Her ou Elle au Québec est une comédie de science-fiction américaine écrite et réalisée par Spike Jonze sortie en 2013.
Dans un futur proche, à Los Angeles, Theodore travaille pour un site web comme écrivain public, rédigeant des lettres de toutes sortes — familiales, amoureuses, etc. — pour d'autres. Son épouse Catherine et lui ont rompu depuis plusieurs mois lorsqu'il installe un nouveau système d'exploitation, auquel il donne une voix féminine. Cette dernière, une véritable intelligence artificielle, se choisit le prénom Samantha. Elle et lui tombent amoureux.

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Science-fiction, solitude, conscience, individuel, émotionnel, paisible, séparation, connexion, virtuel, penthouse, liaison, illusion, dématérialisé, incarné, littéraire, asocial, social, luxe, volupté, optimiste, factice, neuronal, intelligence, mutation, disparition, technologie, amour, invisible…

La philosophie du film repose sur le questionnement des usages des outils technologiques (quasi invisibles) et de notre vie sociale contemporaine, sous-entendue qu'elle se situe à Los Angeles, São Paulo, Shanghai, ou juste sur un réseau social emprunté par n'importe quel habitant de la planète. Le film décrypte notre rapport à la solitude et à notre conscience, reflétée par une voix, celle de notre âme, nostalgique des rapports humains, dans l'illusion de ce qu'ils ont été, mais pas dans ce qu'il sont (flashbacks, souvenirs, image Polaroid lorsqu'elle est passée, rêves, ralentis)
Car la frontière entre réel et virtuel est bien dépassée, et l'amour fou ici, s'incarne par un sens auditif, mais aussi par la qualité de la relation, l'échange, la discussion, seulement aux moments choisis. Pas d'intrusion, pas de superposition, pas de différence, pas de violation. La voix féminine s'adapte totalement aux désirs de l'homme, et cet homme est tendre, à l'écoute, en fait à l'écoute de lui-même. Il en est à une remise en question profonde de son rapport à l'autre et en particulier de son amour perdu, de sa capacité à changer (ou pas) à répéter ou à découvrir de nouvelles sensations. L'individualisme prononcé de ce personnage est à l'image de notre société au final, ainsi, la science fiction de ce film n'est qu'un reflet d'aujourd'hui (le futur est le présent), certes fantasmé, libéré de contraintes matérielles, et nous rappelle nos comportements contemporains par l'usage des technologies infiltrées, de l'oreille à la peau, au grain de beauté, de l'écran, au téléguidage des expositions artistiques… Aux émotions universelles démontrées, s'impose une sexualité choisie, virtuelle, avec un stéréotype développé de ce qu'un homme aime chez une femme (pas forcément son corps) mais ici, sa capacité à ne pas le froisser, à être optimiste, à résoudre tous ses problèmes, à l'aider dans ses tâches informatisées, à côtoyer son cerveau par l'oreille, nouvelles formes de soumission, avec une voix sensuelle et prête à tester de nouvelles sensations, d'avoir une conscience, de l'empathie, de nouveaux plaisirs à partager, à multiplier. L'homme, dans ce film va être dépassé par ce désir de multiplicité et de "complicité" multiple, simultanée, la vitesse de traitement des datas et d'évolution, d'apprentissage… Bref, le robot a dépassé l'humain et lui prouve qu'il n'est qu'un tout petit livre dans une vaste étendue de poussière, là où peut-être son amour perdu, il finira par le retrouver, espace de l'au-delà spirituel, chacun sa vision de la finitude.

Le réalisateur, seul aux commandes de son histoire, rend ce mystère des sentiments amoureux, de leur connexion palpable, au creux de l'oreille, halo indescriptible et enivrant, voir piège captivant, addictif. Une palette d'émotions où la contemplation, la méditation, le sommeil, la vie en lévitation, au-dessus de tout et si loin des proches, avec l'accès à tout, au métro jusqu'à la plage, la femme dans la poche, devient terrifiant comme un ennui dévorant, le tout pouvoir serait une impuissance, une dystopie, aux images utopiques. Et s'il est question de temps et d'espace dans ce film, la voix féminine du robot nous place dans l'information du système des hétérotopies (mot des philosophes) apportant des indications à son amoureux où serait le lieu inaccessible dans lequel elle évolue et en réseau, alors même qu'elle est issue du monde des humains, intelligence artificielle. L'homme blessé de reconnaître l'infidélité que sa petite voix lui porte, seule capable d'aimer plusieurs et en même temps, avec une fidélité pure comme celle d'un amour sincère et véritable, un amour parfait dont on connait l'idée et dont on approche la sensation dans toute relation sensible et indéfectible avec un seul.

La science fiction parvient à troubler lorsque le film nous tient à distance des créations de l'esprit (des robots et programmes intelligents) par cette confrontation aux chimères, le gadget parfois ne s'allume plus, ou la voix s'en va, ne communique plus, provoquant le présage d'un désordre personnel apocalyptique. L'image du film, ses couleurs (vêtements, objets, espaces), le spatial dans la ville, sans voiture (notre fléau contemporain) est un ravissement, ou un frais voyage lorsque l'on est confiné dans de menus espaces, pris dans des contingences matérielles, à compter les tickets de caisse, ou embarqués dans des conflits interpersonnels, dans l'obligation d'étudier le harcèlement plutôt que d'être réceptifs aux rencontres et nouvelles sensations. Ce film toucherait un public contraint (par la crise ou le versus négatif de l'invasion des systèmes informatiques) ou à l'inverse, en confiance avec les technologies (la cool attitude), donc un large public, sans prise avec la différence, mais où la ressemblance, les mêmes cogiteraient ensemble pour une galaxie aseptisée.

Madame rêve..
.d'apesanteur...Des heures des heures de voltige à plusieurs...
Les philosophes décédés seraient encore les seuls à pouvoir emmener ailleurs les femmes en poche, vers un adultère les libérant de leur condition d'esclave, enivrées par le polyamour, fichtre les coquins ! Nous voici projetés dans le polynumérique (les oreillettes, les mobiles, les systèmes), en destinant les hommes qui ne sont pas rentrés dans l'histoire des références à de simples cocus consommateurs, n'ayant pas compris qu'elles rêvent de plus grandes choses, pour elles et qu'ils doivent encore se perfectionner, soit inventer de nouveaux outils, tristes Sisyphes) Si le titre est un pronom sujet au féminin, avec le portrait d'un homme, c'est peut-être qu'il est elle, dans sa tentative de la comprendre. La fin du film nous dira que ce n'est pas encore l'idylle partagée. Le sommeil, vecteur d'une solitude éprouvée par le grand lit et l'absence, animée de temps en temps par l'écoute est dépeint par l'insomnie au cœur d'une ville de gratte-ciel par la transparence de la vitre (seul face au monde) dans la pénombre et le confort du duvet intérieur. Je me souviens ayant eu cette sensation uniquement dans un grand hôpital en banlieue parisienne, ou dans un hôtel à Barcelone, deux situations de réconfort.

La sensation agréable et terrifiante de recevoir ces émotions de déjà-vu, nous positionne face à la chair, contrairement aux apparences virtuelles, l'importance de l'autre et du contact humain, tous, que les disputes, discussions, séparations, ne sont que des grains à révéler les grands amours, à les rendre nécessaire. Ce qui a disparu, dans ce film, c'est le crime, la pollution, de ces mégalopoles et gratte-ciel, les structures de classes sociales sont éliminées, pas de mauvais goût, exit les agressions, les voitures... Je ne sais pas si c'est la disparition des voitures, mais à ces moments pollués, nous pourrions viser la disparition de toutes les voitures dans tous les films, afin de respirer d'autres images. La fiction met à l'épreuve une société apaisée, dans laquelle un homme écrit des lettres sensibles ou réparatrices et les diffuse, il en est remercié, des lecteurs sont touchés. L'écriture, dans ce film est valorisée, tout comme la relation, l'écoute. La culture informatisée aurait, ici, acquis le sens de l'écriture et de la correspondance comme une valeur sûre capable de faire évoluer l'espèce humaine vers plus d'apaisement ou de romance ; ce qui, dans un sens, et je l'évalue, dans mon parcours, est un clin d'œil à tous les grincheux qui n'écrivent plus, en remettant la faute à celles et ceux qui sont (trop) informatisés et se dotent de ce savant travail du goût des mots et de leur concordance, leur dissonance, leurs aspérités démoniaques, parfois en un jet de concentré.

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L'impression d'un surf continu dans une société lissée et normative, mais aussi emphatique et colorée dans le design (de l'image et des objets, des espaces), les personnes de couleurs ayant étrangement disparues. La dialectique solitude/racisme est souvent amorcée chez les américains. La solitude : le mariage raté, la difficulté de retrouver l'âme sœur, le workaholic en auto-réflexion, émotionnellement expressif dans son travail (qui touche dans le film aux correspondances à distance) mais avec des capacités très réduites pour communiquer simplement avec des proches. Ou encore révélée avec les débats sur le mariage pour tous opposant les conservateurs, la difficulté d'imaginer le mariage avec le même sexe (ce qui serait peut-être une solution pour le personnage du film qui ne s'autorise à penser qu'à la voix féminine comme alternative de son échec érotique) Le racisme : l'élite blanche représentée dans les films mais rarement visible pour la majorité des américains. Elle traduit un monde sans conflits sociaux, un monde sous contrôle, la minceur, l'accès aux technologies et la capacité à construire le cyberspace à son image, en mesure d'être dans le ciel et tenir à distance le monde au sol. On reconnaîtra une ergonomie très pomme, pour ne pas la nommer, aux écrans plats : la science fiction est plus celle du 'monopole' d'une technologie, que dans son métissage. Il en est que les personnes latines, asiatiques, noires, sont tout de même présentes dans le film, sauf qu'elles ne sont pas les fils conducteurs, mais bien intégrées (dans le travail, ou même agent corporel pour une tierce relation) Nous pourrions y voir la victoire de l'intégration. Cette critique n'enlève rien au positivisme du film, le paradis retrouvé versus contemporain, rafraîchissant les images archaïques des paradis perdus, se situant sans technologies. Ici le paradis retrouvé est technologique. Marcher seul, penser seul, dormir seul, travailler seul, manger seul, dialoguer seul mais avec l'autre virtuel, faire un film ou l'acteur est quasiment le seul, se baignant dans les illusions de sa relation perdue, de ce qu'il n'a pas fait ou dit, compris ou agi, dans le manque permanent de l'autre, de l'idéal, parfois dans la difficulté d'accepter les "imparfaits", c'est-à-dire l'imperfection, mais aussi le passé qui dure, la conjugaison à l'imparfait et sa confrontation avec son présent : nous étions heureux ensemble, nous ne le sommes plus. La dépendance affective est ici montrée par la relation bienveillante, miroir, correspondant à nos sociétés narcissiques. Elle fait du bien parce qu'elle répond à nos attentes, elle a de l'humour et nous tire du lit lorsque nous ne le pouvons, lorsque la dépression préfère nous y garder. Ce réveil virtuel a tout de la voix maternelle, ou de parents qui nous aident à grandir. L'infantilisation de cette technologie (ce système autonome et mobile) provoque ce malaise, ce trouble, ou ce "duplicable" créé par la programmation qui heurte toujours l'éthique humaine, ou tout simplement la difficulté première d'envisager le nombre, qu'en dehors de soi et de sa conscience, il existe d'autres consciences, et ici, d'autres mondes libres.

Curieusement, ce serait un film romantique, où la science fiction a troqué ses flingues contre l'émotion, l'écoute. J'avais déjà beaucoup aimé son film "Max et les maximonstres" (2009), adapté du roman éponyme de Maurice Sendak dont je n'ai connu la disparition qu'en même temps que son existence. Un film de Sipke Jonze où les émotions et la relation entre les personnages imposants sous les feuilles, étaient complexes, inattendues, empathiques, les petites voix de notre forêt intérieure : Les caractères de tous les grincheux évoluaient à travers les relations et la surprise.
Réalisateur de clips vidéos (Björk, Fatboy Slim), la musique du film a été composée en partie par Arcade Fire, groupe montréalais. Plein de récompenses américaines pour ce film, Meilleur Film, Meilleur Acteur (Joaquin Phoenix), Meilleur Scénario (Spike Jonze) À noter que les Oscars n’ont pas voulu de la nomination de Scarlett Johansson (la voix de Samantha) au motif qu’elle n’apparaît pas à l’écran, certain diront que c’est pourtant un des meilleurs rôles de cette actrice, en parfaite synchronie avec la présence juste et intense de Joaquin Phoenix. Petit tournant dans l'univers du cinéma, une actrice ne serait pas qu'une image, mais aussi une voix, le son gagnerait à être entendu, là où les images empilent des murs surfaits, pour les traverser.

Après il y a un personnage, conceptrice de jeu, portrait sous exploité du film. Pourtant il y a pléthore de jeux interactifs et l'un d'eux représenté par le petit personnage bleu, seul "rouspéteur" du film est bienvenu. Il me fait penser à un personnage que je connais bien et qui n'a pas dit son dernier mot. C'est une vraie science fiction que de le voir évoluer. Merci pour ce film en avant première.