Photographie: Michael A. Vaccaro (1960) Artiste : Georgia O’Keeffe, œuvre peinture : Pelvis Series, Red with Yellow (1945)

Dans cette 1960 photographie, l'artiste américaine Georgia O’Keeffe a soixante-treize ans. Elle pose à côté de sa toile, Pelvis Series, Red with Yellow (1945). Cette peinture fait partie d'une grande série de compositions faites entre 1943 et 1947 qui dépeint l'os d'un animal, (dans son intégralité ou en fragments). Habituellement O'Keeffe reproduit la couleur naturelle, le gris-blanchi de l'os, mais ici, elle la couleur change, de façon audacieuse, et fait apparaître l'image plus abstraite. En éliminant tous les détails superflus et tout sens et contexte, notre attention se concentre uniquement sur les éléments essentiels de la composition du vide de l'os à travers lequel un ciel d'or peut être vu. Son ami, le romancier Jean Toomer, fait remarquer qu'elle peint "l'univers à travers la porte d'un os."

C'est un petit livre de ses peintures acheté dans une braderie, lorsque j'étais adolescente, qui m'a fait découvrir ses œuvres. J'avais alors réalisé une peinture de 2 mètres sur 2, bleue et noire, d'une masse entropique et abstraite laissant apparaître un dégradé bleu jusqu'au blanc. C'était suite au décès de mon grand-père paternel au Portugal. Plus tard, cette peinture, est apparue dans le nouveau logement de ma sœur, en France, sans que je n'en sois informée, mais à l'envers. J'ai trouvé cette inversion très intéressante. Je découvrais l'abstraction à partir d'une figure et la possibilité de son interprétation, par d'autres, indépendant de ma volonté. Lorsque je regarde cette photographie, que j'ai choisie, je ne vois pas Georgia O’Keeffe, je vois ma grand-mère maternelle, espagnole, celle qui a vécu un peu à Cuba. Est-ce que l'on peut identifier ses grands-parents à des artistes ? Oui je pense, par leur vie, leur manière d'être, leur vision philosophique de la vie. J'aime cette photographie en particulier, car, de mon point de vue, ce n'est pas seulement une peinture que tient l'artiste de dos, c'est aussi un rideau, un nouveau décor. Grâce à Georgia, je découvre un nouveau décor, je passe à autre chose, la couleur, et c'est exactement, cette scène rêvée, qui me remet dans mes dessins, Mouvance. Il faut faire rideau, pour pouvoir continuer à créer, sans trop désespérer. J'ai eu l'occasion de voir les peintures de Georgia O’Keeffe dans les Musées, toujours une émotion. Je n'ai jamais vu d'exposition personnelle, alors à celles et ceux qui ont la possibilité... Prendre ce temps là.

Rupture et contre-pied : Se laisser enfermer était du reste, à l’évidence, ce qu’elle détestait le plus. Jeune femme, elle ne s’est laissé prendre par aucune des conventions de son époque, qui l’auraient voulue mariée et rangée alors qu’elle allait d’une université à une autre, d’abord comme élève, puis comme enseignante, à Chicago, à New York ou au Texas.

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Si O’Keeffe commence à peindre Manhattan en 1925, c’est à la fois parce qu’enfin marié, le couple vient de s’installer dans un appartement au trentième étage d’un building avec vue panoramique, mais aussi parce que la jeune épousée se doit de rompre sans équivoque avec l’interprétation un peu trop freudienne à son gré que son époux diffuse de sa peinture. On pourrait poursuivre ainsi. O’Keeffe pratique la rupture et le contre-pied avec une volonté d’indépendance et d’expérimentation qui ne se soucie ni de plaire, ni d’être comprise.

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Cette liberté est autant dans sa manière de peindre que dans ses voyages, et dans le renouvellement de ses sujets. Les formes, qu’elles soient humaines, florales ou minérales, sont définies par un dessin sinueux et ininterrompu qui synthétise en simplifiant. De l’observation du sujet, si attentive soit-elle, il s’avance vers une stylisation qui se passe de tout le superflu. Une maison est un rectangle et sa porte un autre rectangle. Un os pelvien est une forme blanche percée d’un ovale. Les cornes d’un cervidé mort sont des courbes symétriques. Les nuages vus d’avion sont des hexagones blancs réguliers sur fond bleu, une sorte de pavement céleste que l’on découvre avec stupeur. La toile date de 1963. A cet âge et en dépit de problèmes de vue, O’Keeffe trouve un motif qu’elle n’avait pas encore traité, conséquence de ses voyages en avion entre la Côte est et Santa Fe.

La couleur est traitée avec la même netteté et la même intensité, qui fait de temps en temps penser aux toiles les plus éclatantes de Gauguin dans le Pacifique. Rose fuchsia, pourpre, rouille, jaune jonquille, jaune citron : ce sont les nuances des sols et des falaises, des sédiments ravinés des bad lands et des calcaires et des grès des mesas – les tables dont les horizontales découpent l’espace en bandes parallèles. A moins que les pentes soient d’une noirceur de cendre sous des nuages aussi sombres, quand les rivières ressemblent à des éclairs et les nuées à des fleurs de coton. Les séries qu’O’Keeffe consacre dans les années 1940 à Black Place, en pays navajo, et à White Place, dans la vallée de la Chama River, sont simplement admirables.


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Extrait de l'article de Philippe Dagen : L’artiste américaine Georgia O’Keeffe, la nature jusqu’à l’abstraction, paru dans Le Monde du 30.09.2016

Une exposition de Georgia O’Keeffe (1887-1986), a lieu ces jours-ci à la Tate Modern, Bankside, Londres, jusqu’au 30 octobre.




Shirley Jaffe :  Horizons, 2012, Huile sur toile, 146 x 114 cm

Mon ami vient de m'apprendre que l'artiste peintre américaine Shirley Jaffe est décédée à Paris ces jours-ci, elle avait 93 ans. Nous avions découvert son travail et revisité son parcours, il y a quelques temps et regrettions de ne trouver aucune édition qui respecte ses couleurs. Bientôt alors. La galerie parisienne Obadia la représentait. Swing et papivole.