir, appartient au grand ensemble des régions berbérophones du Sahara septentrional qui comprend, outre le Mzab, le Touat, et tout le Sud Marocain, alors que les oasis des Zibans, comme le Souf, le Djerid et le Nefzawa, sont arabisés depuis longtemps. L’oued Rhir, qui pas plus que l’oued Souf n’est un cours d’eau, est le principal producteur de dattes du sud Constantinois, en particulier de la variété Deglet en-nour. L’oued Rhir est la première région mondiale exportatrice de dattes de qualité. Les 40 palmeraies qui s’égrènent du nord au sud, regroupent près d’un million et demi de dattiers dont le quart de Deglet en-nour, la production de cette variété atteint 57 % (en 1970). Dans cette vaste gouttière d’une vingtaine de km de large, l’irrigation est assurée par des puits artésiens qui, aujourd’hui, sont forés jusqu’à la nappe du Continental intercalaire (Albien). Pour éviter la stérilisation par les dépôts de sel, il est nécessaire de drainer en conduisant les eaux par un long canal depuis Touggourt jusqu’au chott Melrhir. L’ensemble de palmeraies le plus important entoure Touggourt, la seule ville de la région avec M’rayer, les autres sont voisines, jusqu’à l’oued Mya, de gros villages dont les maisons sont, comme dans le Djerid, en briques crues.

Les oasis de Ouargla* prolongent vers le sud celles de l’oued Rhir. Elles possèdent une demi-million de dattiers adultes (estimation de 1971) et produisent 50 à 60 000 t de dattes dont un cinquième de Deglet en-nour qui atteignent ici les limites méridionales de leur zone de prédilection. Les oasis de Ouargla bénéficient, comme celles de l’oued Rhir, de forages profonds qui suppléent les vieux puits artésiens ou à balancier. Le développement urbain de Ouargla et la croissance des secteurs secondaire et tertiaire, en relation avec l’exploitation pétrolière et gazière, réduisent l’importance des palmeraies dans l’économie locale.

Les Zibans

A l’extrême nord de la zone dactylifère, s’étendent les riches palmeraies des Zibans, de part et d’autre de Biskra* qui joue le rôle de capitale régionale. Dans la partie occidentale, piémont des monts du Zab, la culture des dattiers bénéficie d’importantes ressources hydrauliques ; dans le Zab oriental (chergui), autour de Sidi Okba, les conditions sont moins favorables ; l’apport en eau est assuré par le seul ruissellement et le pays souffre de crues souvent catastrophiques séparées de longues périodes de sécheresse qu’atténue le barrage de Foum el Gharsa. Les palmeraies les plus importantes se situent dans le Zab gharbi : Biskra, Tolga, Doucen et Ouled Djellal ; c’est, pour l’Algérie la région de plus forte production des Deglet en-nour. Les 750 000 palmiers font vivre une vingtaine de villages alors que le Zab chergui, sur le piémont aurasien, ne possède que 250 000 dattiers.

LES DOIGTS DE LUMIÈRE

La culture du palmier dattier

L’irrigation

Le dattier a besoin de soleil et d’eau. Si le premier ne fait jamais défaut, la seconde, en revanche, lui est fournie par le travail de l’homme. Pour irriguer leurs palmeraies les jardiniers sahariens (Harratin ou Chouchan) ont fait preuve d’une ingéniosité et d’un courage dignes d’admiration. Nous ne ferons que rappeler les différents procédés traditionnels pour amener l’eau au pied du palmier, en mettant à part le procédé inverse qui consiste, dans les ghout du Souf, à faire descendre le palmier au voisinage de la nappe. Les puits traditionnels à faible rendement sont de deux sortes :
- Le puits à balancier, appelé khottara dans l’Oued Souf, l’Oued Rhir et le Fezzan, Aroudid dans l’Ahaggar, utilise une longue perche dont une extrémité porte un contre-poids qui fait remonter sans trop d’effort la poche de cuir (tagnint, dalou*) remplie d’eau suspendue à l’autre extrémité ; c’est le principe du chadouf déjà figuré sur les peintures de l’Égypte pharaonique. Il ne fonctionne que lorsque la nappe phréatique est à faible profondeur, de trois à six mètres.
- Le puits à traction animale s’impose lorsque la nappe aquifère est trop profonde. Cet engin appelé tanout, en pays touareg dalou dans l’Oued Souf, khottara au Mzab (terme qui au Maroc désigne la foggara) nécessite une structure en bois et l’usage d’une poulie pour éviter une usure trop rapide de la corde ; la remontée de l’eau est assurée par le déplacement sur une rampe ou une allée d’un animal, chameau, bœuf ou âne, attelé à la corde qui remonte une grosse poche de cuir, le dalou (delou*), d’une contenance de 40 à 60 litres. La longueur de la rampe égale la profondeur du puits.
- La noria ou roue à manège à traction animale fut introduite à Ouargla vers 1920, mais sa fragilité relative et son coût l’ont fait progressivement abandonner ; en 1975 il en existait encore quelques-unes dans l’oasis de N’Goussa et une seule à Ouargla.

*

J'essayais de me souvenir de tous ces mots nouveaux, de comment on faisait des dattes, des palmeraies... SOUF, BISKRA, OUARGLA, M'RAYER, TOUGGOURT...

"Il faut aller chercher de l'eau, là où il y en a..."

Les zibans :

Le nom de la région se réfère à un groupe d'oasis (en berbère, zab (pluriel ziban) signifie « oasis »). Il n'aurait aucun rapport avec la thèse arabisante ; la racine zâba indique l’instabilité et signifie, en outre, boire à grands traits, en se dépêchant ; ou la racine zâba peut signifie "couler", en parlant d’eau.

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Rue de Biskra - Matisse (vers 1907)

Henri Matisse part en direction de l'oasis de Biskra au printemps 1906 avec l'intention d'y séjourner une quinzaine de jours mais la durée de la traversée en bateau jusqu'à Alger puis le voyage en train jusqu'à Constantine lui prennent une semaine. Lorsque Matisse arrive enfin à Biskra il éprouve un sentiment qui marquera à jamais son imaginaire. Il ignore le folklore et l'exotisme de pacotille pour se concentrer sur les sujets développés par l'orientalisme post - moderne (le harem, les bédouins et le désert). Durant cette période il peindra deux tableaux majeurs "Rue de Biskra" et "Nu bleu (souvenirs de Biskra)" dans lesquels il schématise le corps de la femme. Présenté au Salon des Indépendants en 1907 le "Nu bleu" sera en concurrence avec "les demoiselles d'Avignon" de Picasso. Cependant la critique sera virulente et Matisse décidera pour un temps de délaisser les problèmes plastiques.

« Dans l’oasis de Biskra, surprenante
de fraîcheur au milieu du désert,
l’eau court dans une rigole, qui
serpente dans les palmiers [...]
Au bord d’un ruisseau, dans un coin
ombreux, un jeune arabe enveloppé
de lainages blancs était étendu,
et une jeune femme lui épongeait
le front. Je pense que l’Arabe pouvait
avoir un accès de fièvre. En tout
cas, c’est cette image, transformée
par mon imagination, qui m’a
donné l’idée du tableau « Souvenir
de Biskra. » L’oasis de Biskra est très
belle. Mais on a bien conscience
qu’il faudrait passer plusieurs années
dans ces pays pour en tirer quelque
chose de neuf et qu’on ne peut
prendre sa palette et son système
et l’appliquer. »
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Emile FRECHON (1848-1921) Algérie, Biskra, photographie vers 1920